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14/10/1988 | FRANCE | N°48148

France | France, Conseil d'État, 9 / 7 ssr, 14 octobre 1988, 48148


Vu 1°) sous le n° 48 148, la requête enregistrée le 24 janvier 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. X..., demeurant ..., et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
- annule le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 11 octobre 1982 en tant que, par ce jugement, le tribunal a, d'une part, pour la fixation des bases des cotisations d'impôt sur le revenu et de majoration exceptionnelle auxquelles M. X... a été assujetti respectivement au titre des années 1971, 1972, 1973 et 1974 et au titre de l'année 1973, rejeté sa demande tendant

à l'octroi du bénéfice, pour les années 1971 à 1973, des déduct...

Vu 1°) sous le n° 48 148, la requête enregistrée le 24 janvier 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. X..., demeurant ..., et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
- annule le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 11 octobre 1982 en tant que, par ce jugement, le tribunal a, d'une part, pour la fixation des bases des cotisations d'impôt sur le revenu et de majoration exceptionnelle auxquelles M. X... a été assujetti respectivement au titre des années 1971, 1972, 1973 et 1974 et au titre de l'année 1973, rejeté sa demande tendant à l'octroi du bénéfice, pour les années 1971 à 1973, des déductions prévues par l'article 1649 septies E du code général des impôts, d'autre part, ordonné une expertise en précisant qu'il incombait au contribuable d'apporter la preuve de l'exagération des bases d'imposition ;
- lui accorde les réductions demandées au titre des années 1971 à 1973, et précise que la charge de la preuve incombe à l'administration, tout en étendant à l'examen des boissons servies au verre au regard de celles servies en bouteilles et à l'examen des éléments permettant d'apprécier la régularité de la comptabilité la mission impartie à l'expert,
Vu 2°) sous le n° 77 349, le recours du MINISTRE DELEGUE CHARGE DU BUDGET, enregistré le 3 avril 1986, tendant à ce que le Conseil d'Etat :
- annule le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 2 décembre 1985 en tant que par ce jugement, le tribunal a accordé à M. X... la réduction des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et à la majoration exceptionnelle auxquelles il a été assujetti respectivement au titre des années 1971, 1972, 1973 et 1974 et au titre de l'année 1973, et a mis à la charge de l'Etat une partie des frais d'expertise ;
- remette à la charge de M. X..., en droits et pénalités, les impositions dont le tribunal l'a déchargé ainsi que la totalité des frais d'expertise,
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu le code général des impôts ;
Vu l'article 105-I de la loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984 portant loi de finances pour 1985 ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Dulong, Maître des requêtes,
- les observations de la SCP Martin Martinière, Ricard, avocat de M. Michel X...,
- les conclusions de M. Martin, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la requête susvisée de M. X... et le recours susvisé du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU BUDGET sont relatifs aux cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et à la majoration exceptionnelle auxquelles M. X... a été assujetti respectivement au titre des années 1971, 1972, 1973 et 1974 et au titre de l'année 1973, à la suite des rehaussemets des bénéfices industriels et commerciaux qu'il tire de l'exploitation à Paris du cabaret "Schéhérazade" ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision ;
Sur les conclusions de la requête de M. X... relatives à la mission de l'expert et à la charge de la preuve :
Considérant, en ce qui concerne l'exercice qui coïncide avec l'année 1971, que, si l'administration reproche à M. X... de n'avoir tenu ni un brouillard de caisse, ni le livre spécial visé au 3° de l'article 286 du code général des impôts, il ressort des justifications présentées par le contribuable que celui-ci tenait, outre un registre spécial des pourboires, un "livre de cuisine" où figuraient ses achats en espèces, une "main courante" justifiant le détail de ses ventes et le livre spécial exigé, par l'article 145 de l'annexe IV au code, des personnes assujetties à l'impôt sur les spectacles ; que la circonstance que M. X... avait cessé d'être assujetti à cet impôt en 1971 n'est pas, par elle-même, de nature à permettre d'écarter ce document comme insuffisant ; que le service ne pouvait davantage écarter les pièces justificatives produites à l'appui des inscriptions de la "main courante" au motif que ces pièces n'auraient pas comporté de "bons de prise de commande" qui ne sont pas obligatoires ou de "notes de clients" dont, selon M. X..., les copies étaient jointes au registre visé à l'article 145 de l'annexe IV au code ; que, si l'administration fait valoir que le redevable aurait confondu ses livres de caisse et de banque et que le vérificateur aurait constaté des "anomalies diverses" dans le registre spécial des pourboires, elle n'apporte pas, à l'appui de ses allégations, de précisions suffisantes pour apprécier la matérialité et la portée des irrégularités dont s'agit ; que ni le paiement en espèces de factures supérieures à 1 000 F, alors même qu'il serait prohibé par la législation, ni le paiement en espèces d'achats de viandes, dès lors que ces paiements figuraient, appuyés des factures correspondantes, sur le "livre de cuisine", ne constituent des irrégularités faisant, par elles-mêmes, perdre à des écritures comptables complètes et tenues au jour le jour la force probante qui s'attache normalement à ces documents ; qu'en outre, si l'administration se prévaut de ce que M. X... n'a pas présenté les "bons de remis" des viandes qu'il a achetées, elle ne soutient pas qu'eu égard aux conditions d'exercice de sa profession, l'intéressé était tenu de conserver de tels documents ; qu'enfin, il ne ressort d'aucune des pièces versées au dossier que M. X... aurait procédé à des achats de viande sans facture avant 1972 ; que l'administration ne saurait valablement soutenir que la comptabilité de l'exercice 1971 est dépourvue de sincérité par le seul motif que le taux de marge brute ressortant de ladite comptabilité serait anormal ;

