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10/12/2013 | CEDH | N°001-139600

CEDH | CEDH, AFFAIRE MURRAY c. PAYS-BAS, 2013, 001-139600


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MURRAY c. PAYS-BAS

(Requête no10511/10)

ARRÊT

STRASBOURG

10 décembre 2013

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 26/04/2016

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Murray c. Pays-Bas,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Nona Tsotsoria,
Kristina

Pardalos,
Johannes Silvis, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 novembre 2013,

...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MURRAY c. PAYS-BAS

(Requête no10511/10)

ARRÊT

STRASBOURG

10 décembre 2013

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 26/04/2016

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Murray c. Pays-Bas,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 novembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 10511/10) dirigée contre le Royaume des Pays-Bas et dont un ressortissant de cet État, M. James Clifton Murray (« le requérant ») a saisi la Cour le 22 février 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me C. Wendenburg, avocate à Maastricht. Le gouvernement néerlandais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent adjoint, Mme L. Egmond, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant allègue en particulier que sa condamnation à une peine d’emprisonnement à vie et son maintien en détention depuis lors emportent violation des articles 3, 5, 6 et 13 de la Convention.

4. La requête a été communiquée au Gouvernement le 15 avril 2011.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1953. Il est officiellement détenu au pénitencier d’Aruba (Korrektie Instituut Aruba). Toutefois, à la connaissance de la Cour, il se trouve actuellement dans un établissement de soins à Curaçao en raison de problèmes de santé.

6. À l’époque pertinente pour les faits de la cause, le Royaume des Pays‑Bas était composé des Pays-Bas (partie européenne du royaume), des Antilles néerlandaises (Curaçao, Sint Maarten, Saint-Eustache, Bonaire et Saba) et d’Aruba, qui devint un « pays » (land) du royaume en 1986.

7. Puis, le 10 octobre 2010, les Antilles néerlandaises ont été dissoutes par la loi du royaume du 7 septembre 2010 portant modification de la Charte du Royaume des Pays-Bas dans le cadre du changement de statut constitutionnel des territoires insulaires des Antilles néerlandaises (loi du royaume modifiant la Charte dans le cadre de la dissolution des Antilles néerlandaises) – Rijkswet van 7 september 2010 tot wijziging van het Statuut voor het Koninkrijk der Nederlanden in verband met de wijziging van de staatkundige hoedanigheid van de eilandgebieden van de Nederlandse Antillen (Rijkswet wijziging Statuut in verband met de opheffing van de Nederlandse Antillen).

8. Depuis cette date, le Royaume des Pays‑Bas est constitué de quatre pays : les Pays-Bas (la partie européenne du royaume), Aruba, Curaçao et Sint Maarten. Les autres îles des anciennes Antilles néerlandaises sont des communes des Pays-Bas à statut particulier.

9. Les pays du Royaume des Pays-Bas ont chacun leur propre ordre juridique, de sorte qu’il peut y avoir des différences de l’un à l’autre.

10. Le chef d’État du Royaume des Pays-Bas (le Roi) est représenté par le Gouverneur. Jusqu’au 10 octobre 2010, il y avait un gouverneur pour les Antilles néerlandaises et un pour Aruba. La mission du Gouverneur est double : il représente et protège les intérêts généraux du Royaume et il est le chef du Gouvernement. Depuis le 10 octobre 2010, y a un gouverneur pour Aruba, un pour Curaçao et un pour Sint Maarten.

A. La condamnation du requérant et les procédures subséquentes

1. Les faits antérieurs à l’introduction de la requête

11. Le 31 octobre 1979, le tribunal de première instance (Gerecht in Eerste Aanleg) des Antilles néerlandaises jugea le requérant coupable du meurtre d’une petite fille de 6 ans, perpétré sur l’île de Curaçao.

12. Le jugement du tribunal de première instance comprenait un rapport psychiatrique qui avait été établi à la demande du procureur (Officier van Justitie). Dans ce rapport, le psychiatre formulait les conclusions suivantes :

« L’accusé souffre de maladie mentale, en particulier d’un développement très limité des facultés mentales (...) Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que sa responsabilité pénale est atténuée (verminderd toerekeningsvatbaar), mais qu’il doit néanmoins répondre pénalement de ses actes. Nous notons en particulier que l’accusé ne peut être considéré comme aliéné mental ni avant, ni pendant ni après la commission de l’infraction (...) Il est capable de commettre une infraction semblable à l’avenir, mais il n’est pas nécessaire de l’interner en hôpital psychiatrique général (krankzinnigengesticht). Sa place est en asile pour psychopathes (psychopatenasiel), où il devrait suivre un traitement assez long, sous surveillance très stricte. Cependant, à Curaçao, il n’y a pas d’autre choix que la prison ou l’hôpital psychiatrique (général) du pays (Landspsychiatrisch Ziekenhuis). Or, compte tenu de ce que le risque de récidive est pour le moment très élevé, même à supposer qu’un traitement puisse être commencé immédiatement, de ce que, en conséquence, il est d’une importance primordiale que l’accusé fasse l’objet d’une surveillance intensive (surveillance qui est impossible à l’hôpital psychiatrique du pays), et de ce qu’il n’y a pas lieu de le considérer comme pénalement irresponsable pour cause d’aliénation mentale au sens de la loi, un placement à l’hôpital psychiatrique du pays est tout à fait contre-indiqué. La seule option restante est qu’il purge sa peine en prison (un transfert dans un asile fermé aux Pays-Bas étant impossible en raison de son intelligence limitée et de sa capacité insuffisante à s’exprimer verbalement). Il est fortement conseillé que l’on s’efforce, si possible dans le cadre pénitentiaire, de parvenir à mieux structurer sa personnalité, afin d’éviter qu’il ne récidive à l’avenir. »

13. Estimant qu’il ne ressortait pas de ce rapport que l’état du requérant ne s’améliorerait jamais, le tribunal de première instance le condamna à vingt années d’emprisonnement.

14. Le requérant et le Ministère public (Openbaar Ministerie) contestèrent l’un comme l’autre le jugement du tribunal de première instance.

