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29/12/1999 | FRANCE | N°171859

France | France, Conseil d'État, 9 / 8 ssr, 29 décembre 1999, 171859


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 août 1995 et 11 décembre 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Louis X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt en date du 28 juin 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, sur recours du ministre du budget, d'une part, a réformé le jugement du 22 décembre 1993 par lequel le tribunal administratif de Toulouse lui avait accordé la décharge partielle de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur le revenu à laquelle il

a été assujetti au titre de l'année 1985 et, d'autre part, a remis...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 août 1995 et 11 décembre 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Louis X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt en date du 28 juin 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, sur recours du ministre du budget, d'une part, a réformé le jugement du 22 décembre 1993 par lequel le tribunal administratif de Toulouse lui avait accordé la décharge partielle de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 1985 et, d'autre part, a remis à sa charge l'imposition litigieuse, en droits et pénalités, à concurrence de la réintégration dans sa base d'imposition des sommes de 805 464 F et 465 000 F ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 88-905 du 2 septembre 1988 et par le décret n° 97-1177 du 24 décembre 1997 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Collin, Auditeur,
- les observations de la SCP Monod, Colin, avocat de M. X...,
- les conclusions de M. Courtial, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 201 du code général des impôts : "1. Dans le cas de cessation, en totalité ou en partie, d'une entreprise industrielle, commerciale ou artisanale ( ...), l'impôt sur le revenu dû en raison des bénéfices réalisés dans cette entreprise ( ...) et qui n'ont pas encore été imposés est immédiatement établi. Les contribuables doivent, dans un délai de trente jours ( ...) aviser l'administration de la cession ou de la cessation ( ...) Si les contribuables imposés d'après leur bénéfice réel ne produisent pas les déclarations ou renseignements visés au 1 ( ...), les bases d'imposition sont arrêtées d'office." ; que la Cour a constaté que M. X..., qui avait mis fin le 30 novembre 1985 à son activité individuelle de loueur de fonds, n'avait pas déposé, dans le délai prescrit, la déclaration de cessation de son activité prévue par les dispositions de l'article 201 précité ; qu'elle n'a pas commis d'erreur de droit en en déduisant que M. X... s'était ainsi placé en situation de voir ses résultats commerciaux évalués d'office et que, dans ces conditions, les irrégularités qui avaient pu entacher la vérification de comptabilité diligentée à son encontre demeuraient sans influence sur la régularité de la procédure d'imposition ;
Sur la plus-value de cession de titres :
Considérant qu'en relevant que M. et Mme X... s'étaient portés en 1981 acquéreurs de 88 titres de la société anonyme Eclair Services auprès de la société de développement régional Tofinso que celle-ci leur avait transférés aux termes de la convention de portage les 8 mars 1984 et 12 juillet 1985, que lesdits titres avaient été inscrits à l'actif de l'entreprise individuelle
X...
au compte "titres de participation", et que leur acquisition avait été financée par la trésorerie de l'entreprise, la Cour ne s'est pas, contrairement à ce qu'affirme M. X..., fondée sur des faits matériellement inexacts ; qu'en estimant que M. et Mme X... n'apportaient aucun élément précis de nature à établir la réalité de l'erreur d'écriture comptable dont cette inscription résulterait, la Cour a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine qui n'est, sous réserve d'une dénaturation qui n'est pas alléguée en l'espèce, pas susceptible d'être discutée en cassation ; qu'elle a, par suite, pu à bon droit déduire de ces circonstances que les titres en cause faisaient partie de l'actif de l'entreprise individuelle de M.
X...
qui les avait repris dans son patrimoine privé lors de la cessation de son entreprise et confirmer le bien-fondé, dans son principe, de l'imposition de la plus-value constatée à l'occasion de ce transfert ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que pour déterminer la valeur des titres de la SA Eclair Services, acquis pour un prix unitaire de 1 065 F en mars 1984 et de 1 171 F en juillet 1985, et transférés dans le patrimoine privé de M. X... en novembre 1985, le vérificateur s'est référé aux conditions dans lesquelles s'était faite la cession de clientèle de la société Eclair Intérim, réalisée le même mois, dont il ressortait un rapport de valeur du fonds sur chiffre d'affaires qui s'établissait à 17,6 %, qu'il a appliqué à la SA Eclair Services ; que la méthode ainsi utilisée a conduit à conférer à chaquetitre une valeur unitaire de 10 271 F et à établir la plus-value imposable réalisée à l'occasion du transfert dans le patrimoine privé à 805 464 F ; que, pour démontrer le caractère vicié de cette méthode et l'exagération de l'imposition en résultant, M. X... a fait valoir devant la Cour les grandes disparités existant entre les deux sociétés ; qu'il indiquait qu'elles avaient des activités et des structures différentes, Eclair Intérim étant une entreprise individuelle de travail temporaire qui ne nécessitait pas des moyens importants en locaux et en matériel tandis qu'Eclair Services était une société anonyme, fournissant des prestations en bureau d'études et en saisie-traitement de textes qui, outre son siège ... de bureaux, chemin Malepère ; qu'il soutenait, sans être davantage contredit, que leur chiffre d'affaires et leur rentabilité étaient également très différents et notamment que si le chiffre d'affaires d'Eclair Intérim était 2 à 3 fois moins important que celui de la SA Eclair Services, sa rentabilité sur chiffre d'affaires était deux fois plus importante et sa rentabilité sur immobilisations 17 fois plus importante, ainsi qu'il ressortait d'un tableau comparatif portant pour chacune des sociétés sur les exercices 1983, 1984 et 1985 soumis à la Cour ;
Considérant que la valeur vénale d'actions non cotées en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible que celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et la demande à la date où la cession est intervenue ; que, dans ces conditions, la Cour ne pouvait, sans commettre d'erreur de droit, se fonder sur les seules circonstances que les sociétés avaient les mêmes dirigeants et opéraient dans le même secteur d'activité et que la SA Eclair Services avait une surface financière supérieure à la société Eclair Intérim, pour juger que la preuve du caractère vicié de la méthode comparative utilisée par le vérificateur n'était pas apportée par M. X... ;
Considérant, en outre, que M. X... avait proposé à la Cour de fixer la valeur unitaire des titres au prix de 5 000 F auquel il les avait cédés quelques mois plus tard, en avril 1986 ; que, par suite, la Cour n'a pu, sans dénaturer les faits qui lui étaient soumis, estimer que M. X... ne proposait pas de méthode précise d'évaluation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a statué sur la réintégration dans ses bases d'imposition de la plus-value réalisée à l'occasion du transfert dans son patrimoine privé des titres de la société Eclair Services ;
Sur l'abandon de loyers :

