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01/08/2025 | CJUE | N°C-758/24

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, LC et CP contre Commissione Territoriale per il riconoscimento della Protezione Internazionale di Roma – sezione procedure alla frontiera II., 01/08/2025, C-758/24


 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

1er août 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique d’asile – Directive 2013/32/UE – Procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Articles 36 et 37 – Notion de “pays d’origine sûr” – Désignation au moyen d’un acte législatif – Annexe I – Critères – Article 46 – Droit à un recours effectif – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne –Examen, par le juge, de la désignation par un État membre d’un pays

tiers comme pays d’origine sûr – Publicité des sources
d’information sur lesquelles cette décision est fondée »

Dans les affair...

 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

1er août 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique d’asile – Directive 2013/32/UE – Procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Articles 36 et 37 – Notion de “pays d’origine sûr” – Désignation au moyen d’un acte législatif – Annexe I – Critères – Article 46 – Droit à un recours effectif – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne –Examen, par le juge, de la désignation par un État membre d’un pays tiers comme pays d’origine sûr – Publicité des sources
d’information sur lesquelles cette décision est fondée »

Dans les affaires jointes C‑758/24 [Alace] i et C‑759/24 [Canpelli] ( i ),

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Tribunale ordinario di Roma (tribunal ordinaire de Rome, Italie), par décisions des 31 octobre 2024 et 4 novembre 2024, parvenues à la Cour respectivement le 4 novembre 2024 et le 5 novembre 2024, dans les procédures

LC (C‑758/24),

CP (C‑759/24)

contre

Commissione territoriale per il riconoscimento della protezione internazionale di Roma – sezione procedure alla frontiera II,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. T. von Danwitz, vice‑président, Mme K. Jürimäe (rapporteure), M. I. Jarukaitis, Mme M. L. Arastey Sahún, MM. A. Kumin, N. Jääskinen, D. Gratsias et M. Gavalec, présidents de chambre, Mme I. Ziemele, MM. J. Passer, Z. Csehi, Mme O. Spineanu‑Matei, MM. B. Smulders et M. Condinanzi, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. C. Di Bella, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 février 2025,

considérant les observations présentées :

– pour LC, par Me S. Angilletta, avvocata,

– pour CP, par Mes D. Belluccio et S. Greco, avvocati,

– pour le gouvernement italien, par M. S. Fiorentino, en qualité d’agent, assisté de MM. L. D’Ascia, E. Feola et Mme I. Massarelli, avvocati dello Stato,

– pour le gouvernement bulgare, par Mmes S. O. Ruseva et T. S. Tsingileva, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement tchèque, par Mme A. Edelmannová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement hellénique, par Mme T. Papadopoulou, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement français, par Mmes B. Dourthe, O. Duprat‑Mazaré et M. B. Fodda, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement chypriote, par Mmes I. Neophytou et E. Symeonidou, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement letton, par Mme J. Davidoviča et M. S. Zellis, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement lituanien, par M. K. Dieninis, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme R. Kissné Berta, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement maltais, par Mme A. Buhagiar, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et A. Hanje, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, Mme J. Schmoll et M. P. Thalmann, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme D. Lutostańska, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement slovaque, par Mme E. V. Larišová, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement finlandais, par Mmes H. Leppo et M. Pere, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement suédois, par Mme F.‑L. Göransson et M. J. Olsson, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mmes A. Azéma, M. Debieuvre et F. Tomat, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 avril 2025,

rend le présent

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 36 à 38 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60), lus en combinaison avec les considérants 42, 46 et 48 ainsi qu’avec l’annexe I de cette directive et à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la
« Charte ») et des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).

2 Ces demandes ont été formulées dans le cadre de litiges opposant respectivement LC et CP, des ressortissants de la République populaire du Bangladesh, à la Commissione territoriale per il riconoscimento della protezione internazionale di Roma – sezione procedure alla frontiera II (commission territoriale pour la reconnaissance de la protection internationale de Rome – section des procédures à la frontière II, Italie) au sujet de la légalité des décisions par lesquelles cette dernière a rejeté, au
terme de procédures accélérées à la frontière, les demandes de protection internationale de LC et de CP comme étant manifestement infondées.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2013/32

3 Les considérants 18, 20, 40, 42, 46 et 48 de la directive 2013/32 énoncent :

« (18) Il est dans l’intérêt à la fois des États membres et des demandeurs d’une protection internationale que les demandes de protection internationale fassent l’objet d’une décision aussi rapide que possible, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif.

[...]

(20) Dans des circonstances bien définies, lorsqu’une demande est susceptible d’être infondée ou s’il existe des préoccupations graves liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public, les États membres devraient pouvoir accélérer la procédure d’examen, notamment en instaurant des délais plus courts, mais raisonnables, pour certaines étapes de la procédure, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif et de l’accès effectif du demandeur aux garanties et principes
fondamentaux prévus par la présente directive.

[...]

(40) Un aspect essentiel pour l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale est la sécurité du demandeur dans son pays d’origine. Lorsqu’un pays tiers peut être considéré comme un pays d’origine sûr, les États membres devraient pouvoir le désigner comme tel et présumer qu’un demandeur donné y est en sécurité, sauf si celui-ci présente des éléments indiquant le contraire.

[...]

(42) Le fait qu’un pays tiers soit désigné comme pays d’origine sûr aux fins de la présente directive ne saurait donner aux ressortissants de ce pays une garantie absolue de sécurité. De par sa nature, l’évaluation aboutissant à cette désignation ne peut prendre en compte que la situation générale du pays aux plans civil, juridique et politique, ainsi que la question de savoir si les personnes qui commettent des actes de persécution ou de torture ou infligent des traitements ou des peines
inhumains ou dégradants font effectivement l’objet de sanctions lorsqu’elles sont jugées responsables de ces faits dans ce pays. Pour cette raison, il importe que, lorsqu’un demandeur fait valoir des motifs valables portant à croire que le pays concerné n’est pas sûr dans son cas particulier, la désignation de ce pays comme pays sûr ne puisse plus être considérée comme étant pertinente à son égard.

[...]

(46) Lorsque les États membres appliquent les concepts de pays tiers sûr au cas par cas ou désignent des pays comme sûrs en adoptant des listes à cet effet, ils devraient tenir compte, entre autres, des lignes directrices et manuels opérationnels, et des informations sur les pays d’origine et des activités, y compris de la méthodologie du [Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA)] concernant la présentation de rapports d’information sur les pays d’origine, visées dans le règlement (UE)
no 439/2010 du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 portant création d’un Bureau européen d’appui en matière d’asile [(JO 2010, L 132, p. 11)], ainsi que des orientations pertinentes du [Haut‑Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR)].

[...]

(48) Afin d’assurer l’application correcte des concepts de pays sûr sur la base d’informations actualisées, les États membres devraient procéder à l’examen régulier de la situation dans ces pays, en se fondant sur toute une série de sources d’informations, y compris notamment des informations communiquées par les autres États membres, le BEAA, le HCR, le Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales concernées. Lorsque les États membres prennent connaissance de changements
importants dans la situation des droits de l’homme d’un pays qu’ils ont désigné comme sûr, ils devraient veiller à ce que cette situation soit examinée le plus rapidement possible et, le cas échéant, reconsidérer la désignation de ce pays comme sûr. »

4 L’article 10 de cette directive, intitulé « Conditions auxquelles est soumis l’examen des demandes », prévoit, à son paragraphe 3, sous b), et à son paragraphe 4 :

« 3.   Les États membres font en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises par l’autorité responsable de la détermination à l’issue d’un examen approprié. À cet effet, les États membres veillent à ce que :

[...]

b) des informations précises et actualisées soient obtenues auprès de différentes sources, telles que le BEAA et le HCR ainsi que les organisations internationales compétentes en matière de droits de l’homme, sur la situation générale existant dans les pays d’origine des demandeurs et, le cas échéant, dans les pays par lesquels les demandeurs ont transité, et à ce que le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait accès à ces informations ;

[...]

4.   Les autorités visées au chapitre V ont accès, par le biais de l’autorité responsable de la détermination, du demandeur ou autrement, aux informations générales visées au paragraphe 3, point b), nécessaires à l’accomplissement de leur mission. »

5 Sous l’intitulé « Garanties accordées aux demandeurs », l’article 12 de ladite directive énonce, à son paragraphe 1, sous d) :

« En ce qui concerne les procédures prévues au chapitre III, les États membres veillent à ce que tous les demandeurs bénéficient des garanties suivantes :

[...]

d) ils ont accès et, le cas échéant, leurs conseils juridiques ou autres conseillers ont accès, conformément à l’article 23, paragraphe 1, aux informations visées à l’article 10, paragraphe 3, point b), et aux informations communiquées par les experts visées à l’article 10, paragraphe 3, point d), lorsque l’autorité responsable de la détermination a tenu compte de ces informations pour prendre une décision relative à leur demande ;

[...] »

6 L’article 24 de la même directive, intitulé « Demandeurs nécessitant des garanties procédurales spéciales », concerne le soutien devant être accordé à de tels demandeurs tout au long de la procédure d’asile.

