Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 février et 16 juin 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Josiane A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt en date du 10 janvier 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, à la demande de la SNC Pharmacie de Monchy-Mathieu, du conseil régional de Lorraine de l'ordre national des pharmaciens et de la chambre syndicale des pharmaciens de la Moselle, a annulé le jugement du 14 mai 2001 du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a rejeté leur demande d'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 23 novembre 1999 du préfet de la Moselle autorisant la création par voie dérogatoire de la pharmacie de Mme A à Folschviller et mis à sa charge le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) statuant au fond, de rejeter les appels dont la cour avait été saisie ;
3°) de mettre à la charge de la SNC Pharmacie de Monchy-Mathieu et du conseil régional de Lorraine de l'ordre national des pharmaciens le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la décision n° 277663 en date du 27 juillet 2005 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a décidé qu'il serait sursis à l'exécution de l'arrêt attaqué jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la présente requête ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999, notamment, le IV de son article 65 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine de Salins, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de Mme A, de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du conseil régional de Lorraine de l'ordre national des pharmaciens et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la SNC Pharmacie de Monchy-Mathieu,
- les conclusions de M. Christophe Devys, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'en application de l'article L. 571 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable, aucune création d'officine pharmaceutique nouvelle ne pouvait être autorisée dans les communes où une licence avait déjà été délivrée à un nombre d'officines déterminé en fonction du nombre d'habitants de la localité ; que, toutefois, aux termes des trois derniers alinéas du même article, dans sa rédaction issue de la loi du 18 janvier 1994 : « Si les besoins réels de la population résidente et de la population saisonnière l'exigent, des dérogations à ces règles peuvent être accordées par le préfet (...)/ Les besoins réels de la population résidente et de la population saisonnière (...) sont appréciés au regard, notamment, de l'importance de la population concernée, des conditions d'accès aux officines les plus proches et de la population que celles-ci resteraient appelées à desservir./ Le préfet précise, dans sa décision, les populations prises en compte pour l'octroi des licences » ;
Considérant que, pour annuler, par un jugement en date du 12 juillet 1999 passé en force de chose jugée, un précédent arrêté du préfet de la Moselle en date du 15 mai 1998 autorisant par voie dérogatoire Mme A à ouvrir une officine de pharmacie à Folschviller (Moselle), le tribunal administratif de Strasbourg s'est fondé sur ce que les pièces du dossier ne permettaient pas de regarder comme établi que les besoins de la population de cette commune et du quartier d'accueil fussent de nature à justifier la délivrance d'une telle autorisation ; qu'en se prononçant ainsi, le tribunal a réservé la possibilité pour le préfet d'accorder à Mme A une autorisation pour une demande identique, sous réserve que le dossier soit complété afin de faire apparaître les faits susceptibles de justifier l'octroi d'une autorisation par voie dérogatoire ; que, dans ces conditions, l'autorité absolue de la chose jugée qui s'attache à ce motif, nécessaire support du dispositif d'annulation, ne faisait pas obstacle à ce qu'une nouvelle licence fût délivrée - même en l'absence de modification postérieure des faits et en particulier d'évolution démographique de la population de la commune - dès lors que le dossier aurait été complété pour faire apparaître les éléments susceptibles de permettre l'octroi de la dérogation ; que, dans ces conditions, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit en se fondant sur la chose jugée par le tribunal administratif de Strasbourg quant à la satisfaction des besoins de la population pour annuler le jugement en date du 14 mai 2001 qui avait rejeté les recours pour excès de pouvoir formés contre l'arrêté préfectoral en date du 23 novembre 1999 autorisant à nouveau la création par voie dérogatoire d'une pharmacie à Folschviller ainsi que cet arrêté ; que, par suite, Mme A est fondée pour ce seul motif à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur l'appel de la chambre syndicale des pharmaciens de Moselle :
Considérant que la personne qui, devant le tribunal administratif, est régulièrement intervenue à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, n'est recevable à interjeter appel du jugement rendu sur ce recours, que lorsqu'elle aurait eu qualité pour introduire elle-même le recours ; qu'en application de ce principe, la chambre syndicale des pharmaciens de la Moselle est recevable à faire appel du jugement en tant non seulement qu'il statue sur son intervention mais également en tant qu'il rejette les conclusions dirigées contre l'autorisation délivrée à Mme A, sous réserve que l'intervention qu'elle a formée devant les premiers juges soit régulière ;