Considérant, par ailleurs, qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le loyer dû, pour l'exercice clos en novembre 1985 par la SA Eclair Intérim, à l'entreprise individuelle de M.
X...
pour la location du fonds de secrétariat intérimaire et de travail temporaire qu'elle exploitait en location-gérance s'élevait à 605 000 F hors taxes, que M. X... n'a constaté cette créance dans la comptabilité de son entreprise individuelle qu'à hauteur de 140 000 F hors taxes ; que pour justifier cet abandon de recettes, M. X... a fait valoir que la renonciation à une partie de sa créance à hauteur de 355 000 F avait été négociée dans le cadre de l'acquisition, pour 2 000 000 F, du fonds par la SA Eclair Intérim qui l'exploitait, afin d'en faciliter la vente à cette société qui rencontrait des difficultés de trésorerie ; qu'il a produit le procès-verbal du conseil d'administration de cette société du 21 novembre 1985 qui entérinait cet accord et indiquait que M. X... renonçait au solde du loyer annuel du fonds donné en location-gérance à hauteur de 355 000 F ;
Considérant que les juges du fond, saisis d'un litige relatif à un abandon decréance dont l'administration conteste qu'il se rattache à une gestion normale, doivent examiner si les contreparties à cet abandon alléguées par le contribuable sont de nature à établir qu'il a été consenti dans l'intérêt de ce dernier ; qu'en se bornant à relever que l'acte de vente ne mentionnait pas l'abandon de créance, la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a pas suffisamment qualifié l'absence d'intérêt qu'aurait eu M. X... à consentir un tel abandon ; que le requérant est, par suite, fondé à demander, dans cette mesure, l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant, d'une part, que le ministre demande, à titre subsidiaire, que la valeur unitaire des titres soit fixée à 5 000 F en procédant ainsi à une évaluation conforme à celle que propose M. X... ; que la plus-value réalisée par M. X..., à l'occasion du transfert des titres de la société Eclair Services dans son patrimoine privé, doit, dès lors, être fixée à 341 616 F ; que cette somme doit être réintégrée dans les bases d'imposition à l'impôt sur le revenu de M. X... pour 1985 ;

