Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 18 octobre et 20 novembre 1995 et 2 février 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Ferdinand Y..., Mme Sandrine D..., M. Georges Z... et M. Philippe B..., demeurant tous à Arleux (59151) ; les requérants demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement en date du 7 septembre 1995 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté leurs protestations contre les opérations électorales qui se sont déroulées les 11 et 18 juin 1995 dans la commune d'Arleux ;
2°) d'annuler ces opérations ;
3°) de condamner M. C... et ses co-listiers à leur payer une somme de 10 000 francs en application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code électoral ;
Vu la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Keller, Auditeur,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. Ferdinand Y..., de Mme Sandrine D..., de M. Georges Z... et de M. Philippe B...,
- les conclusions de Mme Pécresse, Commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 200 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Les jugements ... contiennent les noms et conclusions des parties, les visas des pièces et des dispositions ... dont ils font l'application" ; qu'il ressort de la minute de la décision attaquée que les premiers juges ont visé et analysé les mémoires produits par les requérants le 6 septembre 1995 ; que la circonstance que l'extrait du jugement notifié aux requérants ne comporte pas l'intégralité des visas est sans influence sur la régularité dudit jugement ; que les notes en délibéré produites par les requérants postérieurement à l'audience n'avaient pas à être visées ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière ;
Sur la régularité du scrutin :
Considérant que l'utilisation, par la liste conduite par M. C..., d'un "logo" également utilisé par l'association "Vivre mieux ensemble à Arleux", présidée par M. C..., n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, constitué une manoeuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin ; que l'utilisation de ce "logo" ne peut davantage être considérée comme un don ou un avantage qui aurait été consenti par ladite association à la liste conduite par M. C... en violation des dispositions de l'article L. 52-8 du même code ;
Considérant que la diffusion des lettres adressées par M. C..., peu avant le premier tour de scrutin, à certains bénéficiaires de l'aide sociale et employés municipaux titulaires d'un contrat emploi-solidarité n'a pas constitué une pression de nature à altérer la sincérité du scrutin ; que si les requérants allèguent qu'il aurait été fait usage, pour l'envoi de ces lettres, de fichiers informatisés municipaux, ils n'établissent pas la réalité d'une telle affirmation ;
Considérant que ni le tract hostile à la liste conduite par M. Y... et signé "Patrick A..., non candidat" ni celui daté du 8 juin 1995 et émanant de la liste conduite par M. C... ne dépassaient les limites de la polémique électorale ; qu'au surplus il n'est pas établi que leur diffusion ait été effectuée de façon massive ni que M. Y... et ses co-listiers aient été dans l'impossibilité matérielle d'y répondre ; que, dans ces conditions, la diffusion desdits documents ne peut être regardée comme ayant constitué une manoeuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin ;
Considérant que le tract réalisé par la liste conduite par M. C... et donnant les résultats d'un prétendu sondage qui aurait été réalisé auprès de certains habitants de la commune a été diffusé 10 jours avant le premier tour du scrutin ; qu'il n'est pas établi que M. Y... et ses co-listiers aient été dans l'impossibilité matérielle de répondre à ce tract, qui n'excédait d'ailleurs ni par son ton ni par son contenu les limites de la polémique électorale ; qu'ainsi la diffusion de ce tract n'a pas constitué une manoeuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin ;
Sur l'éligibilité de M. X... :
Considérant que c'est à tort que le tribunal administratif a déclaré irrecevable comme tardif le grief tiré de l'inéligibilité de M. X..., élu au premier tour de scrutin, alors qu'un tel grief est d'ordre public ; que, par suite, le jugement doit, dans cette mesure, être annulé ;
Considérant que le délai imparti au tribunal administratif par l'article R. 120 du code électoral étant expiré il y a lieu pour le Conseil d'Etat de statuer sur ce point ;
Considérant que les fonctions de contrôleur du Trésor exercées par M. X..., élu au premier tour de scrutin, n'avaient pas par elles-mêmes pour effet de lui donner la qualité de comptable des deniers de la commune ; qu'ainsi M. X... n'était pas, du fait de l'exercice de ces fonctions, inéligible au conseil municipal en application de l'article L. 231-6° du code électoral ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions susvisées font obstacle à ce que M. C... et les membres de sa liste, qui ne sont pas la partie perdante en l'espèce, soient condamnés à payer aux requérants la somme de 10 000 francs demandée par ces derniers ;
Considérant en revanche qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner solidairement les requérants à verser à M. C... et Mme E... une somme de 10 000 francs ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 7 septembre 1995 est annulé en tant qu'il a écarté comme non recevable le grief relatif à l'éligibilité de M. X.... Le surplus de la requête de M. Y... et autres est rejeté, ensemble les conclusions de la protestation tendant à ce que M. X... soit déclaré inéligible.
Article 2 : M. Y..., Mme D..., M. Z... et M. B... verseront solidairement à M. C... et Mme E... une somme de 10 000 francs.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Ferdinand Y..., à Mme Sandrine D..., à M. Georges Z..., à M. Philippe B..., à M. C..., à Mme E..., à M. X... et au ministre de l'intérieur.