Considérant que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté comme irrecevable l'intervention de l'association dénommée chambre syndicale des pharmaciens de la Moselle, faute pour elle d'avoir produit la décision de son bureau autorisant le président à introduire cette intervention, conformément à l'article 9 de ses statuts ; que, pour contester en appel ce motif, la chambre se borne à produire les statuts d'une association dénommée « syndicat des pharmaciens de la Moselle », dont elle n'établit pas le lien avec la chambre, ainsi qu'une délibération de son bureau en date du 29 juin 2001, postérieure au jugement, l'autorisant à faire appel ; qu'ainsi, à défaut d'avoir produit la délibération l'autorisant à intervenir devant le tribunal administratif de Strasbourg, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté cette intervention ; que, faute pour cette intervention d'avoir été régulière en première instance, elle n'est pas recevable à former appel du surplus du dispositif de ce jugement ;
Sur les autres appels :
Considérant que le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 571 du code de la santé publique, maintenues en vigueur jusqu'à la date de publication du décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 578 du même code, en vigueur à cette date pour les communes de plus de 2 500 habitants à l'égard notamment des créations sollicitées « à la suite ou dans le cadre d'une décision de justice », ne seraient pas applicables à la demande de Mme A n'est pas assorti de précisions suffisantes pour en apprécier la portée ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, le motif par lequel le tribunal administratif de Strasbourg avait, par jugement en date du 12 juillet 1999, annulé la précédente autorisation délivrée à Mme A ne faisait pas, par lui-même, obstacle à ce que, même en l'absence de modifications des éléments de fait ou de droit intervenus postérieurement à la décision en litige dans cette affaire, une nouvelle autorisation d'ouverture par voie dérogatoire fût délivrée à celle-ci pour une demande identique ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le préfet ne pouvait pas, sans méconnaître cette autorité, délivrer une autorisation en l'absence de changement de la demande ou des éléments de fait ou de droit postérieurement à la décision du 15 mai 1998 doit être écarté ;
Considérant, enfin, qu'il ressort également des pièces du dossier que, d'une part, les besoins de la population à desservir par les deux pharmacies ainsi autorisées à Folschviller - qui peuvent être évalués au minimum à 6 200 personnes en prenant en compte la population de cette commune qui s'élève à 4 635 habitants, celle de Lelling, une partie substantielle de celle de Testing-sur-Nied et celle du quartier de Furst à Valmont, lequel compte 400 habitants, qui n'a pas été prise en compte pour autoriser la pharmacie ouverte dans cette commune et qui est excentrée par rapport à celle-ci et, d'autre part, le caractère excentré de la cité de Furst de Folschviller, proche du quartier Furst de Valmont et qui regroupent à eux deux au moins 3 000 habitants, d'autre part, sont de nature à justifier la création par voie dérogatoire d'une pharmacie dans ce quartier ; qu'en outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que la population restant à desservir par la pharmacie SNC Pharmacie de Monchy-Mathieu, située en bordure de RD 20, ne serait plus suffisante ; que l'allégation selon laquelle une partie de cette population serait desservie par des pharmacies du secteur minier n'est pas établie par les pièces du dossier ; que les huit autres pharmacies sont situées à une distance comprise entre 4 et 7 km ; que, par suite, le préfet de la Moselle n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 571 du code de la santé publique en estimant que les besoins de la population justifiaient la délivrance par voie dérogatoire de l'autorisation en litige ; que le détournement de pouvoir allégué n'est pas davantage établi ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée aux conclusions du conseil régional de Lorraine de l'ordre national des pharmaciens, que ce dernier et la SNC Pharmacie de Monchy-Mathieu ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral en date 23 novembre 1999 ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de la SNC Pharmacie de Monchy-Mathieu tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la SNC Pharmacie de Monchy-Mathieu, du conseil régional de Lorraine de l'ordre national des pharmaciens et de la chambre syndicale des pharmaciens de la Moselle le versement par chacun, en application de ces dispositions, de la somme de 1 000 euros à Mme A ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 10 janvier 2005 est annulé.
Article 2 : Les requêtes présentées par la SNC Pharmacie de Monchy-Mathieu, le conseil régional de Lorraine de l'ordre national des pharmaciens et la chambre syndicale des pharmaciens de Moselle devant la cour administrative d'appel de Nancy ainsi que les conclusions présentées devant le Conseil d'Etat par la SNC Pharmacie de Monchy-Mathieu sont rejetées.
Article 3 : La SNC Pharmacie de Monchy-Mathieu, le conseil régional de Lorraine de l'ordre national des pharmaciens et la chambre syndicale des pharmaciens de Moselle verseront chacun la somme de 1 000 euros à Mme A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Josiane A, à la chambre syndicale des pharmaciens de la Moselle, à la SNC Pharmacie de Monchy-Mathieu, au conseil régional de Lorraine de l'ordre national des pharmaciens et au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.