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25/07/2007 | FRANCE | N°293793

France | France, Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 25 juillet 2007, 293793


Vu la requête, enregistrée le 26 mai 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mme Mireille A, demeurant ..., Mme Nathalie A, demeurant ..., M. Stéphane A, ..., M. Franck A, demeurant ... ; Mme A et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 23 mars 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté leur requête tendant à l'annulation du jugement du 29 juin 2001 du tribunal administratif de Marseille rejetant leur demande tendant à ce que l'Assistance Publique de Marseille soit déclarée responsable des préju

dices consécutifs à l'intervention que M. Georges A a subie le 6 fév...

Vu la requête, enregistrée le 26 mai 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mme Mireille A, demeurant ..., Mme Nathalie A, demeurant ..., M. Stéphane A, ..., M. Franck A, demeurant ... ; Mme A et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 23 mars 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté leur requête tendant à l'annulation du jugement du 29 juin 2001 du tribunal administratif de Marseille rejetant leur demande tendant à ce que l'Assistance Publique de Marseille soit déclarée responsable des préjudices consécutifs à l'intervention que M. Georges A a subie le 6 février 1995 à l'Hôpital de la Timone ;

2°) statuant au fond, de condamner l'Assistance Publique de Marseille à leur verser une somme globale de 198 000 euros en réparation des préjudices subis par M. A et à chacun d'eux une somme de 30 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge de l'Assistance Publique de Marseille la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Rousselle, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Gaschignard, avocat de Mme Mireille A et autres et de Me Le Prado, avocat de l'Assistance Publique de Marseille,

- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Georges A, qui avait été victime en septembre 1990 d'un premier infarctus du myocarde, puis en novembre 1994 d'un second infarctus provoqué par une sténose coronaire droite, a été admis en février 1995 à l'hôpital de la Timone à Marseille pour y subir une coronarographie au cours de laquelle il a été victime d'un accident vasculaire cérébral ischémique ; que cet accident, dû à l'oblitération de l'artère sylvienne gauche consécutive au décrochement d'une plaque d'athérome, a entraîné une hémiplégie et une aphasie ; que M. A est décédé en février 2001 ; que les consorts A se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 23 mars 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, confirmant le jugement du tribunal administratif de Marseille du 29 juin 2001, a rejeté leur requête tendant à la condamnation de l'Assistance Publique de Marseille à réparer les conséquences dommageables ayant résulté pour M. Georges A de cet examen ;

Considérant, que lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue, mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité ;

Considérant que, pour estimer que l'accident vasculaire cérébral subi par M. A à la suite de l'examen coronarien n'était pas sans rapport avec son état initial, la cour s'est bornée à relever qu'il présentait de nombreux risques coronariens, sans rechercher si les dommages qu'il a subis étaient, par leur gravité, hors de proportion avec son état initial ; qu'elle a ainsi commis une erreur de droit ; que par suite, les consorts A sont fondés à demander l'annulation de son arrêt ;

Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative de régler l'affaire au fond ;

Sur la prescription quadriennale :

Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : « L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond » ; que les conclusions de l'Assistance Publique de Marseille opposant la prescription à la demande des consorts A ont été présentées pour la première fois devant le juge d'appel et sont par suite irrecevables ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'il ressort des constatations des experts que M. A n'était pas particulièrement exposé au risque connu mais exceptionnel d'embolie que comporte la mise en oeuvre d'une coronarographie, intervention dont la réalisation était nécessitée par son état de santé ; qu'avant cette intervention M. A menait une vie normale ; que l'intervention a été la cause directe de l'hémiplégie et de l'aphasie dont il a été atteint ; que cette conséquence présente une exceptionnelle gravité, sans rapport avec celle de l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état ; qu'il résulte de ce qui précède que le dommage subi par M. A engage la responsabilité sans faute de l'Assistance Publique de Marseille ;

Sur le préjudice de M. A :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les frais médicaux remboursés par la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône s'élèvent à la somme de 2084,74 euros ; que les frais liés au handicap de M. A dont l'état a nécessité l'assistance d'une tierce personne à temps partiel doivent être évalués à la somme de 35.000 euros ; que les troubles dans les conditions d'existence de M. A, atteint à l'âge de 70 ans d'une incapacité permanente partielle de 80%, justifient une indemnité de 20.000 euros ; que le préjudice subi au titre des souffrances physiques et le préjudice esthétique doivent être réparés à hauteur de 10.000 euros ;

Sur les droits de M. A :

Considérant que le montant de l'indemnité que l'Assistance Publique de Marseille doit verser au titre du préjudice personnel de M. A aux ayants droit de ce dernier s'éléve à 65.000 euros ; que cette somme portera intérêts à compter du 10 octobre 2000 ; que la capitalisation a été demandée le 26 mai 2006 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à cette date ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure ;

Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône :

Considérant que la caisse a droit au remboursement par l'Assistance Publique de Marseille de la somme de 2.084,74 euros correspondant aux dépenses de santé qu'elle a exposées pour le compte de M. A ;