7 L’article 31 de la directive 2013/32, intitulé « Procédure d’examen », dispose, à son paragraphe 8, sous b) :

« Les États membres peuvent décider, dans le respect des principes de base et des garanties fondamentales visés au chapitre II, d’accélérer une procédure d’examen et/ou de mener cette procédure à la frontière ou dans les zones de transit conformément à l’article 43 lorsque :

[...]

b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de la présente directive [...] »

8 L’article 32 de cette directive, intitulé « Demandes infondées », prévoit :

« 1.   Sans préjudice de l’article 27, les États membres ne peuvent considérer une demande comme infondée que si l’autorité responsable de la détermination a établi que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir
bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9)].

2.   En cas de demande infondée correspondant à l’une des situations, quelle qu’elle soit, énumérées à l’article 31, paragraphe 8, les États membres peuvent également considérer une demande comme manifestement infondée, si elle est définie comme telle dans la législation nationale. »

9 Aux termes de l’article 36 de la directive 2013/32, intitulé « Le concept de pays d’origine sûr » :

« 1.   Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément à la présente directive ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne, que si :

a) ce dernier est ressortissant dudit pays ; ou

b) l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle,

et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95].

2.   Les États membres prévoient dans leur droit national des règles et modalités supplémentaires aux fins de l’application de la notion de pays d’origine sûr. »

10 Sous l’intitulé « Désignation par un État membre de pays tiers comme pays d’origine sûrs », l’article 37 de la directive 2013/32 prévoit :

« 1.   Les États membres peuvent maintenir ou adopter des dispositions législatives qui leur permettent, conformément à l’annexe I, de désigner des pays d’origine sûrs, au niveau national, aux fins de l’examen des demandes de protection internationale.

2.   Les États membres examinent régulièrement la situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent article.

3.   Lorsqu’ils déterminent si un pays est un pays d’origine sûr conformément au présent article, les États membres s’appuient sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres États membres, du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes.

4.   Les États membres notifient à la Commission les pays désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent article. »

11 L’article 38 de cette directive porte sur le concept de pays tiers sûr.

12 L’article 43 de ladite directive, intitulé « Procédures à la frontière », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres peuvent prévoir des procédures conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales visés au chapitre II afin de se prononcer, à leur frontière ou dans leurs zones de transit, sur :

[...]

b) le fond d’une demande dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 31, paragraphe 8. »

13 L’article 46 de la même directive, intitulé « Droit à un recours effectif », dispose :

« 1.   Les États membres font en sorte que les demandeurs disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction contre les actes suivants :

a) une décision concernant leur demande de protection internationale, y compris :

i) les décisions considérant comme infondée une demande quant au statut de réfugié et/ou au statut conféré par la protection subsidiaire ;

[...]

3.   Pour se conformer au paragraphe 1, les États membres veillent à ce qu’un recours effectif prévoie un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive [2011/95], au moins dans le cadre des procédures de recours devant une juridiction de première instance.

[...]

5.   Sans préjudice du paragraphe 6, les États membres autorisent les demandeurs à rester sur leur territoire jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’exercice de leur droit à un recours effectif et, si ce droit a été exercé dans le délai prévu, dans l’attente de l’issue du recours.

6.   En cas de décision :

a) considérant une demande comme manifestement infondée conformément à l’article 32, paragraphe 2, ou infondée après examen conformément à l’article 31, paragraphe 8, à l’exception des cas où les décisions sont fondées sur les circonstances visées à l’article 31, paragraphe 8, point h) ;

[...]

une juridiction est compétente pour décider si le demandeur peut rester sur le territoire de l’État membre, soit à la demande du demandeur ou de sa propre initiative, si cette décision a pour conséquence de mettre un terme au droit du demandeur de rester dans l’État membre et lorsque, dans ces cas, le droit de rester dans l’État membre dans l’attente de l’issue du recours n’est pas prévu par le droit national.

[...] »

14 L’annexe I de la directive 2013/32, intitulée « Désignation comme pays d’origine sûr aux fins de l’article 37, paragraphe 1 », se lit comme suit :

« Un pays est considéré comme un pays d’origine sûr lorsque, sur la base de la situation légale, de l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et des circonstances politiques générales, il peut être démontré que, d’une manière générale et uniformément, il n’y est jamais recouru à la persécution telle que définie à l’article 9 de la directive [2011/95] ni à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu’il n’y a pas de menace en raison d’une violence
aveugle dans des situations de conflit armé international ou interne.

Pour réaliser cette évaluation, il est tenu compte, entre autres, de la mesure dans laquelle le pays offre une protection contre la persécution et les mauvais traitements, grâce aux éléments suivants :

a) les dispositions législatives et réglementaires adoptées en la matière et la manière dont elles sont appliquées ;

b) la manière dont sont respectés les droits et libertés définis dans la [CEDH] et/ou dans le pacte international relatif aux droits civils et politiques[, adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations unies et entré en vigueur le 23 mars 1976,] et/ou la convention des Nations unies contre la torture [et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 1465, p. 85, no 24841 (1987)]], en particulier les
droits pour lesquels aucune dérogation ne peut être autorisée conformément à l’article 15, paragraphe 2, de [la CEDH] ;

c) la manière dont est respecté le principe de non-refoulement conformément à la convention [relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)], entrée en vigueur le 22 avril 1954 et complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967 et entré en vigueur le 4 octobre 1967 (ci-après la “convention de Genève”)] ;

d) le fait qu’il dispose d’un système de sanctions efficaces contre les violations de ces droits et libertés. »

Le règlement (UE) 2024/1348

15 L’article 61 du règlement (UE) 2024/1348 du Parlement européen et du Conseil, du 14 mai 2024, instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union et abrogeant la directive 2013/32/UE (JO L, 2024/1348), intitulé « Concept de pays d’origine sûr », dispose, à son paragraphe 2 :

« La désignation d’un pays tiers comme pays d’origine sûr tant au niveau de l’Union [européenne] qu’au niveau national peut prévoir des exceptions pour des parties spécifiques de son territoire ou des catégories de personnes clairement identifiables. »

16 L’article 78 de ce règlement, intitulé « Abrogation », énonce, à son paragraphe 1 :

« La directive [2013/32] est abrogée avec effet à la date visée à l’article 79, paragraphe 2, sans préjudice de l’article 79, paragraphe 3. »

17 L’article 79 dudit règlement, intitulé « Entrée en vigueur et application », prévoit, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2.   Le présent règlement s’applique à partir du 12 juin 2026.

3.   Le présent règlement s’applique à la procédure d’octroi d’une protection internationale en ce qui concerne les demandes introduites à partir du 12 juin 2026. Les demandes de protection internationale introduites avant cette date sont régies par la directive [2013/32]. Le présent règlement s’applique à la procédure de retrait d’une protection internationale lorsque l’examen en vue de retirer une protection internationale est engagé à partir du 12 juin 2026. Lorsque l’examen en vue de retirer
une protection internationale a été engagé avant le 12 juin 2026, la procédure de retrait de la protection internationale est régie par la directive [2013/32]. »

Le droit italien

18 Aux termes du préambule du decreto-legge n. 158 – Disposizioni urgenti in materia di procedure per il riconoscimento della protezione internazionale (décret-loi no 158, portant dispositions urgentes en matière d’octroi de la protection internationale), du 23 octobre 2024 (GURI no 249, du 23 octobre 2024 ; ci-après le « décret-loi no 158/2024 ») :

« [...]

[considérant] l’extraordinaire nécessité et l’urgence de désigner les pays d’origine sûrs, en tenant compte de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 4 octobre 2024[, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky (C‑406/22, EU:C:2024:841)], en excluant les pays qui ne remplissent pas les conditions de cette désignation pour certaines parties de leur territoire (le Cameroun, la Colombie et le Nigéria) ;

[considérant] le règlement [2024/1348] et en particulier l’article 61, paragraphe 2, de celui-ci, selon lequel “La désignation d’un pays tiers comme pays d’origine sûr tant au niveau de l’Union qu’au niveau national peut prévoir des exceptions pour des parties spécifiques de son territoire ou des catégories de personnes clairement identifiables” qui, tout en trouvant à s’appliquer à partir du 12 juin 2026, a consacré la position partagée par les États membres de l’Union européenne ;

[...] »

19 Le décret-loi no 158/2024 a modifié notamment l’article 2 bis du decreto legislativo n. 25 – Attuazione della direttiva 2005/85/CE recante norme minime per le procedure applicate negli Stati membri ai fini del riconoscimento e della revoca dello status di rifugiato (décret législatif no 25, portant mise en œuvre de la directive 2005/85/CE relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres), du 28 janvier 2008 (GURI no 40, du
16 février 2008 ; ci-après le « décret législatif no 25/2008 »). À la suite de cette modification, l’article 2 bis, paragraphes 1 à 4 bis, du décret législatif no 25/2008 dispose :

« 1.   En application des critères de qualification établis par la législation européenne et des données tirées des sources d’information fournies par les organisations internationales compétentes, sont considérés comme pays d’origine sûrs les pays suivants : l’Albanie, l’Algérie, le Bangladesh, la Bosnie‑Herzégovine, le Cap‑Vert, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, la Gambie, la Géorgie, le Ghana, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Maroc, le Monténégro, le Pérou, le Sénégal, la Serbie, le Sri Lanka et
la Tunisie.

