Vu la requête, enregistrée le 26 décembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE LA DROME ; le PREFET DE LA DROME demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 1er décembre 2001 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 20 novembre 2001 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Sébahattin X... ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. X... devant ce tribunal ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Derepas, Maître des Requêtes ;
- les observations de Me Hémery, avocat de M. Sebahattin X...,
- les conclusions de M. Austry, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : "Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police, peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants ( ...) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait" ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. Sébahattin X..., de nationalité turque, s'est maintenu en France au-delà du délai d'un mois à compter de la notification, le 30 mars 2001, de la décision du PREFET DE LA DROME du 28 mars 2001 rejetant sa demande de titre de séjour ; que l'intéressé se trouvait ainsi dans le cas où, en application du 3° du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, le préfet peut décider la reconduite à la frontière d'un étranger ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'aux termes de l'article 12 bis de la même ordonnance : "Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : ( ...) 3° A l'étranger ( ...) qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans" ; que les pièces produites devant la juridiction administrative par M. X..., qui font notamment apparaître une incertitude sur le lieu de résidence de l'intéressé en 1993 et 1997, ne permettent pas d'établir que celui-ci résidait en France habituellement depuis plus de dix ans le 20 novembre 2001, date à laquelle le PREFET DE LA DROME a pris l'arrêté attaqué décidant sa reconduite à la frontière ; que, par suite, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur la méconnaissance du 3° de l'article 12 bis susvisé de l'ordonnance du 2 novembre 1945 pour annuler son arrêté du 20 novembre 2001 ordonnant la reconduite à la frontière de M. X... ;
Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. X... devant le tribunal administratif de Grenoble ;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale et à la protection des droits et libertés d'autrui" ; que si M. X... soutient qu'il a fixé en France le centre de ses intérêts matériels et amicaux et que ses deux frères et plusieurs de ses cousins résident en France, il ressort des pièces du dossier que M. X... n'est pas dépourvu de toute attache familiale dans son pays d'origine où résident son épouse, sa mère et sa soeur ; que, dès lors, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, l'intéressé ne peut se prévaloir de ce que l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie familiale et aurait méconnu l'article 8 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE LA DROME est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 1er décembre 2001, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 20 novembre 2001 décidant la reconduite à la frontière de M. X... ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie, la somme qu'il détermine au titre des frais exposés" ; que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente espèce, soit condamné à payer à l'avocat de M. X... la somme qu'il demande au titre des frais exposés qu'il aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait bénéficié de l'aide juridictionnelle totale ;
Article 1er : Le jugement du 1er décembre 2001 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Grenoble par M. X... est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par Me Hémery sur le fondement des l'articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE LA DROME, à M. Sebahattin X..., à Me Hémery et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.