Vu, enregistré le 17 octobre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement du 30 juin 2000 par lequel le tribunal administratif de Rouen, avant de statuer sur la demande du SYNDICAT DES COMPAGNIES AERIENNES AUTONOMES tendant à l'annulation de la décision de la Chambre de commerce et d'industrie du Havre en date du 1er février 1998 fixant le tarif général des redevances dues par les usagers de l'Aéroport du Havre-Octeville, a décidé, par application des dispositions de l'article 12 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif, depuis codifiées à l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) Un litige portant sur des redevances constitue-t-il une contestation sur des droits et obligations à caractère civil entrant dans le champ des dispositions de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ?
2°) Dans l'hypothèse d'une réponse positive à la première question, le SYNDICAT DES COMPAGNIES AERIENNES AUTONOMES, dont les droits patrimoniaux, à la différence de ceux des compagnies aériennes qu'il défend, ne sont pas directement affectés, justifie-t-il d'un intérêt suffisant lui permettant d'invoquer l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ?
3°) Dans l'hypothèse d'une réponse positive à la seconde question, l'article 2 de la loi n° 98-1171 du 18 décembre 1998 validant les décisions des exploitants d'aérodromes fixant les taux de redevances aéroportuaires en application des articles R. 224-1, 224-2 et R. 224-3 du code de l'aviation civile est-il compatible avec l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'aviation civile ;
Vu la loi n° 98-1171 du 18 décembre 1998 relative à l'organisation de certains services du transport aérien ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Piveteau, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du SYNDICAT DES COMPAGNIES AERIENNES AUTONOMES et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez avocat du ministère de l'équipement, des transports et du logement D.G.A.C.,
- les conclusions de Mme Mignon, Commissaire du gouvernement ;
Le I de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera ( ...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ( ...)".
1°) - L'article R. 224-1 du code de l'aviation civile dispose que : "Sur tout aérodrome ouvert à la circulation aérienne publique, les services rendus aux usagers et au public donnent lieu à une rémunération, sous la forme de redevances perçues au profit de la personne qui fournit le service ( ...). Les redevances devront être appropriées aux services rendus". Sur le fondement de ces dispositions, la Chambre de commerce et d'industrie du Havre, gestionnaire de l'Aéroport du Havre-Octeville, a fixé le tarif général des redevances dues par les usagers de cet aéroport pour l'année 1998. Le SYNDICAT DES COMPAGNIES AERIENNES AUTONOMES, dont les adhérents sont usagers de l'Aéroport du Havre, a saisi la juridiction administrative d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette décision.
Le litige est relatif à l'institution d'une redevance correspondant au prix payé par l'usager d'un service public. Il a ainsi pour objet une contestation portant sur les droits et obligations de caractère civil au sens des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
2°) - Le I de l'article 2 de la loi susvisée du 18 décembre 1998 dispose que : "Sont validées, sous réserve des décisions passées en force de chose jugée, et pour une période qui prendra fin au plus tard le 1er juillet 1999, les décisions des exploitants d'aérodromes antérieures à la présente loi et fixant les taux des redevances aéroportuaires en application des dispositions des articles R. 224-1, R. 224-2 et R. 224-3 du code de l'aviation civile, en tant que leur légalité serait contestée au motif que la base de calcul comprend des dépenses en matière de personnel, de fonctionnement, d'équipement, d'aménagement et d'entretien relatives aux missions de sécurité-incendie-sauvetage des aéronefs, de lutte contre le péril aviaire, de protection de l'environnement, de contrôles transfrontières ainsi qu'aux visites de sûreté prévues au b de l'article L. 282-8 du code de l'aviation civile".
Le SYNDICAT DES COMPAGNIES AERIENNES AUTONOMES, qui a intérêt à demander l'annulation de la décision de la Chambre de commerce et d'industrie du Havre, est, dès lors, recevable à se prévaloir devant le juge de l'excès de pouvoir de tout moyen de légalité à l'appui de sa demande. En conséquence, il est recevable à invoquer un moyen tiré de ce que les dispositions précitées de la loi du 18 décembre 1998 devraient être écartées comme portant atteinte au principe du droit à un procès équitable énoncé par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, nonobstant la circonstance que ses propres droits patrimoniaux ne seraient pas directement affectés par la mesure litigieuse.
3°) - Il ressort des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que l'Etat ne peut, sans les méconnaître, porter atteinte au droit de toute personne à un procès équitable en prenant, au cours d'un procès, des mesures législatives à portée rétroactive dont la conséquence est la validation de la décision faisant l'objet du procès, sauf lorsque l'intervention de ces mesures est justifiée par des motifs d'intérêt général suffisants.
Les dispositions précitées de la loi du 18 décembre 1998 ont été adoptées en même temps que d'autres dispositions relatives au transport aérien qui donnent une assise légale aux missions d'intérêt général d'ores et déjà effectuées par les gestionnaires d'aéroport, et conjointement à une loi fiscale dans laquelle le législateur a entendu maintenir le principe du financement des missions aéroportuaires d'intérêt général par les usagers des aéroports, par l'instauration d'une taxe spécifique due par les entreprises de transport aérien public.
Dans la continuité de ce principe ancien et confirmé, les dispositions précitées de la loi du 18 décembre 1998 ont pour objet de garantir pour le passé, en régularisant l'incompétence du pouvoir réglementaire pour instituer un impôt, que le coût de ces missions d'intérêt général demeure effectivement à la charge des usagers des aéroports, ainsi qu'ils l'ont assumé, jusqu'à l'intervention du nouveau dispositif législatif susmentionné, par le paiement de redevances analogues à celle dont la légalité est contestée par le SYNDICAT DES COMPAGNIES AERIENNES AUTONOMES.
Par ailleurs, ces dispositions ont également pour objet de prévenir les conséquences considérables qu'auraient, sur l'équilibre financier de nombreux exploitants d'aéroports, l'éventuelle répétition des sommes perçues sur le fondement des redevances litigieuses et déjà dépensées par eux pour l'accomplissement de missions aéroportuaires d'intérêt général.
Il s'ensuit que les dispositions du I de l'article 2 de la loi du 18 décembre 1998, qui réservent expressément les droits nés de décisions de justice passées en force de chose jugée, ne peuvent être regardées comme portant atteinte au principe du droit à un procès équitable énoncé par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Rouen, au SYNDICAT DES COMPAGNIES AERIENNES AUTONOMES, à la Chambre de commerce et d'industrie du Havre et au ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.