Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 10 février 1986 et 8 juin 1986, présentés pour Maître Michel X..., demeurant 16 place de L'Hôtel de Ville à Chauny (02302), es-qualité de syndic de la liquidation des biens de la SARL "LES FERMIERS DE L'AISNE", dont le siège social est à Liez (02700) Tergnier ; Me X... demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 3 décembre 1985 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté la demande en décharge du complément d'impôt sur les sociétés pour les années 1972-1973-1974 et de la contribution exceptionnelle pour l'année 1974 auxquelles la SARL "LES FERMIERS DE L'AISNE" a été assujettie dans les rôles de la commune de Liez ;
2°) accorde les décharges demandées ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. d' Harcourt, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Jacoupy, avocat de la SARL "LES FERMIERS DE L'AISNE",
- les conclusions de M. Gaeremynck, Commissaire du gouvernement ;
Sur la charge de la preuve :
Considérant que l'avis formulé le 23 avril 1980 par la commission départementale des impôts ne comporte aucun élément de motivation, ni sur le caractère anormal du prix pratiqué par la SARL "LES FERMIERS DE L'AISNE" pour l'achat des dindes élevées par M. Y..., gérant et principal associé de ladite société, ni sur la méthode utilisée pour reconstituer les recettes de 1972 ; qu'ainsi cet avis est insuffisamment motivé et devrait en principe faire supporter la charge de la preuve à l'administration ;
Considérant, toutefois, que l'administration fait valoir qu'en raison des graves irrégularités de sa comptabilité, la société encourt la rectification d'office ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et qu'il n'est pas contesté par la société, que celle-ci avait procédé, pendant les exercices d'imposition, à d'importants achats ni facturés ni comptabilisés et qu'elle ne comptabilisait ses achats de dindes à M. Y... qu'avec retard ; que ces irrégularités de la comptabilité justifiaient la rectification d'office ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 108 de la loi n° 92-1376 du 30 décembre 1992 portant loi de finances pour 1993 : "I - Sauf dispositions contraires, les règles de procédure fiscale ne s'appliquent qu'aux formalités accomplies après leur date d'entrée en vigueur, quelle que soit la date de mise en recouvrement des impositions. II - Les dispositions du I s'appliquent aux formalités accomplies avant la publication de la présente loi" ; qu'en vertu de cette disposition interprétative, les prescriptions du I - 2, alinéa 3, de l'article 3 de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 imposant le visa de l'inspecteur principal en cas de rectification d'office n'étaient pas applicables à la procédure d'imposition suivie, dès lors que la notification de redressements a été effectuée le 16 novembre 1977, soit antérieurement à cette entrée en vigueur ; qu'ainsi la substitution de procédure invoquée par l'administration n'a pour effet de priver le contribuable d'aucune des garanties de procédure afférentes à la rectification d'office ;
Considérant, en dernier lieu, que si l'appréciation du caractère anormal d'un acte de gestion pose une question de droit, il appartient, en règle générale, à l'administration d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal ; que ce principe ne peut, toutefois, recevoir application que dans le respect des dispositions législatives et réglementaires qui, dans le contentieux fiscal, gouvernent la charge de la preuve ; que la rectification d'office encourue faisant incomber à la société la charge de la preuve, il lui appartient de démontrer notamment que les faits invoqués par l'administration ne relevaient pas d'une gestion anormale ;
Sur le bien-fondé des redressements litigieux :
Considérant, d'une part, que la SARL "LES FERMIERS DE L'AISNE" fournit des éléments précis démontrant que les prix pratiqués pour ses achats de dindes à M. Y... étaient justifiés par la qualité "fermière" des dindes de ce dernier, qui étaient d'une qualité supérieure à poids égal à celle des dindes prises comme terme de référence par l'administration ; qu'ainsi elle apporte la preuve, qui lui incombe, de ce que leur achat à des prix aussi élevés ne constituait pas un acte anormal de gestion ;
Considérant, d'autre part, que la société justifie par des éléments précis tirés de ses difficultés d'exploitation le coefficient de marge brute relativement peu élevé qu'elle a pratiqué pendant l'exercice 1972 ; que l'administration de son côté ne donne aucune explication sur sa méthode de reconstitution des achats de cet exercice ; qu'ainsi la société doit être regardée comme apportant aussi la preuve de l'exactitude de ses recettes déclarées de cet exercice ;
Considérant enfin qu'il résulte des éléments de calcul fournis par l'administration que la suppression des redressements contestés suffit à entraîner décharge des impositions en litige ;
Considérant que, de ce qui précède, il résulte que la SARL "LES FERMIERS DE L'AISNE" est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a, par le jugement susvisé, rejeté sa demande en décharge des impositions contestées ;
Article 1er : Le jugement susvisé du tribunal administratif d'Amiens, en date du 3 décembre 1985, est annulé.
Article 2 : Il est accordé à la SARL "LES FERMIERS DE L'AISNE" la décharge, en droits et pénalités, des impositions à l'impôt sur les sociétés et à la contribution exceptionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre, respectivement, des années 1972, 1973 et 1974 et de l'année 1974.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SARL "LES FERMIERS DE L'AISNE" et au ministre du budget.