ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
1er août 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Article 19, paragraphe 1, TUE – Obligation des États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à un recours effectif – Possibilité de recourir à l’arbitrage – Arbitrage entre particuliers – Arbitrage imposé – Décision d’un organe d’une fédération sportive internationale infligeant une
sanction – Sentence du Tribunal arbitral du sport (TAS) confirmée par une décision d’une juridiction d’un État tiers – Voie de recours contre la sentence arbitrale – Réglementation nationale conférant, à cette sentence arbitrale, l’autorité de la chose jugée entre les parties et une force probante à l’égard des tiers – Pouvoirs et obligations des juridictions nationales devant lesquelles est invoquée ladite sentence arbitrale – Contrôle effectif de la conformité d’une telle sentence arbitrale aux
principes et aux dispositions relevant de l’ordre public de l’Union »
Dans l’affaire C‑600/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (Belgique), par décision du 8 septembre 2023, parvenue à la Cour le 2 octobre 2023, dans la procédure
Royal Football Club Seraing SA
contre
Fédération internationale de football association (FIFA),
Union des associations européennes de football (UEFA),
Union royale belge des sociétés de football association ASBL (URBSFA),
en présence de :
Doyen Sports Investment Ltd,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, I. Jarukaitis, Mme M. L. Arastey Sahún, MM. S. Rodin, A. Kumin, N. Jääskinen et D. Gratsias, présidents de chambre, M. E. Regan, Mme I. Ziemele, MM. J. Passer (rapporteur) et Z. Csehi, juges,
avocat général : Mme T. Ćapeta,
greffier : M. C. Di Bella, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er octobre 2024,
considérant les observations présentées :
– pour le Royal Football Club Seraing SA, par Mes J.-L. Dupont, M. Hissel et F. Stockart, avocats, Me F. Irurzun, abogado, et Me M. Orth, Rechtsanwalt,
– pour la Fédération internationale de football association (FIFA), par Me A. Laes, avocat, et Me D. Van Liedekerke, advocaat,
– pour l’Union des associations européennes de football (UEFA), par Me P. González-Espejo García, abogado, Mes B. Keane, D. Slater et D. Waelbroeck, avocats,
– pour l’Union royale belge des sociétés de football association ASBL (URBSFA), par Mes N. Cariat et A. Stévenart, avocats, et Me E. Matthys, advocaat,
– pour Doyen Sports Investment Ltd, par Me M. Hissel, avocat,
– pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs, L. Jans, C. Pochet et M. Van Regemorter, en qualité d’agents, assistées de Me Y. Herinckx, avocat,
– pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller et Mme A. Hoesch, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement hellénique, par M. K. Boskovits, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement français, par MM. B. Fodda, J.-B. Merlin, M. Raux et Mme B. Travard, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement lituanien, par M. S. Grigonis et Mme V. Kazlauskaitė-Švenčionienė, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mme M. H. S. Gijzen, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. F. Erlbacher, T. Maxian Rusche, S. Noë et F. Ronkes Agerbeek, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 16 janvier 2025,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, TUE, lu en combinaison avec l’article 267 TFUE et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Royal Football Club Seraing SA (ci-après le « RFC Seraing ») à la Fédération internationale de football association (FIFA), à l’Union des associations européennes de football (UEFA) et à l’Union royale belge des sociétés de football association ASBL (URBSFA) au sujet d’une demande de déclaration de nullité, d’adoption d’injonctions et de réparation des préjudices que le RFC Seraing estime avoir subis du fait de la mise en œuvre,
par ces trois associations, de règles qui devraient être considérées comme étant nulles au motif qu’elles violent le droit de l’Union.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE dispose :
« Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. »
4 L’article 267 TFUE prévoit :
« La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :
a) sur l’interprétation des traités,
b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union [européenne].
Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
[...] »
5 L’article 47 de la Charte, intitulé « Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial », se lit comme suit :
« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter.
[...] »
Le droit belge
Le code judiciaire
6 Le code judiciaire, tel que modifié par la loi portant dispositions diverses en matière de justice, du 21 décembre 2018 (Moniteur belge du 31 décembre 2018, p. 106560) (ci-après le « code judiciaire »), comprend une première partie, intitulée « Principes généraux ». Cette première partie comporte un chapitre III, intitulé « Jugements et arrêts », dans lequel figure l’article 19, premier alinéa, de ce code, qui énonce :
« Le jugement est définitif dans la mesure où il épuise la juridiction du juge sur une question litigieuse, sauf les recours prévus par la loi. »
7 Ladite première partie inclut un chapitre IV, intitulé « De la chose jugée ». Ce chapitre IV réunit les articles 23 à 28 dudit code, qui prévoient ce qui suit :
« Art[icle] 23
L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet de la décision. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande repose sur la même cause, quel que soit le fondement juridique invoqué ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. L’autorité de la chose jugée ne s’étend toutefois pas à la demande qui repose sur la même cause mais dont le juge ne pouvait pas connaître eu égard au fondement juridique sur
lequel elle s’appuie.
Art[icle] 24
Toute décision définitive a, dès son prononcé, autorité de chose jugée.
Art[icle] 25
L’autorité de la chose jugée fait obstacle à la réitération de la demande.
Art[icle] 26
L’autorité de la chose jugée subsiste tant que la décision n’a pas été infirmée.
Art[icle] 27
L’exception de chose jugée peut être invoquée en tout état de cause devant le juge du fond saisi de la demande.
Elle ne peut être soulevée d’office par le juge.
Art[icle] 28
Toute décision passe en force de chose jugée dès qu’elle n’est plus susceptible d’opposition ou d’appel, sauf les exceptions prévues par la loi et sans préjudice des effets des recours extraordinaires. »
8 Le code judiciaire comporte également une sixième partie, intitulée « L’arbitrage ». Au sein du chapitre VI de cette sixième partie, intitulé « Sentence arbitrale et clôture de la procédure », figure l’article 1713 de ce code, qui comprend notamment les dispositions suivantes :
« § 1er. Le tribunal arbitral statue définitivement ou avant dire droit par une ou plusieurs sentences.
[...]
§ 9. La sentence a, dans les relations entre les parties, les mêmes effets qu’une décision d’un tribunal. »
9 Le chapitre VIII de ladite sixième partie, intitulé « Reconnaissance et exécution des sentences arbitrales », contient notamment les articles 1719 à 1721 du code judiciaire, qui se lisent comme suit :
« Art[icle] 1719
§ 1er. La sentence arbitrale, rendue en Belgique ou à l’étranger, ne peut faire l’objet d’une exécution forcée qu’après avoir été revêtue de la formule exécutoire, entièrement ou partiellement, par le tribunal de première instance conformément à la procédure visée à l’article 1720.
§ 2. Le tribunal de première instance ne peut revêtir la sentence de la formule exécutoire que si la sentence ne peut plus être attaquée devant les arbitres ou si les arbitres en ont ordonné l’exécution provisoire nonobstant appel.
Art[icle] 1720
§ 1er. Le tribunal de première instance est compétent pour connaître d’une demande concernant la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale rendue en Belgique ou à l’étranger.
[...]
§ 2. Lorsque la sentence a été rendue à l’étranger, le tribunal territorialement compétent est le tribunal de première instance du siège de la cour d’appel dans le ressort de laquelle la personne contre laquelle la déclaration exécutoire est demandée a son domicile et, à défaut de domicile, sa résidence habituelle ou, le cas échéant, son siège social, ou à défaut, son établissement ou sa succursale. [...]
[...]
§ 5. La sentence ne peut être reconnue ou déclarée exécutoire que si elle ne contrevient pas aux conditions de l’article 1721.
Art[icle] 1721
§ 1er. Le tribunal de première instance ne refuse la reconnaissance et la déclaration exécutoire d’une sentence arbitrale, quel que soit le pays où elle a été rendue, que dans les circonstances suivantes :
[...]
b) si le tribunal de première instance constate :
[...]
ii) que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence serait contraire à l’ordre public.
[...] »
La loi portant le Code de droit international privé
10 L’article 22 de la loi portant le Code de droit international privé, du 16 juillet 2004 (Moniteur belge du 27 juillet 2004, p. 57344), qui est intitulé « Reconnaissance et déclaration de la force exécutoire des décisions judiciaires étrangères », énonce :
« 1. Une décision judiciaire étrangère exécutoire dans l’État où elle a été rendue est déclarée exécutoire en Belgique, en tout ou en partie, conformément à la procédure visée à l’article 23.
Une décision judiciaire étrangère est reconnue en Belgique, en tout ou en partie, sans qu’il faille recourir à la procédure visée à l’article 23.
Si la reconnaissance est invoquée de façon incidente devant une juridiction belge, celle-ci est compétente pour en connaître.
La décision ne peut être reconnue ou déclarée exécutoire que si elle ne contrevient pas aux conditions de l’article 25.
2. Toute personne qui y a intérêt [...] peut faire constater, conformément à la procédure visée à l’article 23, que la décision doit être reconnue ou déclarée exécutoire, en tout ou en partie, ou ne peut l’être.
3. Au sens de la présente loi :
1° le terme décision judiciaire vise toute décision rendue par une autorité exerçant un pouvoir de juridiction ;
2° la reconnaissance établit pour droit ce qui a été décidé à l’étranger. »
La réglementation édictée par la FIFA
Les statuts de la FIFA
11 La FIFA est une association de droit privé qui a son siège à Zurich (Suisse).
12 Selon l’article 2 des statuts de la FIFA, dans leur édition du mois de mai 2024, qui correspond, en substance et sous réserve de leur renumérotation, aux éditions annuelles antérieures de ces statuts, cette association a pour buts, notamment, « d’établir des règles et des dispositions régissant le football et les questions y afférentes, et de veiller à les faire respecter », ainsi que « de contrôler le football sous toutes ses formes par l’adoption de toutes les mesures s’avérant nécessaires ou
recommandables afin de prévenir la violation des [s]tatuts, des règlements, des décisions de la FIFA et des [l]ois du [j]eu », au niveau mondial.