15. Le 11 mars 1980, la Cour commune de justice (Gemeenschappelijk Hof van Justitie) des Antilles néerlandaises infirma le jugement du tribunal de première instance. Elle déclara le requérant coupable de meurtre, estimant prouvé qu’il avait tué la fillette de 6 ans délibérément et avec préméditation. Elle tint le raisonnement suivant : l’accusé avait, avec calme et de sang-froid, conçu l’intention et pris la décision de tuer l’enfant ; pour mettre cette intention à exécution, il l’avait poignardée à plusieurs reprises avec un couteau, ce qui avait entraîné son décès ; la fillette étant la nièce de l’ancienne petite amie de l’accusé, celui-ci l’avait tuée pour se venger de la jeune femme qui l’avait quitté. La Cour commune admit les conclusions du rapport psychiatrique et ajouta ceci :

« Considérant que, même si l’on ne peut que le déplorer, il n’est pas possible aux Antilles néerlandaises de prononcer une ordonnance d’obligation de traitement (terbeschikkingstelling met bevel tot verpleging van overheidswege) aux fins de l’internement en asile fermé, ce qui serait la mesure la plus appropriée en l’espèce, que, comme la Cour en a connaissance ex officio, l’internement aux Pays-Bas s’est déjà révélé impraticable dans des cas similaires par le passé, et qu’en outre, en l’espèce, le psychiatre estime que l’intelligence limitée de l’accusé et sa capacité insuffisante à s’exprimer verbalement rendent impossible un internement aux Pays‑Bas ; (...) »

16. Lorsqu’elle détermina la peine du requérant, la Cour commune de justice estima, au vu des conclusions du rapport du psychiatre, que les risques de récidive étaient si importants que la protection de la sécurité publique devait prévaloir et être considérée comme l’intérêt le plus important à garantir. Elle conclut que cet intérêt ne pouvait être assuré de manière satisfaisante qu’en empêchant le requérant de réintégrer la société. Elle le condamna donc à une peine d’emprisonnement à vie.

17. Le requérant fut incarcéré à la prison d’État Koraal Specht à Curaçao (renommée par la suite prison Bon Futuro, puis Sentro di Detenshon i Korekshon Korsou). Il n’y avait pas de régime distinct pour les détenus devant suivre un traitement pour troubles mentaux.

18. Le requérant introduisit un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour commune de justice. La Cour suprême (Hoge Raad) rejeta ce pourvoi le 25 novembre 1980.

19. Le 24 novembre 1981, le requérant saisit la Cour commune de justice d’une demande de révision de son procès. Cette demande fut rejetée le 6 avril 1982.

20. Le requérant forma par ailleurs au moins treize recours en grâce (gratieverzoek). Le premier, introduit le 26 avril 1982 auprès du Gouverneur des Antilles néerlandaises, fut rejeté le 9 août de la même année au motif qu’il n’y avait pas de raison qui aurait justifié d’accorder la grâce.

21. Les treize premières années que le requérant passa en prison furent émaillées de divers incidents : bagarres, extorsion, abus de drogue, etc. Certains de ces incidents aboutirent à l’isolement du requérant.

22. Vers l’année 2000, le requérant fut transféré, à sa demande, au pénitencier d’Aruba. La responsabilité de l’exécution de sa peine passa alors des autorités des Antilles néerlandaises à celles d’Aruba. Par un accord du 1er décembre 1999, le ministre de la Justice de Curaçao rendait cependant ce transfert conditionnel, en ce que toute mesure (grâce, réduction de peine, autorisation de sortie) impliquant que le requérant quitte la prison était soumise à l’approbation du Ministère public de Curaçao.

23. Le 30 janvier 2002, le Gouverneur des Antilles néerlandaises rejeta un recours en grâce formé par le requérant, au motif qu’il n’y avait pas de raison qui aurait justifié d’accorder la grâce.

24. Le 31 mai 2004, le directeur du pénitencier d’Aruba transmit au ministre de la Justice d’Aruba une lettre du requérant priant le Gouverneur d’Aruba de contacter le Gouverneur des Antilles néerlandaises en vue d’une éventuelle mesure de grâce. Cette demande n’eut toutefois pas l’effet désiré.

25. Par ailleurs, le requérant adressa plusieurs recours en grâce au Procureur général (Procureur-Generaal) d’Aruba. Par des lettres du 9 juin 2000, du 26 octobre 2004, du 14 mars 2005 et du 18 juillet 2007 respectivement, celui-ci l’informa que seules les autorités des Antilles néerlandaises pouvaient adopter des mesures modifiant l’exécution de sa peine.

26. Le 1er mars 2006, le Gouverneur des Antilles néerlandaises rejeta un recours en grâce du requérant, au motif qu’il n’y avait pas de raison qui aurait justifié d’accorder la grâce.

27. Par une lettre du 16 janvier 2008, le ministre de la Justice d’Aruba informa le requérant que ses recours en grâce ne présentaient aucun fait ni aucunes circonstances qui eussent modifié l’issue de la procédure s’ils avaient été connus de la Cour commune de justice au moment où elle avait rendu son arrêt, ni aucun fait susceptible de mener à la conclusion que la poursuite de l’exécution de la peine était devenue sans objet.

2. Les faits postérieurs à l’introduction de la requête

28. En prévision du réexamen périodique des condamnations à vie qui allait être introduit dans le code pénal (Wetboek van Strafrecht) de Curaçao, le Procureur général demanda, par une lettre du 9 septembre 2011, qu’il soit procédé à un examen psychiatrique du requérant.

29. Le 7 octobre 2011, le psychologue J.S.M. formula les conclusions suivantes :

« (...) les résultats de l’examen montrent que [le requérant] présente des symptômes de dépression. Il refoule ses émotions et sa colère et les cache à son entourage. (...) [Le requérant] n’a guère confiance dans les autres. Il considère que chacun se sert des autres et abuse d’eux pour parvenir à ses fins. C’est pourquoi il est extrêmement méfiant à l’égard des gens qu’il rencontre et il présente un comportement asocial. (...) Il est extrêmement sensible à la critique et au rejet. »

30. Le 26 mars 2012, la Fondation arubaise pour le reclassement et la protection des mineurs (Stichting Reclassering en Jeugdbescherming) émit un rapport dans lequel elle estimait que le requérant aurait pu vivre avec sa mère à Aruba et travailler dans une boutique de tapisserie. L’auteur du rapport jugeait difficile d’estimer le risque de récidive, mais considérait qu’avec un soutien approprié après sa libération, les perspectives de réinsertion sociale du requérant étaient bonnes.

31. À la demande de la Cour commune de justice, trois rapports furent établis.