Considérant que le requérant est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, en date du 11 octobre 1982, le tribunal administratif de Paris a jugé que les résultats déclarés au titre de l'exercice 1971 pouvaient faire l'objet de redressements par voie de rectification d'office ; que, l'administration ayant suivi la procédure contradictoire et le contribuable ayant exprimé dans le délai son désaccord avec ses propositions de redressements, la charge de la preuve incombe, contrairement à ce qu'ont décidé les premiers juges, à l'administration ; que le complément d'expertise sollicité par le requérant est, par suite, inutile ;
Considérant, en revanche, en ce qui concerne les années 1972, 1973 et 1974, qu'il ressort des constatations de fait qui sont le support nécessaire du dispositif de l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris, rendu en matière correctionnelle le 6 novembre 1981, devenu définitif, constatations qui s'imposent au juge administratif avec l'autorité absolue de la chose jugée au pénal, que M. X... s'est fait livrer sans facture, pendant les années 1972 à 1974, plus de la moitié de la viande achetée par lui pour le restaurant de son établissement ; que cette irrégularité prive de toute valeur probante la comptabilité du redevable ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'ordonner le complément d'expertise que le requérant sollicite pour rechercher si sa comptabilité est ou non entachée de vices graves, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement en date du 11 octobre 1982, le tribunal administratif a, d'une part, jugé qu'il était en situation de rectification d'office pour l'assiette de l'impôt sur le revenu au titre des années 1972, 1973 et 1974 et, d'autre part, déclaré qu'il ne pouvait obtenir, par la voie contentieuse, la décharge ou la réduction de l'imposition contestée qu'en apportant la preuve de l'exagération de ses bases d'imposition ;
Sur le recours du ministre et sur les conclusions incidentes de M. X... :
Sur la régularité du jugement du 2 décembre 1985 :
Considérant qu'en s'appropriant l'une des deux méthodes hypothétiques de reconstitution des recettes proposées par l'expert désigné par le jugement du 11 octobre 1982, sans répondre, même succinctement, aux moyens précis par lesquels l'administration faisait valoir les raisons qu'elle avait de s'y opposer, les premiers juges ont entaché leur décision d'une insuffisance de motifs ; que le jugement du 2 décembre 1985 doit en conséquence être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Paris sur lesquelles il n'a pas déjà été statué par la partie du jugement du 11 octobre 1982 qui est maintenue par la présente décision ;
En ce qui concerne l'imposition au titre de l'année 1971 :

