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01/08/2025 | CJUE | N°C-602/24

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, W. sp. z o.o. contre Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w W., 01/08/2025, C-602/24


 ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

1er août 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Exonérations à l’exportation – Article 146, paragraphe 1, sous b) – Livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de l’Union européenne – Transport de biens en dehors de l’Union à la suite d’une convention entre l’acquéreur et le fournisseur prévoyant leur livraison dans un autre État membre – Biens ayant effectivement quitté le territoir

e de l’Union – Preuve – Refus de
l’exonération à l’exportation – Principes de neutralité fiscale et de proportionnalit...

 ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

1er août 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Exonérations à l’exportation – Article 146, paragraphe 1, sous b) – Livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de l’Union européenne – Transport de biens en dehors de l’Union à la suite d’une convention entre l’acquéreur et le fournisseur prévoyant leur livraison dans un autre État membre – Biens ayant effectivement quitté le territoire de l’Union – Preuve – Refus de
l’exonération à l’exportation – Principes de neutralité fiscale et de proportionnalité »

Dans l’affaire C‑602/24,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie, Pologne), par décision du 12 juillet 2024, parvenue à la Cour le 17 septembre 2024, dans la procédure

W. sp. z o.o.

contre

Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w W.,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, MM. A. Arabadjiev (rapporteur) et M. Condinanzi, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par Mme P. Carlin et M. M. Rynkowski, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant W. sp. z o.o. (ci-après la « société W ») au Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w W. (directeur de la chambre de l’administration fiscale de W., Pologne) au sujet d’un refus d’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour des exportations de biens en dehors du territoire de l’Union européenne effectuées au cours des années 2017 et 2018.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA dispose :

« Est considéré comme “livraison de biens”, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire. »

4 Le titre IX de cette directive est relatif aux exonérations. Le chapitre 1 de celui-ci est composé du seul article 131 de ladite directive, qui prévoit :

« Les exonérations prévues aux chapitres 2 à 9 s’appliquent sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels. »

5 Le chapitre 6 dudit titre IX est intitulé « Exonérations à l’exportation » et contient les articles 146 et 147 de la même directive. Aux termes de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de celle-ci :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

a) les livraisons de biens expédiés ou transportés par le vendeur, ou pour son compte, en dehors de la Communauté ;

b) les livraisons de biens expédiés ou transportés par l’acquéreur non établi sur leur territoire respectif, ou pour son compte, en dehors de la Communauté, à l’exclusion des biens transportés par l’acquéreur lui-même et destinés à l’équipement ou à l’avitaillement de bateaux de plaisance et d’avions de tourisme ou de tout autre moyen de transport à usage privé ».

Le droit polonais

6 L’ustawa o podatku od towarów i usług (loi relative à la taxe sur les biens et services), du 11 mars 2004 (Dz. U. de 2017, position 1221), dans sa version applicable à l’affaire au principal (ci-après la « loi sur la TVA »), prévoit, à son article 41, paragraphe 6 :

« Le taux de 0 % s’applique aux exportations de biens visées aux paragraphes 4 et 5, à la condition que, avant l’expiration du délai de dépôt de la déclaration fiscale relative à la période comptable concernée, l’assujetti ait obtenu le document confirmant l’exportation des biens en dehors du territoire de l’Union. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

7 La société W a mentionné, dans ses déclarations de TVA des années 2017 et 2018, des livraisons de pommes dont la destinataire était A. E. LP, une société établie au Royaume-Uni et enregistrée aux fins de la TVA en Lettonie (ci-après « A. E. » ou l’« acquéreur »). Ces livraisons ont été déclarées en tant que livraisons intracommunautaires de biens, qui sont soumises à un taux de 0 %.

8 D’après les lettres de transport en la possession de la société W et présentées au cours de la procédure fiscale, les marchandises devaient être transportées et livrées, depuis la Pologne, à des destinations situées en Lituanie par des transporteurs établis en Biélorussie, en Russie et en Pologne. A. E. devait se charger de l’organisation du transport.

9 Or, l’administration fiscale polonaise a constaté que, en tant qu’acquéreur des pommes, A. E. avait exporté celles-ci directement de la Pologne vers la Biélorussie. Selon cette administration et sur la base des indications fournies notamment par l’administration fiscale lettone, A. E. était une entité difficile à atteindre et peu fiable. L’administration fiscale lettone a confirmé que A. E. avait déclaré une acquisition intracommunautaire de marchandises acquises de la société W, ainsi que des
exportations vers des pays tiers. L’administration fiscale polonaise ne fait, en outre, état d’aucune fraude ou abus de la part de la société W dans la chaîne de livraisons.