2.   Un État n’appartenant pas à l’Union européenne peut être considéré comme un pays d’origine sûr si, sur la base de son système juridique, de l’application de la loi dans le cadre d’un système démocratique et de la situation politique générale, il peut être démontré que, de manière générale et constante, il n’y a pas d’actes de persécution [...] ni de torture ou d’autres formes de peines ou de traitements inhumains ou dégradants, ni de danger dû à une violence aveugle dans des situations de
conflit armé interne ou international. La désignation d’un pays d’origine sûr peut être faite à l’exception de catégories de personnes.

3.   Aux fins de l’évaluation visée au paragraphe 2, il est tenu compte, entre autres, de la mesure dans laquelle une protection est offerte contre les persécutions et les mauvais traitements par :

a) les dispositions législatives et réglementaires adoptées par le pays et la manière dont elles sont appliquées ;

b) le respect des droits et libertés énoncés dans la [CEDH], dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques [...] et dans la Convention des Nations unies contre la torture, du 10 décembre 1984, en particulier les droits auxquels il ne peut être dérogé en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la [CEDH] ;

c) le respect du principe de l’article 33 de la [c]onvention de Genève ;

d) le fait qu’il dispose d’un système de sanctions efficaces contre les violations de ces droits et libertés.

4.   L’évaluation visant à déterminer si un État non membre de [l’Union européenne] est un pays d’origine sûr se fonde sur les informations fournies par la commission nationale pour l’asile, qui utilise également les informations compilées par le centre de documentation [...] ainsi que d’autres sources d’information, notamment les informations fournies par d’autres États membres de l’Union européenne, l’Agence de l’Union européenne pour l’asile [(AUEA)], le [HCR], le Conseil de l’Europe et
d’autres organisations internationales compétentes.

4 bis.   La liste des pays d’origine sûrs est mise à jour périodiquement par un acte de rang législatif et est notifiée à la Commission européenne. Aux fins de la mise à jour de la liste figurant au paragraphe 1, le conseil des ministres adopte, pour le 15 janvier de chaque année, un rapport indiquant, dans le respect des besoins prépondérants de sécurité et de continuité des relations internationales et compte tenu des informations visées au paragraphe 4, la situation des pays figurant sur la
liste en vigueur et celle des pays dont il entend promouvoir l’inscription. Le gouvernement transmet le rapport aux commissions parlementaires compétentes. »

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

20 LC et CP sont deux ressortissants de la République populaire du Bangladesh. Après avoir été secourus en mer par les autorités italiennes, ils ont été conduits en Albanie, où ils ont été placés dans le centre de rétention de Gjadër. Ces mesures ont été prises en application du protocollo tra il Governo della Repubblica italiana e il Consiglio dei ministri della Repubblica di Albania per il rafforzamento della collaborazione in materia migratoria (protocole conclu entre le gouvernement de la
République italienne et le Conseil des ministres de la République d’Albanie concernant le renforcement de la collaboration en matière de migration), en vertu duquel le gouvernement albanais a mis à la disposition de la République italienne deux zones du territoire albanais, qui relèvent intégralement de la compétence des autorités italiennes et qui sont assimilées aux zones frontalières ou de transit dans lesquelles des demandeurs d’asile peuvent être placés en rétention.

21 Le 16 octobre 2024, LC et CP ont déposé, chacun, une demande de protection internationale auprès des autorités italiennes depuis ce centre de rétention.

22 Par décisions du 17 octobre 2024, la commission territoriale pour la reconnaissance de la protection internationale de Rome – section des procédures à la frontière II a rejeté ces demandes dans le cadre d’une procédure accélérée à la frontière, au motif que LC et CP venaient d’un pays d’origine sûr. Les décisions de placement en rétention n’ont pas été validées par la juridiction compétente et les demandeurs ont donc été remis en liberté.

23 Arrivés en Italie, LC et CP ont saisi, le 25 octobre 2024, le Tribunale ordinario di Roma (tribunal ordinaire de Rome, Italie), qui est la juridiction de renvoi, de recours contre les décisions rejetant leurs demandes de protection internationale visées au point précédent.

24 Cette juridiction nourrit des doutes quant à la désignation de la République populaire du Bangladesh comme pays d’origine sûr.

25 En premier lieu, la juridiction de renvoi fait observer que, jusqu’à l’adoption du décret-loi no 158/2024, la désignation d’un pays tiers comme pays d’origine sûr s’opérait en deux temps. Dans un premier temps, le législateur italien définissait, par une loi ordinaire, le cadre juridique de telles désignations. Dans un second temps, l’administration italienne désignait, par voie de décret interministériel, les pays d’origine sûrs sur la base des fiches d’information relatives à ces pays. Le juge
italien était habilité à contrôler la compatibilité de tels décrets interministériels avec ce cadre juridique. Toutefois, à la suite de l’entrée en vigueur de ce décret-loi, la liste des pays d’origine sûrs figurerait désormais dans un acte de rang législatif, à savoir à l’article 2 bis, paragraphe 1, du décret législatif no 25/2008, tel que modifié par le décret-loi no 158/2024. Le législateur italien serait ainsi habilité, dorénavant, tant à établir le cadre légal général régissant les
modalités et les critères de désignation d’un pays tiers comme pays d’origine sûr qu’à procéder lui-même à cette désignation. La juridiction de renvoi se demande si une telle désignation par un acte de rang législatif est conforme aux prescriptions de la directive 2013/32.

26 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi souligne que, à la suite de la modification de l’article 2 bis du décret législatif no 25/2008 par le décret-loi no 158/2024, la réglementation italienne ne comporte plus de référence aux fiches d’information sur les pays tiers en question en vue de leur inscription sur la liste des pays d’origine sûrs ni ne mentionne la nécessité de citer les sources dont sont tirées ces informations. En particulier, les paragraphes 2 à 4 de l’article 2 bis du décret
législatif no 25/2008, tel que modifié par le décret-loi no 158/2024, ne seraient nullement mentionnés au paragraphe 1 de cet article, tel que modifié. Celui-ci établirait la liste des pays d’origine sûrs en faisant référence, de manière générale, aux « données tirées des sources d’information fournies par les organisations internationales compétentes », sans identifier ces données ou ces sources. En outre, le nouveau paragraphe 4 bis dudit article se limiterait à prévoir que, aux fins de la mise
à jour périodique de cette liste, le gouvernement adopte un rapport exposant la situation des pays tiers en cause. En conséquence, les demandeurs de protection internationale, d’une part, et les juridictions saisies de recours introduits par ces derniers, d’autre part, seraient empêchés, respectivement, de contester et de contrôler l’origine, l’autorité, la fiabilité, la pertinence, l’actualité, le caractère complet et le contenu des informations ayant conduit à la désignation d’un pays tiers
comme pays d’origine sûr, en méconnaissance du principe de protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47 de la Charte.

27 En troisième lieu, la juridiction de renvoi se demande si les États membres doivent permettre aux juges nationaux d’utiliser toutes les informations pertinentes à leur disposition afin de vérifier le bien-fondé de la désignation d’un pays tiers comme pays d’origine sûr, indépendamment du point de savoir si l’autorité nationale ayant procédé à cette désignation a, ou non, révélé les informations sur lesquelles elle s’est fondée. Cette juridiction estime qu’il doit être répondu par l’affirmative à
cette question, et cela afin d’assurer une protection juridictionnelle effective aux demandeurs de protection internationale dont les demandes ont été rejetées à l’occasion d’une procédure accélérée au motif qu’ils proviennent d’un tel pays d’origine sûr.

28 En quatrième lieu, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur les conséquences qu’il convient de tirer de l’arrêt du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky (C‑406/22, EU:C:2024:841). Elle expose à ce titre qu’il résulte du préambule du décret-loi no 158/2024 que, par l’adoption de celui-ci, le gouvernement italien a entendu se conformer à cet arrêt, en supprimant, à l’article 2 bis, paragraphe 2, seconde phrase, du décret législatif
no 25/2008, la possibilité de désigner comme pays d’origine sûr un pays tiers qui ne remplit pas, pour certaines parties de son territoire, les conditions d’une telle désignation. Toutefois, ce gouvernement aurait conservé, à cette disposition, la possibilité de désigner comme pays d’origine sûr un pays tiers à l’exception de certaines catégories de personnes. Or, cette juridiction estime que cette dernière possibilité doit être écartée sur la base d’un raisonnement analogue à celui retenu par la
Cour dans ledit arrêt. Une exclusion de catégories de personnes concernant, le plus souvent, l’ensemble du territoire d’un pays tiers, elle serait même plus grave que l’exclusion territoriale examinée dans le même arrêt. Dans ces conditions, ladite juridiction estime nécessaire d’interroger la Cour à cet égard, avant de tirer, le cas échéant, les conséquences du principe de primauté du droit de l’Union.

