Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 septembre 1996 et 20 janvier 1997 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Marc VIENNE, directeur général et pharmacien responsable de la société "Super Diet", rue Victor Hugo à Denain (59721) ; M. VIENNE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 2 juillet 1996 par laquelle le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens a rejeté sa requête tendant à ce que soit constatée l'amnistie du blâme qui lui a été infligé par une décision du 16 mai 1995 ;
2°) de renvoyer l'affaire devant le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Dumortier, Auditeur,
- les observations de la SCP Tiffreau, avocat de M. Y... et de la SCP Celice, Blancpain, Soltner, avocat du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens,
- les conclusions de Mme Roul, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ( ...)" ; qu'aux termes du 1er alinéa de l'article 14 de la loi du 3 août 1995 portant amnistie : "Les contestations relatives au bénéfice de l'amnistie des sanctions disciplinaires ou professionnelles définitives sont portées devant l'autorité ou la juridiction qui a rendu la décision" ;
Considérant qu'il résulte de l'article L. 527 du code de la santé publique alors en vigueur que le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens peut prononcer, notamment, la sanction temporaire ou définitive du droit d'exercer la pharmacie ; qu'ainsi, les décisions de cette instance sont susceptibles de porter atteinte à l'exercice du droit de pratiquer la profession de pharmacien, lequel revêt le caractère d'un droit civil au sens des stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que les décisions prises sur les contestations relatives au bénéfice de l'amnistie des sanctions prononcées sont susceptibles d'avoir des effets de même nature ; qu'il suit de là que les stipulations précitées de l'article 6-1 de la convention s'appliquent à la procédure suivie devant le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens saisi comme juge d'appel d'une décision par laquelle la chambre de discipline du Conseil central de la section B a rejeté la demande d'un pharmacien tendant à ce que soit déclarée amnistiée une sanction infligée par cette juridiction, même dans le cas où seule la sanction du blâme a été prononcée ; qu'il en résulte que la décision attaquée rendue par le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, qui a siégé en audience non publique, est intervenue selon une procédure irrégulière ;
Considérant, au surplus, d'une part, qu'il ressort des mentions de la décision attaquée qu'elle a été prise sous la présidence de M. X... siégeant avec voix délibérative, alors que celui-ci était l'auteur de la plainte à l'origine de la décision du 16 mai 1995 du Conseil central de la section B infligeant au requérant la sanction du blâme dont il demandait qu'elle soit déclarée amnistiée ; que sa présence a ainsi été de nature à porter atteinte au principe d'impartialité de la juridiction ;
Considérant que, d'autre part, aux termes de l'article R. 5033 du code de la santé publique : "Le pharmacien poursuivi est convoqué à l'audience par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postal. Cette convocation doit parvenir à l'intéressé quinze jours au moins avant la date fixée pour l'audience. / L'auteur de la plainte et l'appelant sont convoqués dans les mêmes formes et délais ainsi que, le cas échéant, les témoins. ( ...)" ; qu'il ressort des pièces du dossier et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté que ni le requérant ni son avocat n'ont été convoqués à l'audience ni même informés de sa date ; qu'ainsi la décision attaquée a été rendue au terme d'une procédure irrégulière ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. VIENNE est fondé à demander l'annulation de la décision du 13 juillet 1996 par laquelle le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens a rejeté sa demande ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond, si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la loi susvisée du 3 août 1995 : "Sont amnistiés les faits commis avant le 18 mai 1995 en tant qu'ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles" ; que, toutefois, "sont exceptés du bénéfice de l'amnistie ( ...) les faits constituant des manquements à la probité, aux bonnes moeurs ou à l'honneur" ;
Considérant que la décision du 16 mai 1995 du Conseil central de la section B retient à l'encontre de M. VIENNE la mise sur le marché, sans l'autorisation préalable exigée par l'article L. 601 du code de la santé publique alors en vigueur, d'une spécialité pharmaceutique dénommée "Cogitonic", présentée comme un stimulant et fortifiant cérébral ; qu'elle relève qu'interrogé sur la nature exacte des phospholipides cérébraux entrant dans la composition du produit susmentionné, l'intéressé s'est révélé incapable d'indiquer leur provenance et de justifier des contrôles réglementaires en matière de sécurité virale et qu'il avait fait courir aux patients un risque injustifié ; que les faits ainsi retenus, dont M. VIENNE n'est pas recevable à contester le caractère fautif eu égard au caractère définitif de la décision du 16 mai 1995 lui ayant infligé une sanction disciplinaire, sont contraires à l'honneur professionnel et, par suite, exclus du bénéfice de l'amnistie ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. VIENNE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par sa décision du 31 janvier 1996, la chambre de discipline du Conseil central de la section B de l'Ordre des pharmaciens a rejeté sa demande tendant à se voir reconnaître le bénéfice de l'amnistie ;
Article 1er : La décision du 13 juillet 1996 du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens est annulée.
Article 2 : La requête présentée par M. VIENNE contre la décision de la chambre de discipline du Conseil central de la section B de l'Ordre des pharmaciens du 31 janvier 1996 est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Marc VIENNE, au Conseil national de l'Ordre des pharmaciens et au ministre de l'emploi et de la solidarité.