La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/12/2000 | FRANCE | N°208583

France | France, Conseil d'État, 10 / 9 ssr, 08 décembre 2000, 208583


Vu la requête, enregistrée le 3 juin 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Abbas X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler, d'une part, une décision verbale du consulat général de France à Amsterdam en date du 22 mai 1998 lui refusant le renouvellement de son passeport et, d'autre part, la décision implicite de rejet opposée à son recours gracieux dirigé contre la décision précitée du 22 mai 1998 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 F au titre des frais exposés par lui et non compri

s dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret des ...

Vu la requête, enregistrée le 3 juin 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Abbas X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler, d'une part, une décision verbale du consulat général de France à Amsterdam en date du 22 mai 1998 lui refusant le renouvellement de son passeport et, d'autre part, la décision implicite de rejet opposée à son recours gracieux dirigé contre la décision précitée du 22 mai 1998 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret des 1er février et 28 mars 1792 relatif aux passeports ;
Vu le décret du 7 décembre 1792 relatif aux passeports ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que son protocole additionnel n° 4 ratifiés en vertu de la loi n° 73-1227 du 31 décembre 1973 et publiés par décret n° 74-360 du 3 mai 1974 ;
Vu la loi n° 79-857 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le décret n° 47-77 du 13 janvier 1947 modifié relatif aux attributions des chefs de poste consulaire et des chefs de mission diplomatique en matière de passeports et de visas ;
Vu le décret n° 53-914 du 26 septembre 1953 portant simplification de formalités administratives modifié notamment par le décret n° 97-851 du 16 septembre 1997 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Denis, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Defrénois, Lévis, avocat de M. X...,
- les conclusions de Mme Maugüé, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre des affaires étrangères :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le consul général de France à Mexico a, le 4 juin 1997, délivré à M. X... un passeport d'une durée de validité d'un an dans le but de lui permettre de regagner la France alors qu'il se trouvait en situation irrégulière sur le territoire mexicain ; que M. X... a, le 22 mai 1998, sollicité le renouvellement de son passeport auprès du consulat général de France à Amsterdam, lequel lui a indiqué les pièces requises ; que l'intéressé a, dans les jours suivants, renouvelé sa demande par divers moyens ; que par un courrier du 10 septembre 1998, sa demande a été rejetée ;
Sur la légalité externe :
Considérant que la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public s'applique non seulement à l'ensemble du territoire de la République par l'effet tant de ses dispositions que de celles de l'article 16 de la loi n° 90-612 du 12 juillet 1990, de l'article 50 de la loi n° 90-1247 du 29 décembre 1990 et de l'article 7 de la loi n° 93-1 du 4 janvier 1993, mais également aux actes pris par les services publics français installés à l'étranger dans leurs rapports avec les administrés ; que l'article 1er de cette loi fait figurer parmi les décisions administratives individuelles défavorables soumises à une obligation de motivation en la forme, celles qui restreignent l'exercice des libertés publiques ; qu'à ce titre, la décision par laquelle est refusée la délivrance ou le renouvellement d'un passeport, laquelle affecte la liberté d'aller et venir, doit être motivée ; que, conformément aux dispositions de l'article 3 de la loi, il incombe à l'autorité administrative d'énoncer les "considérations de droit et de fait" qui constituent le fondement de sa décision ;
Considérant que la décision de l'autorité consulaire du 10 septembre 1998, qui relève notamment que M. X... n'a pas produit les pièces nécessaires au renouvellement de son passeport, satisfait à l'exigence de motivation ; qu'ainsi, le moyen de légalité externe tiré de la méconnaissance de la loi du 11 juillet 1979 ne peut qu'être écarté ;
Sur la légalité interne :
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que l'administration n'était pas en droit d'exiger la production de documents d'état civil :

Considérant que l'article 2 du décret des 1er février-28 mars 1792 relatif aux passeports dispose que : "Les passeports ... contiendront le nom des personnes auxquelles ils seront délivrés, leur âge, leur profession, leur signalement, le lieu de leur domicile et leur qualité de Français ..." ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 26 septembre 1953 portant simplification de formalités administratives, dans sa rédaction issue du décret du 16 septembre 1997 et reprise par le décret n° 98-720 du 20 août 1998 : "Dans les procédures et instructions conduites par les administrations ..., lorsque la justification de l'état-civil d'une personne est requise par les dispositions législatives ou réglementaires : ... b) La présentation de la carte nationale d'identité en cours de validité tient lieu de remise ou de présentation, selon le cas : du certificat de nationalité ; de l'extrait de l'acte de naissance du titulaire" ; que ces dispositions sont applicables en cas de délivrance ou de renouvellement d'un passeport par l'autorité consulaire ainsi que le précise le décret du 13 janvier 1947 modifié ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'administration, qui doit s'assurer de l'exactitude des mentions d'état-civil fournies par le demandeur d'un passeport, peut légalement subordonner la délivrance de celui-ci à la justification par l'intéressé de son état civil au moyen de la présentation de sa carte nationale d'identité ou d'un extrait de son acte de naissance ; qu'il n'est pas contesté que M. X... a refusé de produire une carte nationale d'identité en cours de validité ou un extrait d'acte de naissance ; qu'il n'est par suite pas fondé à soutenir que le refus qui lui a été opposé de renouveler son passeport méconnaîtrait les textes précités ;
En ce qui concerne l'atteinte portée à la liberté d'aller et venir :
Considérant que la liberté fondamentale d'aller et venir n'est pas limitée au territoire national mais comporte également le droit de le quitter ; que ce droit est reconnu par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 à laquelle se réfère le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 comme celui de la Constitution du 4 octobre 1958 ; que ce droit est confirmé par l'article 2-2 du quatrième protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ratifié en vertu de la loi du 31 décembre 1973 et publié par décret du 3 mai 1974 ; qu'aux termes de l'article 2-3 du même accord, l'exercice de ce droit "ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection des droits et libertés d'autrui" ;

Considérant que le rejet de la demande de M. X... de renouvellement de son passeport est, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, fondé sur le refus de M. X... de satisfaire à l'exigence de justifier de son état-civil découlant de l'article 2 du décret des 1er février-28 mars 1792, lequel a le caractère d'une loi au sens des stipulations précitées du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que M. X... n'est par suite pas fondé à soutenir que le refus de lui renouveler son passeport constituerait une violation de l'article 2 du quatrième protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par la décision attaquée, le consul général de France à Amsterdam a refusé de lui renouveler son passeport ;
Article 1er : La requête de M. X... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Abbas X... et au ministre des affaires étrangères.