29 C’est dans ces conditions que le Tribunale ordinario di Roma (tribunal ordinaire de Rome) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, formulées de manière identique dans les deux affaires :

« 1) Le droit de l’Union, et en particulier les articles [36 à 38] de la directive [2013/32], lus également en combinaison avec les considérants 42, 46 et 48 de cette directive, et interprétés à la lumière de l’article 47 de la [Charte] (et des articles 6 et 13 de la [CEDH]), s’opposent-ils à ce qu’un législateur national, compétent pour permettre l’établissement de listes de pays d’origine sûrs et pour définir, à cette fin, les critères à respecter ainsi que les sources à utiliser, procède
également directement, par un acte législatif primaire, à la désignation d’un État tiers comme pays d’origine sûr ?

2) En tout état de cause, le droit de l’Union, et en particulier les articles [36 à 38] de la directive 2013/32, lus également en combinaison avec les considérants 42, 46 et 48 de cette directive, et interprétés à la lumière de l’article 47 de la [Charte] (et des articles 6 et 13 de la [CEDH]), s’opposent-ils à tout le moins à ce que le législateur désigne un État tiers comme pays d’origine sûr sans veiller à ce que les sources utilisées pour justifier cette désignation soient accessibles et
vérifiables, de sorte que la provenance, l’autorité, la fiabilité, la pertinence, l’actualité, l’exhaustivité, et, de manière générale, le contenu de ces sources ne peuvent être contestés par le demandeur d’asile ni examinés par le juge, lesquels ne sont pas non plus en mesure d’en tirer leurs propres conclusions quant à la réunion des conditions matérielles d’une telle désignation, énoncées à l’annexe I de [ladite] directive ?

3) Le droit de l’Union, et en particulier les articles [36 à 38] de la directive 2013/32, lus également en combinaison avec les considérants 42, 46 et 48 de cette directive, et interprétés à la lumière de l’article 47 de la [Charte] (et des articles 6 et 13 de la [CEDH]), doivent-ils être interprétés en ce sens que, au cours d’une procédure accélérée à la frontière [concernant des personnes provenant] d’un pays d’origine désigné comme sûr, le juge peut en tout état de cause utiliser, en les
recueillant lui-même à partir des sources visées à l’article 37, paragraphe 3, de [ladite] directive, des informations sur le pays de provenance lui permettant de vérifier que les conditions matérielles d’une telle désignation, énoncées à l’annexe I de [la même] directive, sont réunies ?

4) Le droit de l’Union, et en particulier les articles [36 à 38] de la directive 2013/32, ainsi que son annexe I, lus également en combinaison avec les considérants 42, 46 et 48 de cette directive, et interprétés à la lumière de l’article 47 de la [Charte] (et des articles 6 et 13 de la [CEDH]), s’opposent-ils à ce qu’un pays tiers soit défini comme un pays “d’origine sûr” lorsqu’il existe, dans ce pays, des catégories de personnes pour lesquelles ledit pays ne satisfait pas aux conditions
matérielles d’une telle désignation, énoncées à l’annexe I de [ladite] directive ? »

La procédure devant la Cour

30 La juridiction de renvoi a demandé que les affaires soient soumises à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

31 Le 19 novembre 2024, la deuxième chambre de la Cour a décidé, sur proposition de la juge rapporteure, l’avocat général entendu, de ne pas faire droit à cette demande.

32 Par décision du président de la Cour du 21 novembre 2024, les présentes affaires ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

33 Par ordonnance du président de la Cour du 29 novembre 2024, les présentes affaires ont été soumises à la procédure accélérée prévue à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure.

34 Conformément à l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la République italienne a demandé que les présentes affaires soient jugées en grande chambre, ce dont la Cour a pris acte le 11 février 2025.

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

35 Les gouvernements italien et slovaque contestent la recevabilité des premières, deuxièmes et quatrièmes questions.

36 S’agissant des premières et deuxièmes questions, le gouvernement italien allègue que la juridiction de renvoi a omis d’indiquer les raisons pour lesquelles le décret-loi no 158/2024 serait incompatible avec le droit de l’Union et celles pour lesquelles ces questions seraient pertinentes pour la solution des litiges au principal. Ce gouvernement ajoute que, en l’occurrence, les modalités de désignation des pays d’origine sûrs sont dépourvues d’une telle pertinence car la République populaire du
Bangladesh avait déjà été désignée comme pays d’origine sûr avant même l’adoption de ce décret-loi.

37 S’agissant des quatrièmes questions, les gouvernements italien et slovaque soutiennent qu’elles sont abstraites et hypothétiques. En effet, la juridiction de renvoi aurait omis de vérifier si la République populaire du Bangladesh n’est pas un pays d’origine sûr pour certaines catégories de personnes et si LC et CP relèvent de ces catégories.

38 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de
manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 19 décembre 2024, Tudmur, C‑185/24 et C‑189/24, EU:C:2024:1036, point 26 ainsi que jurisprudence citée).

39 En l’occurrence, il ressort des demandes de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi est saisie de recours introduits par deux ressortissants de la République populaire du Bangladesh contre des décisions rejetant leurs demandes de protection internationale comme étant manifestement infondées au motif qu’ils proviennent d’un pays d’origine sûr. Cette juridiction explique, dans ces demandes, qu’elle nourrit des doutes sur la compatibilité, avec le droit de l’Union, de la désignation de
ce pays tiers comme pays d’origine sûr, en substance, aux motifs que cette désignation découle d’un acte législatif, que le législateur italien n’a pas divulgué ses sources d’information et que ce législateur a maintenu la faculté de procéder à ladite désignation, bien que ce pays tiers soit susceptible de ne pas être « sûr » pour certaines catégories de sa population. À cet égard, ladite juridiction se réfère à la fiche d’information du 3 mai 2024 établie par le ministère des affaires étrangères
italien et relative à la République populaire du Bangladesh, sur laquelle était fondée la désignation de cette dernière comme pays d’origine sûr avant l’adoption du décret-loi no 158/2024, et qui avait conclu que ce pays tiers ne pouvait être considéré comme un pays d’origine sûr qu’à l’exception de certaines catégories de personnes.

40 C’est dans ce contexte que, par ses premières, deuxièmes et quatrièmes questions, la même juridiction interroge la Cour, en substance, sur l’interprétation de plusieurs dispositions de la directive 2013/32, régissant le concept de pays d’origine sûr et la désignation de tels pays par les États membres, ainsi que sur les modalités du contrôle juridictionnel d’une telle désignation.

41 Ces questions portent donc effectivement sur l’interprétation de normes du droit de l’Union pertinentes pour la résolution des litiges au principal. La juridiction de renvoi établissant le cadre juridique national et le cadre factuel des litiges au principal sous sa propre responsabilité, il n’appartient pas à la Cour de vérifier les prémisses sur lesquelles lesdites questions sont fondées.

42 En outre, il découle des demandes de décision préjudicielle que, par ses questions, la juridiction de renvoi cherche, en définitive, à déterminer si la désignation, en tant que telle, de la République populaire du Bangladesh comme pays d’origine sûr est compatible avec le droit de l’Union, afin, le cas échéant, d’écarter la présomption de sûreté qui se dégage de l’application du concept de pays d’origine sûr dans les litiges au principal. Partant, la circonstance qu’il n’est pas établi que LC et
CP relèvent d’une des catégories de personnes pour lesquelles, de l’avis de cette juridiction, ce pays ne constitue pas un pays d’origine sûr, est dépourvue d’incidence sur la recevabilité de ces questions.

43 Il s’ensuit que les premières, deuxièmes et quatrièmes questions sont recevables.

Sur le fond

Observations liminaires

44 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En outre, la Cour peut être amenée à prendre en
considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (voir arrêts du 20 mars 1986, Tissier, 35/85, EU:C:1986:143, point 9, ainsi que du 19 décembre 2024, Khan Yunis et Baabda, C‑123/23 et C‑202/23, EU:C:2024:1042, point 63).

45 En effet, la circonstance que, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a visé, dans ses questions, certaines dispositions déterminées du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire au principal, en extrayant de l’ensemble des éléments fournis par cette juridiction, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation
compte tenu de l’objet du litige (voir arrêts du 29 novembre 1978, Redmond, 83/78, EU:C:1978:214, point 26, ainsi que du 19 décembre 2024, Khan Yunis et Baabda, C‑123/23 et C‑202/23, EU:C:2024:1042, point 64).

46 Par ses questions, la juridiction de renvoi interroge la Cour, notamment, sur l’interprétation des articles 36 à 38 de la directive 2013/32, lus à la lumière de l’article 47 de la Charte.

47 En premier lieu, il convient de rappeler que les articles 36 et 37 de la directive 2013/32 concernent respectivement le concept de pays d’origine sûr et la désignation, par les États membres, de pays tiers comme pays d’origine sûrs.

