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02/12/1987 | FRANCE | N°59387

France | France, Conseil d'État, 5 / 3 ssr, 02 décembre 1987, 59387


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 21 mai 1984 et 27 août 1984 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mlle Agnès Y..., demeurant ..., M. Emmanuel Y..., demeurant ..., Mme X..., épouse divorcée de M. Louis Y..., demeurant ..., et tendant à ce que le Cosneil d'Etat :
1° annule le jugement du 22 mars 1984 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune de Bouzigues Hérault d'EDF et de l'Etat à leur verser diverses indemnités en réparation du préjudice

consécutif à l'accident mortel survenu le 13 juillet 1980 à M. Louis ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 21 mai 1984 et 27 août 1984 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mlle Agnès Y..., demeurant ..., M. Emmanuel Y..., demeurant ..., Mme X..., épouse divorcée de M. Louis Y..., demeurant ..., et tendant à ce que le Cosneil d'Etat :
1° annule le jugement du 22 mars 1984 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune de Bouzigues Hérault d'EDF et de l'Etat à leur verser diverses indemnités en réparation du préjudice consécutif à l'accident mortel survenu le 13 juillet 1980 à M. Louis Y... ;
2° condamne solidairement la commune de Bouzigues, EDF et l'Etat à payer une indemnité de 300 000 F à Agnès Y... et de 350 000 F à Emmanuel Y..., outre intérêts de droit à compter du 6 février 1981 ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance 59-76 du 7 janvier 1959 ;
Vu le code des communes, notamment l'article L. 191-2 ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Bouchet, Conseiller d'Etat,
- les observations de la S.C.P. Rouvière, Lepitre, Boutet, avocat de Mlle Agnès Y... et autres, de Me Parmentier, avocat de la commune de Bouzigues, et de Me Coutard avocat de l'E.D.F.,
- les conclusions de M. Stirn, Commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité :

Considérant qu'il est constant que l'accident survenu à M. Y... le 13 juillet 1980, au bord de l'étang de Thau, a été provoqué par le contact entre le mât du voilier dont M. Y... effectuait le remorquage au sol et les fils d'une ligne à haute tension appartenant à Electricité de France ; que, dès lors, Electricité de France est responsable, même en l'absence de faute, des dommages causés par l'ouvrage public ;
Considérant toutefois qu'il résulte de l'instruction qu'au lieu où s'est produit l'accident le rivage de l'étang avait été aménagé par la commune de Bouzigues afin de faciliter l'accès des bateaux ; qu'aucun panneau n'interdisait cet accès aux plaisanciers, ni ne signalait le risque présenté par la ligne électrique ; que l'article L. 131-2 du code des communes impose aux maires de prévenir les accidents par des précautions convenables ; qu'en ne prenant aucune mesure propre à avertir les usagers du danger exceptionnel constitué en ce lieu par la présence d'une ligne à haute tension, fût-elle à hauteur réglementaire, le maire de Bouzigues a commis, dans l'exercice de ses pouvoirs de police, une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ; qu'en revanche la responsabilité de l'Etat ne saurait, au vu des circonstances, être retenue, l'accident s'étant produit sur le territoire communal, hors du domaine public maritime, et n'étant imputable à aucun ouvrage appartenant à l'Etat, qui n'avait, en ce lieu, aucune obligation de surveillance ou de signalisation ;
Considérant qu'il ressort également de l'instruction que M. Y..., qui connaissait les lieux à proximité immédiate desquels il résidait, a commis une imprudence en ne s'assurant pas, après avoir chargé son voilier sur une remorque sans le démâter, qu'il pouvait le déplacer sans risque sous la ligne à haute tension qui était parfaitement visible ; qu'il doit donc être tenu pour partiellement responsable de l'accident dont il a été victime ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts Y... sont fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges, retenant l'entière responsabilité de la victime, ont rejeté leur demande d'indemnité ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'espèce en laissant à la charge de M. Y... la moitié de la responsabilité de l'accident l'autre moitié incombant solidairement à Electricité de France et à la commune de Bouzigues ;
Sur le préjudice :
Considérant qu'il n'est apporté aucune justification concernant le soutien financier qu'aurait apporté la victime aux requérants et notamment le montant des pensions qu'il leur versait après son divorce ; qu'en ce qui concerne la douleur morale éprouvée par les deux enfants, alors âgés de 17 ans et demi et 15 ans et demi, ce chef de préjudice peut être évalué à 30 000 F pour chacun d'eux ; que, compte tenu du partage des responsabilités, l'indemnité due à ce titre par Electricité de France et par la commune de Bouzigues doit être fixée à 15 000 F pour chacun des enfants, outre intérêts du jour de la demande, soit le 6 février 1981 ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 21 août 1982 puis le 6 novembre 1987 ; qu'à chacune de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux prescriptions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Considérant que, pour évaluer le préjudice global résultant de l'accident dont M. Y... a été victime, il y a lieu d'ajouter aux sommes susmentionnées de 30 000 F le montant des prestations versées par l'Etat d'une part à la victime, soit 23 217,99 F pour la rémunération qui lui a été versée du jour de l'accident au jour de son décès, et d'autre part aux ayants-droit de cette dernière par suite du décès, soit 66 008,74 F de capital-décès à chacun des deux enfants ; qu'ainsi le préjudice global s'élève à 215 235,47 F ; que, compte tenu du partage de responsabilité, le préjudice dont Electricité de France et la commune de Bouzigues sont solidairement responsables s'élève à la moitié de cette somme, soit 107 617,74 F ;
Sur les droits de l'Etat :

