ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
1er août 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Règlements (CEE) no 3821/85 et (UE) no 165/2014 – Obligation de contrôle périodique des tachygraphes – Dérogation – Article 49, paragraphe 1, dernière phrase, et article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne –– Principe de rétroactivité de la loi pénale plus favorable – Sanctions administratives de nature pénale – Pourvoi en cassation – Loi nouvelle entrée en vigueur postérieurement au jugement frappé de pourvoi – Notion de “condamnation
définitive” »
Dans l’affaire C‑544/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Najvyšší správny súd Slovenskej republiky (Cour administrative suprême de la République slovaque), par décision du 16 août 2023, parvenue à la Cour le 28 août 2023, dans la procédure
T.T.,
BAJI Trans s.r.o.
contre
Národný inšpektorát práce,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. T. von Danwitz, vice–président, M. F. Biltgen, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos (rapporteur), I. Jarukaitis, Mme M. L. Arastey Sahún, MM. S. Rodin, N. Jääskinen, D. Gratsias et M. Gavalec, présidents de chambre, MM. E. Regan, J. Passer, Z. Csehi et Mme O. Spineanu-Matei, juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. I. Illéssy, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 septembre 2024,
considérant les observations présentées :
– pour T.T. et BAJI Trans s.r.o., par Mes Μ. Mandzák et Μ. Pohovej, advokáti, ainsi que Me P. Rumanová, advokátka,
– pour le Národný inšpektorát práce, par M. M. Mitterpák, generálny riaditel, et Mme L. Štofová, právnička,
– pour le gouvernement slovaque, par M. A. Lukáčik ainsi que Mmes E. V. Larišová et S. Ondrášiková, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. M. Cherubini, avvocato dello Stato,
– pour la Commission européenne, par MM. P. J. O. Van Nuffel et A. Tokár, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 février 2025,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, et de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Τ.Τ. et BAJI Trans s.r.o. au Národný inšpektorát práce (service national d’inspection du travail, Slovaquie) au sujet d’une amende administrative infligée par ce dernier à Τ.T.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La Charte
3 L’article 49, paragraphe 1, de la Charte dispose :
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou le droit international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être appliquée. »
4 L’article 51, paragraphe 1, de la Charte prévoit :
« Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives [...] »
Le règlement no 3821/85
5 Tel qu’il était applicable à la date de la commission de l’infraction en cause au principal, l’article 3, paragraphes 1 et 2, du règlement (CEE) no 3821/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route (JO 1985, L 370, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006 (JO 2006, L 102, p. 1) (ci-après le « règlement no 3821/85 »), disposait :
« 1. L’appareil de contrôle est installé et utilisé sur les véhicules affectés au transport par route de voyageurs ou de marchandises et immatriculés dans un État membre, à l’exception des véhicules visés à l’article 3 du règlement (CE) no 561/2006. [...]
2. Les États membres peuvent dispenser de l’application du présent règlement les véhicules visés à l’article 13, paragraphes 1 et 3, du règlement (CE) no 561/2006. »
6 Tel qu’il était applicable à cette date, l’article 19, paragraphe 1, de ce règlement prévoyait :
« Les États membres arrêtent, en temps utile, après consultation de la Commission, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à l’exécution du présent règlement.
Ces dispositions portent, entre autres, sur l’organisation, la procédure et les instruments de contrôle ainsi que sur les sanctions applicables en cas d’infraction. »
7 Intitulé « Contrôles périodiques », le point 3, sous a), de la rubrique VI de l’annexe I audit règlement disposait, à la date de l’infraction en cause au principal :
« Des contrôles périodiques des appareils installés sur les véhicules ont lieu au moins tous les deux ans et peuvent être effectués, entre autres, dans le cadre des inspections techniques des véhicules automobiles.
[...] »
8 Le règlement no 3821/85 a été abrogé, à compter du 2 mars 2016, par l’article 47 du règlement (UE) no 165/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 4 février 2014, relatif aux tachygraphes dans les transports routiers, abrogeant le règlement (CEE) no 3821/85 du Conseil concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route et modifiant le règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation
sociale dans le domaine des transports par route (JO 2014, L 60, p. 1).
