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01/08/2025 | CJUE | N°C-794/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Finanzamt Österreich contre P GmbH., 01/08/2025, C-794/23


 ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

1er août 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 203 – Mention d’un montant de TVA erroné sur la facture – Article 238 – Facturation simplifiée – Prestations facturées à des personnes non assujetties et à des assujettis ne bénéficiant pas d’un droit à déduction de la TVA – Obligation de payer la partie de la TVA facturée à tort – Absence de risque de perte de recettes fiscales »

Dans l’affa

ire C‑794/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Ve...

 ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

1er août 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 203 – Mention d’un montant de TVA erroné sur la facture – Article 238 – Facturation simplifiée – Prestations facturées à des personnes non assujetties et à des assujettis ne bénéficiant pas d’un droit à déduction de la TVA – Obligation de payer la partie de la TVA facturée à tort – Absence de risque de perte de recettes fiscales »

Dans l’affaire C‑794/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), par décision du 14 décembre 2023, parvenue à la Cour le 21 décembre 2023, dans la procédure

Finanzamt Österreich

contre

P GmbH,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, M. I. Jarukaitis (rapporteur), président de la quatrième chambre, et M. A. Arabadjiev, juge,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, Mme J. Schmoll et M. F. Koppensteiner, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et P.-L. Krüger, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement portugais, par Mmes P. Barros da Costa, C. Bento, M. R. Laires et Mme A. Rodrigues, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, initialement par MM. F. Behre et M. Herold, puis par M. M. Herold, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 19 décembre 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 203 et 238 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2018/1695 du Conseil, du 6 novembre 2018 (JO 2018, L 282, p. 5, et rectificatif JO 2018, L 329, p. 53) (ci‑après la « directive TVA »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Finanzamt Österreich (administration fiscale d’Autriche) (ci-après l’« administration fiscale ») à P GmbH au sujet du refus, opposé par cette administration, à une demande de régularisation de la déclaration de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de P au motif que celle-ci avait mentionné sur ses factures un montant de TVA calculé à un taux erroné.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Aux termes de l’article 193 de la directive TVA :

« La TVA est due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, sauf dans les cas où la taxe est due par une autre personne en application des articles 194 à 199 ter et de l’article 202. »

4 L’article 203 de cette directive dispose :

« La TVA est due par toute personne qui mentionne cette taxe sur une facture. »

5 L’article 220, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Tout assujetti doit s’assurer qu’une facture est émise, par lui-même, par l’acquéreur ou le preneur, ou en son nom et pour son compte, par un tiers, dans les cas suivants :

1) pour les livraisons de biens ou les prestations de services qu’il effectue pour un autre assujetti ou pour une personne morale non assujettie ;

[...] »

6 L’article 238 de la même directive dispose :

« 1.   Après consultation du comité de la TVA et dans les conditions qu’ils fixent, les États membres peuvent prévoir que, sur les factures relatives à des livraisons de biens ou des prestations de services, ne figurent que les éléments prévus à l’article 226 ter dans les cas suivants :

a) lorsque le montant de la facture est supérieur à 100 [euros] sans excéder 400 [euros], ou sa contre-valeur en monnaie nationale ;

b) lorsque les pratiques commerciales ou administratives du secteur d’activité concerné ou les conditions techniques d’émission de ces factures rendent particulièrement difficile le respect de toutes les obligations visées aux articles 226 ou 230.

3.   La simplification prévue au paragraphe 1 n’est pas appliquée lorsque les factures doivent être émises conformément à l’article 220, paragraphe 1, points 2 et 3, ou lorsque la livraison de biens ou la prestation de services imposable est effectuée par un assujetti qui n’est pas établi dans l’État membre où la TVA est due ou dont l’établissement dans ledit État membre ne participe pas à la livraison ou prestation au sens de l’article 192 bis et que le redevable de la TVA est le destinataire de
la livraison de biens ou de la prestation de services. »

Le droit autrichien

7 L’article 11, paragraphes 1, 6 et 12, de l’Umsatzsteuergesetz 1994 (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires de 1994, BGBl. 663/1994), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« UStG 1994 »), prévoit :

1. Si l’entrepreneur réalise des opérations au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point 1, il est habilité à émettre des factures. S’il réalise des opérations destinées à un autre entrepreneur pour les besoins de l’entreprise de celui-ci ou à une personne morale, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un entrepreneur, il est tenu d’émettre des factures. Si l’entrepreneur réalise une opération imposable de livraison de travaux ou de réalisation d’un ouvrage en rapport avec un bien immobilier qui
est destinée à un non‑entrepreneur, il est tenu d’émettre une facture. L’entrepreneur doit s’acquitter de son obligation d’émettre une facture dans les six mois suivant la réalisation de l’opération.