13 Conformément aux articles 11 et 14 de ces statuts, toute « association responsable de l’organisation et du contrôle du football » dans un pays donné peut devenir membre de la FIFA à condition, notamment, de s’engager au préalable à se conformer, entre autres, aux statuts, aux règlements et aux directives de la FIFA ainsi qu’aux décisions de ses organes. En qualité de membre de la FIFA, une telle association a, en vertu des articles 14 et 15 desdits statuts, l’obligation, notamment, d’amener ses
propres membres à respecter les statuts, les règlements, les directives de la FIFA et les décisions de ses organes, ainsi que de faire observer ceux-ci par l’ensemble des acteurs du football, en particulier les ligues et les clubs qui lui sont subordonnés, conformément à l’article 20 des mêmes statuts, ainsi que les joueurs. En outre, une telle association doit se soumettre à la juridiction et aux décisions du Tribunal arbitral du sport (TAS), et prévoir, dans ses propres statuts, des
dispositions selon lesquelles tous ces acteurs doivent eux aussi reconnaître explicitement cette juridiction et ces décisions. En pratique, plus de 200 associations nationales de football sont actuellement membres de la FIFA. Parmi celles-ci figure l’URBSFA, qui a son siège en Belgique et qui a pour objet d’assurer l’organisation et la promotion du football dans cet État membre.
14 L’article 44 des statuts de la FIFA, intitulé « Organes juridictionnels », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Les organes juridictionnels de la FIFA sont :
a) la [c]ommission de [d]iscipline ;
[...]
c) la [c]ommission de [r]ecours. »
15 L’article 47 de ces statuts, intitulé « [c]ommission de [r]ecours », énonce :
« 1. Le fonctionnement de la [c]ommission de [r]ecours est régi par le Code disciplinaire et le Code d’éthique de la FIFA.
2. La [c]ommission de [r]ecours traite les recours interjetés contre les décisions de la [c]ommission de [d]iscipline que les présents [s]tatuts et les règlements de la FIFA ne déclarent pas définitives.
3. Les décisions de la [c]ommission de [r]ecours sont définitives et contraignantes pour toutes les parties intéressées, sous réserve d’un recours auprès du Tribunal [a]rbitral du [s]port (TAS). »
16 La section IX desdits statuts, intitulée « Arbitrage », contient les articles suivants :
« Article 49. Tribunal [a]rbitral du [s]port (TAS)
1. La FIFA reconnaît le recours au Tribunal [a]rbitral du [s]port (TAS), tribunal arbitral indépendant dont le siège est à Lausanne (Suisse), en cas de litige entre la FIFA, les associations membres, les confédérations, les ligues, les clubs, les joueurs, les officiels, les agents et les agents organisateurs de matches.
2. La procédure arbitrale est régie par les dispositions du Code de l’arbitrage en matière de sport du TAS. Le TAS applique en premier lieu les divers règlements de la FIFA ainsi que le droit suisse à titre supplétif.
[...]
Article 50. Compétence du TAS
1. Tout recours contre des décisions prises en dernière instance par la FIFA et ses organes doit être déposé auprès du TAS [...]
[...]
4. Le recours n’a pas d’effet suspensif. L’organe décisionnel compétent de la FIFA, ou le cas échéant le TAS, peut donner un effet suspensif au recours.
[...]
Article 51. Obligations relatives à la résolution des litiges
1. Les confédérations, les associations membres et les ligues s’engagent à reconnaître le TAS comme instance juridictionnelle indépendante. Elles s’engagent à prendre toutes les dispositions nécessaires pour que leurs membres ainsi que leurs joueurs et officiels se soumettent à l’arbitrage du TAS. [...]
2. Tout recours devant un tribunal ordinaire est interdit, sauf s’il est spécifiquement prévu par les règlements de la FIFA. Tout recours devant un tribunal ordinaire est également interdit pour tout type de mesures provisionnelles.
3. Les associations sont tenues d’intégrer dans leurs statuts ou leur réglementation une disposition qui, en cas de litiges au sein de l’association ou en cas de litiges concernant les ligues, les membres des ligues, les clubs, les membres des clubs, les joueurs, les officiels et autres membres de l’association, interdit le recours à des tribunaux ordinaires dans la mesure où la réglementation de la FIFA ainsi que des dispositions juridiques contraignantes ne prévoient pas ni ne stipulent
expressément la saisine de tribunaux ordinaires. Une juridiction arbitrale doit ainsi être prévue en lieu et place des tribunaux ordinaires. Les litiges susmentionnés devront être adressés soit au TAS, soit à un tribunal arbitral ordinaire et indépendant reconnu par la réglementation d’une association ou d’une confédération.
Les associations doivent également s’assurer que cette disposition est bien appliquée au sein de l’association en transférant si nécessaire cette obligation à leurs membres. Les associations sont tenues d’une part de sanctionner toute partie qui ne respectera pas ces obligations et d’autre part de stipuler que les recours contre les sanctions prononcées sont de la même façon soumis uniquement à la juridiction arbitrale et ne peuvent pas non plus être déposés auprès d’un tribunal ordinaire. »
Le règlement relatif au statut et au transfert des joueurs
17 Le 22 mars 2014, la FIFA a adopté un règlement intitulé « Règlement du Statut et du Transfert des joueurs », qui est entré en vigueur le 1er août 2014. Ce règlement abroge et remplace un règlement antérieur ayant le même intitulé, qui avait été promulgué le 5 juillet 2001.
18 L’article 1er dudit règlement, intitulé « Champ d’application », énonce, à son paragraphe 1 :
« Le présent règlement établit des règles universelles et contraignantes concernant le statut des joueurs et leur qualification pour participer au football organisé, ainsi que leur transfert entre des clubs appartenant à différentes associations. »
19 Le même règlement a été modifié au cours du mois de décembre 2014 (ci-après le « RSTJ »). Les dispositions issues de cette modification comprennent notamment l’article 18bis du RSTJ, intitulé « Influence d’une tierce partie sur des clubs », qui prévoit :
« 1. Aucun club ne peut signer de contrat permettant au(x) club(s) adverse(s), et vice versa, ou à une quelconque autre partie ou à des tiers d’acquérir dans le cadre de travail ou de transferts la capacité d’influer sur l’indépendance ou la politique du club ou encore sur les performances de ses équipes.
2. La [c]ommission de [d]iscipline de la FIFA peut imposer des sanctions aux clubs ne respectant pas les obligations stipulées dans le présent article. »
20 Ces dispositions comprennent également l’article 18ter du RSTJ, intitulé « Propriété des droits économiques des joueurs par des tiers », qui est libellé comme suit :
« 1. Aucun club ou joueur ne peut signer d’accord avec un tiers permettant à celui-ci de pouvoir prétendre, en partie ou en intégralité, à une indemnité payable en relation avec le futur transfert d’un joueur d’un club vers un autre club, ou de se voir attribuer tout droit en relation avec un transfert ou une indemnité de transfert futur(e).
2. L’interdiction énoncée à l’alinéa 1 entre en vigueur le 1er mai 2015.
3. Les accords couverts par l’alinéa 1 antérieurs au 1er mai 2015 peuvent rester valables jusqu’à leur expiration contractuelle. Cependant, leur durée ne peut être prolongée.
4. La durée de tout accord couvert par l’alinéa 1 signé entre le 1er janvier 2015 et le 30 avril 2015 ne peut excéder un an à partir de la date effective.
5. D’ici à la fin du mois d’avril 2015, tous les accords existants couverts par l’alinéa 1 doivent être entrés dans [le Système de régulation des transferts (TMS)]. Tous les clubs ayant signé des accords de ce type doivent les soumettre – dans leur intégralité et en incluant tout amendement ou annexe – dans TMS, en spécifiant les informations relatives au tiers concerné, le nom complet du joueur ainsi que la durée de l’accord.
6. La [c]ommission de [d]iscipline de la FIFA peut imposer des sanctions disciplinaires aux clubs ou joueurs ne respectant pas les obligations contenues dans l[e] présent [article] . »
Les faits au principal et les questions préjudicielles
Les antécédents du litige au principal
Les contrats conclus entre le RFC Seraing et Doyen
21 Le RFC Seraing est un club de football, organisé sous la forme de société anonyme, qui est établi en Belgique et affilié à l’URBSFA.
22 Le 30 janvier 2015, le RFC Seraing a conclu un premier contrat avec Doyen Sports Investment Ltd (ci-après « Doyen »), qui est une société établie à Malte et ayant pour principale activité économique l’assistance financière aux clubs de football en Europe. Ce premier contrat avait pour objet, d’une part, d’encadrer la conclusion future de conventions de financement pour des joueurs et, d’autre part, de céder à Doyen une partie des « droits économiques » du RFC Seraing sur trois joueurs déterminés.
Ces droits économiques visent à refléter la valeur financière des joueurs. Ils sont liés aux « droits fédératifs » qu’un club obtient en engageant un joueur donné, tels que le droit d’enregistrer ce joueur ou le droit de le faire jouer. Leur exercice permet au club qui les détient de percevoir les sommes dues, par exemple, en cas de prêt ou de transfert dudit joueur, au titre de l’exploitation ou de la cession de ses droits d’image ou encore en raison de la rupture du contrat de celui-ci.
23 Selon ce premier contrat, dont le terme était fixé au 1er juillet 2018, Doyen devenait propriétaire de 30 % des droits économiques détenus par le RFC Seraing sur les trois joueurs concernés et, en contrepartie, lui versait la somme de 300000 euros. Pour sa part, le RFC Seraing s’interdisait de céder « de manière indépendante et autonome » à un tiers la partie restante de ses droits économiques sur ces joueurs.
24 Le 7 juillet 2015, le RFC Seraing et Doyen ont conclu un second contrat (ci-après, ensemble avec le premier contrat, les « contrats en cause au principal »). Celui-ci stipulait la cession à Doyen de 25 % des droits économiques détenus par le RFC Seraing sur un quatrième joueur, en contrepartie du versement, par Doyen, de la somme de 50000 euros.