32. Le premier rapport fut établi le 25 mai 2012 par le pénitencier d’Aruba. On pouvait y lire ceci :

« C’est un homme calme et tranquille de 59 ans qui n’a jamais fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire pendant sa détention. (...) Il accomplit les tâches qui lui sont imparties correctement et à la satisfaction du personnel pénitentiaire. En principe il travaille seul, mais il forme volontiers les autres détenus à la tapisserie d’ameublement. (...) Il est toujours poli et respectueux envers le personnel pénitentiaire, et aucun des agents de la prison n’a à se plaindre de lui. Il rencontre rarement l’assistante sociale et quand il la voit, il lui pose toujours les mêmes questions. Il semblerait qu’il oublie les choses dont il a déjà discuté. »

33. Le deuxième rapport fut établi le 21 juillet 2012 par le psychiatre M.V., qui formula les conclusions suivantes :

« Le test de personnalité montre que le sujet présente un trouble de la personnalité de type asocial avec de légers traits psychopathes. Il y a aussi des signes de tendance narcissique. La structure du caractère est rigide, mais non fortement affichée, peut-être en raison de son âge. Il y a lieu de considérer que le risque qu’il récidive ou commette d’autres actes répréhensibles en cas de retour dans la société est présent (risque modéré en comparaison de la population concernée par les services psycho-légaux). (...) De manière générale, le sujet peut être décrit comme présentant une personnalité asociale dont les manifestations les plus désagréables ont été atténuées. (...) C’est un fait à peu près certain que sa personnalité ne changera pas. La personnalité se forme jusqu’à l’âge de 35 ans, après quoi seuls des changements mineurs peuvent intervenir. L’examen montre que la personnalité du sujet est bien rigide. Il sera donc toujours quelqu’un de désagréable dans ses relations avec les autres et aura toujours du mal à établir et à entretenir des relations sociales. Compte tenu de sa personnalité, j’estime que les chances qu’il parvienne à se réinsérer dans la société sont minces. »

34. Le troisième rapport fut établi le 17 août 2012 par le psychiatre G.E.M., qui formula les conclusions suivantes :

« Le sujet souffre toutefois d’un grave trouble de la personnalité, qui se caractérise par une conscience des émotions hautement indifférenciée et très primitive, une conscience sous-développée, des compétences sociales rudimentaires, un manque d’empathie. (...) Bien que le sujet ait eu un comportement problématique et agressif pendant les premières années de sa détention, pendant lesquelles il a même commis une tentative d’empoisonnement, il est devenu ces dernières années un détenu modèle. (...) Ce changement de comportement est largement imputable au cadre qu’apporte l’environnement pénitentiaire et au fait qu’il est à présent bien plus âgé (il a près de 60 ans) : il deviendra vraisemblablement de plus en plus modéré au fil des années. (...) [E]n ce qui concerne le risque de récidive, mon avis est partagé. D’un côté, le sujet est pratiquement un détenu modèle, de l’autre, ses traits de caractère essentiels n’ont pas changé. Il demeure quelqu’un d’extrêmement perturbé, et il est difficile de prévoir comment il réagirait et dans quelle mesure il pourrait tenir hors du cadre de la prison. »

35. Le 21 septembre 2012, après avoir procédé au réexamen périodique de la peine d’emprisonnement à vie du requérant conformément à l’article 1:30 du code pénal de Curaçao entré en vigueur le 15 novembre 2011 (paragraphe 42 ci-dessous), la Cour commune de justice décida que, au bout de 33 ans, la peine privative de liberté du requérant poursuivait toujours un objectif raisonnable. Elle tint compte des conclusions des experts selon lesquelles le requérant souffrait d’un trouble de la personnalité à caractère asocial, de ce que l’attitude de l’intéressé pendant l’audience montrait selon elle qu’il n’était pas capable d’expliquer la gravité et l’absurdité du meurtre ni comment il avait pu le commettre, et de la situation des proches survivants.

B. Les conditions de détention du requérant

36. À la fin de l’année 2010 et au début de l’année 2011, en raison de conditions météorologiques extrêmes, la pluie pénétra dans plusieurs cellules du pénitencier d’Aruba.

37. Cent cinquante-deux détenus (dont le requérant) prièrent le tribunal de première instance d’Aruba dans le cadre d’une action en référé (kort geding) d’ordonner aux autorités arubaises de prendre, notamment, des mesures pour empêcher la pluie de pénétrer dans leurs cellules tout en les protégeant du soleil, et de leur interdire de loger plus de deux détenus par cellule de 3 m x 3 m.

38. Le 2 février 2011, le tribunal de première instance d’Aruba fit partiellement droit à ces demandes. Il ordonna aux autorités arubaises de prendre avant le 1er avril 2011 des mesures pour empêcher l’eau de pluie d’entrer dans les cellules tout en laissant l’air circuler. Il leur laissa également un délai d’un mois à compter du jugement pour cesser de loger plus de deux détenus par cellule de 3 m x 3 m.

39. Le 19 avril 2011, la Cour commune de justice réforma le jugement du tribunal de première instance. Elle laissa aux autorités arubaises un délai de six mois à compter de la notification de l’arrêt pour empêcher l’eau de pluie d’entrer dans les cellules.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Pouvoir d’accorder une grâce aux personnes détenues à Curaçao

40. Jusqu’au 10 octobre 2010, le pouvoir d’accorder une grâce était régi par l’article 16 § 1 de la Constitution des Antilles néerlandaises (Staatsregeling van de Nederlandse Antillen), qui prévoyait ceci :

« Le Gouverneur peut, après avoir consulté la juridiction qui a rendu le jugement, gracier toute personne reconnue coupable et condamnée par une décision de justice. »

41. Depuis le 10 octobre 2010, l’article 93 de la Constitution de Curaçao prévoit ceci :

« Les grâces sont accordées par décret du pays après consultation de la juridiction qui a rendu le jugement, compte tenu de dispositions qui seront fixées ultérieurement ou en vertu de l’ordonnance de pays. »

Ce décret du pays est adopté par le Gouverneur.

B. Réexamen périodique des peines d’emprisonnement à vie

42. Depuis le 15 novembre 2011, il est obligatoire à Curaçao de réexaminer périodiquement les peines d’emprisonnement à vie. L’article 1:30 du code pénal de Curaçao prévoit ceci :

« 1. Toute personne condamnée à une peine d’emprisonnement à vie sera placée en liberté conditionnelle à partir du moment où sa privation de liberté aura duré au moins vingt ans si, de l’avis de la Cour [commune de justice], la poursuite inconditionnelle de l’exécution de sa peine ne poursuit plus un objectif raisonnable.

2. Dans tous les cas, la Cour [commune de justice] tiendra compte de la situation des victimes ou de leurs proches survivants ainsi que du risque de récidive.

3. Si la Cour [commune de justice] décide de ne pas remettre la personne concernée en liberté, elle réexamine la situation cinq ans plus tard puis, le cas échéant, tous les cinq ans.

(...)

