Vu la requête, enregistrée le 6 août 1997 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mme Anne-Marie Y..., demeurant à Saint-Fort-sur-le-Né (16130) ; Mme Y... demande au Conseil d'Etat d'annuler la décision du 19 juin 1997 par laquelle le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens a confirmé, en appel, la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant un mois ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi du 3 août 1995 portant amnistie ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié notamment par le décret n° 97-1177 du 24 décembre 1997 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Sanson, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Nicolay de Lanouvelle, avocat de Mme Y..., de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens et de la SCP Boré, Xavier, avocat de Mme X...,
- les conclusions de M. Salat-Baroux, Commissaire du gouvernement ;
Sur les moyens relatifs à la régularité de la composition du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens statuant après cassation et renvoi :
Considérant que l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987 dispose que : "s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'Etat peut, soit renvoyer l'affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l'affaire devant une autre juridiction de même nature ..." ;
Considérant que, saisie sur renvoi par le Conseil d'Etat après cassation par celui-ci de sa décision du 24 novembre 1994, la section disciplinaire du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens pouvait, eu égard à la nature de cette juridiction qui est la seule compétente pour connaître en appel des affaires disciplinaires concernant les pharmaciens, statuer, le 19 juin 1997, dans une formation dont plusieurs membres avaient siégé le 24 novembre 1994 lors de son premier examen de l'affaire sans méconnaître ni ces dispositions législatives ni les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur le moyen tiré de la désignation comme rapporteur de M. Z... :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 5031 du code de la santé publique : "Dès réception du dossier, le président du Conseil national désigne, parmi les membres de son conseil, un rapporteur qui ne peut être choisi parmi les personnes susceptibles d'être récusées en application de l'article 341 du nouveau code de procédure civile ..." ; que, si la requérante conteste la désignation comme rapporteur de M. Z..., il est constant qu'elle a eu en temps utile la possibilité de demander la récusation de ce dernier avant la séance au cours de laquelle l'affaire a été appelée à l'audience et qu'elle n'a pas présenté une telle demande ; que, par suite, ce moyen n'est pas recevable devant le juge de cassation ;
Sur les moyens relatifs à la recevabilité de la plainte de Mme X... :
Considérant, en premier lieu, que la disposition de l'article R. 5016 du code de la santé publique prévoyant que la plainte peut être formée par "un pharmacien inscrit à l'un des tableaux de l'Ordre" ne relève d'aucune des matières réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution ; qu'il s'ensuit que la requérante n'est pas fondée à soutenir que le Premier ministre était incompétent pour prendre une telle disposition ; qu'ainsi, l'exception d'illégalité invoquée ne peut qu'être rejetée ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte des dispositions précitées de l'article R. 5016 du code de la santé publique que Mme X..., pharmacienne inscrite au tableau de l'Ordre, avait qualité pour former une plainte contre Mme Y... ; qu'ainsi le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, dont la décision est suffisamment motivée sur ce point, n'a commis aucune erreur de droit en écartant la fin de non-recevoir opposée par Mme Y... ;
Sur la régularité de la procédure suivie en première instance :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 5017 du code de la santé publique : "Leprésident du conseil central qui est saisi de la plainte l'enregistre et la notifie dans la quinzaine au pharmacien poursuivi, en lui adressant par pli recommandé avec demande d'avis de réception une copie intégrale" ;
Considérant que la méconnaissance de ce délai est par elle-même sans incidence sur la régularité de la procédure ; que, dès lors, le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens n'a pas commis d'erreur de droit en regardant comme sans incidence la circonstance que les observations présentées par Mme X... au conseil régional de l'Ordre des pharmaciens le 1er janvier 1994 pour compléter sa plainte du 11 juin 1993 n'ont été transmises à la requérante que le 19 avril 1994 ;
Considérant qu'en se fondant, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance par le juge de premier ressort du principe du caractère contradictoire de la procédure, sur ce que les observations complémentaires produites le 1er janvier 1994 par Mme X... avaient été communiquées à Mme Y... dans un délai suffisant pour qu'elle puisse y répondre, le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens n'a pas commis d'erreur de droit et s'est livré à une appréciation souveraine qui n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de cassation ;
Sur l'amnistie :
Considérant que le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens a jugé, en citant des exemples précis, que les méconnaissances répétées par Mme Y... des dispositions de l'article R. 5100 du code de la santé publique relatives aux conditions de remplacement du pharmacien en cas d'absence de l'officine, étaient contraires à l'honneur et à la probité ; que, ce faisant, le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens n'a entaché sa décision, ni d'insuffisance de motivation, ni d'erreur dans la qualification juridique des faits ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision attaquée ;
Sur les conclusions de Mme X... tendant à l'application des dispositions de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 : "L'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner, dans les conditions prévues à l'article 75, la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à une somme au titre des frais que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Il peut, en cas de condamnation, renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre le recouvrement à son profit de la somme allouée par le juge" et qu'aux termes du 3ème alinéa de l'article 76 de la même loi : "Les bureaux d'aide juridictionnelle se prononcent dans les conditions prévues par les textes en vigueur à la date à laquelle les demandes ont été présentées et les admissions produiront les effets attachés à ces textes ( ...)" ; que Mme X... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles 37 et 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Boré, Xavier, avocat de Mme X..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de condamner Mme Y... à payer à la SCP Boré, Xavier la somme de 10 000 F ;
Article 1er : La requête de Mme Y... est rejetée.
Article 2 : Mme Y... versera à la SCP Boré, Xavier une somme de 10 000 F en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ladite société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Anne-Marie Y..., à Mme X..., au Conseil national de l'Ordre des pharmaciens et au ministre de l'emploi et de la solidarité.