Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 décembre 2005 et 19 avril 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Marcelle C, demeurant ..., M. Pierre B, demeurant ..., Mme Stéphane Claudine B, demeurant ..., M. Bruno B, demeurant ..., Mme Jeanne B, demeurant ..., Mmes Gabrielle et Zoé -B, demeurant ..., M. Baptiste B, demeurant ..., M. Gabriel B, demeurant ..., Mme Mélina B, demeurant ..., Mme Caroline D, demeurant ... ; Mme C et autres demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 19 octobre 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris du 22 janvier 2002 condamnant l'Etablissement français du sang (EFS) à verser diverses sommes à M. B en réparation de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leurs conclusions d'appel ;
3°) subsidiairement d'enjoindre à la cour administrative d'appel de renvoi d'ordonner une expertise sur l'existence d'une incompatibilité entre les symptômes révélés après l'opération de M. B et l'origine transfusionnelle de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;
4°) de mettre à la charge de l'EFS la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean de L'Hermite, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de Mme Marcelle C et autres et de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Etablissement français du sang,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Guy B, alors âgé de 56 ans, a été hospitalisé le 19 mars 1984 à l'Hôpital Laënnec pour y subir un quadruple pontage aorto-coronarien au cours duquel il a reçu 11 culots globulaires et 12 lots de plasma frais congelé ; que la contamination de l'intéressé par le virus de l'hépatite C a été révélée par un diagnostic sérologique positif le 14 avril 1993 ; que M. B, qui avait demandé au centre hospitalier la réparation des conséquences dommageables de sa contamination, étant décédé le 24 décembre 2001 d'un carcinome hépatocellulaire, ses héritiers, qui ont repris l'instance, se pourvoient en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris qui, sur appel de l'Etablissement français du sang (EFS) et de la caisse primaire d'assurance maladie de Quimper, a annulé le jugement en date du 22 janvier 2002 par lequel le tribunal administratif de Paris a admis l'origine transfusionnelle de la contamination et a condamné l'Etablissement français du sang à payer à M. B la somme de 100 000 euros avec les intérêts et la capitalisation des intérêts et a rejeté l'appel incident de ses héritiers ;
Considérant que l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé dispose que : « En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. (...) » ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'en cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C, il appartient au demandeur, non pas seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle sa contamination provient d'une transfusion, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le défendeur ; que ce n'est qu'au stade où le juge, au vu des éléments produits successivement par les parties, forme sa conviction que le doute profite au demandeur ; que s'il appartient au juge de cassation de vérifier que les juges du fond ne commettent pas d'erreur de droit dans l'application de ces règles, la question de savoir si les éléments avancés par le demandeur suffisent pour créer une présomption, si la preuve contraire est apportée par le défendeur et s'il existe un doute devant conduire à accueillir la demande, relève de l'appréciation souveraine qui ne peut être censurée qu'en cas de dénaturation ;
Considérant que pour estimer que la contamination dont M. B a été victime ne peut être imputée avec un niveau de vraisemblance et de pertinence suffisant aux transfusions pratiquées au cours de l'intervention du 19 mars 1984 et que l'existence d'un lien de causalité ayant un degré suffisamment élevé de vraisemblance entre les transfusions subies par M. B et l'hépatite C dont il a été atteint n'est pas démontrée, la cour administrative d'appel s'est fondée sur le rapport établi le 26 octobre 1999 par l'expert désigné par les premiers juges, dont elle a retenu que, très rapidement, dans les heures qui ont suivi l'intervention, M. B a présenté un ictère intense ainsi qu'un taux élevé de transaminases ALAT, hypertransaminasémie qui a persisté un mois après l'intervention, et que la courbe de progression des taux des transaminases n'est pas cohérente avec la transmission d'un agent infectieux par voie transfusionnelle, l'hypertransaminasémie étant, dans ce cas, d'apparition différée, après un délai minimum de quelques semaines ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que l'expert désigné par les premiers juges n'a pas exclu l'existence d'un lien