Les procédures disciplinaire et arbitrale menées en Suisse
25 À la suite d’une enquête, la FIFA, agissant avec le concours de l’URBSFA, a ouvert, le 2 juillet 2015, une procédure disciplinaire contre le RFC Seraing, ayant pour objet une possible violation des articles 18bis et 18ter du RSTJ en raison de la conclusion par cette dernière des contrats en cause au principal.
26 Le 4 septembre 2015, la commission de discipline de la FIFA a adopté une décision (ci-après la « décision de la commission de discipline de la FIFA ») aux termes de laquelle elle a, tout d’abord, déclaré que le RFC Seraing avait violé les articles 18bis et 18ter du RSTJ en concluant les contrats en cause au principal. En outre, cette commission a interdit à ce club d’enregistrer des joueurs pendant quatre périodes d’enregistrement consécutives, que ce soit au niveau national ou au niveau
international. Enfin, ladite commission lui a infligé une amende de 150000 francs suisses (soit environ 138000 euros en application du taux de change alors applicable), payable dans un délai de 30 jours à compter de la notification de sa décision.
27 Le 30 novembre 2015, le RFC Seraing a interjeté appel de cette décision devant la commission de recours de la FIFA. Le 3 décembre 2015, ce club a en outre demandé à cette commission, eu égard à l’absence d’effet suspensif d’un tel appel, qu’il soit sursis à l’exécution de ladite décision. Le 4 décembre 2015, le président de ladite commission a fait droit à cette demande.
28 Le 7 janvier 2016, la commission de recours de la FIFA a rejeté l’appel interjeté par le RFC Seraing contre la décision de la commission de discipline de la FIFA (ci-après la « décision de la commission de recours de la FIFA »).
29 Le 9 mars 2016, le RFC Seraing a introduit un recours en annulation contre la décision de la commission de recours de la FIFA devant le TAS. Le 17 mars 2016, ce club a en outre demandé à cet organe, eu égard à l’absence d’effet suspensif d’un tel recours, qu’un effet suspensif soit donné à celui-ci, en application de l’article 50 des statuts de la FIFA. Le 12 avril 2016, ledit organe a fait droit à cette demande.
30 Dans le cadre de ce recours, le RFC Seraing a fait valoir, en substance, notamment, que la décision de la commission de recours de la FIFA et les sanctions disciplinaires que cette décision lui impose sont illégales au motif que les dispositions sur lesquelles ladite décision se fonde sont elles-mêmes illégales. À cet égard, ce club a soutenu, entre autres, que les articles 18bis et 18ter du RSTJ, en ce qu’ils édictent une interdiction totale des pratiques dites de « third-party influence » et de
« third-party ownership », assortie de sanctions disciplinaires, violent le droit de l’Union et, plus particulièrement, la liberté de circulation des travailleurs, la liberté de prestation de services et la liberté des mouvements de capitaux respectivement garanties par les articles 45, 56 et 63 TFUE ainsi que les règles de concurrence énoncées aux articles 101 et 102 TFUE. Il a également invoqué la violation des règles de concurrence suisses.
31 Le 9 mars 2017, le TAS a rendu une sentence arbitrale (ci-après la « sentence du TAS ») dans laquelle il a notamment estimé, en ce qui concerne, en premier lieu, le droit applicable au litige, que celui-ci était constitué par les règlements de la FIFA, par le droit suisse et par le droit de l’Union. S’agissant de ce dernier, cet organe a considéré, tout d’abord, que les conditions cumulatives lui imposant de prendre en compte les libertés de circulation et les règles de concurrence dans le cadre
de son examen, en tant que « dispositions impératives d’un droit autre que [le droit suisse] », au sens du droit suisse, étaient réunies. En effet, les dispositions énonçant ces libertés et ces règles seraient considérées par la Cour comme faisant partie de l’ordre public de l’Union. Ensuite, il existerait un lien étroit entre l’objet du litige et ces dispositions compte tenu, d’une part, de l’impact manifeste du RSTJ sur le territoire de l’Union ainsi que, plus spécifiquement, sur l’activité des
clubs de football établis dans les États membres, et, d’autre part, de l’incidence de la décision de la commission de recours de la FIFA sur la possibilité, pour le RFC Seraing, de participer à des compétitions de football interclubs organisées sur ce territoire. Enfin, l’ordre juridique suisse partagerait les intérêts et les valeurs protégés par lesdites dispositions.
32 Pour ce qui est, en deuxième lieu, du fond du litige, le TAS a considéré, notamment, que le RFC Seraing n’avait pas démontré que les articles 18bis et 18ter du RSTJ violent les règles de concurrence suisses. Cet organe a également écarté l’existence d’une violation du droit de l’Union et, plus particulièrement, des articles 45, 56, 63, 101 et 102 TFUE.
33 En ce qui concerne, premièrement, les libertés de circulation, le TAS a, en substance, estimé, tout d’abord, que les articles 18bis et 18ter du RSTJ entravaient la liberté des mouvements de capitaux. Ensuite, cet organe a considéré que l’incidence négative alléguée de ces articles sur les libertés de circulation des travailleurs et de prestation de services était, en revanche, insuffisamment démontrée et, en tout état de cause, limitée. Enfin, ledit organe a observé que, quelle que soit la
liberté considérée, l’existence desdits articles était, de toute manière, justifiée par la poursuite d’objectifs légitimes d’intérêt général d’ordre sportif, tenant notamment à la préservation de l’intégrité des compétitions, et que l’examen de leur contenu faisait apparaître non seulement qu’ils étaient aptes à atteindre ces objectifs, mais également qu’ils n’allaient pas au-delà de ce qui était nécessaire et proportionné à cette fin.
34 S’agissant, deuxièmement, des règles de concurrence de l’Union, le TAS a considéré, d’une part, que les articles 18bis et 18ter du RSTJ avaient pour objet non pas de restreindre la concurrence, mais de poursuivre les objectifs légitimes d’intérêt général d’ordre sportif évoqués au point précédent. D’autre part, il a estimé que le RFC Seraing n’avait pas démontré que ces articles avaient pour effet actuel ou potentiel de restreindre la concurrence.
35 En troisième lieu, le TAS a confirmé l’amende infligée au RFC Seraing ainsi que l’interdiction d’enregistrer des joueurs qui avait été faite à celui-ci, tout en réduisant la durée de cette interdiction à trois périodes d’enregistrement consécutives.
36 En quatrième et dernier lieu, le TAS a décidé que, compte tenu des mesures de sursis et de suspension successivement adoptées par la commission de recours de la FIFA et par lui-même, ces sanctions disciplinaires seraient applicables à compter de la notification de sa sentence au RFC Seraing, l’amende devant, par conséquent, être payée dans un délai de 30 jours à compter de cette notification et l’interdiction d’enregistrement devant, pour sa part, couvrir les périodes d’enregistrement se
déroulant pendant l’été 2017, l’hiver 2017/2018 et l’été 2018.
37 Le 15 mai 2017, le RFC Seraing a introduit, devant le Tribunal fédéral (Suisse), un recours contre la sentence du TAS. En outre, il a demandé à cette juridiction de donner un effet suspensif à ce recours.
38 Par ordonnance du 7 août 2017, la présidence du Tribunal fédéral a rejeté cette demande d’effet suspensif.
39 À l’appui de son recours, le RFC Seraing a invoqué, notamment, un moyen tiré de l’incompatibilité de la sentence du TAS avec l’« ordre public matériel », au sens du droit suisse. À cet égard, ce club a de nouveau soutenu, notamment, que cette sentence violait la liberté de circulation des travailleurs, la liberté de prestation de services et la liberté des mouvements de capitaux respectivement garanties par les articles 45, 56 et 63 TFUE, les règles de concurrence énoncées aux articles 101
et 102 TFUE ainsi que les règles de concurrence suisses.
40 Dans leurs mémoires ou observations respectifs, la FIFA et le TAS ont conclu au rejet du recours du RFC Seraing.
41 Par arrêt du 20 février 2018, le Tribunal fédéral a rejeté ce recours. S’agissant du moyen du RFC Seraing tiré de l’incompatibilité de la sentence du TAS avec l’ordre public matériel et, plus particulièrement, avec les règles de concurrence ainsi que les libertés de circulation, cette juridiction a, en premier lieu, rappelé sa jurisprudence établie à cet égard. Il résulte de celle-ci, premièrement, qu’une sentence arbitrale ne peut être considérée comme étant incompatible avec l’ordre public
matériel que si elle méconnaît, par son résultat et non pas seulement par ses motifs, les valeurs essentielles et largement reconnues qui, selon les conceptions prévalant en Suisse, devraient constituer le fondement de tout ordre juridique. Deuxièmement, une telle méconnaissance suppose que cette sentence viole des principes fondamentaux du droit matériel au point de ne plus être conciliable avec l’ordre juridique et le système de valeurs déterminants. Troisièmement, les règles de concurrence ne
font pas partie de l’ordre public matériel.
42 En second lieu, ladite juridiction a ajouté, en substance, que, en tout état de cause, le moyen tiré de l’incompatibilité de la sentence du TAS avec l’ordre public matériel devait être rejeté comme étant irrecevable en l’espèce, en tant qu’il porte sur le droit de l’Union et les règles de concurrence suisses, parce qu’il ne respectait pas l’exigence de motivation applicable aux recours contre une sentence arbitrale.
La procédure judiciaire menée en Belgique
43 Le 3 avril 2015, soit antérieurement à l’ouverture d’une procédure disciplinaire par la FIFA, Doyen et l’association sans but lucratif de droit belge RFC sérésien, qui dirige le RFC Seraing, ont cité la FIFA, l’UEFA et l’URBSFA devant le tribunal de commerce francophone de Bruxelles (Belgique).