7. La décision de la Cour commune de justice n’est pas susceptible de recours. »

III. LES DOCUMENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE

Le deuxième rapport général du CPT

43. Les passages ci-dessous sont extraits du Rapport à l’intention des autorités du Royaume des Pays-Bas sur les visites effectuées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») dans le Royaume en Europe, à Aruba et aux Antilles néerlandaises (CPT/Inf (2008) 2, traduction du greffe). Les visites à Aruba ont eu lieu du 4 au 7 juin 2007 et les visites aux Antilles néerlandaises du 7 au 13 juin 2007.

« CHAPITRE II : VISITE À ARUBA

(...) C. Pénitencier d’Aruba

2. Mauvais traitements

62. La délégation a recueilli de nombreuses allégations d’actes de violence entre les détenus, pendant lesquels les agents pénitentiaires seraient demeurés passifs alors qu’ils auraient dû intervenir ; dans certains cas, leur inertie aurait même exacerbé la situation. En d’autres occasions d’actes violents entre les détenus, les agents pénitentiaires n’auraient tout simplement pas été présents ni même à proximité.

3. Conditions de détention

a. Conditions matérielles

64. (...) Toutes les cellules mesurent moins de 9 m² – sans compter les sanitaires partiellement séparés de la cellule, qui sont composés d’une douche, de toilettes et d’un lavabo – et sont occupées par trois détenus. Les cellules ne sont séparées du reste de l’établissement (côté couloir) que par des barreaux allant du sol au plafond, de sorte qu’elles n’offrent pratiquement aucune intimité. Elles sont meublées de trois couchettes superposées garnies d’une literie de bonne qualité, et la lumière artificielle à l’intérieur est bonne. Les ouvertures dans la structure en béton offrent suffisamment de lumière naturelle, mais pas suffisamment d’aération (et pas de possibilité de voir à l’extérieur).

b. Régime

69. Deux détenus purgent des peines d’emprisonnement à vie au moment de la visite, et 26 autres purgent des peines longues, de 10 à 22 ans. Pourtant, ces détenus, qui représentent plus de 12 % des condamnés, ne semblent pas bénéficier d’un régime plus stimulant que celui, plutôt pauvre, offert à tous les détenus ; et ils ne bénéficient pas d’un soutien psychologique adéquat.

(...) Le CPT recommande aux autorités arubaises d’élaborer une politique de traitement adapté des détenus condamnés à une peine d’emprisonnement à vie ou à une peine longue.

f. Prise en charge psychiatrique et psychologique

79. En principe, un psychiatre se rend au pénitencier d’Aruba une fois par mois ; cependant, la délégation note qu’il n’est pas venu depuis plusieurs mois. Le défaut de prise en charge psychiatrique est essentiellement lié à des questions budgétaires.

(...) Un centre d’assistance et d’observation médicales et psychiatriques (FOBA) a récemment été créé au pénitencier. Il peut en théorie accueillir 10 détenus. Cependant, en raison d’un manque de personnel (médecins et gardiens), il n’a pas été mis en service. En théorie, les détenus pourraient bénéficier d’un traitement psychiatrique ponctuel à l’unité PAAZ de l’hôpital Oduber, mais il est très rare que les détenus y soient envoyés.

(...)

CHAPITRE 3 : VISITE AUX ANTILLES NÉERLANDAISES

(...)

3. Conditions matérielles

45. De plus, le phénomène des violences entre détenus s’est amplifié. Il apparaît que le nombre de lésions constatées chaque année pendant la détention (par opposition aux lésions constatées à l’arrivée) a doublé depuis 2002. En outre, la délégation a recueilli des allégations de violences sexuelles entre les détenus, qui n’étaient pour la plupart pas signalées. (...)

46. Le CPT est extrêmement préoccupé par le niveau de violence qui règne à la prison Bon Futuro, établissement qui est clairement dangereux tant pour les détenus que pour le personnel.

(...)

6. Services de santé

(...)

b. Prise en charge psychiatrique et psychologique à la prison Bon Futuro

60. Un psychiatre est présent à mi-temps à la prison Bon Futuro (ce mis à part le dispositif FOBA, voir le paragraphe 59). Cependant, les détenus ne bénéficient pas d’une prise en charge psychologique (seule l’unité FOBA emploie un psychologue). De l’avis du CPT, un établissement de la taille de la prison Bon Futuro devrait pouvoir compter sur les services d’au moins un psychologue à temps plein. Le CPT recommande qu’un psychologue à plein temps soit recruté dès que possible pour la prison Bon Futuro.

61. L’unité d’assistance médicale et psychiatrique (FOBA) de la prison Bon Futuro a été créée pour traiter certains détenus à problèmes en l’absence de milieu hospitalier plus approprié. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION – PEINE D’EMPRISONNEMENT À VIE

44. Le requérant soutient que la peine d’emprisonnement à vie qui lui a été infligée emporte violation de l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

45. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Sur la recevabilité

46. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il n’est pas irrecevable pour d’autres motifs, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

47. Le requérant soutient que la peine d’emprisonnement à vie qui lui a été infligée emporte violation de l’article 3. Selon lui, il n’y avait pas de possibilité de réexaminer cette peine, et la possibilité d’être gracié par le Gouverneur n’est ni adéquate ni effective : il n’aurait donc, ni en fait ni en droit, aucun espoir d’être remis en liberté.

48. Le Gouvernement répond à cela qu’à Curaçao, la peine d’emprisonnement à vie est susceptible de réduction en fait comme en droit. Il argue que, d’une part, le requérant a eu la possibilité, dès le moment où cette peine lui a été imposée, d’introduire un recours en grâce, et, d’autre part, l’article 1:30 du code pénal de Curaçao – qui s’appliquerait au requérant même s’il est détenu à Aruba – prévoit depuis le 15 novembre 2011 le réexamen périodique des peines d’emprisonnement. Le maintien en détention du requérant aurait d’ailleurs été réexaminé en 2012, et la Cour commune de justice aurait alors conclu que l’exécution de sa peine d’emprisonnement à vie poursuivait encore un objectif raisonnable.

49. La Cour rappelle qu’il est de jurisprudence constante que le choix que fait l’État d’un régime de justice pénale, y compris le réexamen de la peine et les modalités de libération, échappe en principe au contrôle européen exercé par elle, pour autant que le système retenu ne méconnaisse pas les principes de la Convention (Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 99, CEDH 2008).

50. De plus, les questions relatives au caractère juste et proportionné de la peine donnent matière à des débats rationnels et à des désaccords courtois (Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, § 105, CEDH 2013 (extraits)). Dès lors, les États contractants doivent se voir reconnaître une marge d’appréciation pour déterminer la durée adéquate des peines d’emprisonnement pour les différentes infractions. Ainsi que la Cour l’a déclaré, elle n’a pas à dire quelle doit être la durée de l’incarcération pour telle ou telle infraction ni quelle doit être la durée de la peine, de prison ou autre, que purgera une personne après sa condamnation par un tribunal compétent (V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 118, CEDH 1999‑IX, et Sawoniuk c. Royaume-Uni (déc.), no 63716/00, CEDH 2001‑VI).