Sur le préjudice de Mme A et de ses enfants :

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature engendrés dans les conditions d'existence de Mme A par l'état de son mari et de sa douleur morale en les évaluant à 10.000 euros ; que la douleur morale de Stéphanie, Stéphane et Franck A doit être réparée à hauteur de 2 500 euros pour chacun d'eux ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant qu'il y a lieu de mettre les frais d'expertise à la charge de l'Assistance Publique de Marseille ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des dispositions de l'article L. 376-1 du code de sécurité sociale :

Considérant qu'il y a lieu, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Assistance Publique de Marseille la somme de 3.000 euros que demandent les consorts A au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens et la somme de 457,35 euros que demande la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône devant le juge d'appel, en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 23 mars 2006 et le jugement du tribunal administratif de Marseille du 29 juin 2001 sont annulés.

Article 2 : L'Assistance Publique de Marseille est condamnée à verser aux ayants droit de M. A la somme de 65 000 euros.

Article 3 : L'Assistance Publique de Marseille est condamnée à verser à Mme A la somme de 10 000 euros et à Stéphanie, Stéphane et Franck A la somme de 2 500 euros chacun.

Article 4 : L'Assistance Publique de Marseille est condamnée à verser à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône la somme de 2084,74 euros.

Article 5 : Les sommes fixées aux articles 2 et 3 porteront intérêt au taux légal à compter du 10 octobre 2000. Les intérêts échus le 26 mai 2006 seront capitalisés à cette date et à chaque échéance ultérieure.

Article 6 : L'Assistance Publique de Marseille versera, d'une part, aux consorts A la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du Rhône la somme de 457,35 euros en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

Article 7 : Les frais d'expertise sont mis à la charge de l'Assistance Publique de Marseille.

Article 8 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 9 : La présente décision sera notifiée aux consorts A, à l'Assistance Publique de Marseille, à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône et au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITÉ - FONDEMENT DE LA RESPONSABILITÉ - RESPONSABILITÉ SANS FAUTE - RESPONSABILITÉ SANS FAUTE DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION DU FAIT D'ACTES MÉDICAUX - ACTE PRÉSENTANT UN RISQUE DONT L'EXISTENCE EST CONNUE MAIS DONT LA RÉALISATION EST EXCEPTIONNELLE - CONDITION - DOMMAGES SANS RAPPORT AVEC L'ÉTAT INITIAL DU PATIENT COMME AVEC L'ÉVOLUTION PRÉVISIBLE DE CET ÉTAT - ET PRÉSENTANT UN CARACTÈRE D'EXTRÊME GRAVITÉ [RJ1] - NOTION DE DOMMAGES SANS RAPPORT AVEC L'ÉTAT INITIAL DU PATIENT - CRITÈRES.

60-01-02-01 Lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue, mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité. Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, pour estimer que l'accident vasculaire cérébral subi par un patient à la suite d'un examen coronarien n'était pas sans rapport avec son état initial, s'est bornée à relever que l'intéressé présentait de nombreux risques coronariens, sans rechercher si les dommages qu'il avait subis étaient, par leur gravité, hors de proportion avec son état initial.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITÉ EN RAISON DES DIFFÉRENTES ACTIVITÉS DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTÉ - ÉTABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITÉ SANS FAUTE - ACTES MÉDICAUX - ACTE PRÉSENTANT UN RISQUE DONT L'EXISTENCE EST CONNUE MAIS DONT LA RÉALISATION EST EXCEPTIONNELLE - CONDITION - DOMMAGES SANS RAPPORT AVEC L'ÉTAT INITIAL DU PATIENT COMME AVEC L'ÉVOLUTION PRÉVISIBLE DE CET ÉTAT - ET PRÉSENTANT UN CARACTÈRE D'EXTRÊME GRAVITÉ [RJ1] - NOTION DE DOMMAGES SANS RAPPORT AVEC L'ÉTAT INITIAL DU PATIENT - CRITÈRES.

60-02-01-01-005-02 Lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue, mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité. Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, pour estimer que l'accident vasculaire cérébral subi par un patient à la suite d'un examen coronarien n'était pas sans rapport avec son état initial, s'est bornée à relever que l'intéressé présentait de nombreux risques coronariens, sans rechercher si les dommages qu'il avait subis étaient, par leur gravité, hors de proportion avec son état initial.


Références :

[RJ1]

Cf. Assemblée, 9 avril 1993, Bianchi, n° 69336, p. 127.


Publications
Proposition de citation: CE, 25 jui. 2007, n° 293793
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Martin Laprade
Rapporteur ?: M. Olivier Rousselle
Rapporteur public ?: M. Olson
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD ; LE PRADO

Origine de la décision
Formation : 5ème et 4ème sous-sections réunies
Date de la décision : 25/07/2007
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 293793
Numéro NOR : CETATEXT000020406247 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2007-07-25;293793 ?
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