Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 janvier et 18 mai 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jacques X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 17 novembre 1993 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir prononcé un non-lieu à statuer partiel, a rejeté le surplus des conclusions de sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lyon du 11 juin 1992 qui a rejeté sa demande en décharge des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1980 à 1983 ;
2°) de condamner l'Etat à lui payer une somme de 17 790 F, au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Dulong, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Gatineau, avocat de M. X...,
- les conclusions de M. Loloum, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. X... se pourvoit contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon, qui, après avoir décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer à concurrence des droits et pénalités, s'élevant au total à 170 473 F, dont le dégrèvement avait été prononcé en cours d'instance, les 12 mars et 2 juillet 1993, a rejeté le surplus des conclusions de l'appel qu'il avait formé contre le jugement du 11 juin 1992 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande en décharge des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1980, 1981, 1982 et 1983 ; que les impositions ainsi maintenues à la charge de M. X... ont été établies en conséquence des redressements, ne visant pas la somme de 170 473 F ci-dessus mentionnée, qui lui avaient été notifiés le 24 décembre 1985 et par lesquels l'administration, après avoir procédé à une vérification de la comptabilité de la SARL "Alpacons", dont le gérant statutaire était M. Y..., architecte, mais dont la gérance était exercée en fait par M. X..., puis à une vérification de la situation fiscale d'ensemble de ce dernier, a réintégré dans ses bases d'imposition, d'une part, comme revenus de capitaux mobiliers, les "avantages occultes", au sens de l'article 111 c) du code général des impôts, dont elle a estimé qu'il avait bénéficié en s'appropriant, en 1980, 1981, 1982 et 1983, les sommes de 355 024 F, 894 015 F, 1 197 500 F et 727 595 F, correspondant aux montants, comptabilisés par la SARL "Alpacons", des travaux en cours effectués, par son intermédiaire, en vue de la construction de villas sur un terrain appartenant à M. X..., en appréhendant, en 1981, à concurrence de 421 000 F, le prêt de 480 000 F qui avait été consenti la même année à son associé, M. Y..., pour la construction d'une de ces villas, enfin, en faisant rembourser par la SARL "Alpacons" l'emprunt de 500 000 F qu'il avait personnellement souscrit en 1982, d'autre part, comme revenus devant être taxés d'office en application de l'article L. 69 du livre des procédures fiscales, deux sommes de 140 170 F et 423 171 F, dont elle a estimé qu'il avait disposé en 1981 et 1982, sans pouvoir justifier de leur origine ;
Sur la régularité de l'arrêt attaqué de la cour administrative d'appel de Lyon :
Considérant que les motifs pour lesquels la cour administrative d'appel a jugé que M. X... ne démontrait pas, comme il le prétendait, qu'il avait payé pour le compte de la SARL "Alpacons" la majeure partie des travaux de construction comptabilisés par cette dernière au cours des années 1980 à 1983, et qu'il ne justifiait pas davantage, en l'état des pièces du dossier, de l'origine des sommes, taxées d'office, dont, selon l'administration, il aurait disposé en 1981 et 1982, ne sont pas entachés d'une insuffisance de nature à entacher d'irrégularité l'arrêt attaqué ;
Considérant, en revanche, que celui-ci est affecté d'une telle irrégularité en ce que la cour administrative d'appel n'a pas répondu au moyen opérant, soulevé devant elle par M. X... et tiré de ce que la fraction, égale à 421 000 F, de l'emprunt consenti en 1981 à M. Y... qu'il avait appréhendée la même année, avait eu pour contrepartie le règlement parses soins des travaux de construction de la villa dont cet associé devait devenir propriétaire ; qu'en tant qu'il concerne le chef de litige portant sur la somme ci-dessus mentionnée de 421 000 F, imposée dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, l'arrêt attaqué doit donc être annulé ; qu'il y sera statué au fond, plus loin, par application de l'article 11, deuxième alinéa, de la loi du 31 décembre 1987, portant réforme du contentieux administratif ;