44 Le 8 juillet 2015, soit après l’ouverture de cette procédure disciplinaire mais avant l’adoption de la décision de la commission de discipline de la FIFA, le RFC Seraing est intervenu volontairement à la procédure, en demandant à cette juridiction de constater la non-conformité au droit de l’Union, et plus particulièrement aux articles 45, 56, 63, 101 et 102 TFUE, de l’interdiction totale des pratiques de third-party influence et de third-party ownership édictée par les articles 18bis et 18ter du
RSTJ. En outre, ce club a demandé à ladite juridiction de déclarer nulle toute disposition édictant une telle interdiction totale, de prononcer différentes injonctions contre la FIFA, l’UEFA et l’URBSFA, ainsi que de lui accorder la somme provisionnelle de 500000 euros à titre de réparation des différents préjudices qu’il estime avoir subis du fait de l’application des articles 18bis et 18ter du RSTJ.
45 Le 17 novembre 2016, le tribunal de commerce francophone de Bruxelles a rendu un jugement dans lequel il s’est notamment déclaré sans juridiction pour connaître des différentes demandes du RFC Seraing.
46 Le 19 décembre 2016, soit après l’adoption de la décision de la commission de discipline de la FIFA et de celle de la commission de recours de la FIFA, mais avant le prononcé de la sentence du TAS, le RFC Seraing a interjeté appel de ce jugement devant la cour d’appel de Bruxelles (Belgique).
47 Dans le cadre de cet appel, ce club a notamment soutenu avoir subi différents préjudices causés par une faute commise par la FIFA avec le concours de l’URBSFA, consistant en substance, pour ces associations, à avoir fait application des articles 18bis et 18ter du RSTJ à son égard, d’abord en ouvrant une procédure disciplinaire, puis en lui reprochant d’avoir contrevenu aux interdictions édictées par ces articles, et enfin en lui infligeant des sanctions disciplinaires. En effet, cette procédure
disciplinaire, ces constats d’infraction et ces sanctions disciplinaires seraient viciés par la circonstance que les articles 18bis et 18ter du RSTJ, sur lesquels ils se fondent, violent eux-mêmes le droit de l’Union, en particulier les articles 45, 56, 63, 101 et 102 TFUE.
48 Le 12 décembre 2019, soit après les prononcés de la sentence du TAS et de l’arrêt du Tribunal fédéral mentionné au point 41 du présent arrêt, la cour d’appel de Bruxelles a rendu un arrêt (ci-après l’« arrêt de la cour d’appel de Bruxelles ») dans lequel elle a rejeté l’ensemble des demandes du RFC Seraing.
49 Dans cet arrêt, la cour d’appel de Bruxelles a notamment jugé, en premier lieu, que les moyens du RFC Seraing selon lesquels les articles 18bis et 18ter du RSTJ violent le droit de l’Union avaient déjà été soulevés par ce club devant le TAS, dans le cadre du litige l’opposant à la FIFA, et rejetés dans la sentence du TAS. Or, selon la cour d’appel de Bruxelles, la sentence du TAS doit être considérée, compte tenu des articles 24 et 28 et de l’article 1713, paragraphe 9, du code judiciaire, comme
ayant les mêmes effets qu’une décision d’un tribunal dans les relations entre les parties, comme devant, partant, se voir reconnaître l’autorité de la chose jugée à compter de son prononcé et comme étant passée en force de chose jugée à compter du rejet, par le Tribunal fédéral, du recours introduit contre celle-ci. La cour d’appel de Bruxelles a dès lors conclu que les moyens en cause étaient irrecevables en tant qu’ils étaient dirigés contre la FIFA.
50 En second lieu, la cour d’appel de Bruxelles a relevé, en substance, que, à partir du moment où une décision juridictionnelle ou une sentence arbitrale se voit reconnaître l’autorité de la chose jugée dans les relations entre les parties au litige, elle doit se voir accorder par voie de conséquence, à l’égard des tiers à ce litige, auxquels elle est opposable, la force probante qui s’attache à une telle autorité. En l’occurrence, selon cette juridiction, la sentence du TAS a donc force probante à
l’égard de l’URBSFA, qui n’était pas partie au litige ayant opposé le RFC Seraing et la FIFA devant le TAS. Compte tenu d’une telle force probante, il aurait incombé au RFC Seraing, dans la mesure où ce club impute également une faute à l’URBSFA, de renverser la présomption, fondée sur la sentence du TAS, selon laquelle les articles 18bis et 18ter du RSTJ sont conformes au droit de l’Union. Or, ledit club ne se serait pas acquitté de cette obligation. Ladite juridiction a, partant, rejeté les
moyens visés au point précédent comme étant non fondés en tant qu’ils étaient dirigés contre l’URBSFA.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
51 Le RFC Seraing a formé, devant la Cour de cassation (Belgique), qui est la juridiction de renvoi, un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles.
52 Dans la décision de renvoi, la Cour de cassation indique que les moyens de cassation que lui soumet le RFC Seraing soulèvent deux questions d’interprétation du droit de l’Union dont elle estime nécessaire de saisir la Cour.
53 En premier lieu, le RFC Seraing fait valoir, par son premier moyen de pourvoi, que la cour d’appel de Bruxelles a violé, notamment, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 267 TFUE et l’article 47 de la Charte en rejetant comme étant irrecevables ses moyens d’appel en tant qu’ils étaient dirigés contre la FIFA. En effet, ce serait à tort que cette juridiction a considéré que la sentence du TAS devait se voir reconnaître l’autorité de la chose jugée, à l’égard de la FIFA, en ce
que cette sentence a conclu à la conformité des articles 18bis et 18ter du RSTJ au droit de l’Union.
54 À cet égard, il résulterait certes de la jurisprudence issue des arrêts du 23 mars 1982, Nordsee (102/81, EU:C:1982:107), et du 6 mars 2018, Achmea (C‑284/16, EU:C:2018:158), que, si des particuliers ont la possibilité de conclure une convention soumettant les litiges susceptibles de les opposer à un organe arbitral, cela ne doit pas porter atteinte au respect intégral, à l’interprétation cohérente et à l’application effective du droit de l’Union sur le territoire de celle-ci. En outre, il en
découlerait qu’une telle exigence implique elle-même que les juridictions nationales compétentes puissent se prononcer sur les questions de droit de l’Union en litige, en saisissant au besoin la Cour d’une demande de décision préjudicielle, afin d’assurer une protection juridictionnelle effective aux particuliers.
55 Par ailleurs, il ressortirait, en substance, de l’arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos (C‑116/20, EU:C:2022:273), que, même si le droit de l’Union n’impose pas en toutes circonstances aux juridictions nationales compétentes d’écarter l’application des règles de droit interne qui confèrent l’autorité de la chose jugée à une décision à caractère juridictionnel, lorsque cela permettrait de remédier à une situation incompatible avec le droit de l’Union, de telles règles doivent néanmoins satisfaire, en
tout état de cause, aux exigences d’équivalence et d’effectivité.
56 Cependant, ces acquis jurisprudentiels ne permettraient pas de répondre à la question, posée en l’occurrence, de savoir s’il est conforme à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE de reconnaître l’autorité de la chose jugée, entre les parties à un litige pendant devant une juridiction d’un État membre, à une sentence arbitrale qui n’a pas pu faire l’objet, préalablement à cette reconnaissance, d’un contrôle de conformité au droit de l’Union par une juridiction habilitée à saisir la Cour au
titre de l’article 267 TFUE, alors même que cette sentence arbitrale se prononce sur des questions relatives au droit de l’Union.
57 En second lieu, le RFC Seraing soutient, par son troisième moyen de pourvoi, que la cour d’appel de Bruxelles a violé, notamment, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 267 TFUE et l’article 47 de la Charte en rejetant comme étant non fondés ses moyens d’appel en tant qu’ils étaient dirigés contre l’URBSFA. En effet, ce serait à tort que cette juridiction a considéré que la sentence du TAS devait se voir accorder la force probante qui s’attache à l’autorité de la chose jugée à
l’égard de l’URBSFA, en ce que cette sentence a conclu à la conformité des articles 18bis et 18ter du RSTJ au droit de l’Union.
58 À cet égard, après avoir relevé que la violation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE constitue un moyen d’ordre public susceptible d’entraîner à lui seul la cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, la Cour de cassation observe que l’examen de ce moyen implique de se prononcer sur la question de savoir s’il est conforme à cette disposition d’accorder une force probante, à l’égard des tiers à un litige pendant devant une juridiction d’un État membre, à une sentence
arbitrale qui n’a pas pu faire au préalable l’objet d’un contrôle de conformité au droit de l’Union par une juridiction habilitée à saisir la Cour au titre de l’article 267 TFUE, alors même que cette sentence arbitrale se prononce sur des questions relatives au droit de l’Union.
59 Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 19, paragraphe 1, TUE, lu en combinaison avec l’article 267 TFUE et l’article 47 de la Charte, fait-il obstacle à l’application de dispositions de droit national telles que les articles 24 et 171[3], § 9, du [code judiciaire], tendant à sanctionner le principe de l’autorité de la chose jugée, à une sentence arbitrale dont le contrôle de conformité au droit de l’Union [...] a été effectué par une juridiction d’un État non membre de l’Union, non admise à saisir la Cour de justice de
l’Union européenne d’une question préjudicielle ?
2) L’article 19, paragraphe 1, TUE, lu en combinaison avec l’article 267 [TFUE] et l’article 47 de la Charte [...], fait-il obstacle à l’application d’une règle de droit national accordant à l’égard des tiers une force probante, sous réserve de la preuve contraire qu’il leur incombe de rapporter, à une sentence arbitrale dont le contrôle de conformité au droit de l’Union a été effectué par une juridiction d’un État non membre de l’Union, non admise à saisir la Cour de justice de l’Union
européenne d’une question préjudicielle ? »
Sur les questions préjudicielles
Considérations liminaires
60 Ainsi qu’il résulte du libellé des questions préjudicielles et de la motivation qui les sous-tend, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur l’interprétation de l’article 19 TUE, lu en combinaison avec l’article 267 TFUE et l’article 47 de la Charte, afin de pouvoir se prononcer sur le point de savoir si ces dispositions s’opposent à l’application, à une sentence arbitrale rendue par le TAS et confirmée par le Tribunal fédéral, d’une part, de dispositions nationales qui reconnaissent aux
sentences arbitrales définitives l’autorité de la chose jugée dans les relations entre les parties au litige et, d’autre part, d’une règle nationale qui leur attribue, du fait de cette autorité, une force probante à l’égard des tiers.
