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07/12/1987 | FRANCE | N°50532

France | France, Conseil d'État, 7 / 8 ssr, 07 décembre 1987, 50532


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 10 mai 1983 et 9 août 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE ANONYME "ENTREPRISE DAUPHINOISE D'ETUDES ET DE REALISATION" E.D.E.R. , dont le siège est ... à Grenoble 38100 , représentée par son président-directeur général en exercice, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
°1 réforme le jugement en date du 2 février 1983 par lequel le tribunal administratif de Grenoble ne lui a accordé qu'une décharge partielle des compléments de taxe sur la valeur ajoutée a

uxquels elle a été assujettie au titre de la période allant du 1er janvie...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 10 mai 1983 et 9 août 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE ANONYME "ENTREPRISE DAUPHINOISE D'ETUDES ET DE REALISATION" E.D.E.R. , dont le siège est ... à Grenoble 38100 , représentée par son président-directeur général en exercice, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
°1 réforme le jugement en date du 2 février 1983 par lequel le tribunal administratif de Grenoble ne lui a accordé qu'une décharge partielle des compléments de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période allant du 1er janvier 1969 au 31 décembre 1972 par avis de mise en recouvrement du 19 novembre 1973 ;
°2 lui accorde la décharge totale des impositions contestées, s'élevant à 493 103,80 F, et des pénalités dont elles ont été assorties ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Tabuteau, Maître des requêtes,
- les observations de la SCP Desaché, Gatineau, avocat de la SOCIETE ANONYME "ENTREPRISE DAUPHINOISE D'ETUDES ET DE REALISATION",
- les conclusions de M. Martin-Laprade, Commissaire du gouvernement ;

Sur l'étendue du litige en appel :
Considérant que, par une décision en date du 18 mai 1984, postérieure à l'introduction du pourvoi, le directeur des services fiscaux de Grenoble a dégrevé la société anonyme E.D.E.R. de l'intégralité des droits en matière de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités qui avaient été réclamés au titre de la période allant du 1er janvier 1969 au 31 décembre 1970 ; que le litige est ainsi devenu sans objet en ce qui concerne ladite période ;
Considérant que, par une autre décision, en date du 7 janvier 1985, le directeur des services fiscaux de Grenoble a dégrevé la société E.D.E.R. de 69 434,95 F de droits rappelés au titre de l'année 1972 et des pénalités de même montant ; que le litige, en ce qui concerne l'année 1972, est, dans cette mesure, devenu sans objet ;
Considérant que, compte tenu des dégrèvements intervenus, la société E.D.E.R. se borne, dans le dernier état de ses conclusions, à contester le montant du crédit de taxe sur la valeur ajoutée qui a été admis au 1er janvier 1969 et à soutenir que l'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée de deux opérations immobilières concernant, l'une l'édification d'une villa dite "Djadane", l'autre l'édification d'un immeuble dénommé "les Cyclamens" a été établie en méconnaissance des règles relatives à la prescription ;
Sur le crédit de taxe :
Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles 179 et 288 du code général des impôts, applicables aux impositions contestées, tout contribuable qui n'a pas suscrit dans le délai légal les déclarations de chiffre d'affaires imposables auxquelles il est tenu est taxé d'office ;

Considérant qu'il est constant que la société E.D.E.R., postérieurement au 30 novembre 1970, n'a souscrit aucune déclaration en matière de taxe sur la valeur ajoutée et s'est ainsi mise en situation d'être taxée d'office ; que, par suite, les moyens que la société tire de ce qu'elle aurait été avisée de la vérification de sa comptabilité dans des conditions irrégulières et de ce que la vérification elle-même aurait été irrégulière, sont inopérants ;
Considérant que, pour obtenir la décharge des impositions qui restent en litige, la société requérante fait valoir qu'elle disposait au 1er janvier 1969 d'un crédit de taxe reportable supérieur au chiffre qu'elle avait fait figurer dans sa déclaration et que le vérificateur a rectifié en baisse ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1968 du code général des impôts, applicable aux droits en litige : "1. En matière de taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées, le délai pendant lequel peut s'exercer le droit de répétition dont dispose l'administration a pour point de départ, nonobstant les dispositions de l'article 1649 septies B, le début de la période sur laquelle s'exerce ce droit pour les impôts visés à l'article 1966-1 et concernant le même contribuable. 2. En tant qu'elle concerne la taxe sur la valeur ajoutée déductible dans les conditions fixées par l'article 271, la prescription prévue au 1 ne fait pas échec à l'obligation, pour les assujettis à cette taxe, de justifier, par la représentation de documents établis antérieurement à la période non prescrite, le montant de la taxe déductible dont ils prétendent bénéficier" ; qu'aux termes de l'article 1975 du même code : "Les prescriptions sont interrompues par les notifications de redressements ..." ; qu'enfin, aux termes de l'article 224 de l'annexe II au code, pris sur le fondement de l'article 273 du même code : ... "2. Lorsque le montant de la taxe déductible .. mentionné sur une déclaration excède le montant de la taxe due d'après les éléments qui figurent sur cette déclaration, l'excédent de taxe dont l'imputation ne peut être faite est reporté, jusqu'à épuisement, sur les déclarations suivantes ..." ;