10 Selon l’administration fiscale polonaise, en l’absence de transfert des marchandises vers le territoire d’un autre État membre de l’Union, il y avait lieu de considérer que les livraisons concernées n’ont pas eu un caractère intracommunautaire. Cette administration a estimé, en outre, que la société W n’avait pas dûment vérifié où seraient livrées les marchandises et qu’elle s’était bornée à confirmer formellement leur livraison en Lituanie sur la base de la signature du chauffeur ayant effectué
le transport de celles-ci, accompagnée du cachet de la société de transport. Ladite administration a donc considéré que la vente de biens de la société W à A. E. constituait une livraison intérieure, soumise au taux de TVA de 5 %, et a également imposé une sanction au taux de 30 %.

11 La société W a contesté cette décision devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie, Pologne), qui est la juridiction de renvoi, en soutenant que, puisque l’administration fiscale polonaise avait constaté que les marchandises avaient été exportées vers la Biélorussie par une entité agissant au nom et pour le compte de l’entité cocontractante, il y avait lieu, en vertu de la loi sur la TVA, de requalifier l’opération en exportation indirecte,
soumise au taux de 0 %.

12 Le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie) a accueilli ce recours et annulé la décision prise par l’administration fiscale polonaise. Relevant que A. E. avait acquis le droit de disposer des biens comme un propriétaire auprès de la société W et les avait exportés vers la Biélorussie, il a considéré que, dès lors que les conditions juridiques de fond de la procédure d’exportation indirecte étaient remplies, le principe de neutralité fiscale
exigeait l’application du taux de TVA de 0 %, en dépit du non-respect par cet assujetti des exigences de forme en matière d’exportation.

13 L’administration fiscale polonaise a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), qui a annulé ledit arrêt. Cette juridiction a jugé fondés les griefs tirés de vices de motivation entachant le même arrêt et a renvoyé l’affaire dont elle était saisie devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie) pour qu’elle soit rejugée.

14 Dans son arrêt, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a toutefois formulé un avis juridique portant, au regard des circonstances de cette affaire, sur l’éventuelle requalification de la livraison intracommunautaire en exportation indirecte.

15 Le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a souligné que la seule décision de l’acquéreur d’exporter des marchandises en dehors du territoire de l’Union sur la base d’une déclaration en douane faite en son nom et pour son compte, décision qu’il avait prise postérieurement à la conclusion des accords commerciaux avec le fournisseur de ces marchandises, à savoir la société W, et indépendamment de celle-ci, n’était pas de nature à permettre à ce fournisseur d’en déduire et d’en
attendre une redéfinition de la livraison intérieure en une opération d’exportation, y compris indirecte, dès lors que, à la date de cette livraison, les parties à l’opération n’avaient ni l’intention ni la volonté d’en faire une « livraison à l’exportation ».

16 Dans ces conditions, le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Faut-il interpréter l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive [TVA], en ce sens qu’une livraison de biens qui a été déclarée par un assujetti (le fournisseur) comme une livraison intracommunautaire doit être considérée comme une livraison à l’exportation lorsque l’acquéreur a exporté les biens non pas sur le territoire d’un autre État membre, mais en dehors du territoire de l’Union ?

2) Pour que, dans la situation visée dans la première question, il y ait application de l’exonération prévue à l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive [TVA], convient-il de s’attacher au fait que l’acquéreur des biens les a exportés en dehors du territoire de l’Union, non pas de concert avec l’assujetti (fournisseur) et sur la base d’un commun accord avec celui-ci, mais en vertu d’une décision indépendante prise à l’insu de cet assujetti (fournisseur) ?

3) Pour que, dans la situation visée dans la première question, il y ait application de l’exonération prévue à l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive [TVA], convient-il de s’attacher au fait que les autorités fiscales ont constaté l’exportation des biens en dehors du territoire de l’Union [...] sur la base de documents douaniers, mais sans que le contenu des lettres de transport en la possession de l’assujetti (le fournisseur) soit conforme à ces constatations ? »

Sur les questions préjudicielles

17 Par ses trois questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que relève de l’exonération prévue à cette disposition une livraison de biens initialement déclarée par le fournisseur comme une livraison intracommunautaire qui a, à l’insu de ce dernier, été effectuée en dehors du territoire de l’Union par l’acquéreur, lorsque l’exportation en question a été
constatée par les autorités fiscales sur la base de documents douaniers.