Le règlement no 165/2014
9 L’article 3, paragraphes 1 et 2, du règlement no 165/2014 dispose :
« 1. Les tachygraphes sont installés et utilisés sur les véhicules affectés au transport par route de voyageurs ou de marchandises et immatriculés dans un État membre, auxquels s’applique le règlement (CE) no 561/2006.
2. Les États membres peuvent dispenser de l’application du présent règlement les véhicules visés à l’article 13, paragraphes 1 et 3, du règlement (CE) no 561/2006. »
10 L’article 23, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :
« Les tachygraphes sont soumis à des inspections régulières effectuées par des ateliers agréés. Ces inspections régulières sont réalisées au minimum tous les deux ans. »
11 L’article 41, paragraphe 1, dudit règlement énonce :
« Les États membres déterminent, conformément à leurs dispositions constitutionnelles nationales, le régime des sanctions applicables en cas de violation des dispositions du présent règlement et prennent toutes les mesures nécessaires pour garantir leur mise en œuvre. Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées, dissuasives et non discriminatoires, et conformes aux catégories d’infractions prévues dans la directive 2006/22/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006,
établissant les conditions minimales à respecter pour la mise en œuvre des règlements du Conseil (CEE) no 3820/85 et (CEE) no 3821/85 concernant la législation sociale relative aux activités de transport routier et abrogeant la directive 88/599/CEE du Conseil (JO 2006, L 102, p. 35)]. »
12 Aux termes de l’article 48, second alinéa, du même règlement :
« [Le présent règlement] devient applicable, sous réserve des mesures transitoires visées à l’article 46, à compter du 2 mars 2016. [...] »
Le règlement no 561/2006
13 L’article 1er du règlement no 561/2006 dispose :
« Le présent règlement fixe les règles relatives aux durées de conduite, aux pauses et aux temps de repos qui doivent être observés par les conducteurs assurant le transport de marchandises et de voyageurs par route afin d’harmoniser les conditions de concurrence entre les modes de transport terrestre, en particulier en ce qui concerne le secteur routier, et d’améliorer des conditions de travail et la sécurité routière. Le présent règlement vise également à promouvoir de meilleures pratiques de
contrôle et d’application des règles par les États membres et de meilleures méthodes de travail dans le secteur du transport routier. »
14 L’article 3 de ce règlement énumère les catégories de véhicules effectuant des transports routiers auxquels ledit règlement ne s’applique pas. Les véhicules utilisés pour la livraison de béton prêt à l’emploi ne figurent pas dans cette liste.
15 L’article 13, paragraphe 1, du même règlement énumère les catégories de véhicules effectuant des transports pour lesquels, pour autant que cela ne soit pas préjudiciable aux objectifs visés à l’article 1er du règlement no 561/2006, les États membres peuvent accorder des dérogations aux articles 5 à 9 de ce règlement.
16 Tel qu’il était applicable à la date de l’infraction en cause au principal, cet article 13, paragraphe 1, ne mentionnait pas les véhicules utilisés pour la livraison de béton prêt à l’emploi.
17 Ledit article 13, paragraphe 1, a toutefois été modifié par le règlement (UE) 2020/1054 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2020, modifiant le règlement (CE) no 561/2006 en ce qui concerne les exigences minimales relatives aux durées maximales de conduite journalière et hebdomadaire et à la durée minimale des pauses et des temps de repos journalier et hebdomadaire, et le règlement (UE) no 165/2014 en ce qui concerne la localisation au moyen de tachygraphes (JO 2020, L 249, p. 1).
18 À la suite de cette modification, qui est applicable à compter du 20 août 2020, le même article 13, paragraphe 1, mentionne désormais, sous un point r), « les véhicules utilisés pour la livraison de béton prêt à l’emploi » parmi les véhicules qui sont susceptibles de faire l’objet de dérogations aux articles 5 à 9 du règlement no 561/2006.
Le règlement (CE, Euratom) no 2988/95
19 L’article 1er du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1995, L 312, p. 1), prévoit :
« 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire.
2. Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue. »
20 L’article 2, paragraphe 2, de ce règlement dispose :
« Aucune sanction administrative ne peut être prononcée tant qu’un acte communautaire antérieur à l’irrégularité ne l’a pas instaurée. En cas de modification ultérieure des dispositions portant sanctions administratives et contenues dans une réglementation communautaire, les dispositions moins sévères s’appliquent rétroactivement. »
Le droit slovaque
21 L’article 50, paragraphe 6, de l’Ústava Slovenskej republiky (Constitution de la République slovaque) dispose :
« L’existence d’une infraction pénale est appréciée et la condamnation est prononcée conformément à la loi en vigueur au moment où l’infraction a été commise. La loi la plus récente s’applique si elle est plus favorable à l’auteur de l’infraction. »
22 L’article 2 du zákon č. 461/2007 Z. z. o používaní záznamového zariadenia v cestnej doprave (loi no 461/2007 relative à l’utilisation des appareils de contrôle dans les transports par route), du 13 septembre 2007, dispose :
« 1. Sauf dispositions contraires de la présente loi, une entreprise de transport qui assure des services de transport par autobus ou des services de transport routier de marchandises veille à ce qu’un appareil de contrôle soit installé dans chaque véhicule utilisé pour le transport de passagers ou de marchandises et à ce que des feuilles d’enregistrement et des cartes [de conducteur] soient utilisées pour son fonctionnement.
2. L’obligation qui incombe à l’entreprise de transport en vertu du paragraphe 1 ne s’applique pas aux véhicules utilisés pour les transports visés par une disposition particulière [référence à l’article 3 et à l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 561/2006] ».
23 L’article 38, paragraphe 1, sous a), point 1, du zákon č. 462/2007 Z. z. o organizácii pracovného času v doprave a o zmene a doplnení zákona č. 125/2006 Z. z. o inšpekcii práce a o zmene a doplnení zákona č. 82/2005 Z. z. o nelegálnej práci a nelegálnom zamestnávaní a o zmene a doplnení niektorých zákonov v znení zákona č. 309/2007 Z. z. z 13. septembra 2007 (loi no 462/2007 sur l’organisation du temps de travail dans les transports et modifiant la loi no 125/2006 sur l’inspection du travail et
modifiant la loi no 82/2005 sur le travail illégal et l’emploi illégal et modifiant certaines lois, telle que modifiée par la loi no 309/2007 du 13 septembre 2007) prévoit :
« Commet une infraction le conducteur qui conduit un véhicule sans appareil de contrôle ou avec un appareil de contrôle qui n’a pas fait l’objet d’un contrôle périodique valable ou qui utilise l’appareil de contrôle de manière incorrecte. »
24 Le zákon č. 162/2015 Správny súdny poriadok (loi no 162/2015 établissant le code de justice administrative), du 21 mai 2015 (ci-après le « CJA »), est entré en vigueur le 1er juillet 2016.
25 L’article 145 du CJA dispose :
« 1) Un arrêt notifié est définitif, sauf dispositions contraires ci-après.
2) L’arrêt d’une juridiction administrative devient définitif à l’expiration du délai d’un mois à compter de sa notification ou lorsqu’un pourvoi en cassation est introduit dans ce même délai contre cet arrêt, lorsque la décision portait sur :
[...]
c) un recours juridictionnel administratif en matière de sanctions administratives,
[...] »
26 L’article 438, paragraphe 1, de ce code dispose :
« Un pourvoi en cassation peut être introduit contre les décisions définitives d’une juridiction administrative [...] »
27 Aux termes de l’article 440, paragraphe 1, dudit code :
« Un pourvoi en cassation ne peut être fondé que sur le fait que la juridiction administrative, dans sa procédure ou dans sa décision, a méconnu la loi en ce que :
a) elle n’était pas compétente pour statuer sur le litige,
b) une partie au litige n’avait pas qualité pour agir,
c) une partie au litige n’avait pas la pleine capacité d’agir de manière indépendante devant la juridiction administrative et n’était pas représentée par un représentant légal ou un tuteur légal agissant en son nom,
d) la même question a déjà fait l’objet d’une décision définitive ou une procédure a déjà été engagée dans la même affaire,
e) l’affaire a été tranchée par un juge récusé ou par une juridiction administrative irrégulièrement constituée,
f) par une procédure inappropriée, la juridiction administrative a empêché une partie d’exercer ses droits procéduraux de sorte que le droit à un procès équitable a été violé,
g) la juridiction administrative a statué sur la base d’une erreur de droit,
h) la juridiction administrative a décidé de s’écarter de la jurisprudence constante de la [Cour suprême administrative],
i) la juridiction administrative n’a pas respecté l’avis juridique contraignant exprimé dans la décision d’annulation prise sur le pourvoi en cassation ou
j) le recours a été illégalement rejeté. »
28 L’article 454 du même code énonce :
« La situation existant au moment où la décision attaquée de la juridiction administrative a été prononcée ou rendue est déterminante aux fins de la décision de la [juridiction] de cassation. »
29 L’article 462 du CJA prévoit :
« 1) Si, après examen, la juridiction de cassation constate le bien-fondé du pourvoi en cassation, elle décide d’annuler la décision attaquée et, selon sa nature, renvoie l’affaire à la juridiction administrative pour la suite de la procédure ou clôt la procédure, le cas échéant elle transmet l’affaire à l’autorité compétente pour en connaître.