Considérant que, si les dispositions précitées de l'article 1968 du code soumettent à une condition de délai la reprise par l'administration de la taxe dont le redevable ne s'est pas acquitté, elles ne s'opposent pas, lorsque ce dernier fait état de l'existence d'un crédit de taxe déductible à l'ouverture de la période non prescrite, à ce que l'administration contrôle toutes les opérations ayant concouru à la formation dudit crédit, quelles qu'en puissent être les dates, et, dès lors que le contribuable a été, au regard de ces taxes, constamment en position créditrice au cours de la période prescrite, reprenne, le cas échéant, dans la limite du dernier solde de taxes déductibles apparu au premier jour de la période non prescrite, les droits qui, par le jeu de l'imputation d'un crédit irrégulièrement constitué au cours de la période prescrite, se retrouvent dans le montant des taxes dues au cours de la période non prescrite ;
Considérant que, dans la déclaration souscrite le 24 février 1969 par le président-directeur général de la société requérante, qui avait obtenu le 31 juillet 1964 l'autorisation d'acquitter la taxe sur la valeur ajoutée due par la société au fur et à mesure de ses encaissements, a fait état d'un crédit de taxe d'un montant de 176 747,19 F ; que le vérificateur, après avoir établi que la société avait indûment, entre les mois d'août 1966 et de juillet 1967, ajouté, au lieu de la déduire, une somme de 59 152,42 F au crédit de taxe dont elle bénéficiait, a déduit le double de cette somme du crédit de taxe dont il était fait état au 1er janvier 1965 et ramené celui-ci à la somme de 58 442,35 F ; que, si la société requérante soutient que ce crédit de taxes s'élevait en réalité, selon un décompte opéré immeuble par immeuble, à 575 256,56 F, elle n'apporte aucune justification à l'appui de ses allégations, alors que les trois experts commis par les premiers juges en vue de vérifier le montant de taxe déductible dont se prévaut la société requérante ont, à l'unanimité, écarté sur ce point les prétentions de celle-ci ; que, par suite, et sans qu'il y ait lieu d'ordonner une nouvelle expertise, la société E.D.E.R. n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a ramené de 176 747,19 F à 58 442,35 F le montant du crédit de taxe reportable au début de la période vérifiée ;
Sur l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée de la construction de l'immeuble "Les Cyclamens" et de la villa Djadane :

Considérant qu'aux termes de l'article 257 du code général des impôts, dans la rédaction applicable à l'imposition contestée : "Sont également passibles de la taxe sur la valeur ajoutée : ... °8 - Les opérations que les redevables réalisent pour leurs besoins ou pour ceux de leurs exploitations" ; qu'aux termes de l'article 269 du même code, dans la rédaction également applicable : "1. Le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée est constitué : ... b - Pour les biens et les services que les redevables se livrent ou se rendent à eux-mêmes, par la première utilisation" ;
Considérant que, le 20 octobre 1961, la société E.D.E.R. a, par un contrat sous seing privé, acquis un terrain à bâtir appartenant à M. X... et s'est engagée à remettre à ce dernier, à titre de dation en paiement, d'une part six appartements, avec parking, dans l'immeuble "Les Cyclamens" à construire par elle sur ce terrain, d'autre part une villa, dénommée Djadane, à construire par elle sur un autre terrain appartenant à M. X... ; que la société E.D.E.R. n'a alors acquitté la taxe sur la valeur ajoutée sur aucune de ces trois opérations, lesquelles ont conservé un caractère occulte faute pour le contrat susmentionné d'être enregistré ;
Considérant que la société E.D.E.R., qui a édifié la villa Djadane en 1964, n'a en revanche pas achevé la construction de l'immeuble "Les Cyclamens", dont elle a abandonné le chantier en 1964 ; que, le 16 novembre 1971, la société E.D.E.R. et M. Daraine sont convenus de résilier le contrat de 1961, la société E.D.E.R. acceptant, à titre de dédommagement, de laisser gratuitement à M. Daraine la villa Djadane et les éléments de l'immeuble "Les Cyclamens" ;