48 Ces articles instituent un régime particulier d’examen auquel les États membres peuvent soumettre les demandes de protection internationale. Ce régime repose sur une forme de présomption réfragable de protection suffisante dans le pays d’origine, laquelle peut être renversée par le demandeur s’il fait état de raisons sérieuses tenant à sa situation personnelle (voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 2018, A, C‑404/17, EU:C:2018:588, point 25, et du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České
republiky, Odbor azylové a migrační politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

49 Au titre des spécificités dudit régime, les États membres peuvent décider, conformément à l’article 31, paragraphe 8, sous b), de cette directive, d’une part, d’accélérer la procédure d’examen et, d’autre part, de mener celle-ci à la frontière ou dans les zones de transit, conformément à l’article 43 de ladite directive (arrêt du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841, point 48).

50 Par ailleurs, lorsqu’une demande de protection internationale, introduite par un demandeur provenant d’un pays d’origine sûr, a été considérée comme étant infondée, en ce que, conformément à l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2013/32, l’autorité responsable de la détermination a établi que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en vertu de la directive 2011/95, les États membres peuvent également considérer, en vertu de
l’article 32, paragraphe 2, de la directive 2013/32, une telle demande comme étant manifestement infondée, si elle est définie comme telle dans la législation nationale (arrêt du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841, point 49).

51 En outre, l’une des conséquences pour l’intéressé dont la demande est rejetée sur le fondement de l’application du concept de pays d’origine sûr est que, contrairement à ce qui est prévu en cas de rejet simple, il peut ne pas être autorisé à rester sur le territoire de l’État membre dans lequel a été introduite cette demande dans l’attente de l’issue de son recours contre la décision de rejet de ladite demande, ainsi qu’il résulte des dispositions de l’article 46, paragraphes 5 et 6, de la
directive 2013/32 (arrêts du 25 juillet 2018, A, C‑404/17, EU:C:2018:588, point 27, et du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841, point 50).

52 En deuxième lieu, il importe de noter que, à la différence des articles 36 et 37 de la directive 2013/32, l’article 38 de celle-ci porte non pas sur le concept de « pays d’origine sûr », mais sur celui de « pays tiers sûr ». Or, les litiges au principal concernent l’application du seul concept de « pays d’origine sûr ». Partant, il n’est pas nécessaire de statuer sur l’interprétation de l’article 38 de cette directive dans les présentes affaires.

53 En troisième lieu, il convient de constater que, au droit à un recours effectif, garanti par l’article 47 de la Charte, correspond l’obligation faite aux États membres par l’article 46, paragraphe 1, de la directive 2013/32 de prévoir en faveur des demandeurs de protection internationale un tel droit à un recours juridictionnel effectif, dont l’article 46, paragraphe 3, de cette directive définit la portée [voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2020, Bevándorlási és Menekültügyi Hivatal (Tompa),
C‑564/18, EU:C:2020:218, point 60, et du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841, point 85 ainsi que jurisprudence citée]. Partant, il y a lieu de tenir également compte de cette dernière disposition, même si la juridiction de renvoi n’y a pas fait référence dans ses questions.

Sur les premières questions

54 Par ses premières questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 36 et 37 ainsi que l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lus à la lumière de l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un État membre procède à la désignation de pays tiers comme pays d’origine sûrs au moyen d’un acte législatif.

55 Ainsi qu’il a été rappelé au point 48 du présent arrêt, les articles 36 et 37 de la directive 2013/32 instituent un régime particulier d’examen auquel les États membres peuvent soumettre les demandes de protection internationale émanant de ressortissants de pays désignés comme des pays d’origine sûrs.

56 À cette fin, l’article 37, paragraphe 1, de cette directive précise que « [l]es États membres peuvent maintenir ou adopter des dispositions législatives qui leur permettent, conformément à l’annexe I [de ladite directive], de désigner des pays d’origine sûrs, au niveau national, aux fins de l’examen des demandes de protection internationale ». Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 36 de ses conclusions, il ressort d’une comparaison des différentes versions linguistiques
de cette disposition que la notion de « dispositions législatives » doit s’entendre dans un sens large comme pouvant englober des actes de nature législative, réglementaire ou administrative.

57 En ce sens, la Cour a d’ailleurs jugé que, pour pouvoir recourir au régime particulier d’examen et à la présomption réfragable aménagée par les règles de la directive 2013/32 relatives aux procédures fondées sur le concept de pays d’origine sûr, les États membres doivent avoir procédé à une complète mise en œuvre desdites règles s’agissant des dispositions législatives, réglementaires et administratives qu’il leur incombe de prendre (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, A, C‑404/17,
EU:C:2018:588, point 31).

58 Selon une jurisprudence constante, les dispositions d’une directive doivent être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable, avec la spécificité, la précision et la clarté requises, afin que soit satisfaite l’exigence de la sécurité juridique [arrêt du 3 septembre 2020, Subdelegación del Gobierno en Barcelona (Résidents de longue durée), C‑503/19 et C‑592/19, EU:C:2020:629, point 35 et jurisprudence citée].

59 Dans ce cadre, il appartient à chaque État membre de procéder à la désignation des pays d’origine sûrs selon les modalités prévues aux articles 36 et 37 ainsi qu’à l’annexe I de la directive 2013/32, à savoir, notamment, l’adoption d’une liste de pays tiers selon les critères fixés à cette annexe I, l’édiction de règles et de modalités supplémentaires d’application, la notification à la Commission de la liste de pays d’origine sûrs ou encore son réexamen périodique (voir, en ce sens, arrêt du
25 juillet 2018, A, C‑404/17, EU:C:2018:588, point 28).

60 Cela étant, ni ces dispositions ni d’ailleurs aucune autre disposition de la directive 2013/32 ne déterminent la ou les autorités des États membres qui devraient être chargées de désigner les pays d’origine sûrs au niveau national ni l’instrument juridique pertinent à cette fin.

61 À cet égard, il importe de rappeler qu’il résulte de l’article 288, troisième alinéa, TFUE que les États membres, lors de la transposition d’une directive, disposent d’une marge d’appréciation quant au choix des voies et des moyens destinés à en assurer la mise en œuvre. Ainsi, s’agissant du choix des autorités compétentes et des instruments juridiques pertinents aux fins de la désignation, au niveau national, des pays tiers comme pays d’origine sûrs, rien ne s’oppose à ce qu’il soit décidé, au
sein d’un État membre, de confier au législateur national la responsabilité de désigner les pays d’origine sûrs au moyen d’un acte législatif.

62 Toutefois, cette marge d’appréciation des États membres dans la mise en œuvre des dispositions des articles 36 et 37 de la directive 2013/32 laisse entière l’obligation, pour chacun de ces États, de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le plein effet de cette directive, conformément à l’objectif que celle-ci poursuit (voir, en ce sens, arrêts du 10 avril 1984, von Colson et Kamann, 14/83, EU:C:1984:153, point 15, ainsi que du 31 mars 2022, Lombard Lízing, C‑472/20, EU:C:2022:242,
point 35).

63 En particulier, ladite marge d’appréciation n’affecte pas l’obligation de tout juge national d’assurer le plein effet des dispositions de la directive 2013/32, en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition de la législation nationale, même postérieure, qui serait contraire aux dispositions de cette directive ayant un effet direct, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de la disposition de la législation nationale en cause par voie
législative ou par tout autre procédé constitutionnel (voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77, EU:C:1978:49, points 21 et 24, ainsi que du 28 janvier 2025, ASG 2, C‑253/23, EU:C:2025:40, point 90 et jurisprudence citée).

64 En outre, s’il appartient, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, à l’ordre juridique interne, en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États membres et sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité, de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits individuels dérivés de l’ordre juridique de l’Union, les États membres ont toutefois la responsabilité d’assurer, dans chaque cas, le respect du droit à une
protection juridictionnelle effective desdits droits tel que garanti à l’article 47 de la Charte, la portée de ce droit étant précisée, en l’occurrence, par l’article 46 de la directive 2013/32 (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2025, Al Nasiria, C‑610/23, EU:C:2025:514, point 51 et jurisprudence citée).

65 Il s’ensuit que le choix, par un État membre, de l’autorité compétente et de l’instrument juridique porteur de la désignation, au niveau national, de pays d’origine sûrs, conformément aux articles 36 et 37 de la directive 2013/32, ne saurait avoir d’incidence sur les obligations qui lui incombent en application de cette directive. Il appartient ainsi, notamment, à chaque État membre d’assurer le respect du droit à un recours juridictionnel effectif que l’article 46, paragraphe 1, de ladite
directive reconnaît aux demandeurs de protection internationale contre les décisions concernant leurs demandes et dont l’article 46, paragraphe 3, de la même directive définit la portée.