[...]

(6)   Pour les factures dont le montant total ne dépasse pas 400 euros, les mentions suivantes, s’ajoutant à la date d’émission, sont suffisantes :

1. Le nom et l’adresse de l’entrepreneur qui a effectué la livraison ou fourni la prestation ;

2. la quantité et la dénomination commerciale usuelle des biens livrés ou la nature et l’étendue de l’autre prestation ;

3. la date de la livraison ou de l’autre prestation ou la période sur laquelle porte la prestation ;

4. la contrepartie et le montant de la taxe afférente à la livraison ou à l’autre prestation, totalisés, et

5. le taux de la taxe.

[...]

(12)   Si l’entrepreneur a mentionné séparément, dans une facture afférente à une livraison ou à une autre prestation, un montant de taxe dont il n’est pas redevable en vertu de la présente loi fédérale au titre de l’opération, il est redevable de ce montant sur la base de la facture, à moins qu’il ne la rectifie en conséquence à l’égard du destinataire de la livraison ou du preneur de l’autre prestation. En cas de rectification, l’article 16, paragraphe 1, s’applique mutatis mutandis. »

8 L’article 16, paragraphe 1, de l’UStG 1994 dispose :

« En cas de modification de la base d’imposition d’une opération imposable au sens de l’article 1er, paragraphe 1, points 1 et 2,

1.   l’entrepreneur qui a réalisé cette opération doit rectifier en conséquence le montant de la taxe due à ce titre et

2.   l’entrepreneur destinataire doit rectifier en conséquence la déduction opérée à ce titre. Les rectifications sont effectuées au titre de la période imposable au cours de laquelle la modification de la contrepartie est intervenue. »

9 L’article 239a de la Bundesabgabenordnung (code fédéral des impôts), dans sa version applicable au litige au principal, prévoit :

« Lorsqu’une contribution qui, conformément à la finalité de la disposition fiscale, doit être supportée économiquement par une personne autre que le contribuable, a été supportée économiquement par une personne autre que le contribuable, il n’est pas procédé :

1. à l’inscription au crédit du compte fiscal,

2. au remboursement, au transfert ou à la cession d’avoirs, et

3. à l’utilisation de ceux-ci pour s’acquitter de dettes fiscales,

si cela conduirait à un enrichissement sans cause du contribuable. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10 P est une société à responsabilité limitée de droit autrichien. Elle exploite une aire de jeux intérieure. En 2019, elle a soumis les droits d’entrée à cette aire de jeux au taux de TVA de 20 %. Elle a, lors du paiement des droits d’entrée, émis à l’attention de ses clients des tickets de caisse, établis, compte tenu de leurs faibles montants, selon les règles de facturation simplifiée prévues à l’article 11, paragraphe 6, de l’UStG 1994. P a mentionné la taxe correspondante sur sa déclaration de
TVA pour l’année 2019, mais a, par la suite, rectifié celle-ci au motif que les droits d’entrée devaient être soumis au taux réduit de TVA de 13 %.

11 Par décision du 18 janvier 2021, l’administration fiscale a fixé la TVA due par P pour l’année 2019 sans tenir compte de cette rectification. Dans sa décision, elle a exposé que P avait appliqué un taux de TVA de 20 % sur les recettes provenant des entrées dans l’aire de jeux intérieure et qu’elle avait fait figurer le montant de cette taxe sur ses tickets de caisse. Elle a refusé la rectification a posteriori du taux de TVA aux motifs, d’une part, qu’il n’était pas possible de modifier les
factures ni de transmettre aux clients des notes de crédit correspondant à la différence entre la TVA au taux de 20 % et la TVA au taux réduit et, d’autre part, qu’une telle rectification, alors que les clients de P avaient supporté une TVA au taux de 20 %, entraînerait l’enrichissement sans cause de cette société.