18 Il convient de rappeler, en premier lieu, que, en vertu de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA, les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés par le vendeur ou pour son compte, ou bien par l’acquéreur ou pour son compte, en dehors de l’Union. Cette disposition doit être lue en combinaison avec l’article 14, paragraphe 1, de cette directive, selon lequel est considéré comme « livraison de biens » le transfert du pouvoir de disposer d’un
bien corporel comme un propriétaire (voir, en ce sens, arrêts du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 19, et du 17 décembre 2020, BAKATI PLUS, C‑656/19, EU:C:2020:1045, point 55).

19 L’exonération des livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de l’Union vise à garantir l’imposition des livraisons de biens concernées au lieu de destination de celles-ci, à savoir celui où les produits seront consommés (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 20 et jurisprudence citée).

20 Ainsi que la Cour l’a déjà relevé à plusieurs reprises, il découle des dispositions visées au point 18 du présent arrêt, et notamment du terme « expédiés » employé à l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA, que l’exportation d’un bien est effectuée et que l’exonération de la livraison à l’exportation est applicable lorsque le droit de disposer de ce bien comme un propriétaire a été transmis à l’acquéreur, que le fournisseur établit que ce bien a été expédié ou transporté
en dehors de l’Union et que, à la suite de cette expédition ou de ce transport, le bien a physiquement quitté le territoire de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 21, et du 17 décembre 2020, BAKATI PLUS, C‑656/19, EU:C:2020:1045, point 56).

21 La Cour a également déjà jugé que la notion de « livraison de biens » a un caractère objectif et qu’elle s’applique indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées, sans qu’il existe une obligation pour l’administration fiscale de procéder à des enquêtes en vue de déterminer l’intention de l’assujetti en cause ou encore de tenir compte de l’intention d’un opérateur autre que cet assujetti intervenant dans la même chaîne de livraisons (arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18,
EU:C:2019:876, point 22).

22 Il s’ensuit que des opérations telles que celle en cause au principal constituent des livraisons de biens, au sens de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA, si elles satisfont aux critères objectifs sur lesquels est fondée cette notion, rappelés au point 20 du présent arrêt.

23 Il ressort du dossier dont dispose la Cour que le premier critère visant à établir l’existence d’une exportation de biens est en l’occurrence rempli, dans la mesure où il est constant que le fournisseur a cédé à l’acquéreur le droit de disposer des pommes en cause au principal comme un propriétaire.

24 En ce qui concerne le deuxième critère, en vertu duquel le fournisseur établit que ce bien a été expédié ou transporté en dehors de l’Union, il ressort de la demande de décision préjudicielle que le fournisseur en cause au principal a présenté, au cours de la procédure fiscale, des documents attestant que les marchandises devaient être transportées et livrées, depuis le lieu de chargement en Pologne, à des destinations situées en Lituanie. Cependant, l’administration fiscale polonaise a établi
que la livraison des pommes avait été effectuée non pas dans cet État membre, mais en dehors du territoire de l’Union.

25 L’administration fiscale polonaise en a déduit que la livraison intracommunautaire soumise à un taux de TVA de 0 %, initialement prévue, n’avait en réalité pas été effectuée. Cette administration a alors estimé que le fournisseur n’avait pas dûment vérifié où seraient livrées les marchandises qu’il avait vendues, et qu’il s’était borné à confirmer formellement leur livraison en Lituanie sur la base de la signature du chauffeur ayant effectué le transport de celles-ci, accompagnée du cachet de la
société de transport.

26 Toutefois, il y a lieu de constater que de telles circonstances ne sont pas pertinentes aux fins de la qualification de l’opération en cause au principal en opération d’exportation, au sens de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA.

27 En effet, d’une part, ainsi qu’il a été relevé au point 23 du présent arrêt, le droit de disposer des marchandises comme un propriétaire avait préalablement été transmis par le fournisseur à l’acquéreur, ce dernier étant alors censé effectuer leur livraison conformément aux termes de l’accord passé entre eux. Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché au fournisseur de confirmer la livraison en se fondant sur la signature du chauffeur ayant effectué le transport des marchandises
concernées, accompagnée du cachet de la société de transport figurant sur les lettres de transport.