Considérant, d'autre part, qu'en l'absence de modification du contrat de location-gérance, le loyer stipulé était dû par le locataire ; que, compte tenu des modalités adoptées pour le règlement à M. X... par la SA Eclair Intérim du prix d'acquisition du fonds, comptant à hauteur de 300 000 F et pour le surplus par le versement d'une rente viagère, le contribuable ne justifie pas que les difficultés financières alléguées, rencontrées par la SA Eclair Intérim faisaient obstacle à ce qu'elle réglât sa dette de loyer selon un calendrier étalé dans le temps, alors qu'il existait une communauté d'intérêt entre M. X... et la SA Eclair Intérim dont le capital était contrôlé par l'intéressé et son épouse ; qu'ainsi, M. X... ne justifiant pas que l'abandon de sa créance de loyer était la condition nécessaire de la cession du fonds à la SA Eclair Intérim, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve que cet abandon n'a pas été consenti dans l'intérêt de son entreprise individuelle ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre du budget est fondé à demander la réformation du jugement du tribunal dont il fait appel, dans la mesure où, d'une part, la plus-value réalisée par M. X... à l'occasion de la reprise des titres de la SA Eclair Services dans son patrimoine privé doit être imposée pour un montant fixé à 341 616 F et où, d'autre part, l'abandon de créance de 465 000 F que M. X... a consenti, par une gestion anormale, à la SA Eclair Intérim doit être réintégré dans les bases de son imposition à l'impôt sur le revenu ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à payer à M. X... la somme de 15 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 28 juin 1995 est annulé.
Article 2 : Les sommes à réintégrer dans les bases imposables à l'impôt sur le revenu de M. X..., au titre de l'année 1985, sont fixées à 341 616 F pour la plus-value sur les titres de la SA Eclair Services et à 465 000 F pour l'abandon de la créance de loyers détenue par la SA Eclair Intérim.
Article 3 : L'impôt sur le revenu auquel M. X... a été assujetti, au titre de l'année 1985, est remis à sa charge à concurrence de la réintégration dans ses bases imposables des sommes sus-indiquées.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse en date du 22 décembre 1993 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le surplus des conclusions de l'appel du ministre est rejeté.
Article 6 : L'Etat versera à M. X... la somme de 15 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Louis X... et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Sens de l'arrêt : Annulation droits maintenus
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux fiscal

Analyses

19-04-02-01-03-03 CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REVENUS ET BENEFICES IMPOSABLES - REGLES PARTICULIERES - BENEFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX - EVALUATION DE L'ACTIF - PLUS ET MOINS-VALUES DE CESSION -Actions non cotées sur un marché réglementé - Evaluation - Comparaison avec une société ayant les mêmes dirigeants et opérant dans un secteur d'activité identique - Méthode viciée si les deux sociétés n'ont pas la même activité et présentent des caractéristiques différentes.

19-04-02-01-03-03 La valeur vénale d'actions non cotées en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et la demande à la date où la cession est intervenue. Dans ces conditions, une cour ne peut se fonder, pour estimer que la méthode retenue par l'administration pour évaluer la valeur vénale des titres d'une société, laquelle a consisté à prendre en compte les conditions dans lesquelles s'était effectuée la cession des actions d'une autre société, n'est pas viciée, sur les circonstances que la société utilisée comme référence avait les mêmes dirigeants que la société évaluée, opérait dans le même secteur d'activité et avait une surface financière inférieure alors que ces deux sociétés avaient des activités, des structures, des chiffres d'affaire et des rentabilités différents.


Références :

CGI 201
Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75


Publications
Proposition de citation: CE, 29 déc. 1999, n° 171859
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Fouquet
Rapporteur ?: M. Collin
Rapporteur public ?: M. Courtial

Origine de la décision
Formation : 9 / 8 ssr
Date de la décision : 29/12/1999
Date de l'import : 05/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 171859
Numéro NOR : CETATEXT000008083595 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1999-12-29;171859 ?
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