entre l'apparition d'un ictère intense immédiatement après l'opération qui a donné lieu à la transfusion et la transmission d'un agent infectieux par voie transfusionnelle ; que la cour a attribué à l'expert une analyse émanant, non du rapport de celui-ci, mais d'une pièce produite en défense par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, avant de fonder, en partie, son appréciation sur cette analyse ; qu'en donnant cette portée au rapport d'expertise, la cour en a dénaturé les termes ; que par suite, Mme C et les consorts B sont fondés à demander l'annulation de son arrêt ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Sur la responsabilité et sur le préjudice subi par M. B :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B a fait valoir que l'enquête n'avait pas permis d'établir l'innocuité des produits sanguins qui lui avaient été administrés lors de l'opération du 19 mars 1984 et qu'il n'avait pas subi d'interventions médicales ayant donné lieu à une transfusion avant cette date ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le rapport d'expertise établi le 26 octobre 1999 a conclu à l'impossibilité d'imputer ou d'exonérer les transfusions du 19 mars 1984 dans la contamination de M. B, l'apparition rapide d'un ictère ne pouvant être de nature à exclure une telle contamination ; qu'ainsi et compte tenu du déroulement des faits rappelé ci-dessus, M. B a apporté à l'hypothèse de sa contamination par voie transfusionnelle, lors de l'intervention du 19 mars 1984 à l'hôpital Laënnec, un faisceau d'éléments lui conférant un degré de vraisemblance que l'Etablissement français du sang n'a pas combattu par la preuve contraire ; que par suite, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, l'Etablissement français du sang n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a estimé que le préjudice résultant pour M. B de sa contamination par le virus de l'hépatite C était de nature à engager sa responsabilité et l'a condamné à payer à M. B la somme de 100 000 euros avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice causé par cette contamination ;
Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Quimper :
Considérant que le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait statué aux termes d'une procédure irrégulière faute d'avoir mis en cause, en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, la caisse primaire d'assurance maladie de Quimper auprès de laquelle M. B était affilié manque en fait ; que la demande de la caisse de remboursements correspondants à des sommes qui ont toutes été déboursées antérieurement au jugement de première instance est nouvelle en appel et par suite irrecevable ;
Sur les conclusions de Mme C et de ses enfants et petits-enfants tendant à la réparation de leur préjudice propre consécutif au décès de M. B :
Considérant que Mme C, veuve de M. B et ses enfants et petits enfants, ne sont pas recevables à demander pour la première fois devant le juge d'appel réparation de leur préjudice propre résultant du décès de M. B ; que leurs conclusions en ce sens, qui relèvent d'un litige distinct de celui dont était saisi le tribunal administratif de Paris, doivent par suite être rejetées ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etablissement français du sang, sur le fondement de ces dispositions, une somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par les consorts B devant le Conseil d'Etat et devant la cour administrative d'appel et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font en revanche obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etablissement français du sang la somme que demande en appel la caisse primaire d'assurance maladie de Quimper et à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie la somme que demande l'Etablissement français du sang au titre des frais exposés par chacun d'entre eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 19 octobre 2005 est annulé.
Article 2 : Les conclusions d'appel de l'Etablissement français du sang et de la caisse primaire d'assurance maladie de Quimper et les conclusions présentées par les consorts B en leur nom propre sont rejetées.
Article 3 : L'Etablissement français du sang versera aux consorts B la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de L'Etablissement français du sang et de la caisse primaire d'assurance maladie de Quimper tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Marcelle C, à Mmes et MM. Pierre, Stéphane Claudine, Bruno et Jeanne B, à Mmes et MM. Gabrielle -B, Zoé B-, Baptiste, Gabriel et Mélina B à Mme Caroline , à l'Etablissement français du sang, à la caisse primaire d'assurance maladie de Quimper et au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.