Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 avril et 11 août 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Pierre X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 17 février 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation du jugement du 28 mars 1996 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus né du silence gardé plus de quatre mois par le ministre des affaires sociales et de l'emploi sur sa demande de versement d'une indemnité de cinq millions de francs en réparation du préjudice causé par la dépêche ministérielle du 12 janvier 1987 relative à la prise en charge par l'assurance maladie de certains examens de biologie médicale ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser cette somme, assortie des intérêts légaux depuis la date de la demande ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré enregistrée le 30 janvier 2002 présentée pour M. X... ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Donnat, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat de M. X...,
- les conclusions de Mlle Fombeur, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'instruction du 12 janvier 1987 du ministre des affaires sociales et de l'emploi fait connaître au directeur de la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés que les méthodes diagnostiques et thérapeutiques préconisées par le Centre européen d'informatique et d'automation, " sont dépourvues de base scientifique ", et de ce fait " ne paraissent pas entrer dans les frais de médecine et de soins couverts par l'assurance maladie conformément aux dispositions de l'article L. 321-1 du code de la sécurité sociale ", et qu'il lui " semble donc nécessaire de mettre fin à la prise en charge de ces méthodes diagnostiques et thérapeutiques " ; que le ministre a, par cette instruction, demandé au directeur de la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés de faire savoir aux caisses d'assurance maladie que ne devaient pas être pris en charge les actes de biologie médicale et les prescriptions pharmaceutiques ordonnés dans le cadre de la méthode informatisée élaborée par le " Centre européen d'informatique et d'automation ", dite " méthode CEIA " ; que le directeur de la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés a, par une instruction adressée le 13 mars 1987 aux caisses primaires et régionales d'assurance maladie, indiqué à celles-ci qu'il devait être mis fin à la prise en charge des méthodes diagnostiques et thérapeutiques suivies par ledit centre ; qu'ainsi, en jugeant que le préjudice subi par M. X... dont le laboratoire d'analyses de biologie médicale recourait à ces méthodes, provenait " non des injonctions faites par le ministre à la caisse nationale d'assurance maladie, injonctions dépourvues de caractère exécutoire et auxquelles la caisse était donc libre de donner ou non suite, mais des décisions des différentes caisses primaires refusant effectivement la prise en charge de certains des actes effectués par le laboratoire de M. X... " et était ainsi dépourvu de tout lien direct avec l'illégalité commise par le ministre en s'opposant, sans base légale, au remboursement de ces actes, la cour administrative d'appel de Bordeaux a inexactement qualifié les faits de l'espèce ; qu'il y a lieu, par suite d'annuler l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut " régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie " ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant que le préjudice financier subi par M. X..., constitué par la perte de clientèle, ainsi que le préjudice moral qu'il invoque, sont directement liés à la faute lourde commise par l'Etat dans l'exercice de ses pouvoirs de tutelle sur les caisses d'assurance maladie ; que, toutefois, la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, en s'opposant au remboursement des prescriptions inutiles suscitées par les méthodes employées par le laboratoire de M. X..., alors que les caisses disposaient d'autres moyens pour mettre un terme à ce remboursement, a également commis une faute en se croyant à tort liée par l'instruction ministérielle ; que cette faute est de nature à exonérer partiellement l'Etat de sa responsabilité ;
Considérant que M. X... ne peut soutenir que le préjudice financier qu'il a subi doit être évalué au montant de la baisse de son chiffre d'affaires pour la période en cause ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et financier imputable à l'Etat, dans les circonstances de l'espèce, et compte tenu de ce que les prescriptions suscitées par les méthodes employées par le laboratoire de M. X... auraient pu être contestées par les caisses d'assurance maladie devant les instances compétentes, en l'évaluant à 20 000 euros tous intérêts compris ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 28 mars 1996 qui a rejeté la demande de M. X... et de condamner l'Etat à verser à celui-ci une indemnité de 20 000 euros tous intérêts compris ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat à payer à M. X... une somme de 2 200 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 17 février 2000 et le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 28 mars 1996 sont annulés.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer la somme de 20 000 euros tous intérêts compris à M. X....
Article 3 : L'Etat versera à M. X... une somme de 2 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et de l'appel de M. X... devant la cour administrative d'appel de Bordeaux est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Pierre X... et au ministre de l'emploi et de la solidarité.