28 D’autre part, ainsi qu’il a été rappelé au point 21 du présent arrêt, la notion de « livraison de biens » a un caractère objectif et s’applique indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées. Ainsi, il importe que les conditions objectives d’application de l’exonération prévue à l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA soient réunies. La circonstance que les parties se soient initialement accordées sur une livraison intracommunautaire qui n’a en fin de
compte pas eu lieu et que la livraison en dehors du territoire de l’Union a été effectuée à l’insu du fournisseur constituent des éléments subjectifs, qui sont donc, en principe, dénués de pertinence.

29 En l’occurrence, il est constant que la livraison des pommes en cause au principal en dehors du territoire de l’Union a été établie. La circonstance que la preuve de cette livraison a été obtenue par l’administration fiscale polonaise et non par le fournisseur n’est pas pertinente aux fins de la qualification de l’opération en cause au principal en opération d’exportation, au sens de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA.

30 Dans de telles circonstances, il convient de considérer comme étant rempli le deuxième critère mentionné au point 20 du présent arrêt.

31 S’agissant du troisième critère, qui exige que, à la suite d’une expédition ou d’un transport, le bien ait physiquement quitté le territoire de l’Union, il est constant que les pommes en cause au principal ont été transportées en dehors de l’Union par l’acheteur ou pour son compte.

32 Il convient de constater que, dès lors qu’il est également constant qu’il n’y a pas eu de consommation de ces pommes sur le territoire de l’Union, il ne saurait être considéré que le fournisseur a effectué une livraison sur le territoire national.

33 En effet, l’exonération prévue à l’article 146, paragraphe 1, de la directive TVA vise à garantir l’imposition des livraisons de biens concernées au lieu de destination de celles-ci, à savoir celui où les produits exportés seront consommés (arrêt du 28 mars 2019, Vinš, C‑275/18, EU:C:2019:265, point 23 et jurisprudence citée).

34 Ainsi, lorsque les conditions de fond sont satisfaites, le principe de neutralité fiscale exige que l’exonération de la TVA soit accordée même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis (arrêt du 17 décembre 2020, BAKATI PLUS, C‑656/19, EU:C:2020:1045, point 72 et jurisprudence citée).

35 Il découle de ce qui précède que la qualification d’une opération en tant que « livraison de biens », au sens de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA, ne saurait être refusée en raison de la circonstance que l’expédition ou le transport hors de l’Union a été effectué à l’insu du fournisseur et a été établi par l’administration fiscale et non par le fournisseur lui-même.

36 Le gouvernement polonais objecte que la condition, prévue par la loi sur la TVA, selon laquelle le fournisseur assujetti doit recevoir un document confirmant l’exportation des biens en dehors de l’Union, a été dictée notamment par la nécessité de prévenir la fraude fiscale. Étant donné que les opérations d’exportation bénéficient d’un régime préférentiel en matière de TVA, c’est-à-dire qu’elles sont exonérées de cette taxe tout en conservant le droit à déduction de la taxe en amont et bénéficient
donc d’un taux de TVA de 0 % en vertu de cette loi, il existerait un risque important que des opérateurs cherchent à exploiter cet avantage pour des opérations dans le cadre desquelles les marchandises n’ont en réalité pas été exportées en dehors de l’Union.

37 Certes, il appartient aux États membres de fixer, conformément à l’article 131 de la directive TVA, les conditions dans lesquelles ils exonèrent les opérations à l’exportation en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues par cette directive et de prévenir toute fraude, évasion et tout abus éventuels. Dans l’exercice de leurs pouvoirs, les États membres doivent néanmoins respecter les principes généraux du droit qui font partie de l’ordre juridique de l’Union, au
nombre desquels figure notamment le principe de proportionnalité (arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 26).

38 S’agissant de ce principe, il convient de rappeler qu’une mesure nationale va au-delà de ce qui est nécessaire afin d’assurer l’exacte perception de la taxe si elle subordonne, pour l’essentiel, le droit à l’exonération de la TVA au respect d’obligations formelles, sans que soient prises en compte les conditions de fond et, notamment, sans qu’il faille s’interroger sur le point de savoir si celles-ci étaient satisfaites. En effet, les opérations doivent être taxées en prenant en considération
leurs caractéristiques objectives (arrêt du 17 décembre 2020, BAKATI PLUS, C‑656/19, EU:C:2020:1045, point 71 et jurisprudence citée).