Considérant que l'administration n'apporte aucun élément de nature à fournir la preuve, qui lui incombe, de l'insuffisance des résultats déclarés par M. X... au titre de l'exercice 1971 d'après les écritures tracées dans la comptabilité dudit exercice ; qu'il y a lieu, dès lors, d'accorder à M. X... la décharge de l'imposition établie au titre de l'année 1971 ;
En ce qui concerne les impositions au titre des années 1972, 1973 et 1974 :
Considérant, en premier lieu, que M. X..., eu égard à la méthode de reconstitution suivie par le vérificateur, ne justifie pas, en faisant état, sans les verser au dossier, d'attestations délivrées par des membres de son personnel, que les achats de viande sans facture effectués par son établissement auraient été destinés non au restaurant mais à la consommation de son personnel ; qu'il n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que lesdits achats n'auraient pas dû être pris en compte pour la reconstitution de ses recettes ; Considérant, en second lieu, que M. X... n'apporte pas, en se bornant à se référer au rapport d'expert, la preuve de l'exagération des recettes en matière de boissons qui ont servi au calcul des impositions contestées dès lors que le chiffre calculé par l'expert n'est pas compatible avec le nombre des repas pris par les clients de l'établissement ; que la méthode suivie par l'administration en l'espèce n'est pas viciée par le fait qu'elle suppose que les omissions comptables constatées entre le 28 avril 1972 et le 18 juillet 1974 sont restées de même ampleur pendant les périodes du 1er janvier 1972 au 27 avril 1972 et du 19 juillet 1974 au 31 décembre 1974 ; que cette méthode de reconstitution ne peut être regardée comme sommaire ; que M. X... ne propose pas une autre méthode, tirée de données concrètes propres à son entreprise, qui permettrait d'aboutir avec plus d'exactitude à la détermination des bases d'imposition ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que M. X... n'ayant pas apporté la preuve qui lui incombe, le ministre est fondé à demander que les impositions contestées soient remises à la charge de M. X... ; que les conclusions incidentes de M. X... afférentes aux mêmes impositions doivent en conséquence être rejetées ;
Sur le surplus des conclusions de la requête susvisée de M. X... :

Considérant qu'aux termes de l'article 1649 septies E du code général des impôts applicable en l'espèce : "1. En cas de vérification simultanée des taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées, de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, les contribuables peuvent demander que les droits simples résultant de la vérification soient admis en déduction des rehaussements apportés aux bases d'imposition. Cette imputation sera effectuée suivant les modalités ci-après : 1° Le supplément de taxe sur le chiffre d'affaires ... afférent aux opérations effectuées au cours d'un exercice donné est, pour l'assiette de l'impôt sur le revenu .. déductible des résultats du même exerce ... 4. Les dispositions du 1... sont applicables, dans les mêmes conditions, en cas de vérifications séparées des taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées et de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés. Toutefois, l'imputation prévue en ce qui concerne les taxes sur le chiffres d'affaires et taxes assimilées n'est effectué que si la vérification de ces taxes s'est achevée antérieurement à celle des bases de ces derniers impôts" ;
Considérant que les redressements du chiffre d'affaires et des bénéficies taxables des exercices 1972 et 1973 de M. X... ont procédé de deux vérifications successives de la comptabilité du cabaret "Schéhérazade" effectuées, l'une, en matière de taxes sur le chiffre d'affaires, du 31 mai au 30 août 1974, l'autre, en matière de bénéfices industriels et commerciaux imposables à l'impôt sur le revenu, du 10 octobre au 19 novembre 1975 ; que, si ces vérifications ont été séparées, la vérification en matière de taxes sur le chiffre d'affaires s'est achevée, non, ainsi que l'ont déclaré les premiers juges, le 31 mai 1978 , date de l'avis de la commission départementale, mais à la date de la dernière intervention sur place de l'inspecteur ayant effectué ladite vérification, c'est-à-dire le 30 août 1974, soit, ainsi que le prévoit le 4 de l'article 1649 septies E du code, antérieurement à la date du 10 octobre 1975 à laquelle a commencé la vérification en matière d'impôt sur le revenu ; que M. X... était dès lors en droit de demander, conformément aux dispositions précitées, l'imputation, sur les redressements de ses bénéfices des services 1972 et 1973, des suppléments, en droits simples, de taxe sur la valeur ajoutée que le premier vérificateur entendait mettre à sa charge au titre des périodes correspondant auxdits exercices et qui ont été ultérieurement réclamés par avis de mise en recouvrement du 16 novembre 1978 ; qu'il de là que M. X... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement susvisé, en date du 11 octobre 1982, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que les droits simples afférents aux rappels de taxe litigieux soient admis en déduction des rehaussements apportés à ses bases d'imposition à l'impôt sur le revenu ;
Sur les pénalités afférentes aux impositions encore en litige :