2) Si la juridiction de cassation conclut que la décision attaquée de l’autorité administrative ou la mesure attaquée de l’autorité administrative n’est pas conforme à la loi, et que la juridiction administrative a rejeté le recours, elle peut modifier la décision de la juridiction administrative en annulant la décision attaquée de l’autorité administrative ou la mesure attaquée de l’autorité administrative et en lui renvoyant l’affaire pour la suite de la procédure.
[...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
30 Par une décision administrative du 8 décembre 2016, T.T. a été reconnu coupable d’une infraction à l’article 38, paragraphe 1, sous a), point 1, de la loi no 462/2007 pour avoir transporté, le 4 novembre 2015, du béton à bord d’un véhicule, détenu par BAJI Trans, dont le tachygraphe n’avait pas fait l’objet d’un contrôle périodique valable. À ce titre, T.T. a été condamné à une amende de 200 euros.
31 Par une décision du 3 avril 2017, le service national d’inspection du travail a rejeté le recours hiérarchique de T.T. contre la décision du 8 décembre 2016.
32 T.T. et BAJI Trans ont introduit un recours contre ces décisions administratives devant le Krajský súd v Bratislave (cour régionale de Bratislava, Slovaquie).
33 Par une décision du 27 mars 2019, le Krajský súd v Bratislave (cour régionale de Bratislava) a rejeté le recours de BAJI Trans comme étant irrecevable et celui de T.T. comme étant non fondé. Cette juridiction a, notamment, estimé que l’obligation d’utiliser un tachygraphe dans les véhicules de transport routier était prévue à l’article 3 du règlement no 3821/85 ainsi qu’à l’article 2, paragraphe 1, de la loi no 461/2007, sans préjudice des dérogations visées aux articles 3 et 13 du règlement
no 561/2006. Ces dérogations n’incluaient toutefois pas les véhicules destinés au transport de béton.
34 Le 15 juillet 2019, T.T. et BAJI Trans ont formé un pourvoi en cassation contre cette décision devant le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque).
35 Le 24 août 2020, ces parties ont présenté un mémoire par lequel elles soulignaient que le règlement no 561/2006 avait été modifié par le règlement 2020/1054. Cette modification, intervenue après l’introduction de leur pourvoi en cassation, aurait pour conséquence que les faits commis le 4 novembre 2015 auraient cessé d’être illégaux. Partant, une telle modification devrait être prise en compte, conformément à l’article 50, paragraphe 6, de la Constitution de la République slovaque.
36 Le 1er août 2021, le Najvyšší správny súd Slovenskej republiky (Cour administrative suprême de la République slovaque), qui est la juridiction de renvoi, a débuté l’examen de toutes les affaires dont la chambre administrative du Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque) avait eu à connaître jusqu’au 31 juillet 2021, en ce compris le pourvoi de T.T. et de BAJI Trans.
37 En premier lieu, la juridiction de renvoi relève que le principe de la lex mitior est consacré à l’article 49 de la Charte, tout en soulignant que cet article ne peut être appliqué que si le litige au principal concerne une situation dans laquelle un État membre met en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.
38 Les lois nationales en cause au principal ayant été adoptées pour mettre en œuvre les règlements no 3821/85 et no 165/2014, y compris l’obligation découlant de ces règlements d’établir un système de sanctions, la juridiction de renvoi incline à considérer, d’une part, que le service national d’inspection du travail a mis en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, lorsqu’il s’est prononcé sur la culpabilité de T.T. et l’a sanctionné et, d’autre part,
qu’elle-même mettra également en œuvre ce droit lorsqu’elle se prononcera sur le pourvoi pendant devant elle. Cette juridiction souhaite toutefois que la Cour confirme cette interprétation.