39 Ainsi que le fait valoir la Commission européenne, si les États membres imposent des exigences formelles en vertu de l’article 131 de la directive TVA, ces conditions ne doivent cependant pas modifier le champ d’application des exonérations prévues par cette directive. Il ne serait pas proportionné de refuser d’appliquer l’exonération à une exportation au seul motif que l’assujetti ne dispose pas des documents d’exportation corrects si, comme en l’occurrence, les autorités fiscales ont la
certitude que les biens ont été exportés. Un tel refus irait au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir l’exacte perception de la taxe, puisque l’exonération de la TVA serait subordonnée à des exigences formelles excessives, sans qu’il soit examiné si les critères d’exonération de fond sont effectivement remplis.

40 Selon la jurisprudence de la Cour, il n’existe que deux cas de figure dans lesquels le non-respect d’une exigence formelle peut entraîner la perte du droit à l’exonération de la TVA (arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 29 et jurisprudence citée).

41 D’une part, la violation d’une exigence formelle peut conduire au refus de l’exonération de la TVA si cette violation a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites (arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 30 et jurisprudence citée).

42 Toutefois, tel n’est manifestement pas le cas dans l’affaire au principal, dans laquelle, ainsi qu’il a été relevé aux points 23 à 31 du présent arrêt, toutes les conditions de fond de l’exonération prévues à l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA sont remplies.

43 D’autre part, le principe de neutralité fiscale ne saurait être invoqué aux fins de l’exonération de la TVA par un assujetti qui a intentionnellement participé à une fraude fiscale ayant mis en péril le fonctionnement du système commun de la TVA. Selon la jurisprudence de la Cour, il n’est pas contraire au droit de l’Union d’exiger d’un opérateur qu’il agisse de bonne foi et prenne toute mesure pouvant raisonnablement être requise pour s’assurer que l’opération qu’il effectue ne le conduit pas à
participer à une fraude fiscale. Dans l’hypothèse où l’assujetti concerné savait ou aurait dû savoir que l’opération qu’il a effectuée était impliquée dans une fraude commise par l’acquéreur et où il n’a pas pris toutes les mesures raisonnables en son pouvoir pour éviter cette fraude, le bénéfice de l’exonération devrait lui être refusé (arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 33 et jurisprudence citée).

44 Toutefois, en l’occurrence, la juridiction de renvoi a indiqué que l’administration fiscale n’avait fait état d’aucune fraude ou abus de la part du fournisseur dans la chaîne de livraisons. En outre, aucun indice de comportement frauduleux ne ressort du dossier dont dispose la Cour.

45 Au demeurant, la Cour a déjà jugé que, dans une situation où les conditions de l’exonération à l’exportation prévues à l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA, notamment la sortie des biens concernés du territoire douanier de l’Union, sont établies, aucune TVA n’est due au titre d’une telle livraison et, dans de telles circonstances, il n’existe plus, en principe, de risque d’une fraude fiscale ou de pertes fiscales pouvant justifier l’imposition de l’opération en cause (arrêt
du 17 décembre 2020, BAKATI PLUS, C‑656/19, EU:C:2020:1045, point 82 et jurisprudence citée).

46 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que relève de l’exonération prévue à cette disposition une livraison de biens initialement déclarée par le fournisseur comme une livraison intracommunautaire qui a, à l’insu de ce dernier, été effectuée en dehors du territoire de l’Union par l’acquéreur, lorsque l’exportation en question a été constatée par les autorités fiscales sur
la base de documents douaniers.

Sur les dépens

47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

  L’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée,

  doit être interprété en ce sens que :

  relève de l’exonération prévue à cette disposition une livraison de biens initialement déclarée par le fournisseur comme une livraison intracommunautaire qui a, à l’insu de ce dernier, été effectuée en dehors du territoire de l’Union européenne par l’acquéreur, lorsque l’exportation en question a été constatée par les autorités fiscales sur la base de documents douaniers.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.


Synthèse
Formation : Neuvième chambre
Numéro d'arrêt : C-602/24
Date de la décision : 01/08/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie.

Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Exonérations à l’exportation – Article 146, paragraphe 1, sous b) – Livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de l’Union européenne – Transport de biens en dehors de l’Union à la suite d’une convention entre l’acquéreur et le fournisseur prévoyant leur livraison dans un autre État membre – Biens ayant effectivement quitté le territoire de l’Union – Preuve – Refus de l’exonération à l’exportation – Principes de neutralité fiscale et de proportionnalité.


Parties
Demandeurs : W. sp. z o.o.
Défendeurs : Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w W.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona
Rapporteur ?: Arabadjiev

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:627

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