Considérant que l'Etat demande remboursement par le tiers responsable de la somme de 155 235, 47 F comprenant le solde du traitement de la victime et le capital-décès versé aux ayants-droit ; que ces prestations sont au nombre de celles dont l'Etat peut demander remboursement en application des dispositions de l'article 19 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat ; que toutefois, en application de l'article 5 du même texte, ce recours ne peut s'exercer que dans la limite des sommes mises à la charge des tiers-responsables, à l'exception des indemnités destinées à réparer les troubles non pécuniaires, tels que la douleur morale éprouvée par les enfants de la victime ; que ces indemnités s'élevant au total à 30 000 F, compte tenu du partage de responsabilité la somme dont l'Etat est fondé à demander le remboursement s'élève à 77 617,73 F ;
Article ler : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions des consorts Y... dirigées contre Electricité de France et contre la commune de Bouzigues.
Article 2 : Electricité de France et la commune de Bouzigues sont condamnés solidairement à payer une somme de 15 000 F à Mlle Agnès Y... et de 15 000 F à M. Emmanuel Y.... Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 6 février 1981. Les intérêts échus le 21 août 1982 puis le 6 novembre 1987 seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Electricité de France et la commune de Bouzigues sont condamnés solidairement à payer à l'Etat la somme de 77 617,73 F.
Article 4 : Le surplus des conclusions des consorts Y... et de l'Etat est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mlle Agnès Y..., à M. Emmanuel Y..., à Mme X... ainsi qu'à Electricité de France, à la commune de Bouzigues, au ministre de la défense et au secrétaire d'Etat à la mer.


Synthèse
Formation : 5 / 3 ssr
Numéro d'arrêt : 59387
Date de la décision : 02/12/1987
Type d'affaire : Administrative

Analyses

POLICE ADMINISTRATIVE - OBJET DES MESURES DE POLICE - Prévention des accidents - Accès à un étang surmonté d'une ligne à haute tension - Obligation d'avertir les plaisanciers.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICES DE POLICE - Faute - Absence de signalisation aux plaisanciers de l'existence - au-dessus de l'accès à un étang - d'une ligne à haute tension.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - DOULEUR MORALE - Décès d'un père.

TRAVAUX PUBLICS - REGLES COMMUNES A L'ENSEMBLE DES DOMMAGES DE TRAVAUX PUBLICS - CAUSES D'EXONERATION - FAUTE DE LA VICTIME - EXISTENCE D'UNE FAUTE - Connaissance des lieux - Imprudence - Maniement d'un voilier à proximité d'une ligne électrique à haute tension.

TRAVAUX PUBLICS - DIFFERENTES CATEGORIES DE DOMMAGES - DOMMAGES CAUSES PAR L'EXISTENCE OU LE FONCTIONNEMENT D'OUVRAGES PUBLICS - EXISTENCE DE L'OUVRAGE - Ligne électrique à haute tension - Maniement d'un voilier à proximité.


Références :

. Code civil 1154
Code des communes L131-2
Ordonnance 59-76 du 07 février 1959 art. 5, art. 19


Publications
Proposition de citation : CE, 02 déc. 1987, n° 59387
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Bouchet
Rapporteur public ?: Stirn

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1987:59387.19871202
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