Considérant que les deux opérations de construction susmentionnées, qui étaient primitivement destinées à la vente et pour lesquelles la société E.D.E.R. était dispensée, par application des dispositions du °7 de l'article 257 du code général des impôts, de l'obligation d'acquitter la taxe sur la valeur ajoutée sur la livraison à elle-même des travaux immobiliers, ont été au contraire, par l'effet de la convention de 1971, remises sans rémunération à titre d'indemnité ; qu'elles sont, de ce fait, entrées das le champ des dispositions du °8 précitées, de l'article 257 du même code ;
Considérant qu'aux sens des dispositions du I-B de l'article 269 du code général des impôts, la "première utilisation" de ces immeubles par la société E.D.E.R. est constituée par la décision, prise par elle en 1971, de ne pas vendre ces immeubles mais d'en disposer pour les remettre à un tiers à titre d'indemnité ; qu'il suit de là que la société E.D.E.R. n'est pas fondée à soutenir que le délai de reprise prévu à l'article 1968, applicable en l'espèce, du code général des impôts était expiré lorsque lui a été notifié, au mois de décembre 1972, le redressement litigieux ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant que, dans les circonstances de l'affaire et eu égard au dégrèvement prononcé en cours d'instance, il y a lieu de mettre les frais d'expertise à concurrence de 50 % à la charge de l'Etat et à concurrence de 50 % à la charge de la société E.D.E.R. ;
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de la société E.D.E.R. en tant qu'elle concerne les impositions à la taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période allant du 1er janvier 1969 au 31 décembre 1970 et en tant qu'elle porte sur les droits et pénalités afférents à l'année 1972 dont le dégrèvement a été prononcé en cours d'instance.
Article 2 : Les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Grenoble sont mis à concurrence de 50 % à la charge de l'Etat et à concurrence de 50 % à la charge de la société E.D.E.R..
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble endate du 2 février 1983 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société E.D.E.R. est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société E.D.E.R. et au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, chargé du budget.


Synthèse
Formation : 7 / 8 ssr
Numéro d'arrêt : 50532
Date de la décision : 07/12/1987
Sens de l'arrêt : Réformation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux fiscal

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - TAXES SUR LE CHIFFRE D'AFFAIRES ET ASSIMILEES - TAXE SUR LA VALEUR AJOUTEE - FAIT GENERATEUR - Cas particulier des dations en paiement - Première utilisation au sens de l'article 257 8° du CGI - Remise à titre d'indemnités d'immeubles initialement destinés à la vente.

19-06-02-05 Une société qui a, par contrat sous seing privé acquis un terrain à bâtir et s'est engagée à remettre au vendeur du terrain à titre de dation en paiement six appartements et une villa à construire, n'a édifié que la villa, et a seulement commencé la construction de l'immeuble, dont elle a abandonné le chantier. La société et le vendeur du terrain ont décidé en 1971 de résilier le contrat de vente, la société acceptant à titre de dédommagement de lui laisser gratuitement la villa construite et les éléments existants de l'immeuble. Les opérations de construction de la villa et de l'immeuble, qui étaient primitivement destinées à la vente et pour lesquelles la société était dispensée, par application des dispositions du 7° de l'article 257 du code général des impôts, de l'obligation d'acquitter la taxe sur la valeur ajoutée sur la livraison à elle-même des travaux immobiliers, ont été au contraire, par l'effet de la convention de 1971, remises sans rémunération à titre d'indemnité. Elles sont, de ce fait, entrées dans le champ des dispositions du 8° de l'article 257 du même code, selon lequel sont passibles de la TVA les opérations que les redevables réalisent pour leurs besoins ou pour ceux de leurs exploitations. Dans ce cas le fait générateur est constitué par la "première utilisation" des biens ou des services que les redevables se livrent ou se rendent à eux-mêmes. La première utilisation de ces immeubles par la société est constituée par la décision, prise par elle en 1971 de ne pas vendre ces immeubles, mais d'en disposer pour les remettre à un tiers à titre d'indemnité.


Références :

CGIAN2 224
GGI 179, 288, 1968, 1975, 257, 269, 273


Publications
Proposition de citation : CE, 07 déc. 1987, n° 50532
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Ducamin
Rapporteur ?: M. Tabuteau
Rapporteur public ?: M. Martin-Laprade

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1987:50532.19871207
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