Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 12 novembre 1985 et 12 mars 1986, présentés pour M. X..., demeurant ..., Le Chesne (08390) ; M. X... demande que le Conseil d'Etat annule le jugement du 10 septembre 1985 par lequel le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne a rejeté sa requête tendant à voir déclarer le centre hospitalier régional de Reims responsable de l'infirmité dont il est atteint à la suite de l'arthrographie pratiquée dans cet établissement le 12 juin 1980 et à le voir condamner à lui payer diverses sommes en réparation de son préjudice ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Lasvignes, Auditeur,
- les observations de Me Copper-Royer, avocat de M. X..., et de Me Jousselin, avocat du centre hospitalier régional de Reims,
- les conclusions de M. Tabuteau, Commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité de la procédure suivie devant le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne :
Considérant que, lorsque la victime d'un accident est un agent de l'Etat, l'article 3 de l'ordonnance du 7 janvier 1959, relative aux actions en réparation civile de l'Etat, crée pour le juge administratif l'obligation de mettre en cause l'Etat en vue de l'exercice par celui-ci, de l'action subrogatoire qui lui est ouverte de plein droit par l'article 1er de la même ordonnance, contre le tiers responsable de l'accident ;
Considérant que M. X... a saisi le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne, d'une demande contre le centre hospitalier régional de Reims tendant à la réparation du préjudice qu'il a subi du fait d'une arthrographie pratiquée dans cet établissement le 12 juin 1980 ; que le demandeur avait indiqué sa double qualité d'assuré social et d'agent de l'Etat ; que si les premiers juges ont communiqué cette demande à la caisse primaire d'assurance maladie de Charleville-Mézières, ils se sont abstenus, après que l'agent judiciaire du Trésor eut indiqué qu'il n'avait pas qualité pour agir devant la juridiction administrative aux lieu et place du ministre intéressé, de mettre régulièrement en cause l'Etat en communiquant la demande au ministre de l'éducation nationale dont relevait M. X... ; que le tribunal administratif a ainsi méconnu les dispositions précitées de l'ordonnance du 7 janvier 1959 ; que la caisse primaire d'assurance maladie, régulièrement mise en cause, n'ayant pas interjeté appel du jugement, il y a lieu d'annuler celui-ci en tant qu'il concerne les droits de M. X... et de l'Etat ;
Considérant que le Conseil d'Etat ayant communiqué la requête au ministre de l'éducation nationale, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par M. X... et par l'Etat ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier régional de Reims :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par les premiers juges, que l'arthrite suppurée de la hanche dont M. X... a été victime a eu pour cause l'introduction accidentelle dans l'articulation de la hanche, de staphylocoques dorés, à l'occasion de l'arthrographie qu'il a subie le 12 juin 1980 au centre hospitalier régional de Reims ; que même si les médecins qui ont pratiqué cet examen ont pris les précautions requises et si l'aiguille et la seringue utilisées étaient à usage unique, le fait qu'une telle infection ait pu néanmoins se produire, alors que ni le rapport d'expertise ni aucune autre pièce du dossier ne font état de ce que M. X... ait pu être porteur de ce germe avant l'intervention, révèle une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service hospitalier ; que, dès lors, M. X... est fondé à demander au centre hospitalier régional de Reims réparation du préjudice qu'il a subi du fait de cette affection ;
Sur le montant des indemnités :
Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise que l'arthrite suppurée de la hanche gauche provoquée par l'examen subi par M. X... a entraîné une incapacité temporaire totale du 14 juin 1980 au 1er novembre 1983, date de consolidation des conséquences de l'affection ; que, du fait d'un raccourcissement du membre inférieur gauche, de la diminution importante du mouvement de la hanche et de la diminution de la flexion du genou, qui lui interdisent de rester longtemps en position debout et de faire une marche prolongée, il subit une incapacité permanente de 45 % ; qu'il a subi des douleurs qualifiées d'importantes et subit un préjudice esthétique léger ;
Considérant que l'Etat qui a continué à verser à M. X... sa rémunération d'activité du 14 juin 1980 au 13 juin 1981, date de la mise à la retraite anticipée de cet agent, est fondé à demander le remboursement de la somme de 87 594,06 F versée à ce titre ;
Considérant que M. X... a subi une perte de salaire de 2 100 F du fait de sa mise à la retraite anticipée ; qu'il est établi par les pièces du dossier qu'il a, en outre, subi la perte de rémunérations accessoires provenant d'activités annexes à ses fonctions, d'un montant de 29 051,15 F et a subi des frais de petit équipement et de déplacement, d'un montant de 4 580,25 F ; qu'il sera fait une exacte appréciation des troubles de toute nature subis par l'intéressé dans ses conditions d'existence, du fait de son invalidité, en lui allouant de ce chef une somme de 300 000 F ; que l'indemnité de 25 000 F réclamée en compensation de la douleur physique et l'indemnité de 5 000 F demandée en réparation du préjudice esthétique sont justifiées ; qu'ainsi le préjudice personnellement subi par M. X... s'élève à la somme de 365 731,40 F ; que le requérant n'ayant pas inclus dans sa demande de réparation, des chefs de demande sur lesquels peut s'exercer l'action récursoire de l'Etat, il n'y a pas lieu de déduire de cette somme, par application de l'ordonnance du 7 janvier 1959, l'indemnité allouée à l'Etat ; que M. X... est dès lors fondé à demander que le centre hospitalier régional de Reims soit condamné à lui payer une indemnité de 365 731,40 F ;
Sur les intérêts :
Considérant que la somme de 365 731,40 F que le centre hospitalier régional de Reims est condamné à payer à M. X... portera intérêt au taux légal à compter du 17 février 1982 ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 12 novembre 1985, 14 novembre 1986 et 23 novembre 1990 ; qu'à chacune de ces dates il était dû au moins une année d'intérêts ; que, par application de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier régional de Reims les frais d'expertise exposés en première instance ;
Article 1er : L'article 2 du jugement du 10 septembre 1985 du tribuna administratif de Châlons-sur-Marne en tant qu'il concerne M. X... et l'article 3 de ce même jugement, sont annulés.
Article 2 : Le centre hospitalier régional de Reims est condamné à payer à M. X... une indemnité de 365 731,40 F. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 17 février 1982. Les intérêts échus les 12 novembre 1985, 14 novembre 1986 et 23 novembre 1990 seront capitalisés à ces dates pour produire intérêts.
Article 3 : Le centre hospitalier régional de Reims est condamné à payer à l'Etat la somme de 87 594,06 F.
Article 4 : Les frais d'expertise exposés en première instance sont mis à la charge du centre hospitalier régional de Reims.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. X..., au centre hospitalier régional de Reims, à la caisse primaire d'assurance maladie de Charleville-Mézières, au ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale et au ministre délégué à la santé.