51. Pour les mêmes raisons, les États contractants doivent aussi demeurer libres d’imposer des peines d’emprisonnement à vie aux criminels adultes pour les actes particulièrement graves tels que le meurtre : le prononcé d’une peine d’emprisonnement perpétuel à l’encontre d’un délinquant adulte n’est pas en soi prohibé par l’article 3 ni par une quelconque autre disposition de la Convention et ne se heurte pas à celle-ci (voir notamment, parmi maints précédents, Kotälla c. Pays-Bas, no 7994/77, décision de la Commission du 6 mai 1978, Décisions et rapports (DR) 14, p. 242, Bamber c. Royaume-Uni, no 13183/87, décision de la Commission du 14 décembre 1988, DR 59, p. 235, Sawoniuk, précitée, et Kafkaris, précité, § 97). Cela vaut à plus forte raison lorsque la peine en question n’était pas impérative mais qu’elle a été imposée par un juge indépendant après examen de toutes les circonstances atténuantes et aggravantes de l’affaire.

52. Cependant, la Cour a dit aussi qu’infliger à un adulte une peine perpétuelle incompressible pouvait soulever une question sous l’angle de l’article 3 (voir, entre autres, Nivette c. France (déc.), no 44190/98, CEDH 2001‑VII, Einhorn c. France (déc.), no 71555/01, CEDH 2001‑XI, Stanford c. Royaume-Uni (déc.), no 73299/01, 12 décembre 2002, Wynne c. Royaume-Uni (déc.), no 67385/01, 22 mai 2003, et Kafkaris, précité, § 97). Ce principe présente deux aspects distincts mais liés que la Cour juge nécessaire de souligner et de rappeler.

53. Premièrement, le simple fait qu’une peine d’emprisonnement à vie puisse en pratique être purgée en totalité ne la rend pas incompressible. Il ne se pose pas de problème au regard de l’article 3 si la peine perpétuelle est susceptible de réduction en fait et en droit (Kafkaris, précité, § 98).

54. À cet égard, la Cour souligne qu’il ne se pose pas de problème sous l’angle de l’article 3 si, par exemple, le droit interne permet à un détenu condamné à une peine perpétuelle de bénéficier d’un réexamen de sa situation en vue d’une éventuelle remise en liberté, mais que sa libération est écartée au motif qu’il représente encore une menace pour la société. En effet, la Convention impose aux États l’obligation de prendre des mesures propres à protéger le public contre les crimes violents et ne leur interdit pas d’infliger à un individu convaincu d’une infraction grave une peine de durée indéterminée permettant de le maintenir en détention lorsque la protection du public l’exige (voir, mutatis mutandis, V. c. Royaume-Uni, précité, § 98), car une des « fonctions essentielles » d’une peine d’emprisonnement est de protéger la société (Mastromatteo c. Italie [GC], no 37703/97, § 72, CEDH 2002‑VIII, Maiorano et autres c. Italie, no 28634/06, § 108, 15 décembre 2009, et, mutatis mutandis, Choreftakis et Choreftaki c. Grèce, no 46846/08, § 45, 17 janvier 2012). Il en est ainsi en particulier dans le cas des individus reconnus coupables de meurtre ou d’atteinte grave à l’intégrité de la personne. Le seul fait que ces détenus aient peut-être déjà passé une longue période derrière les barreaux n’ôte rien à l’obligation positive de l’État de protéger le public ; et un moyen pour les États de s’acquitter de cette obligation consiste à maintenir en détention les détenus condamnés à une peine perpétuelle tant qu’ils demeurent dangereux (voir, par exemple, Maiorano et autres, précité).

55. Deuxièmement, pour déterminer si dans un cas donné une peine perpétuelle peut passer pour incompressible, la Cour recherche si l’on peut dire qu’un détenu condamné à perpétuité a des chances d’être libéré. Là où le droit national offre la possibilité de revoir la peine perpétuelle dans le but de la commuer, de la suspendre ou d’y mettre fin ou encore de libérer le détenu sous condition, il est satisfait aux exigences de l’article 3 (Kafkaris, précité, § 98).

56. La Cour a dit récemment dans l’arrêt Vinter et autres (précité, §§ 119-122) que, pour qu’une peine perpétuelle demeure compatible avec l’article 3, il devait y avoir d’une part une perspective de libération et d’autre part une possibilité de réexamen.

57. Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour relève que la possibilité de réexamen des peines perpétuelles a été introduite dans le code pénal de Curaçao en novembre 2011, avec une disposition qui prévoit que tout condamné à une peine d’emprisonnement à vie fait l’objet d’une libération conditionnelle lorsqu’il a purgé au moins vingt ans de sa peine si, de l’avis de la Cour commune de justice, sa détention ne poursuit plus un objectif raisonnable. Ce mécanisme répond aux critères énoncés dans l’arrêt Vinter et autres (précité, §§ 119-122). Dans le cas du requérant, il apparaît que le réexamen prescrit par la nouvelle disposition a été fait, que l’on a établi dans ce cadre plusieurs expertises portant notamment sur l’état de santé mentale de l’intéressé, sur sa personnalité, sur son comportement et sur le risque de récidive, et qu’à l’issue de ce réexamen, la Cour commune de justice a estimé que le requérant ne devait pas être remis en liberté (paragraphes 29-35 ci-dessus).

58. La Cour observe que même si la possibilité d’un réexamen judiciaire de la peine perpétuelle n’existait pas à Curaçao lorsque le requérant a introduit sa requête à Strasbourg le 22 février 2010, ce mécanisme de réexamen a entre-temps été mis en place. Étant donné que le requérant n’a introduit sa requête que récemment, près de trente ans après sa condamnation (voir, a contrario, Vinter et autres, précité, §§ 19, 25 et 31), et non plus tôt, la Cour ne voit pas de raison, dans les circonstances de l’espèce, de déterminer si l’existence d’un recours en grâce lui ouvrait ou non des perspectives de libération et si, dès lors, la peine perpétuelle qui lui a été infligée pouvait, en fait et en droit, être considérée comme susceptible de réduction avant 2011 (comparer Kafkaris, précité, §§ 98-108).