12 P a exercé un recours contre cette décision, en faisant valoir que les prestations avaient été fournies « presque exclusivement » à des particuliers non autorisés à déduire la TVA en amont, de sorte que le risque de perte de recettes fiscales était exclu et qu’une rectification des factures n’était pas nécessaire.

13 Par ordonnance du 21 juin 2021, le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances, Autriche), devant lequel le litige avait été porté, a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle afin de savoir si l’article 203 de la directive TVA était susceptible d’être appliqué dans le cadre de ce litige, alors qu’il n’existait aucun risque de perte de recettes fiscales.

14 Dans son arrêt du 8 décembre 2022, Finanzamt Österreich (TVA facturée par erreur à des consommateurs finals) (C‑378/21, EU:C:2022:968), la Cour a dit pour droit que l’article 203 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’un assujetti, qui a fourni un service et qui a mentionné sur sa facture un montant de TVA calculé sur la base d’un taux erroné, n’est pas redevable, en vertu de cette disposition, de la partie de la TVA facturée à tort s’il n’existe aucun risque de perte de recettes
fiscales au motif que les bénéficiaires de ce service sont exclusivement des consommateurs finals ne bénéficiant pas d’un droit à déduction de la TVA payée en amont.

15 À la suite de cet arrêt, le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances) a, par un jugement du 27 janvier 2023, modifié l’avis de TVA due par P pour l’année 2019.

16 Cette juridiction est partie de la prémisse que ce sont « (presque) exclusivement » des consommateurs finals, ne pouvant faire valoir de droit à la déduction de la TVA en amont, qui ont eu recours aux prestations de P. Toutefois, dans la mesure où il ne pouvait être exclu que des clients aient procédé, à tort ou à raison, à la déduction de la TVA facturée par P, ladite juridiction a considéré qu’il y avait lieu de procéder à une estimation des factures qui étaient susceptibles d’avoir fait naître
une dette de TVA au titre de l’article 203 de la directive TVA. Elle est partie de l’hypothèse qu’il existait un risque de perte de recettes fiscales pour une partie estimée à 0,5 % du chiffre d’affaires total de l’aire de jeux intérieure, soit environ 112 des 22557 factures émises au total par P.

17 L’administration fiscale a introduit un recours en Revision contre le jugement du 27 janvier 2023 devant le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche). Elle fait valoir que ce jugement s’écarte de l’arrêt du 8 décembre 2022, Finanzamt Österreich (TVA facturée par erreur à des consommateurs finals) (C‑378/21, EU:C:2022:968). Elle soutient qu’il ne saurait être déduit de cet arrêt, par lequel la Cour a examiné les questions qui lui étaient soumises à l’aune de la prémisse selon laquelle
le service en cause au principal était exclusivement fourni à des consommateurs finals qui n’avaient pas le droit de déduire la TVA en amont, que la TVA due pouvait être évaluée sur la base d’une répartition par voie d’estimation entre, d’une part, les consommateurs finals et, d’autre part, les assujettis qui ont le droit de déduire la taxe en amont.

18 Selon la juridiction de renvoi, le risque de perte de recettes fiscales n’ayant pas, en l’absence de rectification des factures, été totalement éliminé en temps utile, P pourrait être considérée comme étant entièrement redevable des montants de TVA qui ont été mentionnés sur la totalité des factures.

19 Si, néanmoins, le risque de perte de recettes fiscales devait être apprécié, comme l’a suggéré Mme l’avocate générale dans ses conclusions dans l’affaire Finanzamt Österreich (TVA facturée par erreur à des consommateurs finals) (C‑378/21, EU:C:2022:657), au niveau de chacune des factures erronées, la juridiction de renvoi se pose la question de savoir selon quels critères il conviendrait de déterminer, le cas échéant au moyen d’une estimation, quelles sont parmi ces factures celles pour
lesquelles un tel risque de perte existe.

