Vu les requêtes, enregistrées le 5 avril 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentées par le PREFET DE LA SEINE-MARITIME ; le PREFET DE LA SEINE-MARITIME demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler deux jugements du 20 février 2002 par lesquels le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé ses arrêtés du 23 juillet 2001 décidant la reconduite à la frontière de M. Noureddine B et de Mme Houria A épouse B, ainsi que ses décisions du même jour fixant leur pays de destination ;
2°) de rejeter les demandes présentées par M. et Mme B devant le président du tribunal administratif de Rouen ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales signée le 4 novembre 1950 ;
Vu la convention de New York relative aux droits de l'enfant, signée le 26 janvier 1990 ;
Vu l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 modifiée ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
Vu le décret n° 98-503 du 23 juin 1998 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Devys, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. et Mme B,
- les conclusions de Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes du PREFET DE LA SEINE-MARITIME présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la loi du 25 juillet 1952 modifiée relative au droit d'asile : Dans les conditions compatibles avec les intérêts du pays, l'asile territorial peut être accordé par le ministre de l'intérieur après consultation du ministre des affaires étrangères à un étranger si celui-ci établit que sa vie ou sa liberté est menacée dans un pays ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'aux termes de l'article 2 du décret du 23 juin 1998 pris pour l'application de cette loi et relatif à l'asile territorial : L'étranger est entendu en préfecture au jour que lui a fixé la convocation... L'audition donne lieu à un compte-rendu écrit ; qu'aux termes de l'article 3 du même décret : Le préfet transmet au ministre de l'intérieur le dossier de la demande, comportant... son avis motivé ;
Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers, notamment des documents produits par le PREFET DE LA SEINE-MARITIME devant le Conseil d'Etat, que les avis émis par le préfet sur les demandes d'asile territorial présentées par M. et Mme B ont été transmis au ministre de l'intérieur conformément aux dispositions de l'article 3 du décret du 23 juin 1998 ; qu'ainsi, c'est à tort que, pour annuler les arrêtés du 23 juillet 2001 décidant la reconduite à la frontière de M. et Mme B, ainsi que les décisions du même jour fixant leur pays de destination, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur ce que les décisions du ministre de l'intérieur en date du 6 mars 2001 refusant aux intéressés le bénéfice de l'asile territorial auraient été prises au terme d'une procédure irrégulière et sur ce que l'illégalité de ces décisions entacherait la légalité desdits arrêtés ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble des litiges par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M et Mme B devant le président du tribunal administratif de Montpellier et devant le Conseil d'Etat ;
En ce qui concerne les arrêtés décidant la reconduite à la frontière de M. et Mme B :
Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France : Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l'étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé, ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire français au-delà du délai d'un mois à compter de la notification du refus ou du retrait... ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. et Mme B, ressortissants de la République algérienne, se sont maintenus sur le territoire français plus d'un mois après la notification, qui leur a été faite le 9 avril 2001, des décisions du PREFET DE LA SEINE-MARITIME du même jour leur refusant la délivrance de titres de séjour ; qu'ils se trouvaient ainsi dans le cas où, en application des dispositions législatives précitées, le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;
Sur la motivation des arrêtés attaqués :
Considérant que les arrêtés attaqués énoncent avec une précision suffisante les éléments de droit et de fait sur lesquels le PREFET DE LA SEINE-MARITIME s'est fondé pour décider la reconduite à la frontière de M. et Mme B ; que, par suite, les moyens tirés d'une insuffisance de motivation de ces arrêtés doivent être écartés ;
Sur la légalité des décisions du ministre de l'intérieur en date du 6 mars 2001 refusant à M. et Mme B le bénéfice de l'asile territorial :
Considérant que, par un arrêté du 20 octobre 2000, publié au Journal officiel de la République française le 26 octobre 2000, M. Pierre Lieutaud, administrateur civil à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, a reçu délégation du ministre de l'intérieur pour signer, dans les limites de ses attributions, tous actes, arrêtés et décisions, à l'exclusion des décrets ; qu'ainsi, M. et Mme B ne sont pas fondés à prétendre que M. Lieutaud n'aurait pas eu qualité pour signer les décisions du 6 mars 2001 leur refusant le bénéfice de l'asile territorial ;
Considérant qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait au ministre de l'intérieur de communiquer à M. et Mme B les avis émis par le PREFET DE LA SEINE-MARITIME et le ministre des affaires étrangères sur leurs demandes d'asile territorial, ni de motiver les décisions rejetant ces demandes ; que, si lesdites décisions ne visent pas l'avis du PREFET DE LA SEINE-MARITIME, cette circonstance est sans influence sur leur légalité ;