39 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi estime que, pour satisfaire aux exigences imposées par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), tant les autorités administratives, appelées à sanctionner pénalement un individu, que les juridictions qui connaissent du recours de pleine juridiction contre ces décisions administratives doivent être tenues d’appliquer le principe de
rétroactivité de la loi pénale plus favorable. Cette juridiction incline à penser qu’un même raisonnement vaut à l’égard de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte. Toutefois, elle souhaite s’assurer que cette disposition s’applique dans le cadre tant de la procédure aboutissant à la sanction administrative que de la procédure juridictionnelle destinée à contrôler la légalité de cette sanction.
40 En troisième lieu, la juridiction de renvoi se demande s’il lui appartient, en tant que juridiction de cassation, de prendre en compte une loi pénale plus favorable qui a été adoptée après le prononcé de la décision juridictionnelle considérée comme définitive, en vertu du droit national, et contre laquelle BAJI Trans et T.T. ont introduit un pourvoi.
41 À cet égard, cette juridiction relève que la Cour a déjà jugé que le principe de rétroactivité de la loi pénale plus favorable s’applique aux procédures pénales en attente d’une décision définitive, mais qu’elle ne s’est jamais prononcée sur la manière dont il convient d’apprécier le caractère définitif d’une telle décision.
42 Ladite juridiction estime devoir prendre en compte, même en l’absence de demande en ce sens, les principes fondamentaux de la détermination de la peine, parmi lesquels figure le principe de rétroactivité de la loi pénale plus favorable.
43 Toutefois, la même juridiction relève, d’une part, que, en droit slovaque, le pourvoi en cassation est théoriquement considéré comme une voie de recours extraordinaire, précisément parce qu’il est dirigé contre une décision juridictionnelle définitive et, d’autre part, qu’elle est liée par la situation juridique qui existait à la date à laquelle cette décision a été prononcée.
44 Cela étant, elle relève également que les motifs de cassation prévus par la loi slovaque sont énoncés de manière large et couvrent, en principe, tous les vices de droit et de procédure. En outre, la partie demanderesse au pourvoi aurait, en principe, le droit à ce que ce dernier soit tranché et à ce que la procédure relative au pourvoi en cassation fasse, régulièrement et directement, suite à la procédure devant la juridiction administrative de rang inférieur.
45 Dans ces conditions, le Najvyšší správny súd Slovenskej republiky (Cour administrative suprême de la République slovaque) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 51, paragraphe 1, de la [Charte] doit-il être interprété en ce sens qu’un État membre qui, en vertu de son droit national, inflige une sanction administrative pour la violation d’une obligation met en œuvre le droit de l’Union, lorsqu’une telle obligation découle du droit de l’Union et que l’exigence de sanctionner sa violation s’impose à l’État membre, comme prévu à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 3821/85 et à l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 165/2014 ?
2) [En cas de réponse affirmative à la première question], l’article 49, paragraphe 1, de la [Charte] et le principe de rétroactivité de la loi pénale plus favorable qu’il contient doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’appliquent également à l’imposition de sanctions en cas d’infractions administratives lorsque la décision sur la culpabilité et sur la sanction est d’abord prise par une autorité administrative et non par une juridiction, et que ce principe s’applique ensuite également
au contrôle de la décision de cette autorité administrative par le juge administratif ?
3) [En cas de réponse affirmative à la deuxième question], l’article 49 de la [Charte] et le principe de rétroactivité de la loi pénale plus favorable qu’il contient doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’appliquent aux procédures administratives ou juridictionnelles nationales, quel que soit le stade auquel elles se situent ?
4) [En cas de réponse négative à la troisième question], selon quels critères ce stade doit-il être déterminé ? En particulier, l’article 49 de la [Charte] et le principe de rétroactivité de la loi pénale plus favorable qu’il contient doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’appliquent au contentieux administratif ayant pour objet un recours tel qu’un pourvoi en cassation, de sorte qu’une juridiction telle que le Najvyšší správny súd Slovenskej republiky [(Cour administrative suprême de
la République slovaque)], statuant en second et dernier ressort sur le pourvoi en cassation, doit tenir compte d’une modification législative en faveur de l’auteur d’une infraction administrative examinée dans la procédure sous-jacente par une autorité administrative et non par une juridiction, qui est intervenue seulement après que la décision de la juridiction administrative de rang inférieur, sur laquelle se prononce [la juridiction de dernière instance], a été rendue et est devenue
définitive ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
46 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 51, paragraphe 1, de la Charte doit être interprété en ce sens qu’un État membre met en œuvre le droit de l’Union, au sens de cette disposition, lorsque, conformément à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 3821/85 et à l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 165/2014, il inflige une sanction administrative au conducteur d’un véhicule, en raison de la violation, par ce dernier, d’obligations imposées
par ces règlements.