66 À cet égard, la Cour a déjà jugé que, conformément à l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, lorsqu’une juridiction nationale est saisie d’un recours contre une décision concernant une demande de protection internationale examinée dans le cadre du régime particulier applicable aux demandes introduites par les demandeurs provenant de pays tiers désignés, conformément à l’article 37 de cette directive, comme pays d’origine sûrs, cette
juridiction doit, au titre de l’examen complet et ex nunc imposé par cet article 46, paragraphe 3, soulever, sur le fondement des éléments du dossier ainsi que de ceux portés à sa connaissance lors de la procédure devant elle, une méconnaissance des conditions matérielles d’une telle désignation, énoncées à l’annexe I de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841, point 98).

67 Partant, et compte tenu de la jurisprudence rappelée aux points 62 et 63 du présent arrêt, la circonstance qu’un État membre a choisi de procéder à la désignation des pays d’origine sûrs au moyen d’un acte législatif ne saurait être de nature à empêcher la juridiction nationale saisie dans les conditions énoncées au point précédent de cet arrêt de contrôler, ne fût‑ce qu’à titre incident, si la désignation du pays tiers en cause comme pays d’origine sûr respecte les conditions matérielles d’une
telle désignation, énoncées à l’annexe I de la directive 2013/32.

68 À la lumière des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre aux premières questions que les articles 36 et 37 ainsi que l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lus à la lumière de l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un État membre procède à la désignation de pays tiers comme pays d’origine sûrs au moyen d’un acte législatif, à condition que cette désignation puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel portant sur le
respect des conditions matérielles d’une telle désignation, énoncées à l’annexe I de cette directive, par toute juridiction nationale saisie d’un recours contre une décision concernant une demande de protection internationale examinée dans le cadre du régime particulier applicable aux demandes introduites par les demandeurs provenant de pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs.

Sur les deuxièmes et troisièmes questions

69 Par ses deuxièmes et troisièmes questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 36 et 37 ainsi que l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lus à la lumière de l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens que, d’une part, l’État membre qui désigne un pays tiers comme pays d’origine sûr doit rendre accessibles les sources d’information, au sens de l’article 37, paragraphe 3, de cette directive, sur lesquelles cette désignation est fondée et,
d’autre part, la juridiction nationale saisie d’un recours contre une décision concernant une demande de protection internationale examinée dans le cadre du régime particulier d’examen applicable aux demandes introduites par les demandeurs provenant de pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs peut, lorsqu’elle vérifie si cette désignation respecte les conditions matérielles d’une telle désignation énoncées à l’annexe I de ladite directive, tenir compte des informations qu’elle a elle-même
recueillies.

70 L’article 37, paragraphe 3, de la directive 2013/32 prévoit que, lorsqu’ils déterminent si un pays tiers est un pays d’origine sûr, les États membres s’appuient sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres États membres, de l’AUEA, qui a succédé au BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes.

71 Il est vrai que ni cette disposition ni aucune autre disposition de la directive 2013/32 ne précisent expressément que l’autorité nationale qui procède à la désignation, au niveau national, des pays d’origine sûrs doit rendre accessibles les sources d’information sur la base desquelles elle a procédé à une telle désignation.

72 Il n’en demeure pas moins, en premier lieu, que la désignation, par un État membre, d’un pays tiers comme pays d’origine sûr rend applicable aux demandeurs originaires de ce pays le régime particulier d’examen des demandes de protection internationale. En particulier, ce régime, exposé aux points 48 à 51 du présent arrêt, permet aux États membres d’accélérer la procédure d’examen de ces demandes et repose sur une forme de présomption réfragable de protection suffisante dans le pays d’origine,
laquelle peut, conformément à l’article 36, paragraphe 1, de la directive 2013/32, être renversée par le demandeur s’il fait état de raisons sérieuses tenant à sa situation personnelle.

73 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 55 de ses conclusions, la possibilité pour le demandeur de renverser cette présomption requiert, pour être effective, que ce demandeur soit mis en mesure de connaître les raisons pour lesquelles son pays d’origine est présumé sûr. Partant, ledit demandeur doit, à ce titre, disposer d’un accès aux sources d’information sur la base desquelles son pays d’origine a été désigné comme pays d’origine sûr.

74 En deuxième lieu, il importe de relever que, en vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive 2013/32, lu en combinaison avec l’article 10, paragraphe 3, sous b), de celle-ci, les demandeurs de protection internationale ont, au cours de la procédure d’examen, accès aux informations précises et actualisées recueillies, par les États membres, auprès de différentes sources, telles que l’AUEA et le HCR ainsi que les organisations internationales compétentes en matière de droits de
l’homme, sur la situation générale existant dans leurs pays d’origine. De même, il découle de l’article 10, paragraphe 4, de ladite directive que les juridictions nationales ont également accès aux informations générales nécessaires à l’accomplissement de leur mission.

75 Or, il s’agit là de sources d’information analogues à celles sur lesquelles les États membres peuvent s’appuyer, conformément à l’article 37, paragraphe 3, de la directive 2013/32, pour désigner un pays tiers comme pays d’origine sûr.

76 En troisième lieu, il convient de rappeler que l’article 46, paragraphe 1, de la directive 2013/32 reconnaît aux demandeurs d’une protection internationale un droit à un recours effectif devant une juridiction contre les décisions concernant leur demande. L’article 46, paragraphe 3, de cette directive définit la portée du droit au recours effectif, en précisant que les États membres liés par celle-ci doivent veiller à ce que la juridiction devant laquelle est contestée la décision relative à la
demande de protection internationale procède à « un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive [2011/95] » (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841, point 85 et jurisprudence citée).

77 En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les caractéristiques du recours prévu à l’article 46 de la directive 2013/32 doivent être déterminées en conformité avec l’article 47 de la Charte, qui constitue une réaffirmation du principe de protection juridictionnelle effective. Or, l’article 47 de la Charte se suffit à lui-même et ne doit pas être précisé par des dispositions du droit de l’Union ou du droit national pour conférer aux particuliers un droit invocable en tant que tel. Il
ne saurait, dès lors, en aller différemment de l’article 46, paragraphe 3, de cette directive, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte (arrêt du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841, point 86 et jurisprudence citée).

78 Dans cette optique, premièrement, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte, à la lumière duquel l’article 46 de la directive 2013/32 doit être interprété, exige, d’une part, que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard, soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite sur sa demande, afin de lui
permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent. D’autre part, ce dernier doit avoir le pouvoir d’exiger de l’autorité en cause qu’elle communique ces motifs, afin d’être pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision nationale en cause (arrêts du 4 juin 2013, ZZ, C‑300/11, EU:C:2013:363, point 53, et du 29 juillet 2024, protectus, C‑185/23, EU:C:2024:657,
point 79 ainsi que jurisprudence citée).

79 Or, lorsque, comme dans les litiges au principal, une demande de protection internationale est rejetée comme étant manifestement infondée au motif que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, au sens des articles 36 et 37 de la directive 2013/32, lus en combinaison avec l’annexe I de celle-ci, ce motif de rejet se confond, pour l’essentiel, avec les motifs sur lesquels repose la présomption de protection suffisante qu’entraîne la désignation du pays concerné comme pays d’origine sûr.

80 Compte tenu de la jurisprudence citée au point 78 du présent arrêt, il y a dès lors lieu de considérer que l’effectivité de la protection juridictionnelle requiert que tant le demandeur concerné que le juge saisi puissent avoir non seulement connaissance des motifs d’un tel rejet, mais encore accès aux sources d’information sur la base desquelles le pays tiers en cause a été désigné comme pays d’origine sûr.

81 Deuxièmement, en ce qui concerne la portée du droit à un recours effectif, telle que définie à l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, la Cour a jugé que les termes « veillent à ce qu’un recours effectif prévoie un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique » doivent être interprétés en ce sens que les États membres sont tenus, en vertu de cette disposition, d’aménager leur droit national de manière à ce que le traitement des recours visés comporte un
examen, par le juge, de l’ensemble des éléments de fait et de droit qui lui permettent de procéder à une appréciation actualisée du cas d’espèce (arrêts du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 110, et du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841, point 87).

82 À cet égard, tout d’abord, l’expression « ex nunc » met en exergue l’obligation du juge de procéder à une appréciation qui tienne compte, le cas échéant, des nouveaux éléments apparus après l’adoption de la décision faisant l’objet du recours (arrêts du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 111 ; du 29 juillet 2019, Torubarov, C‑556/17, EU:C:2019:626, point 52, et du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841,
point 88).

83 Ensuite, l’adjectif « complet » figurant à l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32 confirme que le juge est tenu d’examiner tant les éléments dont l’autorité responsable de la détermination a tenu ou aurait dû tenir compte que ceux qui sont survenus après l’adoption de la décision par cette autorité (arrêts du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 113 ; du 29 juillet 2019, Torubarov, C‑556/17, EU:C:2019:626, point 52, et du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České
republiky, Odbor azylové a migrační politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841, point 89).

84 Enfin, les termes « le cas échéant », figurant dans le membre de phrase « y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive [2011/95] », mettent en évidence le fait que l’examen complet et ex nunc incombant au juge ne doit pas nécessairement porter sur l’examen au fond des besoins de protection internationale et qu’il peut donc concerner les aspects procéduraux d’une demande de protection internationale, au titre desquels figure la désignation
d’un pays tiers comme pays d’origine sûr (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841, points 90 et 91 ainsi que jurisprudence citée).