61 Certains participants à la procédure invitent cependant la Cour, en substance, à tenir également compte, dans le cadre de son examen, d’autres dispositions ou règles de droit national que celles qui sont spécifiquement visées par la juridiction de renvoi dans ses questions.
62 En particulier, le gouvernement belge a exposé, dans ses observations écrites, que, même si l’article 1713, paragraphe 9, du code judiciaire dispose qu’une sentence arbitrale a, entre les parties, les mêmes effets qu’une décision judiciaire, en ce compris l’autorité de chose jugée visée à l’article 24 de ce code, encore faut-il que cette sentence arbitrale soit intégrée dans l’ordre juridique belge, conformément aux articles 1720 et 1721 dudit code, qui prévoient la procédure relative à la
reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales en Belgique.
63 Lors de l’audience, ce gouvernement a précisé qu’il existe, dans ce contexte, trois manières de contester une sentence arbitrale devant les juridictions belges. Tout d’abord, lorsqu’une partie présente au tribunal de première instance compétent, sur le fondement des articles 1720 et 1721 du code judiciaire, une demande visant à obtenir la reconnaissance d’une sentence arbitrale en Belgique, ce tribunal pourrait, à la demande de l’autre partie ou d’office, refuser de faire droit à la première
demande en cas de contrariété de cette sentence à l’ordre public. Ensuite, une partie qui souhaite éviter la reconnaissance d’une sentence arbitrale pourrait, sur le fondement des mêmes dispositions, introduire une demande de non-reconnaissance de cette sentence devant ledit tribunal. Enfin, bien que cela ne soit pas prévu explicitement par l’article 1721 du code judiciaire, la non-reconnaissance d’une sentence arbitrale pourrait être demandée ou même décidée d’office, de manière incidente,
chaque fois qu’une telle sentence est invoquée dans le cadre d’une procédure devant une juridiction nationale, à l’instar de ce qui est prévu à l’article 22 de la loi portant le Code de droit international privé pour les décisions judiciaires étrangères.
64 À l’instar du gouvernement belge, la FIFA et, en substance, l’UEFA, demandent à la Cour de tenir compte des dispositions nationales relatives à la procédure de reconnaissance et d’exécution des sentences arbitrales étrangères en Belgique.
65 Pour leur part, la Commission européenne et le gouvernement allemand s’interrogent, en substance, sur le caractère complet de la présentation faite, dans la décision de renvoi, des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’occurrence, tout en rappelant que la Cour est en principe tenue par l’interprétation du droit interne retenue par la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle.
66 À cet égard, il est de jurisprudence constante que, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, qui est fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent, notamment, pour interpréter et appliquer le droit national (arrêts du 4 juin 2013, ZZ, C‑300/11, EU:C:2013:363, point 36, et du 24 juillet 2023, Lin, C‑107/23 PPU, EU:C:2023:606, point 76). Pour sa part, la Cour doit se prononcer sur l’interprétation ou
la validité des dispositions du droit de l’Union au sujet desquelles elle est sollicitée en prenant en compte le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qui lui sont posées, tel que défini par la juridiction de renvoi (voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2007, Laval un Partneri, C‑341/05, EU:C:2007:809, point 47, et du 24 février 2022, Namur-Est Environnement, C‑463/20, EU:C:2022:121, point 40).
67 En conséquence, c’est à la seule juridiction de renvoi qu’il appartient de déterminer les dispositions nationales applicables au litige au principal et d’en tenir compte dans la mesure où elle estime qu’il y a lieu de le faire.
68 Par ses questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 267 TFUE et l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, d’une part, à ce que l’autorité de la chose jugée soit conférée à une sentence du TAS sur le territoire d’un État membre, dans les relations entre les parties au litige dans le cadre duquel cette sentence a été rendue,
dans le cas où la conformité de ladite sentence au droit de l’Union n’a pas été contrôlée au préalable par une juridiction nationale habilitée à saisir la Cour à titre préjudiciel, et, d’autre part, à ce que, en conséquence de cette autorité de la chose jugée, une force probante soit conférée à une telle sentence sur le territoire du même État membre, dans les relations entre les parties audit litige et les tiers.
Sur la protection juridictionnelle effective des particuliers au sein de l’Union, en ce compris en cas de recours à l’arbitrage
69 L’Union est une Union de droit, dans laquelle le droit à une protection juridictionnelle effective revêt une importance cardinale, en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 58, ainsi que du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 51].
70 C’est pourquoi ce droit, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, est également garanti aux justiciables, au niveau de l’Union, dans les conditions prévues à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la Charte, cette dernière disposition devant être dûment prise en considération aux fins de l’interprétation de la première [voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P,
EU:C:2013:518, point 66 ; du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 35, ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 143].
71 La reconnaissance du droit à un recours effectif garanti à l’article 47 de la Charte, dans un cas d’espèce donné, suppose notamment que la personne qui l’invoque se prévale de droits ou de libertés garantis par le droit de l’Union [arrêts du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 34, et du 29 juillet 2024, protectus, C‑185/23,EU:C:2024:657, point 71]. Tel est le cas dans le litige au principal, puisque, comme le souligne la juridiction
de renvoi, le RFC Seraing se prévaut des droits et des libertés qu’il tire des articles 45, 56, 63, 101 et 102 TFUE.
72 À ce droit à un recours effectif garanti à l’article 47 de la Charte correspond l’obligation faite aux États membres, à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union [arrêts du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale), C‑245/19 et C‑246/19, EU:C:2020:795, point 47, ainsi que du
1er août 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Refus de prise en charge d’un mineur égyptien non accompagné), C‑19/21, EU:C:2022:605, point 36].
73 Là où l’article 47 de la Charte contribue au respect du droit à une protection juridictionnelle effective de tout justiciable qui se prévaut, dans un cas donné, d’un droit ou d’une liberté qu’il tire du droit de l’Union, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE vise à assurer que le système de voies de recours établi par tout État membre garantisse la protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union (arrêt du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19,
EU:C:2021:311, point 52).
74 S’agissant, premièrement, de l’obligation énoncée à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, celle-ci implique que toutes les instances relevant du système juridictionnel des États membres qui sont susceptibles d’être appelées, en tant que « juridictions », au sens du droit de l’Union, à interpréter ou à appliquer ce droit satisfont aux exigences inhérentes à une protection juridictionnelle effective [voir, en ce sens, arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses,
C‑64/16, EU:C:2018:117, point 40, ainsi que du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 40].
75 En ce qui concerne, deuxièmement, le droit à un recours effectif garanti à l’article 47 de la Charte, celui-ci requiert, notamment, que ces juridictions puissent procéder à un contrôle juridictionnel effectif des actes, mesures ou comportements dont il est soutenu, dans le cadre d’un litige donné, qu’ils ont porté atteinte aux droits ou aux libertés que le droit de l’Union confère à un justiciable. Cette exigence implique, en principe, que lesdites juridictions soient compétentes pour examiner
toutes les questions de droit et de fait pertinentes pour résoudre ce litige [arrêt du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale), C‑245/19 et C‑246/19, EU:C:2020:795, point 66 et jurisprudence citée].
76 Cependant, aucune de ces deux dispositions n’implique que les justiciables disposent d’une voie de recours directe ayant pour objet, à titre principal, de mettre en cause une mesure donnée, pour autant qu’il existe par ailleurs, dans le système juridictionnel national concerné, une ou plusieurs voies de recours leur permettant d’obtenir, à titre incident, un contrôle juridictionnel effectif de cette mesure et assurant ainsi le respect des droits et des libertés que le droit de l’Union leur
garantit [voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, EU:C:2007:163, points 47 et 49 ; du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale), C‑245/19 et C‑246/19, EU:C:2020:795, point 79, ainsi que du 8 avril 2025, Parquet européen (Contrôle juridictionnel des actes de procédure), C‑292/23, EU:C:2025:255, point 79].
77 Par ailleurs, les voies de recours qui existent dans le système juridictionnel national concerné doivent permettre à la juridiction nationale compétente de demander à la Cour de statuer, à titre préjudiciel, sur toute question portant sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’un acte du droit de l’Union, dans les conditions prévues à l’article 267 TFUE. À cet égard, il importe de souligner que la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE, qui constitue la
clef de voûte du système juridictionnel institué par les traités, instaure un dialogue de juge à juge entre la Cour et les juridictions des États membres ayant pour but d’assurer l’unité d’interprétation du droit de l’Union, permettant ainsi d’assurer sa cohérence, son plein effet et son autonomie ainsi que, en dernière instance, le caractère propre du droit institué par les traités [avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 176, ainsi que arrêts du
6 mars 2018, Achmea, C‑284/16, EU:C:2018:158, point 37, et du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 73]. À ce titre, cette procédure de renvoi préjudiciel constitue une composante essentielle du système institué par les traités en vue de permettre aux juridictions nationales d’assurer la protection juridictionnelle effective des droits que les particuliers tirent du droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2021, IS
(Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 76].
78 Cela étant, l’ordre juridique instauré par les traités ne s’oppose pas, par principe, à ce que des particuliers qui relèvent de cet ordre juridique au titre de l’exercice d’une activité économique, sur le territoire de l’Union, soumettent les litiges qui sont susceptibles de les opposer dans le cadre de cet exercice à un mécanisme d’arbitrage.
79 Au contraire, à la différence de la conclusion, d’une part, d’accords entre États membres qui instituent des mécanismes d’arbitrage obligatoires soustrayant à la compétence de leurs juridictions des litiges susceptibles de porter sur l’interprétation ou l’application du droit de l’Union et, d’autre part, de conventions d’arbitrage ad hoc rendant possible la poursuite d’arbitrages engagés sur le fondement de tels accords, laquelle est strictement prohibée (voir, en ce sens, arrêts du 6 mars 2018,
Achmea, C‑284/16, EU:C:2018:158, points 54 et 55 ; du 2 septembre 2021, République de Moldavie, C‑741/19, EU:C:2021:655, point 59, ainsi que du 26 octobre 2021, PL Holdings, C‑109/20, EU:C:2021:875, points 44 et 45), le recours par des particuliers à un arbitrage est en principe possible.