Considérant que, si M. et Mme B soutiennent qu'ils ont quitté l'Algérie pour fuir les violences qui affectent ce pays et pour échapper aux menaces de mort qui auraient pesé sur eux, notamment en raison de l'activité de transporteur de voyageurs exercée par M. B, et s'ils font valoir que leurs demandes d'admission à l'asile territorial aggraveraient les risques pour leur sécurité, il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard notamment au caractère peu circonstancié et peu probant des attestations produites, que le ministre de l'intérieur ait commis, en leur refusant le bénéfice de l'asile territorial, une erreur manifeste dans l'appréciation de leur situation personnelle au regard des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il suit de là que M. et Mme B ne sont pas fondés à exciper de l'illégalité des décisions du 6 mars 2001 ;
Sur la légalité des décisions du PREFET DE LA SEINE-MARITIME en date du 9 avril 2001 refusant à M. et Mme B la délivrance de titres de séjour :
Considérant que, par un arrêté du 16 décembre 1999, publié au Recueil des actes administratifs de la préfecture, le PREFET DE LA SEINE-MARITIME a donné à M. Roger Parent, secrétaire général de la préfecture, délégation pour signer notamment les décisions portant refus de délivrance d'un titre de séjour ; que, dès lors, les moyens tirés de ce que les décisions du 9 avril 2001 auraient été signées par une autorité incompétente doivent être écartés ;
Considérant que, M. et Mme B n'étant pas au nombre des étrangers pouvant obtenir de plein droit un titre de séjour en application des dispositions des articles 12 bis et 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, le PREFET DE LA SEINE-MARITIME n'était pas tenu, par les dispositions de l'article 12 quater de cette ordonnance, de consulter la commission départementale du titre de séjour avant de leur refuser la délivrance de titres de séjour ;
Considérant que, si M. et Mme B font valoir que leur fille aînée est scolarisée en France, que leur deuxième enfant est né sur le territoire français le 17 juin 2001 et que le frère de M. B est de nationalité française, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'eu égard notamment à la durée du séjour en France des intéressés, qui ne sont entrés sur le territoire français que le 6 mai 2000, ainsi qu'aux conditions de ce séjour, le PREFET DE LA SEINE-MARITIME ait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en refusant de leur délivrer des titres de séjour ;
Considérant que, si M. et Mme B soutiennent que les décisions du 9 avril 2001 méconnaîtraient les stipulations de la convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, ils n'apportent aucune précision permettant d'apprécier le bien-fondé de leurs allégations ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme B ne sont pas fondés à exciper de l'illégalité des décisions du 9 avril 2001 au soutien de leurs conclusions dirigées contre les arrêtés décidant leur reconduite à la frontière ;
Sur le droit de M. et Mme B au respect de leur vie familiale :
Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, M. et Mme B ne sont pas fondés à soutenir que les arrêtés décidant leur reconduite à la frontière méconnaîtraient les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE LA SEINE-MARITIME est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé les arrêtés du 23 juillet 2001 décidant la reconduite à la frontière de M. et Mme B ;
En ce qui concerne les décisions fixant le pays de destination de M. et Mme B :
Considérant que, dans les motifs de ses arrêtés décidant la reconduite à la frontière de M. et Mme B, le PREFET DE LA SEINE-MARITIME a précisé que les intéressés n'établissaient pas être exposés à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans leur pays d'origine ; que cette motivation, alors même qu'elle ne figure pas dans le texte des décisions fixant le pays de destination de M. et Mme B, notifiées à ces derniers le même jour, leur permettait de connaître et, le cas échéant, de contester le motif sur lequel le préfet s'était fondé pour décider qu'ils pourraient être reconduits notamment à destination du pays dont ils ont la nationalité ; que les moyens tirés de l'absence de motivation desdites décisions doivent donc être écartés ;
Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, M. et Mme B n'apportent pas de justification propre à établir qu'ils seraient personnellement exposés à des risques graves pour leur sécurité en cas de retour en Algérie ; que, dès lors, ils ne sont pas fondés à prétendre que le PREFET DE LA SEINE-MARITIME aurait méconnu, en fixant l'Algérie pour pays de destination, les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou les dispositions de l'article 28 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DE LA SEINE-MARITIME est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé ses décisions du 23 juillet 2001 fixant le pays à destination duquel M. et Mme B doivent être reconduits à la frontière ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à payer à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. et Mme B, la somme que celle-ci demande, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, pour les frais que les intéressés auraient exposés s'ils n'avaient pas bénéficié de l'aide juridictionnelle ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les jugements du 20 février 2002 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen sont annulés.
Article 2 : Les demandes présentées par M. et Mme B devant le président du tribunal administratif de Rouen sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de M. et Mme B tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE LA SEINE-MARITIME, à M. Noureddine B, à Mme Houria A épouse B et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.