85 Ainsi qu’il découle de la jurisprudence de la Cour citée au point 66 du présent arrêt, conformément à l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, lorsqu’une juridiction nationale est saisie d’un recours contre une décision concernant une demande de protection internationale examinée dans le cadre du régime particulier d’examen mentionné au point 48 du présent arrêt, cette juridiction doit, au titre de l’examen complet et ex nunc imposé par
cet article 46, paragraphe 3, soulever, sur le fondement des éléments du dossier ainsi que de ceux portés à sa connaissance lors de la procédure devant elle, une éventuelle méconnaissance des conditions matérielles d’une telle désignation, énoncées à l’annexe I de ladite directive.

86 Or, l’effectivité du contrôle juridictionnel du respect des conditions matérielles énoncées à l’annexe I de la directive 2013/32 présuppose que le juge saisi puisse avoir accès aux sources d’information sur la base desquelles l’autorité nationale compétente a procédé à la désignation du pays tiers en cause comme pays d’origine sûr. Cette exigence d’effectivité implique également que ce juge puisse vérifier si cette désignation respecte les conditions matérielles énoncées à l’annexe I de ladite
directive, en tenant compte d’autres informations qu’il a, le cas échéant, lui-même recueillies, qu’elles proviennent de sources publiques ou de sources dont il a demandé la production à l’une des parties au litige devant lui, à condition que, d’une part, il se soit assuré de la fiabilité de ces informations et que, d’autre part, conformément au principe du contradictoire, ces parties aient l’occasion de présenter leurs observations sur ces informations.

87 Il s’ensuit que les États membres sont tenus, en vertu de l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, d’aménager leur droit national de manière à ce qu’un accès suffisant et adéquat soit garanti aux sources d’information sur lesquelles ils se sont appuyés pour désigner des pays d’origine sûrs. Cet accès doit permettre à un demandeur de protection internationale originaire d’un tel pays et à la juridiction nationale saisie d’un recours contre une décision concernant la demande de
protection internationale, de prendre utilement connaissance de ces sources d’information conformément à la jurisprudence rappelée au point 78 du présent arrêt.

88 Au regard des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre aux deuxièmes et troisièmes questions que les articles 36 et 37 ainsi que l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lus à la lumière de l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens que :

– l’État membre, qui désigne un pays tiers comme pays d’origine sûr, doit garantir aux sources d’information, au sens de l’article 37, paragraphe 3, de cette directive, sur lesquelles cette désignation est fondée, un accès suffisant et adéquat, lequel doit, d’une part, permettre au demandeur de protection internationale concerné, originaire de ce pays tiers, de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le
juge compétent et, d’autre part, mettre ce dernier en mesure d’exercer le contrôle d’une décision concernant la demande de protection internationale ;

– la juridiction nationale saisie d’un recours contre une décision concernant une demande de protection internationale examinée dans le cadre du régime particulier d’examen applicable aux demandes introduites par les demandeurs provenant de pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs peut, lorsqu’elle vérifie, ne fût-ce qu’à titre incident, si cette désignation respecte les conditions matérielles d’une telle désignation, énoncées à l’annexe I de ladite directive, tenir compte des informations
qu’elle a elle-même recueillies, à condition, d’une part, de s’assurer de la fiabilité de ces informations et, d’autre part, de garantir aux parties au litige le respect du principe du contradictoire.

Sur les quatrièmes questions

89 À titre liminaire, il y a lieu de relever que les quatrièmes questions ne concernent pas le contrôle que la juridiction de renvoi doit opérer quant à la mise en œuvre des dispositions de l’article 36, paragraphe 1, de la directive 2013/32, qui prévoit le renversement de la présomption de protection suffisante dans le pays d’origine lorsque le demandeur fait état de raisons sérieuses tenant à sa situation personnelle. Lesdites questions portent uniquement sur le contrôle que cette juridiction doit
opérer quant à la désignation, en tant que telle, du pays tiers d’origine du demandeur comme pays d’origine sûr, conformément à l’article 37 de cette directive.

90 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par ses quatrièmes questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 37 de la directive 2013/32, lu en combinaison avec l’annexe I de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre désigne comme pays d’origine sûr un pays tiers qui ne satisfait pas, pour certaines catégories de personnes, aux conditions matérielles d’une telle désignation, énoncées à l’annexe I de ladite directive.

91 Selon une jurisprudence constante, lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte des termes de celle-ci, du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [arrêts du 17 novembre 1983, Merck, 292/82, EU:C:1983:335, point 12, et du 6 juillet 2023, Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Réfugié ayant commis un crime grave), C‑8/22, EU:C:2023:542, point 29].

92 S’agissant, en premier lieu, du libellé de l’article 37 de la directive 2013/32, lequel, conformément à son intitulé, est relatif à la désignation, par un État membre, de pays tiers comme pays d’origine sûrs, il y est fait référence, à plusieurs reprises, aux termes « pays » et « pays tiers ». Rien dans le libellé de cette disposition n’indique que, aux fins d’une telle désignation, ces termes puissent être entendus comme visant seulement une partie, le cas échéant majoritaire, de la population
du pays tiers concerné, à l’exclusion d’une autre partie de cette population ou de certaines catégories de personnes.

93 S’agissant, en deuxième lieu, du contexte dans lequel s’inscrit l’article 37 de la directive 2013/32, il ressort, premièrement, de cet article que les États membres peuvent désigner des pays d’origine sûrs, conformément à l’annexe I de cette directive. Or, à l’instar du libellé dudit article, les critères énoncés à cette annexe ne fournissent aucune indication selon laquelle il serait loisible aux États membres de désigner un pays tiers comme pays d’origine sûr alors que, pour certaines
catégories de personnes au sein de la population de ce pays, les critères matériels prévus à cette annexe I ne seraient pas remplis.

94 Au contraire, aux termes de ladite annexe, la désignation d’un pays tiers comme pays d’origine sûr dépend de la possibilité de démontrer que, « d’une manière générale » et « uniformément », il n’y est jamais recouru à la persécution, ni à la torture ni à des peines ou à des traitements inhumains ou dégradants et qu’il n’y a pas de menace en raison d’une violence aveugle dans des situations de conflit armé international ou interne.

95 À cet égard, il est vrai que les versions linguistiques de l’annexe I de la directive 2013/32 divergent. Ainsi, seule la version en langue française de cette annexe évoque l’adverbe « uniformément ». Les autres versions linguistiques de ladite annexe, telles que les versions en langues bulgare (« за всеки отделен случай »), espagnole (« sistemática »), tchèque (« soustavně »), danoise (« til stadighed »), allemande (« durchgängig »), estonienne (« järjekindlat »), grecque (« μόνιμα »), anglaise
(« consistently »), croate (« trajno »), italienne (« costantemente »), lettone (« konsekventi »), lituanienne (« sistemingai »), hongroise (« következetesen »), maltaise (« konsistentement »), néerlandaise (« duurzame »), polonaise (« konsekwentnie »), portugaise (« sistemático »), roumaine (« consecvent »), slovaque (« sústavne »), slovène (« redno »), finnoise (« jatkuvasti ») et suédoise (« genomgående »), correspondent à des expressions telles que d’« une manière constante »,
« systématique », « durable », « continuelle » ou « cohérente ».

96 Toutefois, au-delà de ces divergences sémantiques, ces termes renvoient tous à une notion d’« invariabilité ». Ils tendent, par conséquent et en l’absence de toute référence à une partie de la population du pays tiers concerné à l’article 37 ou à l’annexe I de la directive 2013/32, à indiquer que les conditions visées à cette annexe doivent être respectées au regard de l’ensemble de la population du pays tiers concerné, pour que ce pays puisse être désigné comme pays d’origine sûr. Ils expriment
ainsi le choix du législateur de l’Union de subordonner la désignation d’un pays d’origine sûr à la condition que le pays tiers soit, généralement, sûr pour toute sa population et non pour une partie seulement de celle-ci.

97 Au demeurant, même dans un pays généralement sûr pour toute sa population, il n’existe aucune garantie absolue de sécurité pour chaque individu. C’est pour cette raison que le législateur de l’Union a prévu, à l’article 36, paragraphe 1, de la directive 2013/32, lu à la lumière des considérants 40 et 42 de cette directive, la possibilité pour tout demandeur de protection internationale originaire d’un pays désigné comme pays d’origine sûr de renverser la présomption réfragable de protection
suffisante en faisant état de raisons sérieuses tenant à sa situation personnelle.

98 Deuxièmement, s’agissant de l’argument tiré de l’article 24 de la directive 2013/32, il y a lieu de relever que cet article qui, conformément à son intitulé, concerne les « [d]emandeurs nécessitant des garanties procédurales spéciales » n’a aucun rapport avec la désignation d’un pays tiers comme « pays d’origine sûr », au sens de l’article 37 et de l’annexe I de cette directive.