80 À cet égard, ainsi que cela ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, à la lumière de laquelle il convient d’interpréter l’article 47 de la Charte (arrêt du 19 décembre 2019, Deutsche Umwelthilfe, C‑752/18, EU:C:2019:1114, point 37), une distinction doit être opérée entre l’arbitrage forcé et
l’arbitrage volontaire. S’agissant de ce dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que des parties à un contrat sont libres de renoncer volontairement à certains droits garantis par cette convention, en ce compris le droit de soumettre aux juridictions étatiques certains différends pouvant naître de l’exécution de ce contrat, pour autant qu’une telle renonciation soit libre, licite et sans équivoque (Cour EDH, 2 octobre 2018, Mutu et Pechstein c. Suisse,
CE:ECHR:2018:1002JUD004057510, § 96).
81 De la même manière, la Cour a relevé que des particuliers ont la possibilité de conclure une convention qui soumet, dans des termes clairs et précis, tout ou partie des litiges liés à celle-ci à un organe arbitral, en lieu et place de la juridiction qui aurait été compétente pour se prononcer sur ces litiges en vertu des dispositions applicables en l’absence d’une telle convention (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, International Skating Union/Commission, C‑124/21 P, EU:C:2023:1012,
point 193).
82 Cependant, à partir du moment où le mécanisme d’arbitrage instauré ou désigné par une telle convention est appelé à être mis en œuvre sur tout ou partie du territoire de l’Union, dans le cadre de litiges liés à l’exercice d’une activité économique sur ce territoire, ce mécanisme doit être conçu et mis en œuvre d’une manière assurant, d’une part, sa compatibilité avec les principes qui structurent l’architecture juridictionnelle de l’Union et, d’autre part, le respect effectif de l’ordre public de
l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, International Skating Union/Commission, C‑124/21 P, EU:C:2023:1012, points 188 et 189).
83 À cette fin, il importe de souligner que, indépendamment des règles qui peuvent trouver à s’appliquer à l’organe arbitral compétent en vertu d’un tel mécanisme d’arbitrage, les sentences rendues par cet organe doivent pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel propre à garantir la protection juridictionnelle effective à laquelle les particuliers concernés ont droit, en vertu de l’article 47 de la Charte, et que les États membres ont l’obligation d’assurer dans les domaines couverts par le
droit de l’Union, conformément à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.
84 Cette exigence n’implique pas qu’il doit nécessairement exister, dans l’Union, une ou plusieurs juridictions habilitées à examiner toutes les questions de droit et de fait pertinentes pour résoudre les litiges dans le cadre desquels ces sentences ont été rendues, comme cela devrait être le cas en l’absence de recours à l’arbitrage, conformément à la jurisprudence citée au point 75 du présent arrêt. En effet, au vu de la faculté ouverte aux particuliers de recourir à l’arbitrage, dans les
conditions rappelées au point 82 de cet arrêt, et des exigences tenant à l’efficacité de la procédure arbitrale, le contrôle juridictionnel desdites sentences peut valablement revêtir un caractère limité (voir, en ce sens, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss, C‑126/97, EU:C:1999:269, point 35 ; du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C‑168/05, EU:C:2006:675, point 34, et du 21 décembre 2023, International Skating Union/Commission, C‑124/21 P, EU:C:2023:1012, point 193).
85 Toutefois, il doit, en tout état de cause, rester possible, pour les particuliers concernés par de telles sentences, d’obtenir un contrôle, par une juridiction répondant à l’ensemble des exigences découlant de l’article 267 TFUE, de la question de savoir si de telles sentences sont compatibles avec les principes et les dispositions qui font partie de l’ordre public de l’Union et qui sont pertinents dans le cadre du litige concerné (voir, en ce sens, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss,
C‑126/97, EU:C:1999:269, point 37, et du 21 décembre 2023, International Skating Union/Commission, C‑124/21 P, EU:C:2023:1012, point 193).
86 Pour être effectif, ce contrôle doit être propre à assurer le respect de ces principes et de ces dispositions, ce qui implique qu’il doit porter sur l’interprétation desdits principes et desdites dispositions, sur les conséquences juridiques qu’il convient d’y attacher en ce qui concerne leur application dans un cas donné ainsi que, s’il y a lieu, sur la qualification juridique, au regard de ceux-ci, des faits tels que constatés et appréciés par l’organe arbitral.
87 En effet, il ne saurait être admis que, en recourant à l’arbitrage, des particuliers puissent s’affranchir des principes et des dispositions du droit primaire ou dérivé de l’Union qui revêtent un caractère essentiel pour l’ordre juridique institué par les traités ou une importance fondamentale pour l’accomplissement des missions confiées à l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss, C‑126/97, EU:C:1999:269, point 36, et du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C‑168/05,
EU:C:2006:675, point 37). Au contraire, le respect de ces principes et de ces dispositions, qui font partie de l’ordre public de l’Union, s’impose aux particuliers pour autant que leurs conditions d’application respective soient réunies dans un cas d’espèce donné. Dans cette mesure, le respect de cet ordre public constitue un complément essentiel du réseau structuré de principes, de règles et de relations juridiques mutuellement interdépendantes liant l’Union et les États membres ainsi que
ceux-ci entre eux (voir, à ce dernier égard, arrêt du 6 mars 2018, Achmea, C‑284/16, EU:C:2018:158, point 33 et jurisprudence citée).
88 Comme cela résulte de la jurisprudence de la Cour, les principes et les dispositions qui font partie de l’ordre public de l’Union incluent notamment les articles 101 et 102 TFUE, qui sont d’effet direct et qui engendrent des droits dans le chef des justiciables, que les juridictions nationales doivent sauvegarder (voir, en ce sens, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss, C‑126/97, EU:C:1999:269, points 36 à 39, ainsi que du 21 décembre 2023, International Skating Union/Commission, C‑124/21 P,
EU:C:2023:1012, points 192 et 193).
89 La liberté de circulation des travailleurs, la liberté de prestation de services et la liberté des mouvements de capitaux respectivement garanties par les articles 45, 56 et 63 TFUE font également partie de l’ordre public de l’Union. Ces trois articles, qui sont seuls en cause dans le cadre du litige au principal, sont eux aussi d’effet direct (voir, s’agissant de l’article 45 TFUE, arrêt du 21 décembre 2023, Royal Antwerp Football Club, C‑680/21, EU:C:2023:1010, point 136 ainsi que jurisprudence
citée, et, en ce qui concerne l’article 63 TFUE, arrêt du 10 mars 2022, Grossmania, C‑177/20, EU:C:2022:175, point 44 ainsi que jurisprudence citée). Ils font partie des fondements du marché intérieur comportant un espace sans frontières intérieures visé à l’article 26 TFUE.
Sur le contrôle juridictionnel des sentences rendues par le TAS dans le cadre de litiges liés à l’exercice d’un sport en tant qu’activité économique sur le territoire de l’Union
90 Ainsi que cela ressort de la jurisprudence de la Cour, les mécanismes d’arbitrage auxquels les associations sportives internationales telles que la FIFA soumettent le règlement des litiges susceptibles de les opposer ou d’opposer les associations nationales qui en sont membres aux particuliers relevant de leur compétence respective, qu’il s’agisse d’entreprises ou de sportifs, se caractérisent, en raison des statuts et des prérogatives de ces associations sportives, par un ensemble d’éléments qui
leur sont propres.
91 Pour cette raison, la Cour a relevé que, dans le cas où ces litiges sont liés à l’exercice d’un sport en tant qu’activité économique sur le territoire de l’Union, la possibilité, pour les particuliers concernés, d’obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la question de savoir si les sentences rendues dans le cadre desdits litiges sont compatibles avec les principes et les dispositions qui font partie de l’ordre public de l’Union revêt une importance toute particulière (voir, en ce sens,
arrêt du 21 décembre 2023, International Skating Union/Commission, C‑124/21 P, EU:C:2023:1012, points 193 et 195).
92 En effet, compte tenu des statuts et des prérogatives des associations sportives telles que la FIFA, le recours à de tels mécanismes d’arbitrage doit être considéré comme étant unilatéralement imposé par de telles associations à ces particuliers (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, International Skating Union/Commission, C‑124/21 P, EU:C:2023:1012, points 193, 195 et 225 ; Cour EDH, 2 octobre 2018, Mutu et Pechstein c. Suisse, CE:ECHR:2018:1002JUD004057510, § 109 à 115). Même si, d’un
point de vue formel, l’application d’un mécanisme de ce type à un particulier peut nécessiter la conclusion d’une convention avec celui-ci, la conclusion de cette convention et l’insertion, dans cette dernière, d’une clause stipulant le recours à l’arbitrage sont, en réalité, imposées au préalable par une réglementation adoptée par l’association concernée et applicable à ses membres et aux personnes affiliées à ces membres, voire à d’autres catégories de personnes.
93 Ce caractère obligatoire des mécanismes d’arbitrage de ce type est étroitement lié à la circonstance que ceux-ci ont vocation à s’appliquer à des litiges opposant, d’une part, une association sportive disposant de pouvoirs de réglementation, de contrôle et de sanction sui generis et particulièrement étendus et, d’autre part, un ensemble général et indéterminé de personnes morales ou physiques soumises à l’exercice de ces pouvoirs dans le cadre de l’exercice de leur activité professionnelle, ainsi
que Mme l’avocate générale l’a relevé, en substance, aux points 74 et 75 de ses conclusions.
94 Certes, ce recours imposé à l’arbitrage peut se justifier dans son principe, compte tenu de l’autonomie juridique dont disposent les associations sportives internationales et eu égard aux responsabilités qui sont les leurs (voir, à cet égard, arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, points 75 et 142 ainsi que jurisprudence citée), par la poursuite d’objectifs légitimes tels que ceux consistant à assurer le traitement uniforme des litiges liés à la
discipline sportive qui relève de leur compétence ou à permettre l’interprétation et l’application cohérentes des règles applicables à cette discipline.