Synthèse
Formation : 10 / 9 ssr
Numéro d'arrêt : 208583
Date de la décision : 08/12/2000
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITE DES ACTES ADMINISTRATIFS - FORME ET PROCEDURE - QUESTIONS GENERALES - MOTIVATION - CALoi du 11 juillet 1979 - Champ d'application - Actes pris par les services publics français installés à l'étranger dans leurs rapports avec les administrés - Inclusion.

01-03-01-02 La loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public s'applique non seulement à l'ensemble du territoire de la République tant par l'effet de ses dispositions que de celles de l'article 16 de la loi du 12 juillet 1990, de l'article 50 de la loi du 29 décembre 1990 et de l'article 7 de la loi du 4 janvier 1993, mais également aux actes pris par les services publics français installés à l'étranger dans leurs rapports avec les administrés.

ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITE DES ACTES ADMINISTRATIFS - FORME ET PROCEDURE - QUESTIONS GENERALES - MOTIVATION - MOTIVATION OBLIGATOIRE - MOTIVATION OBLIGATOIRE EN VERTU DES ARTICLES 1 ET 2 DE LA LOI DU 11 JUILLET 1979 - DECISION RESTREIGNANT L'EXERCICE DES LIBERTES PUBLIQUES OU - DE MANIERE GENERALE - CONSTITUANT UNE MESURE DE POLICE - CARefus de délivrance ou de renouvellement d'un passeport.

01-03-01-02-01-01-01 La décision par laquelle est refusé la délivrance ou le renouvellement d'un passeport, laquelle affecte la liberté d'aller et venir, est une mesure qui doit être motivée, en application des dispositions de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public.

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - ETAT DES PERSONNES - AUTRES QUESTIONS RELATIVES A L'ETAT DES PERSONNES - CADélivrance et renouvellement des passeports - Exigence de la justification d'état-civil par la présentation de la carte nationale d'identité ou d'un extrait d'acte de naissance - Légalité.

26-01-04, 26-03-05 Il résulte des dispositions de l'article 2 du décret des 1er février-28 mars 1792 relatif aux passeports et de l'article 1er du décret du 26 septembre 1953 portant simplification de formalités administratives, dans sa rédaction issue du décret du 16 septembre 1997 et reprise par le décret n° 98-720 du 20 août 1998, applicables en cas de délivrance ou de renouvellement d'un passeport par l'autorité consulaire ainsi que le précise le décret du 13 janvier 1947 modifié, que l'administration, qui doit s'assurer de l'exactitude des mentions de l'état-civil fournies par le demandeur d'un passeport, peut légalement subordonner la délivrance de celui-ci à la justification par l'intéressé de son état-civil au moyen de la présentation de sa carte nationale d'identité ou d'un extrait de son acte de naissance.

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - LIBERTES PUBLIQUES - LIBERTE D'ALLER ET VENIR - CADélivrance et renouvellement des passeports - Exigence de la justification d'état-civil par la présentation de la carte nationale d'identité ou d'un extrait d'acte de naissance - Légalité.

26-055-02 La liberté fondamentale d'aller et venir n'est pas limitée au territoire national mais comporte également le droit de le quitter. Ce droit est reconnu par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 à laquelle se réfère le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 comme celui de la Constitution du 4 octobre 1958. Ce droit est confirmé par l'article 2-2 du quatrième protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Aux termes de l'article 2-3 du même accord, l'exercice de ce droit "ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection des droits et libertés d'autrui". Légalité du rejet d'une demande de renouvellement de passeport fondé sur le refus de satisfaire à l'exigence de justification d'état-civil découlant de l'article 2 du décret des 1er février-28 mars 1792, lequel a le caractère d'une loi au sens du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LES PROTOCOLES - CALiberté d'aller et venir (articles 2-2 et 2-3 du quatrième protocole additionnel) - Violation - Absence - Exigence de justification d'état-civil à l'appui de la demande de délivrance ou de renouvellement du passeport (article 2 du décret des 1er février-28 mars 1792).


Références :

Constitution du 27 octobre 1946 préambule
Constitution du 04 octobre 1958 préambule
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789
Décret 47-77 du 13 janvier 1947
Décret 53-914 du 26 septembre 1953 art. 1
Décret 74-360 du 03 mai 1974 art. 2
Décret 97-851 du 16 septembre 1997
Décret 98-720 du 20 août 1998
Loi 73-1227 du 31 décembre 1973
Loi 79-587 du 11 juillet 1979
Loi 90-1247 du 29 décembre 1990 art. 50
Loi 90-612 du 12 juillet 1990 art. 16
Loi 93-1 du 04 janvier 1993 art. 7, art. 1, art. 3


Publications
Proposition de citation : CE, 08 déc. 2000, n° 208583
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Rapporteur ?: Mme Denis
Rapporteur public ?: Mme Maugüé
Avocat(s) : SCP Defrénois, Lévis, Avocat

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2000:208583.20001208
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award