99 Troisièmement, ainsi qu’il a été exposé aux points 48 à 51 du présent arrêt, la désignation, par un État membre, de pays tiers comme pays d’origine sûrs permet de soumettre les demandes de protection internationale des demandeurs provenant de ces pays tiers à un régime particulier d’examen ayant un caractère dérogatoire.

100 À cet égard, interpréter l’article 37 de la directive 2013/32 comme permettant de désigner un pays tiers comme pays d’origine sûr, alors même que, pour certaines catégories de personnes, ce pays ne remplit pas les conditions matérielles prévues à l’annexe I de cette directive, aurait pour effet d’étendre le champ d’application de ce régime particulier d’examen. Une telle interprétation ne trouvant aucun appui dans le libellé de cet article 37 ni, plus largement, dans ladite directive,
reconnaître une telle faculté méconnaîtrait l’interprétation stricte dont les dispositions ayant un caractère dérogatoire doivent faire l’objet [voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 2015, Commission/Luxembourg, C‑502/13, EU:C:2015:143, point 61, et du 8 février 2024, Bundesrepublik Deutschland (Recevabilité d’une demande ultérieure), C‑216/22, EU:C:2024:122, point 35 ainsi que jurisprudence citée].

101 S’agissant, en troisième lieu, des objectifs de la directive 2013/32, il y a lieu de rappeler que, outre le fait qu’elle poursuit l’objectif général d’instaurer des normes de procédure communes, cette directive vise en particulier, ainsi qu’il résulte, notamment, de son considérant 18, à ce que les demandes de protection internationale fassent l’objet d’un traitement « aussi rapide que possible, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif » (arrêts du 25 juillet 2018,
Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 109, et du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841, point 78).

102 Dans cette perspective, le considérant 20 de ladite directive énonce que, dans des circonstances bien définies, lorsque, entre autres, une demande est susceptible d’être infondée, les États membres devraient pouvoir accélérer la procédure d’examen, notamment en instaurant des délais plus courts, mais raisonnables, pour certaines étapes de la procédure, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif et de l’accès effectif du demandeur aux garanties et aux principes
fondamentaux prévus par la même directive (arrêt du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841, point 79).

103 C’est pourquoi, ainsi qu’il a été exposé aux points 48 à 51 du présent arrêt, un État membre peut soumettre les demandes de protection internationale introduites par les demandeurs provenant d’un pays tiers que cet État membre a désigné comme pays d’origine sûr à un régime particulier d’examen, au titre duquel il est possible, notamment, d’accélérer la procédure d’examen de ces demandes (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační
politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841, point 80).

104 Dans la mesure où, comme cela a été relevé au point 101 du présent arrêt, par la directive 2013/32, le législateur de l’Union vise à garantir un examen des demandes de protection internationale qui soit à la fois rapide et exhaustif, il lui appartient, dans le cadre de l’exercice du pouvoir d’appréciation dont il dispose aux fins de l’établissement des procédures communes d’octroi et de retrait de la protection internationale, de mettre en balance ces deux objectifs lors de la détermination des
conditions dans lesquelles les États membres peuvent désigner un pays tiers comme pays d’origine sûr (arrêt du 4 octobre 2024, Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky, C‑406/22, EU:C:2024:841, point 81).

105 Ainsi, le fait que ce législateur n’ait pas prévu, dans le cadre de cette directive, la faculté pour les États membres d’exclure des catégories de personnes aux fins d’une telle désignation reflète cette mise en balance et son choix de privilégier un examen exhaustif des demandes de protection internationale qui ont été introduites par des demandeurs dont le pays d’origine ne satisfait pas, pour l’ensemble de sa population, aux conditions matérielles énoncées à l’annexe I de ladite directive.

106 Si l’article 61, paragraphe 2, du règlement 2024/1348, dont l’article 78 abroge la directive 2013/32 avec effet à la date du 12 juin 2026, introduit une telle faculté, en disposant que la désignation d’un pays tiers comme pays d’origine sûr, tant au niveau de l’Union qu’au niveau national, peut prévoir des exceptions pour des catégories de personnes clairement identifiables, il s’agit de la prérogative du législateur de l’Union de revenir sur ce choix, en procédant à une nouvelle mise en balance
des intérêts en cause.

107 Dans ce contexte, il y a lieu également de relever qu’il appartient à ce législateur de choisir la date à partir de laquelle une nouvelle disposition, telle que l’article 61, paragraphe 2, du règlement 2024/1348, devient applicable, choix qu’il a effectué à l’article 79, paragraphes 2 et 3, de ce règlement. En outre, il lui est loisible de revenir sur ce choix, en modifiant cette dernière disposition, ce qui a d’ailleurs été proposé par la Commission. Ainsi, la proposition de celle-ci, du
16 avril 2025, pour un règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement 2024/1348 [COM(2025) 186 final], prévoit à son article 1er, paragraphe 2, de modifier l’article 79, paragraphes 2 et 3, du règlement 2024/1348 afin d’anticiper l’application, notamment, de l’article 61, paragraphe 2, de celui-ci.

108 Partant, compte tenu des exigences rappelées aux points 66 et 85 du présent arrêt et dans la mesure où c’est l’article 37 de la directive 2013/32 et non pas l’article 61, paragraphe 2, du règlement 2024/1348 qui s’applique aux litiges au principal, il incombe à la juridiction de renvoi, conformément à l’article 46, paragraphe 3, de cette directive, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, de vérifier, sur le fondement des éléments du dossier ainsi que de ceux portés à sa connaissance lors
de la procédure devant elle, si la désignation de la République populaire du Bangladesh comme pays d’origine sûr, prévue à l’article 2 bis, paragraphe 1, du décret législatif no 25/2008 à la suite de sa modification par le décret-loi no 158/2024, satisfait aux conditions matérielles d’une telle désignation, énoncées à l’annexe I de ladite directive, au regard de l’ensemble de la population de ce pays tiers.

109 À la lumière des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre aux quatrièmes questions que l’article 37 de la directive 2013/32, lu en combinaison avec l’annexe I de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre désigne comme pays d’origine sûr un pays tiers qui ne satisfait pas, pour certaines catégories de personnes, aux conditions matérielles d’une telle désignation, énoncées à l’annexe I de ladite directive.

Sur les dépens

110 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

  1) Les articles 36 et 37 ainsi que l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, lus à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas à ce qu’un État membre procède à la désignation de pays tiers comme pays d’origine sûrs au moyen d’un acte législatif, à condition que cette désignation puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel portant sur le respect des conditions matérielles d’une telle désignation, énoncées à l’annexe I de cette directive, par toute juridiction nationale saisie d’un recours contre une décision concernant une demande de protection internationale examinée dans le cadre du régime
particulier applicable aux demandes introduites par les demandeurs provenant de pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs.

  2) Les articles 36 et 37 ainsi que l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lus à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux,

doivent être interprétés en ce sens que :

– l’État membre, qui désigne un pays tiers comme pays d’origine sûr, doit garantir aux sources d’information, au sens de l’article 37, paragraphe 3, de cette directive, sur lesquelles cette désignation est fondée, un accès suffisant et adéquat, lequel doit, d’une part, permettre au demandeur de protection internationale concerné, originaire de ce pays tiers, de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le
juge compétent et, d’autre part, mettre ce dernier en mesure d’exercer le contrôle d’une décision concernant la demande de protection internationale ;

– la juridiction nationale saisie d’un recours contre une décision concernant une demande de protection internationale examinée dans le cadre du régime particulier d’examen applicable aux demandes introduites par les demandeurs provenant de pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs peut, lorsqu’elle vérifie, ne fût-ce qu’à titre incident, si cette désignation respecte les conditions matérielles d’une telle désignation, énoncées à l’annexe I de ladite directive, tenir compte des informations
qu’elle a elle-même recueillies, à condition, d’une part, de s’assurer de la fiabilité de ces informations et, d’autre part, de garantir aux parties au litige le respect du principe du contradictoire.

  3) L’article 37 de la directive 2013/32, lu en combinaison avec l’annexe I de cette directive,

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à ce qu’un État membre désigne comme pays d’origine sûr un pays tiers qui ne satisfait pas, pour certaines catégories de personnes, aux conditions matérielles d’une telle désignation, énoncées à l’annexe I de ladite directive.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.

( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-758/24
Date de la décision : 01/08/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduites par le Tribunale ordinario di Roma.

Renvoi préjudiciel – Politique d’asile – Directive 2013/32/UE – Procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Articles 36 et 37 – Notion de “pays d’origine sûr” – Désignation au moyen d’un acte législatif – Annexe I – Critères – Article 46 – Droit à un recours effectif – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Examen, par le juge, de la désignation par un État membre d’un pays tiers comme pays d’origine sûr – Publicité des sources d’information sur lesquelles cette décision est fondée.


Parties
Demandeurs : LC et CP
Défendeurs : Commissione Territoriale per il riconoscimento della Protezione Internazionale di Roma – sezione procedure alla frontiera II.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Jürimäe

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:591

Source

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