59. À la lumière de ce qui précède, on ne peut pas dire que la peine d’emprisonnement à vie imposée au requérant ait emporté violation de l’article 3 de la Convention. Partant, la Cour conclut à la non-violation de cette disposition.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION – CONDITIONS DE DÉTENTION

60. Le requérant estime en outre que les conditions dans lesquelles il a été détenu à la prison Koraal Specht à Curaçao et au pénitencier d’Aruba ont emporté violation of l’article 3. Il allègue notamment que les autorités pénitentiaires de la prison Koraal Specht n’étaient pas en mesure de protéger les prisonniers contre les actes de violences de leur codétenus – circonstance que le CPT lui-même aurait relevée ; que des détenus ont été maltraités et même tués sous ses yeux, et que lui-même a subi à plusieurs reprises des mauvais traitements aux mains d’autres détenus. S’appuyant sur le rapport établi par le CPT (paragraphe 43 ci-dessus), il se plaint aussi de ce que ni les autorités de la prison Koraal Specht de Curaçao ni celles du pénitencier d’Aruba n’aient mis en place de régime spécial (plus clément) pour les détenus condamnés à perpétuité. Il ajoute qu’il n’a jamais bénéficié d’un régime correspondant à son état de santé mentale. Sur ce point, il compare son cas à celui de l’affaire Mathew c. Pays-Bas (no 24919/03, CEDH 2005‑IX). Enfin, il se plaint de ses conditions de détention au pénitencier d’Aruba, où l’eau de pluie aurait coulé dans les cellules à la fin de l’année 2010 et au début de l’année 2011 à la suite de pluies abondantes, ce qui aurait été source de maladies et de stress chez les détenus.

61. Le Gouvernement estime pour sa part que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes conformément à l’article 35 § 1 de la Convention en ce qui concerne les mauvais traitements dont il accuse ses codétenus : en effet, il ne se serait plaint aux autorités nationales ni d’avoir subi de tels traitements ni d’y avoir assisté.

62. Le Gouvernement soutient par ailleurs que les autres griefs que le requérant tire de l’article 3 de la Convention sont dépourvus de fondement. Selon lui, le « seuil minimal de gravité » qui doit être franchi pour qu’il y ait violation de cette disposition n’a pas été atteint. Ainsi, la présente affaire se distinguerait nettement de l’affaire Mathew (précitée), le requérant n’ayant en l’espèce, à la différence de celui de l’affaire Mathew, jamais passé de longues périodes à l’isolement ni été détenu dans une cellule n’offrant pas une protection adéquate contre les éléments. De plus, rien n’indiquerait que des circonstances exceptionnelles prenant leur source dans la personnalité du requérant impliquent que sa détention puisse être qualifiée d’« inhumaine ».

63. Au grief du requérant consistant à dire qu’il n’a pas bénéficié d’un régime spécial adapté à son état de santé mentale, le Gouvernement répond que la Cour commune de justice n’a pas imposé son internement en asile parce que, d’une part, il n’était pas possible d’ordonner pareil internement aux Antilles néerlandaises et, d’autre part, l’intelligence limitée de l’intéressé et ses capacités insuffisantes à s’exprimer verbalement rendaient impossible son internement aux Pays-Bas. Il indique que le requérant a été placé sous observation psychiatrique et a reçu une aide psychiatrique pour son trouble de la personnalité à son arrivée à la prison Koraal Specht de Curaçao en vue de sa réadaptation, mais que cette aide a pris fin lorsque, à sa demande, il a été transféré au pénitencier d’Aruba, où il n’aurait pas existé de traitement psychiatrique de la même ampleur que ce qui était proposé à la prison Koraal Specht. Il ajoute que le requérant peut aujourd’hui bénéficier d’une aide psychiatrique au pénitencier d’Aruba.

A. Sur la recevabilité

64. La Cour note qu’il apparaît en effet que le requérant n’a engagé devant les autorités nationales aucune procédure dans laquelle il se serait plaint d’avoir subi des mauvais traitements lorsqu’il était détenu à Curaçao.

65. Elle conclut donc que le grief qu’il formule sur ce terrain ne peut être considéré comme répondant à la condition d’épuisement des voies de recours interne et que, par conséquent, cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes au sens de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

66. La Cour constate par ailleurs que les autres griefs que le requérant tire sur le terrain de l’article 3 de ses conditions de détention ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention, ni irrecevables pour d’autres motifs. Ils doivent donc être déclarés recevables.

B. Sur le fond

1. Principes généraux

67. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000‑XI, et Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, § 102, CEDH 2001‑VIII).

68. Pour déterminer si le traitement infligé à un détenu est allé au-delà du « niveau inévitable de souffrance ou d’humiliation » inhérent à la privation de liberté, la Cour a souvent pris en compte les effets cumulatifs ainsi que les différents aspects de la vie carcérale (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001-II). Dans de précédentes affaires, elle a tenu compte de facteurs tels que l’accès à la lumière naturelle et l’aération dans les cellules, le caractère suffisant ou non des dispositifs de chauffage, le respect de normes sanitaires minimales, la possibilité d’utiliser les toilettes dans l’intimité et la disponibilité de ventilation (voir, par exemple, Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 70-72, CEDH 2001-III, Babushkin c. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007, et Vlasov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008). Cette liste n’est pas exhaustive, et d’autres aspects des conditions de détention peuvent amener la Cour à conclure que le seuil d’inacceptabilité de la souffrance ou de l’humiliation a été franchi et que, dès lors, le requérant a été soumis à des « traitements inhumains ou dégradants » (voir, par exemple, Fedotov c. Russie, no 5140/02, § 68, 25 octobre 2005, et Trepashkin c. Russie, no 36898/03, § 94, 19 juillet 2007). Il faut aussi tenir compte de la durée pendant laquelle le détenu a subi les conditions qu’il dénonce (voir, parmi d’autres arrêts, Alver c. Estonie, no 64812/01, 8 novembre 2005). En particulier, la Cour doit avoir égard à l’état de santé du détenu (Assenov et autres c. Bulgarie, § 135, 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII, Kudła, précité, § 94, et Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, § 119, CEDH 2006‑IX).

69. Si l’article 3 de la Convention ne peut être interprété comme posant une obligation générale de libérer les détenus pour raisons de santé, il impose néanmoins à l’État de protéger le bien-être physique des personnes privées de leur liberté, par exemple en leur apportant l’assistance médicale requise (Hurtado c. Suisse, 28 janvier 1994, § 79, Série A no 280‑A) ; et l’absence de traitement médical approprié peut être constitutive d’un traitement contraire à l’article 3 (İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII, Naumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 112, 10 février 2004, et Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 51, 2 décembre 2004).

70. En vertu de la jurisprudence constante de la Cour, toute allégation de mauvais traitements doit être étayée par des éléments de preuve appropriés. Pour l’appréciation de ces éléments, la Cour applique généralement le principe de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » (Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 161, Série A no 25), une telle preuve pouvant néanmoins résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants.