20 Cette juridiction souligne que, dans ce contexte, la manière dont doit être comprise la notion de « consommateurs finals ne bénéficiant pas d’un droit à déduction de la TVA payée en amont », au sens l’arrêt du 8 décembre 2022, Finanzamt Österreich (TVA facturée par erreur à des consommateurs finals) (C‑378/21, EU:C:2022:968), n’est pas clairement établie.

21 Dans ces conditions, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Faut-il interpréter l’article 203 de la directive [TVA] en ce sens que, en vertu de cette disposition, un assujetti ayant fourni une prestation et mentionné sur sa facture un montant de TVA calculé à un taux erroné n’est pas redevable de la partie de la TVA qui a été facturée à tort lorsque la prestation mentionnée sur la facture concrète a été fournie à un non‑assujetti, même si cet assujetti a fourni d’autres prestations de même nature à d’autres assujettis ?

2) Au sens de l’arrêt [du 8 décembre 2022, Finanzamt Österreich (TVA facturée par erreur à des consommateurs finals) (C‑378/21, EU:C:2022:968),] faut-il entendre par “consommateur final ne bénéficiant pas d’un droit à déduction de la TVA payée en amont” seulement un non‑assujetti ou bien aussi un assujetti qui n’a recours à la prestation concrète qu’à des fins privées (ou à d’autres fins n’ouvrant pas droit à déduction) et qui n’a donc pas le droit de déduire la TVA payée en amont ?

3) En cas de facturation simplifiée en vertu de l’article 238 de la directive [TVA], selon quels critères faut-il examiner (le cas échéant dans le cadre d’une estimation) quelles sont les factures pour lesquelles l’assujetti n’est pas redevable du montant facturé à tort parce qu’il n’y a pas de risque de perte de recettes fiscales ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

22 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 203 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’un assujetti ayant fourni une prestation et mentionné sur sa facture un montant de TVA calculé à un taux erroné est redevable de la partie de la TVA qui a été facturée à tort à une personne non assujettie, même si cet assujetti a également fourni des prestations de même nature à d’autres assujettis.

23 À cet égard, l’article 203 de la directive TVA prévoit que la TVA est due par toute personne qui la mentionne sur une facture. Selon la jurisprudence de la Cour, la TVA mentionnée sur une facture est due par l’émetteur de cette facture, y compris en l’absence de toute opération imposable réelle [arrêt du 8 décembre 2022, Finanzamt Österreich (TVA facturée par erreur à des consommateurs finals), C‑378/21, EU:C:2022:968, point 19 et jurisprudence citée].

24 Il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour que l’article 203 de la directive TVA vise à éliminer le risque de perte de recettes fiscales que peut engendrer le droit à déduction prévu par cette directive. Cet article a dès lors vocation à s’appliquer lorsque la TVA a été facturée à tort et qu’il existe un risque de perte de recettes fiscales du fait que le destinataire de la facture en question est susceptible de faire valoir son droit à déduction d’une telle TVA [arrêt du 8 décembre
2022, Finanzamt Österreich (TVA facturée par erreur à des consommateurs finals), C‑378/21, EU:C:2022:968, points 20 et 21 ainsi que jurisprudence citée].

25 La Cour a également jugé que, dans une situation dans laquelle une partie de la TVA facturée l’a été à tort, l’article 203 de la directive TVA n’a vocation à s’appliquer qu’au montant de la TVA dépassant celui dûment facturé. En effet, dans ce dernier cas, il existe un risque de perte de recettes fiscales, puisqu’un assujetti destinataire d’une telle facture pourrait être amené à exercer son droit à déduction au titre de cette TVA sans que l’administration fiscale compétente soit en mesure de
déterminer si les conditions pour exercer ce droit sont remplies [arrêt du 8 décembre 2022, Finanzamt Österreich (TVA facturée par erreur à des consommateurs finals), C‑378/21, EU:C:2022:968, point 23].

26 Il s’ensuit que l’application de l’article 203 de la directive TVA n’est subordonnée qu’à l’existence d’un risque de perte de recettes fiscales, qui doit être évalué sur la base d’une facture spécifique et qui ne saurait dépendre du fait de savoir si les prestations en cause de l’assujetti concerné ont été fournies non seulement à des personnes non assujetties à la TVA, mais également à d’autres assujettis à cet impôt. Ainsi, aux fins de l’évaluation de l’existence d’un tel risque, il convient de
vérifier si le destinataire de la facture donnée est effectivement assujetti à la TVA et pourrait, par conséquent, faire valoir le droit à une déduction de la taxe payée en amont.