Sur le bien-fondé de l'arrêt :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 54 A du livre des procédures fiscales, issu du VIII de l'article 2 de la loi n° 82-1126 du 29 décembre 1982 : " ... chacun des époux a qualité pour suivre les procédures relatives à l'impôt dû à raison de l'ensemble des revenus du foyer. Les ... actes de procédure ... notifiés à l'un d'eux sont opposables de plein droit à l'autre" ; que la cour administrative d'appel s'est fondée à bon droit et sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, pour juger que la notification de redressements qui avait été adressée le 24 décembre 1985 à M. X..., à son domicile, et reçue, alors que celui-ci était hospitalisé, par Mme X... à laquelle il appartenait de suivre, au besoin par tout mandataire de son choix dûment habilité par elle, la procédure d'imposition, avait été régulièrement effectuée ; que cette appréciation n'est pas susceptible d'être remise en cause par le fait, invoqué pour la première fois devant le Conseil d'Etat, que le mariage de M. et Mme X..., en 1955, aurait été dissous par un jugement du tribunal de première instance du canton de Genève du 10 avril 1975 ;
En ce qui concerne le bien fondé des impositions contestées :
Considérant qu'en jugeant que M. X... ne justifiait, ni de l'existence d'une contrepartie à l'avantage qu'avait représenté pour lui le remboursement par les soins de la SARL "Alpacons" de l'emprunt de 500 000 F qu'il avait personnellement souscrit en 1982 et dont il prétendait avoir réglé lui-même le solde par anticipation, ni de l'origine des sommes de 140 170 F et 423 171 F que le vérificateur avait incluses dans la balance de trésorerie établie par ses soins, parmi les disponibilités employées, dont l'excèdent total, par rapport aux disponibilités dégagées au titre des deux années dont il s'agit, a été regardé comme constituant des revenus d'origine indéterminée, devant être taxés d'office par application de l'article L. 69 du code général des impôts, la cour administrative d'appel a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine qui ne peut être discutée devant le juge de cassation ;
Considérant, en revanche, qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que la cour administrative d'appel s'est fondée sur des faits matériellement inexacts en estimant que M. X... ne démontrait pas avoir contribué, au moins par l'emploi des deux sommes cidessus mentionnées de 140 170 F et 423 171 F, d'origine inexpliquée, au financement des travaux de construction réalisés par la SARL "Alpacons", de sorte qu'elle n'a pu légalement et souverainement juger que l'intéressé ne justifiait pas de l'existence d'une contrepartie lui permettant de soutenir qu'il ne s'était pas purement et simplement approprié les montants pour lesquels ces travaux avaient été comptabilisés par la société en 1980, 1981, 1982 et 1983 que dans une limite ne comprenant pas, au titre des années 1981 et 1982, les deux sommes de 140 170 F et 423 171 F ; que l'arrêt attaqué doit, dans cette mesure, être annulé ;
Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11, deuxième alinéa, de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond en ce qui concerne les chefs de litige portant, d'une part, sur les sommes de 140 170 F et 423 171 F qui viennent d'être mentionnées, d'autre part, et ainsi qu'il a été dit plus haut, sur la somme de421 000 F, correspondant à la fraction de l'emprunt de 480 000 F souscrit, en 1982, par M. Y... ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la somme de 421 000 F a été utilisée pour financer la construction de la villa revenue en pleine propriété à M. Y... ; que les sommes, d'origine inexpliquée, de 140 170 F et 423 171 F avaient été versées par M. X..., en 1981 et 1982, sur les comptes de la SARL "Alpacons" et affectées par celle-ci au financement de ses travaux de construction ; que, dès lors, c'est à tort que l'administration, estimant que M. X... avait appréhendé à son profit ces trois sommes les a réintégrées, comme revenus de capitaux mobiliers, dans ses bases d'imposition ; que, par suite, M. X... est fondé à demander que, dans cette mesure, le jugement du tribunal administratif de Lyon du 11 juin 1992 soit réformé ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, de condamner l'Etat à payer à M. X... la somme qu'il demande, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt du 17 novembre 1993 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé, en tant qu'il rejette les conclusions de la requête de M. X... ayant trait à l'imposition, au titre de l'année 1981, de deux sommes de 421 000 F et 140 170 F et, au titre de l'année 1982, d'une somme de 423 171 F.
Article 2 : Les bases de l'impôt sur le revenu assigné à M. X... sont réduites de 561 170 F, au titre de l'année 1981, et de 423 171 F, au titre de l'année 1982.
Article 3 : M. X... est déchargé des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti, au titre des années 1981 et 1982, dans la mesure où ils ont été établis sur des bases incluant les sommes mentionnées à l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 11 juin 1992 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi formé par M. X... devant le Conseil d'Etat est rejeté.
Article 6 : L'Etat paiera à M. X... une somme de 17 790 F, au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. Jacques X... et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.