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19/06/2000 | FRANCE | N°198057

France | France, Conseil d'État, 4 / 6 ssr, 19 juin 2000, 198057


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 16 et 30 juillet 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par M. Jean-Marc X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision en date du 14 mai 1998 par laquelle le Conseil national de l'Ordre des médecins a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision en date du 5 mars 1998 par laquelle le conseil départemental de l'ordre des médecins de l'Hérault a limité à un carnet, soit vingt-cinq bons, par mois le nombre de bons qui pourraient lui

tre délivrés pour la prescription de stupéfiants ;
2°) de condamner ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 16 et 30 juillet 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par M. Jean-Marc X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision en date du 14 mai 1998 par laquelle le Conseil national de l'Ordre des médecins a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision en date du 5 mars 1998 par laquelle le conseil départemental de l'ordre des médecins de l'Hérault a limité à un carnet, soit vingt-cinq bons, par mois le nombre de bons qui pourraient lui être délivrés pour la prescription de stupéfiants ;
2°) de condamner l'ordre des médecins à lui verser la somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de déontologie médicale ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Olson, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat du Conseil national de l'Ordre des médecins,
- les conclusions de M. Schwartz, Commissaire du gouvernement ;

Sur les fins de non recevoir opposées par le Conseil national de l'Ordre des médecins :
Considérant d'une part, que le délai de recours contentieux fixé à deux mois par l'article 49 de l'ordonnance du 31 juillet 1945 sur le Conseil d'Etat est un délai franc ; que le respect de l'obligation faite au requérant par l'article 40 de la même ordonnance d'énoncer les faits et moyens sur lesquels le pourvoi entend se fonder peut résulter aussi bien de la requête initiale que de tout mémoire complémentaire, dès lors que l'une ou l'autre de ces productions a été enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat dans le délai de recours ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le docteur X... a reçu notification le 29 mai 1998 de la décision du Conseil national de l'Ordre des médecins rejetant le recours administratif formé par lui à l'encontre de la décision du conseil départemental de l'Hérault du 5 mars 1998 qui a limité le nombre de bons qu'il était en droit d'utiliser pour la prescription de certains produits ; que si la requête sommaire enregistrée le 16 juillet 1998 ne satisfaisait pas à l'obligation de motivation posée par l'article 40 de l'ordonnance du 31 juillet 1945, un mémoire complémentaire enregistré le 30 juillet 1998, c'est-à-dire dans le délai du recours contentieux, comporte l'énoncé des faits et moyens sur lesquels le requérant entend se fonder ; qu'ainsi la fin de non-recevoir tirée du défaut de motivation du pourvoi ne saurait être accueillie ;
Considérant d'autre part, qu'il résulte du rapprochement des articles 42 et 45 de l'ordonnance du 31 juillet 1945 que les recours, pour excès de pouvoir sont dispensés du ministère d'avocat ; que, s'agissant d'un litige qui met en cause la légalité d'une décision prise par le Conseil national de l'Ordre des médecins dans l'exercice de fonctions à caractère administratif et non juridictionnel, la requête formée par l'intéressé était par suite recevable ;
Sur la légalité de la décision attaquée :