27 Au vu de ces motifs, il convient de répondre à la première question que l’article 203 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’un assujetti ayant fourni une prestation et mentionné sur sa facture un montant de TVA calculé à un taux erroné n’est pas redevable de la partie de la TVA qui a été facturée à tort à une personne non assujettie, même si cet assujetti a également fourni des prestations de même nature à d’autres assujettis.

Sur la deuxième question

28 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive TVA doit être interprétée en ce sens qu’il convient de qualifier de « consommateurs finals ne bénéficiant pas d’un droit à déduction de la TVA payée en amont », au sens de l’arrêt du 8 décembre 2022, Finanzamt Österreich (TVA facturée par erreur à des consommateurs finals) (C‑378/21, EU:C:2022:968), non seulement des personnes non assujetties, mais aussi des assujettis qui, dans une situation donnée, n’ont
pas le droit de déduire la TVA en amont.

29 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que la Cour a jugé, au point 25 de l’arrêt du 8 décembre 2022, Finanzamt Österreich (TVA facturée par erreur à des consommateurs finals) (C‑378/21, EU:C:2022:968), que l’article 203 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’un assujetti, qui a fourni un service et qui a mentionné sur sa facture un montant de TVA calculé sur la base d’un taux erroné, n’est pas redevable, en vertu de cette disposition, de la partie de la TVA facturée à tort s’il
n’existe aucun risque de perte de recettes fiscales au motif que les bénéficiaires de ce service sont exclusivement des consommateurs finals ne bénéficiant pas d’un droit à déduction de la TVA payée en amont.

30 Il ressort, en outre, de la jurisprudence de la Cour que, ainsi qu’il a été rappelé au point 24 du présent arrêt, le risque de perte de recettes fiscales que vise à éliminer l’obligation prévue à l’article 203 de la directive TVA n’est pas, en principe, complètement écarté tant que le destinataire d’une facture mentionnant indûment une TVA est encore susceptible d’utiliser cette facture aux fins de l’exercice de son droit à déduction (voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2013, Stroy trans,
C‑642/11, EU:C:2013:54, points 30 à 32), dès lors qu’il ne saurait être exclu que des circonstances et des relations juridiques complexes fassent obstacle à ce que l’administration fiscale identifie, en temps utile, les motifs qui s’opposeraient à l’exercice de ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2009, Stadeco, C‑566/07, EU:C:2009:380, point 30).

31 Il convient donc d’interpréter la notion de « consommateurs finals ne bénéficiant pas d’un droit à déduction de la TVA payée en amont » de manière stricte et de considérer qu’un tel risque existe lorsque le destinataire d’une facture erronée est un assujetti, et ce même dans le cas où celui-ci a pu avoir recours à la prestation concernée à des fins privées ou à d’autres fins n’ouvrant pas droit à déduction.

32 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la deuxième question que la directive TVA doit être interprétée en ce sens qu’il convient de qualifier de « consommateurs finals ne bénéficiant pas d’un droit à déduction de la TVA payée en amont », au sens de l’arrêt du 8 décembre 2022, Finanzamt Österreich (TVA facturée par erreur à des consommateurs finals) (C‑378/21, EU:C:2022:968), uniquement des personnes non assujetties. Ainsi, des assujettis qui, dans une situation donnée, n’ont pas le
droit de déduire la TVA en amont ne relèvent pas de cette notion.

Sur la troisième question

33 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive TVA doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que, en cas de facturation simplifiée en application de l’article 238 de cette directive, une administration fiscale ou une juridiction nationale puisse recourir à une estimation afin de déterminer la part des factures pour lesquelles un assujetti ayant facturé la TVA à tort est redevable de cette taxe en application de l’article 203 de ladite
directive.

34 Il ressort du dossier dont dispose la Cour que l’affaire au principal concerne une situation dans laquelle le volume des factures émises par l’assujetti concerné est très important, cette émission ayant été effectuée dans le cadre d’un commerce de masse, sans que l’identité des destinataires de ces factures soit connue.