95 Toutefois, la Cour a rappelé, à maintes reprises, que cette autonomie juridique ne saurait justifier que la mise en œuvre des pouvoirs détenus par de telles associations aboutisse à limiter la possibilité pour les particuliers de se prévaloir des droits et des libertés que le droit de l’Union leur confère et qui font partie de l’ordre public de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 75, et du 21 décembre 2023,
International Skating Union/Commission, C‑124/21 P, EU:C:2023:1012, point 196 ainsi que jurisprudence citée). Or, cette exigence implique elle-même que le respect de ces droits et de ces libertés puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif, à plus forte raison quand le recours à l’arbitrage est imposé aux particuliers concernés (voir, par analogie, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss, C‑126/97, EU:C:1999:269, points 36 à 39, ainsi que du 21 décembre 2023, International Skating
Union/Commission, C‑124/21 P, EU:C:2023:1012, points 192 et 193).
96 En l’occurrence, c’est en application d’un mécanisme d’arbitrage devant être considéré comme étant, en pratique, unilatéralement imposé aux particuliers concernés qu’a été rendue la sentence du TAS, ainsi que cela résulte des indications fournies par la juridiction de renvoi et du dossier dont dispose la Cour.
97 En effet, conformément à l’article 47, paragraphe 3, et à l’article 50, paragraphe 1, des statuts de la FIFA, tout recours contre une décision de la commission de recours de la FIFA et, plus largement, contre une décision prise en dernière instance par la FIFA et ses organes doit être introduit devant le TAS. Selon l’article 50, paragraphe 4, de ces statuts, ce recours est dépourvu d’effet suspensif, même si un tel effet peut lui être donné par le TAS. Ensuite, conformément aux articles 11, 14
et 15 ainsi qu’à l’article 51 desdits statuts, les associations nationales de football qui sont membres de la FIFA doivent, d’une part, se soumettre à la compétence et aux décisions du TAS, et, d’autre part, amener leurs propres membres ou affiliés, tels que les ligues, les clubs et les joueurs, à se soumettre, selon les cas, à cette compétence et à ces décisions ou à la compétence et aux décisions d’organes arbitraux institués à l’échelon national. Enfin, conformément à l’article 51 des mêmes
statuts, tout recours et toute demande de mesures provisoires devant une juridiction ordinaire sont interdits à moins d’être spécifiquement prévus par les règlements de la FIFA. Sous cette réserve, la compétence respective du TAS et des organes arbitraux institués à l’échelon national revêt ainsi un caractère non seulement général et obligatoire, mais également exclusif pour l’ensemble des catégories de personnes visées à ces dispositions.
98 Dès lors, il convient de préciser les exigences auxquelles doit répondre le contrôle juridictionnel des sentences rendues en application d’un tel mécanisme, pour permettre aux juridictions nationales compétentes de garantir aux particuliers la protection juridictionnelle effective à laquelle ils ont droit, en vertu de l’article 47 de la Charte, et que les États membres ont l’obligation d’assurer dans les domaines couverts par le droit de l’Union, conformément à l’article 19, paragraphe 1, second
alinéa, TUE.
99 En premier lieu, ainsi qu’il a été relevé au point 76 du présent arrêt, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE n’implique pas nécessairement qu’il doit exister, sur le territoire de l’Union, une voie de recours directe ayant pour objet de permettre aux particuliers concernés de mettre en cause de telles sentences, telle un recours en annulation, une opposition ou un appel, et, ce faisant, d’obtenir, de la part de la juridiction compétente, un contrôle juridictionnel effectif de ces
sentences. Il est cependant possible, pour l’association sportive concernée, de mettre en place un mécanisme d’arbitrage soumis, compte tenu de son siège, à une telle voie de recours directe au sein de l’Union.
100 En revanche, dans tous les cas où une sentence a été rendue dans le cadre d’un litige lié à l’exercice d’un sport en tant qu’activité économique sur le territoire de l’Union et où il n’a pas été prévu de voie de recours directe contre cette sentence devant une juridiction d’un État membre, il doit exister, ainsi qu’il a été rappelé au point 76 du présent arrêt, une possibilité pour les particuliers concernés d’obtenir à titre incident, à leur demande ou d’office, de la part de toute juridiction
d’un État membre susceptible de connaître d’une telle sentence de quelque manière que ce soit, un contrôle juridictionnel effectif portant sur la question de savoir si ladite sentence est compatible avec les principes et les dispositions qui font partie de l’ordre public de l’Union, comme cela découle des points 85 et 95 du présent arrêt. En l’absence d’un tel contrôle incident ou si celui-ci ne présentait pas un caractère effectif, compte tenu des éléments relevés aux points 92 et 93 de cet
arrêt, il n’existerait pas de voie de recours permettant d’assurer une protection juridictionnelle effective aux particuliers concernés, si bien que la mise en place d’une telle voie de recours s’imposerait à l’État membre concerné.
101 En deuxième lieu, les juridictions des États membres qui sont appelées à effectuer un tel contrôle doivent, dans le cas où une telle sentence comporte, comme en l’occurrence, une interprétation ou une application des principes ou des dispositions qui font partie de l’ordre public de l’Union et qui confèrent des droits ou des libertés aux particuliers, pouvoir contrôler l’interprétation qui a été faite de ces principes ou de ces dispositions, les conséquences juridiques qui ont été attachées à
cette interprétation en ce qui concerne leur application au cas d’espèce et la qualification juridique qui a été donnée, au regard de ladite interprétation, aux faits tels que constatés et appréciés par l’organe arbitral, ainsi que cela découle des points 86 et 95 du présent arrêt.
102 En troisième lieu, ces juridictions ne sauraient se limiter à constater, le cas échéant, qu’une telle sentence est incompatible, en totalité ou en partie, avec des principes ou des dispositions qui font partie de l’ordre public de l’Union.
103 Au contraire, lesdites juridictions doivent également pouvoir tirer, dans le cadre de leurs compétences respectives et conformément aux dispositions nationales applicables, toutes les conséquences juridiques qui s’imposent en cas de constat d’une telle incompatibilité. À défaut, le contrôle juridictionnel opéré ne serait, en effet, pas effectif, en ce qu’il pourrait laisser perdurer cette incompatibilité.
104 En particulier, dans le cas où est en cause une violation des règles de concurrence, les particuliers concernés doivent pouvoir demander aux mêmes juridictions non seulement de constater cette violation et d’ordonner la réparation du préjudice qu’elle leur a causé, mais également de faire cesser le comportement qui est constitutif de ladite violation (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, International Skating Union/Commission, C‑124/21 P, EU:C:2023:1012, points 200 et 201). Il en va de
même en ce qui concerne les libertés de circulation, dans la mesure où le respect de ces libertés s’impose aux associations sportives lorsqu’elles édictent ou appliquent des réglementations qui ont une incidence directe sur celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, points 85 et 86 ainsi que jurisprudence citée).
105 En quatrième et dernier lieu, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que toute juridiction nationale qui est saisie d’un litige régi par le droit de l’Union doit disposer du pouvoir d’accorder les mesures provisoires qui permettent de garantir la pleine efficacité de la décision à intervenir sur le fond, y compris dans le cas où cette juridiction adresse une demande de décision préjudicielle à la Cour et sursoit à statuer dans l’attente de la réponse de celle-ci. En outre, une telle
juridiction doit écarter les règles de droit national qui s’opposent à ce pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 1990, Factortame e.a., C‑213/89, EU:C:1990:257, points 21 à 23 ; ordonnance du président de la Cour du 25 février 2021, Sea Watch, C‑14/21 et C‑15/21, EU:C:2021:149, point 32).
106 Il s’ensuit, d’une part, que les particuliers concernés doivent avoir la possibilité de demander à toute juridiction nationale valablement saisie de la question de savoir si une sentence arbitrale est compatible avec les principes et les dispositions qui font partie de l’ordre public de l’Union de leur accorder des mesures provisoires dans l’attente de la décision à intervenir sur le fond (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, International Skating Union/Commission, C‑124/21 P,
EU:C:2023:1012, point 201). De façon plus générale, de telles mesures provisoires doivent pouvoir être demandées à toute juridiction nationale compétente pour se prononcer, dans le cadre d’une demande de déclaration de nullité, d’adoption d’injonction et de réparation telle que celle à l’origine du litige au principal ou dans celui de toute autre procédure judiciaire nationale, sur la question de savoir si un acte, une mesure ou un comportement émanant d’une association sportive internationale
ou nationale, ou d’un organe arbitral dont la compétence est, en pratique, unilatéralement imposée aux particuliers par une telle association, est compatible avec ces principes et ces dispositions, sans qu’il soit nécessaire d’attendre qu’une décision au fond intervienne sur cette question. En effet, en l’absence d’une telle possibilité, la pleine efficacité d’une telle décision ne pourrait pas être garantie.
107 D’autre part, toute juridiction nationale compétente pour se prononcer sur une telle question doit écarter toute règle émanant d’un État membre ou, à plus forte raison, d’une association sportive, qui interdit aux particuliers concernés de lui demander de leur accorder de telles mesures provisoires ou qui s’oppose d’une autre manière à ce qu’elle puisse leur accorder de telles mesures.
108 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la sentence du TAS concerne un litige portant sur des sanctions disciplinaires imposées par la FIFA au titre de contrats conclus entre un club de football établi en Belgique et une entreprise établie à Malte ayant pour activité économique l’assistance financière aux clubs de football en Europe. Cette sentence a été rendue en vertu d’un mécanisme d’arbitrage institué par la réglementation édictée par la FIFA, qui prévoit qu’une telle
sentence peut faire l’objet d’un recours en annulation devant une juridiction d’un État tiers. Il s’agit donc d’une sentence à l’égard de laquelle les particuliers concernés doivent avoir la possibilité, en l’absence de voie de recours directe devant une juridiction d’un État membre, d’obtenir à titre incident, de la part de toute juridiction d’un État membre susceptible de connaître d’une telle sentence, assistée si nécessaire de la Cour sur la base de l’article 267 TFUE, un contrôle effectif
du respect des principes et des dispositions qui font partie de l’ordre public de l’Union.
