Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 9 août 1999 et 9 décembre 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Pierre X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 1er juin 1999 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit mis fin aux perturbations radioélectriques engendrées à son domicile par la concentration à proximité de celui-ci de seize émetteurs radio ;
2°) de condamner le Conseil supérieur de l'audiovisuel à lui verser une somme de 267 661,60 F au titre du préjudice subi, assortie des intérêts légaux ;
3°) de condamner le Conseil supérieur de l'audiovisuel à lui rembourser la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
4°) d'enjoindre au Conseil supérieur de l'audiovisuel de se prononcer dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision à intervenir sur sa demande, sous astreinte de 1 000 F par jour de retard ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée ;
Vu le décret n° 83-1025 du 28 septembre 1983 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aladjidi, Auditeur,
- les observations de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de M. X...,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article R. 341-1 du code de justice administrative : "Lorsque le Conseil d'Etat est saisi de conclusions relevant de sa compétence de premier ressort, il est également compétent pour connaître de conclusions connexes relevant normalement de la compétence de premier ressort d'un tribunal administratif" ;
Considérant qu'eu égard à la connexité existant entre les conclusions tendant à l'annulation de la décision contestée dont le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort et celles tendant à la réparation du préjudice résultant de cette décision, le Conseil d'Etat est compétent, en application des dispositions précitées de l'article R. 341-1 du code de justice administrative, pour connaître également en premier ressort des conclusions à fin d'indemnité présentées par le requérant ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision attaquée :
Considérant que M. X... demande l'annulation de la décision du 1er juin 1999 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit remédié aux perturbations électromagnétiques engendrées dans son habitation par des antennes d'émission implantées à proximité immédiate de celle-ci ;
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 susvisée : "La communication audiovisuelle est libre. /( ...) Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, autorité indépendante, garantit l'exercice de cette liberté dans les conditions définies par la présente loi ( ...)" ; qu'aux termes de l'article 22 de la même loi : "L'utilisation, par les titulaires d'autorisation, de fréquences radioélectriques disponibles sur le territoire de la République constitue un mode d'occupation privatif du domaine public de l'Etat. /Le Conseil supérieur de l'audiovisuel ( ...) contrôle leur utilisation et prend les mesures nécessaires pour assurer une bonne réception des signaux" ;
Considérant que le Conseil supérieur de l'audiovisuel détient, dans le cadre des pouvoirs que lui reconnaît la loi du 30 septembre 1986 susvisée, la possibilité de modifier, postérieurement à la délivrance des autorisations d'usage de fréquence, les spécifications techniques dont est assorti cet usage dans la mesure où de telles modifications ne remettent pas en cause les choix opérés entre les différents candidats lors de l'attribution initiale des fréquences ; que, toutefois, dans les circonstances de l'espèce et compte tenu de l'ensemble des intérêts dont il devait tenir compte, il a pu après avoir diligenté des enquêtes techniques constatant que les conditions techniques auxquelles étaient subordonnées les autorisations d'usage de fréquences octroyées n'avaient pas été méconnues, légalement s'abstenir de faire usage de ses pouvoirs de modification des spécifications techniques dont étaient assorties les autorisations d'usage de fréquence ;
Considérant que si, aux termes de l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "Toute personne ( ...) a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international", la décision attaquée n'a pas pour effet de priver le requérant de sa propriété ; qu'ainsi M. X... ne peut utilement invoquer à l'encontre de cette décision le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision attaquée ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant que la présente décision, qui rejette les conclusions tendant à l'annulation de la décision en date du 19 juin 1999 du Conseil supérieur de l'audiovisuel, n'implique aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. X... sont irrecevables ;
Sur les conclusions à fin d'indemnité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X... a adressé une demande préalable d'indemnité au Conseil supérieur de l'audiovisuel ; que si le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne pouvait y faire droit dès lors qu'il n'a pas de personnalité juridique distincte de celle de l'Etat, il était tenu, en application de l'article 7 du décret du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l'administration et les usagers, de la transmettre au ministre compétent ; que, par suite, la demande de M. X... étant réputée avoir été transmise et avoir fait l'objet, à l'expiration d'un délai de quatre mois, d'une décision implicite de rejet, la fin de non-recevoir opposée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, tirée de ce que le contentieux ne serait pas lié, ne peut qu'être écartée ;
Considérant que ni la décision attaquée du Conseil supérieur de l'audiovisuel, ni les décisions antérieures de 1986 et 1990 autorisant l'installation de seize émetteurs de radiodiffusion dans la zone d'activité de Mons-en-Baroeul, ne révèlent une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
Considérant qu'il résulte, en revanche, de l'instruction que, du fait notamment de la concentration en un seul lieu, décidée pour des motifs d'intérêt général, de plusieurs émetteurs entraînant des perturbations électromagnétiques sans qu'il soit possible de les attribuer à tel ou tel d'entre eux, M. X... a subi du fait de ces perturbations un préjudice spécial consistant dans l'impossibilité presque totale d'utiliser des équipements d'usage courant et la nécessité d'entreprendre de nombreuses démarches pour faire cesser ces nuisances ; qu'eu égard à la prolongation pendant plusieurs années de ces troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage, ce préjudice doit être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme anormal ; qu'il est ainsi de nature à engager à l'égard de l'intéressé la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'égalité devant les charges publiques ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice subi, compte tenu du remplacement d'une grande partie des équipements de l'intéressé auquel il a été gracieusement procédé, en fixant l'indemnité due par l'Etat à M. X... à 35 000 F, tous intérêts compris à la date de la présente décision ;
Sur les conclusions de M. X... tendant au remboursement des frais exposés par lui et non compris dans les dépens :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat à payer à M. X... la somme de 10 000 F qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. X... une indemnité de 35 000 F, tous intérêts compris à la date de la présente décision.
Article 2 : L'Etat versera à M. X... une somme de 10 000 F au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X... est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Pierre X..., au Conseil supérieur de l'audiovisuel, au ministre de la culture et de la communication et au Premier ministre.