Considérant que l'article R. 5212 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à l'intervention du décret du 31 mars 1999, a prévu, d'une part, que les ordonnances comportant des prescriptions de médicaments classés comme stupéfiants ou renfermant une ou plusieurs substances classées comme stupéfiants sont rédigées sur "des feuilles extraites d'un carnet à souches d'un modèle déterminé par le ministre chargé de la santé" et, d'autre part, que "la charge de l'impression et de la répartition de ces carnets incombe, chacun en ce qui le concerne à l'Ordre national des médecins, à l'Ordre national des chirurgiens-dentistes, à l'Ordre des vétérinaires, qui adressent annuellement à chaque inspection régionale de la pharmacie, un relevé nominatif des carnets délivrés" ; que, sous l'empire de ces dispositions et conformément à leur mission légale telle qu'elle est définie par les articles L. 382 et L. 394 du code de la santé publique, il revenait aux conseils départementaux de l'Ordre des médecins et s'il y a lieu au conseil national, d'apporter, lors de la répartition des carnets à souches, dans l'intérêt de la santé publique, des limitations à "la liberté de prescription des médecins" ; que de telles limitations ne pouvaient cependant être légalement édictées qu'au vu d'un examen de la pratique suivie par chaque praticien et devait être fonction des risques qu'elle était susceptible de présenter sur le plan sanitaire ;
Considérant que si le nombre élevé de patients toxicomanes traités par le docteur X..., médecin généraliste installé à Montpellier, était de nature à fonder légalement de la part des autorités ordinales une mesure restreignant le nombre de carnets à souches à remettre à ce médecin, la réduction qui a été opérée par la décision attaquée, et alors que le produit prescrit antérieurement constituait un traitement de substitution habituellement pratiqué, a affecté l'activité de l'intéressé dans des proportions manifestement excessives au regard des capacités de ce dernier à mener des programmes de soins ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués, le requérant est fondé à soutenir que la décision attaquée est entachée d'illégalité ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que M. X..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser au Conseil national de l'Ordre des médecins la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Considérant en revanche, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner le Conseil national de l'Ordre des médecins à verser à M. X... la somme de 10 000 F qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Considérant que, si les dispositions précitées font obstacle à ce que les praticiens désignés en qualité de chef de département sur le fondement des prescriptions législatives antérieures à la loi du 24 juillet 1987 puissent faire acte de candidature aux fonctions de chef de service dans les services mentionnés à l'article 34 du décret attaqué, le gouvernement n'a pas méconnu le principe d'égalité, compte tenu des différences existant entre les responsabilités des chefs de département et celles des chefs de service exerçant leurs fonctions dans des établissements qui n'avaient pas été constitués par départements, en réservant de manière transitoire la nomination dans les fonctions de chef de service aux praticiens mentionnés à l'article 36 du décret contesté ; que, dès lors, le syndicat requérant n'est pas fondé à demander l'annulation des dispositions de cet article relatives à la nomination des chefs des services de psychiatrie ;
Sur la circulaire du ministre des affaires sociales et de l'emploi en date du 14 mars 1988 :
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 20-2 ajouté à la loi du 31 décembre 1970 par la loi du 24 juillet 1987, applicable dans les cas prévus au premier alinéa de cet article : "La commission médicale d'établissement siège en formation restreinte limitée aux praticiens exerçant des fonctions équivalentes à celles auxquelles l'intéressé postule" ;
Considérant que, par la circulaire du 14 mars 1988, le ministre des affaires sociales et de l'emploi a spécifié que "seuls les praticiens exerçant les fonctions de chef de service selon la loi, donc du fait d'une nomination prononcée selon les textes actuellement en vigueur, peuvent siéger" à la commission médicale d'établissement lorsque celle-ci est consultée préalablement à la première nomination aux fonctions de chef de service devant intervenir dans les services mentionnés à l'article34 du décret du 10 mars 1988 ; que, toutefois, les praticiens hospitaliers exerçant à titre intérimaire les responsabilités afférentes aux fonctions de chef de service en application des dispositions de l'article 42 du décret du 28 décembre 1984 modifié doivent être regardés comme exerçant des fonctions équivalentes à celles d'un chef de service ; qu'ainsi, en prévoyant que ces praticiens ne seraient pas appelés à siéger à la séance tenue par la commission médicale d'établissement, le ministre des affaires sociales et de l'emploi ne s'est pas borné à donner une interprétation des prescriptions de l'article 20-2 de la loi du 31 décembre 1970 modifiée, mais a apporté une restriction à ces prescriptions ; qu'il suit de là que, d'une part, il y a lieu d'écarter la fin de non-recevoir tirée par le ministre de la solidarité, de la santé et de la protection sociale de ce que les dispositions attaquées de la circulaire du 14 mars 1988 ne pourraient faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir et que, d'autre part, le SYNDICAT DES PSYCHIATRES D'EXERCICE PUBLIC est fondé à demander l'annulation de ces dispositions en tant qu'elles sont relatives à la nomination des chefs des services de psychiatrie ;
Article 1er : La décision en date du 14 mai 1998 par laquelle le Conseil national de l'Ordre des médecins a rejeté la requête de M. X... tendant à l'annulation de la décision en date du 5 mars 1998 par laquelle le conseil départemental de l'Ordre des médecins de l'Hérault a limité à un carnet, soit vingt-cinq bons par mois le nombre de bons qui pourraient lui être délivrés pour la prescription de stupéfiants, est annulée.
Article 2 : Le Conseil national de l'Ordre des médecins versera à M. X... la somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Les conclusions du Conseil national de l'Ordre des médecins tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Marc X..., au Conseil national de l'Ordre des médecins et au ministre de l'emploi et de la solidarité.


Sens de l'arrêt : Annulation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

55-03-01 PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - CONDITIONS D'EXERCICE DES PROFESSIONS - MEDECINS -CAPrescriptions par carnets à souches - Répartition par l'ordre des médecins - Conditions - Réduction du nombre de carnets à remettre à un médecin affectant l'activité de l'intéressé dans des proportions manifestement excessives - Existence.

55-03-01 Requête d'un médecin dirigée contre la décision d'un conseil départemental de l'ordre des médecins limitant à un carnet, soit 25 bons, par mois le nombre de bons pouvant lui être délivrés pour la prescription de stupéfiants. L'article R. 5212 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à l'intervention du décret du 31 mars 1999, a prévu, d'une part, que les ordonnances comportant des prescriptions de médicaments classés comme stupéfiants ou renfermant une ou plusieurs substances classées comme stupéfiants sont rédigées sur des feuilles extraites d'un carnet à souches et, d'autre part, que la charge de l'impression et de la répartition de ces carnets incombe pour les médecins à l'ordre national des médecins. Sous l'empire de ces dispositions, il revient aux conseils départementaux de l'ordre des médecins et, s'il y a lieu, au conseil national, d'apporter, lors de la répartition des carnets à souches, dans l'intérêt de la santé publique, des limitations à "la liberté de prescription des médecins". De telles limitations ne peuvent cependant être légalement édictées qu'au vu d'un examen de la pratique suivie par chaque praticien et doivent être fonction des risques que cette pratique est susceptible de présenter sur le plan sanitaire. Si le nombre élevé de patients toxicomanes traités par le docteur S. était de nature à fonder légalement une mesure restreignant le nombre de carnet à souches à remettre à ce médecin, la réduction opérée par la décision attaquée, et alors que le produit prescrit constituait un traitement de substitution habituellement pratiqué, a affecté l'activité de l'intéressé dans des proportions manifestement excessives au regard des capacités de ce dernier à mener des programmes de soins.


Références :

Circulaire ministère du 14 mars 1988 affaires sociales décision attaquée annulation
Code de la santé publique R5212, L382, L394
Décret du 31 mars 1999
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75
Ordonnance 45-1708 du 31 juillet 1945 art. 49, art. 40, art. 42, art. 45


Publications
Proposition de citation: CE, 19 jui. 2000, n° 198057
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Rapporteur ?: M. Olson
Rapporteur public ?: M. Schwartz

Origine de la décision
Formation : 4 / 6 ssr
Date de la décision : 19/06/2000
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 198057
Numéro NOR : CETATEXT000008001539 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2000-06-19;198057 ?
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