35 Il y a lieu, dès lors, de déterminer la manière dont il convient d’identifier, dans un tel cas de figure, aux fins de la régularisation de la TVA indûment facturée, les factures de faible montant pour lesquelles l’assujetti est redevable de la TVA en vertu de l’article 203 de la directive TVA, lorsque les destinataires des prestations et des factures sont aussi bien des consommateurs finals que des assujettis bénéficiant d’un droit à déduction de la TVA payée en amont.

36 Ainsi qu’il ressort, en substance, du point 33 des conclusions de Mme l’avocate générale, la directive TVA ne régit pas cette question ni celle de la charge de la preuve concernant cette identification. Dès lors, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de prévoir les critères selon lesquels il convient de déterminer les cas dans lesquels un assujetti est redevable d’un montant de TVA facturée à tort. Cette autonomie procédurale des États membres est, cependant, encadrée
par les principes d’équivalence et d’effectivité, c’est-à-dire que les critères susmentionnés ne doivent pas être moins favorables que ceux concernant des réclamations semblables fondées sur des dispositions de droit interne ni aménagés de manière à rendre pratiquement impossible l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2022, HUMDA, C‑397/21, EU:C:2022:790, points 33 et 39).

37 Le principe d’équivalence n’étant pas concerné en l’occurrence, il y a lieu de rappeler, pour ce qui est du principe d’effectivité, que ce dernier exige que les règles nationales relatives notamment à la détermination de la part des factures pour lesquelles l’assujetti concerné, ayant facturé la TVA à tort, est redevable de la TVA ainsi facturée n’aboutissent pas à priver cet assujetti d’une possibilité de régularisation ou de remboursement du montant de TVA payé par erreur, le droit de l’Union
prévoyant une telle obligation à charge des États membres si, notamment, il n’y a pas de risque de perte de recettes fiscales pour l’État membre concerné. Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si tel est le cas en l’occurrence, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire au principal (voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2022, HUMDA, C‑397/21, EU:C:2022:790, points 36 et 40).

38 À cet égard, ainsi que cela a été relevé au point 26 du présent arrêt, l’existence d’un risque de perte de recettes fiscales au sens de l’article 203 de la directive TVA doit être évaluée sur la base de chaque facture spécifique, en vérifiant si le destinataire de celle-ci est effectivement assujetti à la TVA.

39 En outre, il convient de tenir compte, afin de déterminer, parmi les factures mentionnant le montant erroné de la TVA, la part des factures émises pour d’autres assujettis, de toutes les circonstances pertinentes, telles que la nature du service fourni, les modalités de prestation et de facturation de ce service, ainsi que toute information statistique sur les destinataires dudit service dont dispose son prestataire. À cet égard, revêt une importance particulière le fait que, en l’occurrence, les
clients de l’assujetti concerné sont plutôt rarement d’autres assujettis.

40 S’agissant de la possibilité de recourir à une estimation pour identifier la part des factures erronées émises pour d’autres assujettis, il y a lieu de relever que, ainsi que l’a, en substance, indiqué Mme l’avocate générale aux points 42 et 43 de ses conclusions, le droit de l’Union ne s’y oppose pas, en principe, à condition que soient respectés, dans le cadre d’une telle estimation, les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2018,
Fontana, C‑648/16, EU:C:2018:932, points 36 et 37).

41 En ce qui concerne, en premier lieu, le principe de neutralité fiscale, il importe de souligner que le système commun de TVA garantit la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA. Or, l’administration fiscale d’un État membre porterait une atteinte disproportionnée au principe de neutralité de la TVA en laissant à la
charge de l’assujetti la TVA dont il est en droit d’obtenir le remboursement, alors que le système commun de TVA vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques [arrêt du 21 mars 2024, Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Bydgoszczy (Possibilité de correction en cas de taux erroné), C‑606/22, EU:C:2024:255, points 23 et 24].

42 En cas d’établissement de factures erronées mentionnant un montant de TVA trop élevé, ce principe est respecté par la possibilité, que les États membres doivent prévoir, de rectifier toute taxe indûment facturée, dès lors que l’émetteur de la facture a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales (voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 2020, Terracult, C‑835/18, EU:C:2020:520, point 28).