Considérant que les cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu mises à la charge de M. X... au titre des années 1972, 1973 et 1974 ont été mises en recouvrement, respectivement, les 30 novembre 1976, 31 décembre 1976 et 31 juillet 1977 ; qu'aucune desdites impositions n'était, à ces dates, couverte par la prescription ; que la cotisation supplémentaire de majoration exceptionnelle réclamée au titre de l'année 1973 ne l'était pas devantage le 31 décembre 1976, date à laquelle elle a été mise en recouvrement ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que la notification de redressements du 11 décembre 1975 n'aurait pas interrompu la prescription en ce qui concerne les pénalités dont ces impositions étaient assorties est inopérant ;
Sur les frais de l'expertise :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de répartir les frais de l'expertise à raison de 85 % à la charge de M. X... et de 15 % à la charge de l'Etat ;
Article 1er : Les bénéfices de M. X... passibles de l'impôt sur le revenu au titre des années 1972 et 1973 seront respectivement réduits des droits de taxe sur la valeur ajoutée mise à sa charge, au titre des périodes correspondant à chacun de ces exercices, par l'avis de mise en recouvrement du 16 novembre 1978.
Article 2 : Le jugement susvisé du tribunal administratif de Paris, en date du 11 octobre 1982, est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : Le jugement susvisé du tribunal administratif de Paris, en date du 2 décembre 1985, est annulé.
Article 4 : M. X... est déchargé de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 1971 ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 5 : Sous réserve de l'application de ce qui a été dit à l'article 1er ci-dessus, M. X... est rétabli aux rôles de l'impôt sur le revenu au titre des années 1972, 1973 et 1974 et au rôle de la majoration exceptionnelle au titre de l'année 1973 à raison des droits et pénalités qui lui avaient été assignés.
Article 6 : Les frais de l'expertise ordonnée par le jugement du du tribunal administratif du 11 octobre 1982 seront supportés à raison de 85 % par M. X... et de 15 % par l'Etat.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X... et de la demande présentée devant le tribunal administratif par M. X... ainsi que ses conclusions incidentes sont rejetés.
Article 8 : La présente décision sera notifiée à M. X... et au ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget.


Synthèse
Formation : 9 / 7 ssr
Numéro d'arrêt : 48148
Date de la décision : 14/10/1988
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux fiscal

Analyses

19-04-01-02 CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REGLES GENERALES PROPRES AUX DIVERS IMPOTS - IMPOT SUR LE REVENU


Références :

. CGIAN4 145
CGI 1649 septies E 4°


Publications
Proposition de citation : CE, 14 oct. 1988, n° 48148
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Dulong
Rapporteur public ?: Martin

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1988:48148.19881014
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