109 Par ailleurs, ainsi que cela résulte des énonciations figurant dans la décision de renvoi, les dispositions et les règles nationales qui font l’objet des interrogations de la juridiction de renvoi confèrent aux sentences arbitrales définitives, dans des termes généraux et indéterminés, l’autorité de la chose jugée dans les relations entre les parties et une force probante à l’égard des tiers, sur tout le territoire de l’État membre concerné. Elles ont, comme telles, été appliquées à la sentence
du TAS dans l’arrêt qui fait l’objet du pourvoi en cassation pendant devant la juridiction de renvoi.
110 Ainsi, cette application a pour effet, d’une part, de conférer l’autorité de la chose jugée à une telle sentence arbitrale, dans les relations entre les parties au litige dans lequel cette sentence arbitrale a été rendue.
111 Or, ladite application prive la partie à laquelle la sentence arbitrale en cause est opposée ultérieurement par l’autre partie, dans un litige porté devant une juridiction de l’État membre concerné, de la possibilité d’obtenir de la part de cette juridiction, à sa demande ou d’office, un contrôle effectif de la question de savoir si cette sentence arbitrale est compatible avec les principes et les dispositions qui font partie de l’ordre public de l’Union.
112 D’autre part, la même application a pour effet d’attribuer une force probante à une telle sentence arbitrale dans les relations entre les parties au litige dans lequel cette sentence arbitrale a été rendue et les tiers à ce litige.
113 Certes, comme cela a été relevé tant par la juridiction de renvoi dans la décision de renvoi que par Mme l’avocate générale au point 134 de ses conclusions, cette force probante constitue une présomption qui peut être renversée par la partie à laquelle la sentence arbitrale en cause est opposée ultérieurement par un tiers audit litige, dans un litige porté devant une juridiction de l’État membre concerné.
114 Cependant, cette décision fait également apparaître que l’attribution d’une telle force probante à la sentence arbitrale en cause est une des conséquences que le droit national attache à l’autorité de la chose jugée, dans le but de rendre cette sentence arbitrale opposable aux tiers. Cette force probante est donc conférée à ladite sentence arbitrale, au même titre que l’autorité de la chose jugée dont elle constitue le corollaire et à laquelle elle est directement et intrinsèquement liée, en
l’absence de tout contrôle, par une juridiction d’un État membre, de sa conformité à l’ordre public de l’Union.
115 Or, l’exigence de contrôle du respect de l’ordre public de l’Union s’impose pour permettre au justiciable concerné d’exercer son droit à un recours effectif et de bénéficier de la protection juridictionnelle effective qui doit lui être assurée, le cas échéant d’office, conformément à l’article 47 de la Charte et à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, et cela quelle que soit la personne qui entend se prévaloir à son égard d’une sentence arbitrale telle que celle en cause au principal.
116 Au demeurant, il convient d’observer que la convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, signée à New York le 10 juin 1958 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 330, p. 3), qui ne lie pas l’Union, mais à laquelle l’ensemble des États membres et, par ailleurs, la Confédération helvétique sont parties, prévoit elle aussi un contrôle juridictionnel des sentences arbitrales portant sur le respect de l’ordre public.
117 En effet, comme l’ont, en substance, rappelé, notamment, les gouvernements belge, français, lituanien et néerlandais ainsi que la Commission, il découle de cette convention que, si tout État partie à celle-ci doit reconnaître l’existence et l’autorité des sentences arbitrales étrangères rendues en application d’une convention par laquelle des personnes physiques ou morales se sont obligées à soumettre à un arbitrage tout ou partie des différends pouvant s’élever entre elles au sujet d’un rapport
de droit déterminé, cette obligation va de pair avec celle consistant, pour un tel État, à assurer aux personnes concernées la possibilité d’obtenir de la part des juridictions nationales compétentes, que ce soit à leur demande ou d’office, un contrôle de la conformité de ces sentences à son ordre public. S’agissant des États membres, cette dernière obligation va elle-même de pair avec celle consistant à assurer à ces personnes la possibilité d’obtenir un contrôle de la conformité desdites
sentences à l’ordre public de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 1999, Eco Swiss, C‑126/97, EU:C:1999:269, point 37).
118 Il convient enfin de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’article 47 de la Charte se suffit à lui-même et ne doit pas être précisé par des dispositions du droit de l’Union ou du droit national pour conférer aux particuliers un droit invocable en tant que tel (arrêts du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 78 ; du 29 juillet 2019, Torubarov, C‑556/17, EU:C:2019:626, point 56, et du 28 janvier 2025, ASG 2, C‑253/23, EU:C:2025:40, point 89).
119 Il résulte également de la jurisprudence constante de la Cour que, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE étant formulé en des termes clairs et précis, d’une part, et n’étant assorti d’aucune condition, d’autre part, il est d’effet direct [arrêts du 18 mai 2021, Asociaţia Forumul Judecătorilor din România e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 250 ; du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21,
EU:C:2022:99, point 58, ainsi que du 6 mars 2025, D. K. (Dessaisissement d’un juge), C‑647/21 et C‑648/21, EU:C:2025:143, point 90].
120 Il s’ensuit que, dans le cas où les dispositions nationales qui sont applicables à un litige donné forment éventuellement obstacle à la pleine efficacité de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, la juridiction nationale compétente doit, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation conforme de ces dispositions nationales, les écarter de sa propre autorité. En effet, le pouvoir de faire, au moment même de l’application du droit de l’Union, tout ce qui est nécessaire pour écarter une
disposition ou une pratique nationale formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité des normes d’effet direct de ce droit fait partie intégrante de l’office de juge de l’Union qui incombe au juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, ces normes [voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, points 59 et 62 ainsi que jurisprudence citée].
121 Cette obligation s’impose donc, notamment, dans le cas où les dispositions nationales applicables empêchent la juridiction nationale compétente de procéder, à titre incident, à un contrôle effectif de la question de savoir si une sentence arbitrale rendue par le TAS, dans le cadre d’un litige lié à l’exercice d’un sport en tant qu’activité économique sur le territoire de l’Union, est compatible avec les principes et les dispositions qui font partie de l’ordre public de l’Union.
122 Dès lors, ladite obligation s’impose, en particulier, en présence de dispositions et de règles nationales qui confèrent l’autorité de la chose jugée à une telle sentence arbitrale dans les relations entre parties, d’une part, et une force probante à celle-ci dans les relations entre les parties et les tiers, d’autre part, sans que cette sentence arbitrale ait fait l’objet, au préalable, d’un contrôle ayant permis à une juridiction relevant de l’État membre concerné de vérifier, de façon
effective, si elle est compatible avec les principes et les dispositions qui font partie de l’ordre public de l’Union. Il importe de souligner, à cet égard, que c’est l’attribution même d’une telle autorité et, par voie de conséquence, d’une telle force à ladite sentence arbitrale, qui, dans un tel contexte, intervient en violation de l’exigence de protection juridictionnelle effective visée à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la Charte.
123 En effet, une telle situation diffère fondamentalement de celle visée dans la jurisprudence de la Cour citée au point 55 du présent arrêt, où l’attribution de l’autorité de la chose jugée à une décision juridictionnelle ou à une sentence arbitrale qui a pu faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif, conformément à ces dispositions, est mise en cause au motif qu’elle fait obstacle à ce que soit constatée et sanctionnée une violation d’une autre disposition ou d’un autre principe du droit
de l’Union et qu’elle méconnaît ainsi une limite qu’impose le principe d’effectivité du droit de l’Union à l’autorité de la chose jugée en tant qu’expression du principe d’autonomie procédurale des États membres.
124 En l’occurrence, il s’ensuit que les dispositions et les règles nationales au regard desquelles les questions de la juridiction de renvoi sont formulées devraient être écartées, à moins que ces dispositions et ces règles, considérées le cas échéant conjointement avec d’autres dispositions du droit national, puissent être interprétées en ce sens qu’elles ne trouvent pas à s’appliquer en présence d’une sentence arbitrale telle que celle en cause au principal, ce qu’il appartient à la seule
juridiction de renvoi de déterminer.
125 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 267 TFUE et l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que :
– l’autorité de la chose jugée soit conférée à une sentence du TAS sur le territoire d’un État membre, dans les relations entre les parties au litige dans le cadre duquel cette sentence a été rendue, dans le cas où ce litige est lié à l’exercice d’un sport en tant qu’activité économique sur le territoire de l’Union et où la conformité de ladite sentence aux principes et aux dispositions qui font partie de l’ordre public de l’Union n’a pas été contrôlée au préalable, de manière effective, par une
juridiction de cet État membre, habilitée à saisir la Cour à titre préjudiciel ;
– une force probante soit conférée, en conséquence de cette autorité de la chose jugée, à une telle sentence sur le territoire du même État membre, dans les relations entre les parties audit litige et les tiers.
Sur les dépens
126 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 267 TFUE et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que :
– l’autorité de la chose jugée soit conférée à une sentence du Tribunal arbitral du sport (TAS) sur le territoire d’un État membre, dans les relations entre les parties au litige dans le cadre duquel cette sentence a été rendue, dans le cas où ce litige est lié à l’exercice d’un sport en tant qu’activité économique sur le territoire de l’Union européenne et où la conformité de ladite sentence aux principes et aux dispositions qui font partie de l’ordre public de l’Union n’a pas été contrôlée au
préalable, de manière effective, par une juridiction de cet État membre, habilitée à saisir la Cour à titre préjudiciel ;
– une force probante soit conférée, en conséquence de cette autorité de la chose jugée, à une telle sentence sur le territoire du même État membre, dans les relations entre les parties audit litige et les tiers.
Lenaerts
Jürimäe
Lycourgos
Jarukaitis
Arastey Sahún
Rodin
Kumin
Jääskinen
Gratsias
Regan
Ziemele
Passer
Csehi
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er août 2025.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président
K. Lenaerts
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( *1 ) Langue de procédure : le français.