43 S’agissant, en second lieu, du principe de proportionnalité, celui-ci exige, notamment, que les données utilisées afin d’effectuer une estimation du nombre de factures erronées émises pour des assujettis doivent être exactes, fiables et à jour. Une telle estimation peut en outre seulement donner naissance à une présomption réfragable, qui peut être renversée par l’assujetti émetteur de ces factures, sur la base de preuves contraires (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2018, Fontana, C‑648/16,
EU:C:2018:932, point 42).

44 À cet égard, le respect des droits de la défense de l’assujetti implique notamment que, avant que ne soit adoptée une mesure faisant grief à celui-ci, il soit mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments sur lesquels les autorités entendent fonder leur décision, en particulier de contester l’exactitude de l’estimation en cause et d’expliciter les circonstances justifiant cette contestation. Le principe de proportionnalité exige, en outre, que le niveau de
preuve requis à cette fin ne soit pas excessivement élevé (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2018, Fontana, C‑648/16, EU:C:2018:932, points 43 et 44).

45 Au vu des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que la directive TVA doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce que, en cas de facturation simplifiée en application de l’article 238 de cette directive, une administration fiscale ou une juridiction nationale puisse recourir à une estimation afin de déterminer la part des factures pour lesquelles un assujetti ayant facturé la TVA à tort est redevable de cette taxe en application de l’article 203 de
ladite directive, à condition que soit pris en compte, aux fins d’une telle estimation, l’ensemble des circonstances pertinentes et que l’assujetti ait la possibilité, dans le respect des principes de neutralité fiscale et de proportionnalité ainsi que des droits de la défense, de remettre en cause les résultats obtenus par cette méthode.

Sur les dépens

46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 203 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive (UE) 2018/1695 du Conseil, du 6 novembre 2018,

doit être interprété en ce sens que :

un assujetti ayant fourni une prestation et mentionné sur sa facture un montant de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) calculé à un taux erroné n’est pas redevable de la partie de la TVA qui a été facturée à tort à une personne non assujettie, même si cet assujetti a également fourni des prestations de même nature à d’autres assujettis.

  2) La directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2018/1695,

doit être interprétée en ce sens que :

il convient de qualifier de « consommateurs finals ne bénéficiant pas d’un droit à déduction de la [taxe sur la valeur ajoutée (TVA)] payée en amont », au sens de l’arrêt du 8 décembre 2022, Finanzamt Österreich (TVA facturée par erreur à des consommateurs finals) (C‑378/21, EU:C:2022:968), uniquement des personnes non assujetties. Ainsi, des assujettis qui, dans une situation donnée, n’ont pas le droit de déduire la TVA en amont ne relèvent pas de cette notion.

  3) La directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2018/1695,

doit être interprétée en ce sens que :

elle ne s’oppose pas à ce que, en cas de facturation simplifiée en application de l’article 238 de la directive 2006/112, telle que modifiée, une administration fiscale ou une juridiction nationale puisse recourir à une estimation afin de déterminer la part des factures pour lesquelles un assujetti ayant facturé la taxe sur la valeur ajoutée à tort est redevable de cette taxe en application de l’article 203 de la directive 2006/112, telle que modifiée, à condition que soit pris en compte, aux
fins d’une telle estimation, l’ensemble des circonstances pertinentes et que l’assujetti ait la possibilité, dans le respect des principes de neutralité fiscale et de proportionnalité ainsi que des droits de la défense, de remettre en cause les résultats obtenus par cette méthode.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Neuvième chambre
Numéro d'arrêt : C-794/23
Date de la décision : 01/08/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Verwaltungsgerichtshof.

Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 203 – Mention d’un montant de TVA erroné sur la facture – Article 238 – Facturation simplifiée – Prestations facturées à des personnes non assujetties et à des assujettis ne bénéficiant pas d’un droit à déduction de la TVA – Obligation de payer la partie de la TVA facturée à tort – Absence de risque de perte de recettes fiscales.


Parties
Demandeurs : Finanzamt Österreich
Défendeurs : P GmbH.

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott
Rapporteur ?: Jarukaitis

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:622

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