2. Application de ces principes au cas d’espèce

71. La Cour estime que le requérant n’a pas développé de manière suffisamment détaillée les griefs qu’il tire de ses conditions de détention et du fait que ni son état de santé mentale ni sa condamnation à une peine perpétuelle ne lui ont permis de bénéficier d’un régime spécial, et qu’il n’a pas communiqué d’informations ni de documents propres à la convaincre que ces conditions étaient effectivement « inhumaines et dégradantes ». Elle relève notamment que même s’il faisait partie des 152 détenus qui ont engagé une action aux fins de l’amélioration des conditions de détention au pénitencier d’Aruba (paragraphes 36-39 ci‑dessus), il n’a pas contesté l’affirmation du Gouvernement selon laquelle lui-même n’avait jamais été placé dans une cellule n’offrant pas une protection adéquate contre les éléments (paragraphe 62 ci-dessus).

72. La Cour observe par ailleurs qu’il apparaît certes que le requérant n’a jamais été traité pour sa maladie mentale, mais que, néanmoins, il a été placé sous observation psychiatrique et il a bénéficié d’une assistance psychiatrique pour son trouble de la personnalité à son arrivée à la prison Koraal Specht à Curaçao. Cette assistance a pris fin lorsque, à sa demande, le requérant a été transféré au pénitencier d’Aruba, où il n’existait pas de traitement psychiatrique de la même ampleur qu’à la prison Koraal Specht. Par ailleurs, une assistance psychiatrique est désormais disponible au pénitencier d’Aruba (voir paragraphe 63 ci-dessus). Le requérant n’a pas communiqué d’informations sur la question de savoir s’il s’était déjà prévalu de la possibilité de bénéficier de cette assistance ni avancé que, dans l’affirmative, cette assistance n’aurait pas satisfait à ses besoins. Une simple référence au rapport du CPT, qui fait état de l’absence de régime adapté aux problèmes de santé mentale de certains détenus et de régime spécialement adapté aux détenus purgeant des peines perpétuelles, ne suffit pas pour que la Cour conclue, sans plus d’autres éléments, à la violation de l’article 3 de la Convention.

73. Partant, la Cour conclut que les conditions de détention du requérant n’ont pas emporté violation de l’article 3 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

74. Affirmant ne plus constituer une menace pour la société, le requérant soutient qu’il n’existe plus de lien de causalité entre son maintien en détention et sa condamnation d’origine. Il estime qu’il fait l’objet d’une sanction discrétionnaire, qu’il a purgé la partie « punitive » de sa peine, et que sa détention n’est plus régulière. Il invoque l’article 5 § 1 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ; (...) »

75. Le Gouvernement fait valoir que le requérant a été condamné à une peine d’emprisonnement à vie. Il explique qu’au Royaume des Pays-Bas, cette peine ne se divise pas en une partie punitive et une partie visant à la protection du public. Il ajoute que, par une décision du 21 septembre 2012, la Cour commune de justice a dit – sur la base des rapports détaillés de deux psychologues et d’un psychiatre – que la poursuite de l’exécution de la peine perpétuelle du requérant poursuivait encore un objectif raisonnable.

76. La Cour rappelle que, en matière de « régularité » d’une détention, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. Ce terme impose, en premier lieu, que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne, mais concerne aussi la qualité de la loi ; il la veut compatible avec la prééminence du droit, notion inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (voir, notamment, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, et Stafford c. Royaume‑Uni [GC], no 46295/99, § 63, CEDH 2002‑IV). À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, par-delà les apparences et le vocabulaire employé, il faut s’attacher à cerner la réalité (Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin 1982, § 38, Série A no 50). De surcroît, toute privation de liberté doit être conforme au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi bien d’autres arrêts, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, §§ 39 et 45, Série A no 33, et Amuur, précité, § 50).

77. La « régularité » voulue par la Convention présuppose le respect non seulement du droit interne, mais aussi – l’article 18 le confirme – du but de la privation de liberté autorisée par l’alinéa a) de l’article 5 § 1 (Bozano c. France, 18 décembre 1986, § 54, Série A no 111, et Weeks c. Royaume‑Uni, 2 mars 1987, § 42, Série A no 114). En outre, dans cet alinéa, le mot « après » n’implique pas un simple ordre chronologique de succession entre « condamnation » et « détention » : la seconde doit de surcroît résulter de la première, se produire « à la suite et par suite » – ou « en vertu » - « de celle-ci ». En bref, il doit exister entre elles un lien de causalité suffisant (Van Droogenbroeck, §§ 35 et 39, et Weeks, § 42, tous deux précités).

78. Pour en revenir aux circonstances de l’espèce, la Cour n’a aucun doute quant au fait, qui ne fait d’ailleurs pas controverse entre les parties, que le requérant a été condamné au terme d’une procédure prévue par la loi par un tribunal compétent au sens de l’article 5 § 1 a) de la Convention. La question à trancher est plutôt celle de savoir si sa détention se justifie toujours au regard de la peine d’emprisonnement à vie qui lui a été imposée.

79. La Cour observe que, le 11 mars 1980, la Cour commune de justice a jugé le requérant coupable du meurtre avec préméditation d’une fillette de 6 ans et l’a condamné à une peine d’emprisonnement à vie (paragraphes 15 et 16 ci‑dessus). Le code pénal de Curaçao n’imposait pas aux juges de prononcer une telle peine. Lorsqu’ils l’ont infligée, ils ont clairement dit que la raison pour laquelle ils condamnaient le requérant à une peine perpétuelle était la nécessité de l’empêcher de retourner dans la société (paragraphe 16 ci‑dessus).

80. De plus, la Cour observe que la Cour commune de justice a réexaminé la régularité de la peine du requérant et qu’elle a conclu, par une décision du 21 septembre 2012, que l’exécution de cette peine poursuivait encore un objectif raisonnable, à savoir la protection de la sécurité publique (paragraphe 35 ci-dessus). Il existe donc un lien de causalité clair et suffisant entre la condamnation du requérant et son maintien en détention, conformément aux exigences de la Convention, de sorte que la privation de liberté de l’intéressé n’est pas arbitraire.

81. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être déclaré irrecevable en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

82. Le requérant se plaint en outre de s’être vu infliger une peine perpétuelle sans possibilité de réexamen périodique par un tribunal, en violation de l’article 5 § 4, qui est ainsi libellé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

83. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

84. La Cour rappelle qu’elle a déjà tranché la question soulevée par ce grief dans la décision sur la recevabilité qu’elle a rendue en l’affaire Kafkaris c. Chypre (no 2) ((déc.), no 9644/09, 21 juin 2011). Elle a alors rejeté le grief pour défaut manifeste de fondement, jugeant que, le tribunal qui avait prononcé la peine perpétuelle ayant dit très clairement que le requérant était condamné à passer le restant de ses jours en prison, il était clair que la détermination de la nécessité de la peine infligée à celui-ci ne dépendait pas d’éléments susceptibles de changer au fil du temps (à la différence de la situation prévalant dans l’affaire Stafford, arrêt précité, § 87). Elle a estimé que les « nouvelles questions » invoquées par le requérant ne pouvaient pas être considérées comme des éléments rendant obsolètes les raisons qui avaient justifié la privation de liberté à l’origine ni comme de nouveaux facteurs ayant des incidences sur la régularité de la détention, et qu’on ne pouvait pas dire non plus que la peine du requérant était constituée d’une période punitive et d’une période de sûreté comme il le prétendait. En conséquence, elle a considéré que le réexamen de la régularité de la détention de l’intéressé requis par l’article 5 § 4 avait été englobé dans la condamnation prononcée par les tribunaux et qu’il n’était donc pas nécessaire de procéder à un nouvel examen de cette privation de liberté.

85. La Cour considère que les griefs formulés en l’espèce ne se distinguent pas de celui de l’affaire Kafkaris (no 2). Elle a admis que le maintien en détention pouvait emporter violation de l’article 3 s’il n’était plus justifié par des motifs pénologiques et si la peine était incompressible en fait et en droit ; mais, contrairement à ce que soutient le requérant, il ne s’ensuit pas que son maintien en détention doive être réexaminé périodiquement pour être conforme aux dispositions de l’article 5. De plus, il ressort clairement du raisonnement de la Cour commune de justice que la peine perpétuelle qui lui a été imposée visait à assurer la répression des infractions et la protection de la sécurité publique (paragraphe 16 ci‑dessus). En conséquence, comme dans l’affaire Kafkaris (no 2), la Cour estime établi que l’examen de la légalité de la privation de liberté du requérant auquel l’article 5 § 4 commande de procéder était englobé dans la peine d’emprisonnement à vie que lui ont imposée les juridictions internes en l’espèce, et que l’article 5 § 4 n’imposait donc pas un réexamen de cette peine.

86. Dès lors, ce grief est manifestement mal fondé et doit être déclaré irrecevable en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

87. Le requérant invoque en outre l’article 13 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

88. Le requérant répète, sur le terrain de cet article, ses griefs relatifs à l’absence de procédure lui permettant de contester sa peine d’emprisonnement à vie. Le Gouvernement soutient pour sa part qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13.

89. Étant donné que l’article 5 § 4 constitue la lex specialis par rapport aux exigences plus générales de l’article 13 (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 126, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V), la Cour considère qu’il découle des conclusions auxquelles elle est parvenue ci‑dessus quant au grief tiré de l’article 5 § 4 que, de même, ce grief est manifestement mal fondé et doit être déclaré irrecevable en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

VI. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

90. Au cours de la procédure devant la Cour, le requérant a avancé deux griefs supplémentaires.

91. Par une lettre du 2 novembre 2012, il a informé la Cour de l’issue de la procédure de réexamen de sa peine menée devant la Cour commune de justice (paragraphe 35 ci-dessus) et s’est plaint, sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, d’un défaut d’indépendance et d’impartialité de cette cour. En ses parties pertinentes, l’article 6 § 1 est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...). »

92. La Cour observe que la procédure de réexamen menée devant la Cour commune de justice ne concernait que la question de savoir si le requérant pouvait bénéficier d’une libération conditionnelle. Elle ne concernait donc pas un litige (une « contestation ») sur des « droits et obligations de caractère civil », ni le « bien-fondé d’une accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, mais une question relative à l’exécution d’une peine. Les institutions de la Convention ont toujours dit que l’article 6 ne s’appliquait pas à pareille procédure (A.B. c. Suisse, no 20872/92, décision de la Commission du 22 février 1995, DR 80-B, p. 66, Garagin c. Italie (déc.), 33290/07, 29 avril 2008, Enea c. Italie [GC], no 74912/01, § 97, CEDH 2009, et Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, § 85, CEDH 2012).

93. La raison à cela est qu’une libération conditionnelle peut, comme dans le cas du requérant, concerner une personne reconnue coupable d’une infraction par une décision de justice définitive. La procédure correspondante ne se rapporte alors plus à une accusation pénale dirigée contre cette personne au sens de l’article 6 de la Convention. L’article 6 n’est pas non plus applicable dans son volet civil en l’espèce étant donné que, en vertu de l’article 1:30 du code pénal de Curaçao, il n’y a pas de « droit » à la libération conditionnelle (voir, mutatis mutandis, Boulois, précité, §§ 96‑101).

94. Il s’ensuit, dès lors, que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit être déclarée irrecevable en application de l’article 35 § 4.

95. Dans sa réponse aux observations du Gouvernement, le requérant a en outre argué que l’accord du 1er décembre 1999 relatif à son transfert de Curaçao à Aruba, qui prévoyait que la loi du pays administrateur demeurait applicable, était incompatible avec les principes du droit interrégional et international. Selon lui, la poursuite de l’exécution de sa peine aurait dû relever de la loi d’Aruba, puisque la responsabilité correspondante était également transférée.

96. Le Gouvernement soutient que le requérant a été incarcéré à l’origine à Curaçao, lieu où il avait commis l’infraction et où il résidait à l’époque, et que c’est à sa demande qu’il a été transféré au pénitencier d’Aruba, afin d’être plus proche de sa famille. Les autorités de Curaçao auraient accepté ce transfert à condition que les règles d’exécution de la peine restent appliquées. Le Gouvernement estime que cet accord n’est incompatible avec aucune règle de droit interrégional ou international.

97. La Cour observe que le transfert du requérant à Aruba a eu lieu en 2000 et que l’intéressé a soulevé ce grief pour la première fois dans sa réponse aux observations du Gouvernement. Elle conclut donc que cette partie de la requête est tardive aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention et doit par conséquent être déclarée irrecevable en application de l’article 35 § 4.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable en ce qui concerne les griefs tirés de l’article 3 quant à la peine perpétuelle et aux conditions générales de détention, à l’exception du grief relatif aux allégations de mauvais traitements à la prison de Curaçao, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne la peine perpétuelle infligée au requérant ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention du requérant.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 10 décembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-139600
Date de la décision : 10/12/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Peine dégradante;Peine inhumaine) (Volet matériel);Non-violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : MURRAY
Défendeurs : PAYS-BAS

Composition du Tribunal
Avocat(s) : WENDENBURG C.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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