47 À titre liminaire, le gouvernement slovaque fait valoir que la réponse à cette question est à ce point évidente qu’il ne serait pas nécessaire d’y répondre. Pour autant que cette observation doive être considérée comme visant à remettre en cause la recevabilité de ladite question, il suffit de rappeler que, à supposer même que la réponse à une question préjudicielle ne laisse place à aucun doute raisonnable, cette question n’en devient pas pour autant irrecevable (voir, en ce sens, arrêts du
1er décembre 2011, Painer, C‑145/10, EU:C:2011:798, point 65, et du 11 mai 2023, MOMTRADE RUSE, C‑620/21, EU:C:2023:395, point 38).
48 Sous le bénéfice de cette précision, il découle de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte que les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.
49 Les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont ainsi vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en dehors de telles situations (arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 19).
50 Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour qu’un État membre met en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, lorsqu’il s’acquitte de l’obligation, énoncée dans un acte du droit de l’Union, de prévoir des sanctions à l’égard des infractions visées par cet acte [voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 27, et du 19 octobre 2023, G. ST. T. (Proportionnalité de la peine en cas de
contrefaçon), C‑655/21, EU:C:2023:791, point 43].
51 En l’occurrence, avant l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, tant le règlement no 3821/85, applicable à la date de l’infraction commise par T.T., que le règlement no 165/2014 imposaient, sans possibilité de dérogation, la présence d’un tachygraphe dans les véhicules tels que celui en cause au principal, tout comme le contrôle périodique de ce tachygraphe. Par ailleurs, il ressort de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 3821/85 et de l’article 41, paragraphe 1, du règlement
no 165/2014 que ceux-ci obligent les États membres à sanctionner les infractions aux dispositions de ces derniers.
52 Il s’ensuit que, en adoptant l’article 38, paragraphe 1, sous a), point 1, de la loi no 462/2007 et en infligeant une amende administrative à T.T. pour avoir, le 4 novembre 2015, conduit un véhicule de transport de béton prêt à l’emploi sans respecter les obligations de contrôle périodique du tachygraphe dont ce véhicule devait être muni, les autorités slovaques ont mis en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.
53 Cela étant, le litige au principal concerne, plus particulièrement, la possibilité de sanctionner T.T. pour avoir commis une telle infraction, avant l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, alors même que, par l’effet combiné de ce règlement et de l’article 2, paragraphe 2, de la loi no 461/2007, les véhicules de transport de béton prêt à l’emploi sont désormais dispensés, en droit slovaque, de l’obligation d’être munis d’un tachygraphe.
54 Partant, afin de fournir une réponse complète à la juridiction de renvoi, il convient encore de relever que, par le biais d’une telle modification de la réglementation nationale pertinente, le législateur slovaque a également mis en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.
55 En effet, ce législateur a, ce faisant, utilisé la faculté, qui lui était reconnue par l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 165/2014, de dispenser les catégories de véhicules visées à l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 561/2006, tel qu’il a été complété par le règlement 2020/1054, de l’obligation d’être munies d’un tachygraphe.
56 Or, selon une jurisprudence constante de la Cour, lorsqu’un État membre adopte des mesures dans le cadre d’un pouvoir discrétionnaire ou d’appréciation qui fait partie intégrante du régime établi par un acte du droit de l’Union, il doit être considéré comme mettant en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir, à cet égard, arrêts du 13 juin 2017, Florescu e.a., C‑258/14, EU:C:2017:448, point 48, ainsi que du 29 juillet 2024, protectus, C‑185/23, EU:C:2024:657,
point 59).
57 Le litige en cause au principal concerne, dès lors, une réglementation nationale qui met en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, de sorte que les exigences découlant des droits fondamentaux consacrés par cette dernière doivent être respectées dans le cadre de ce litige (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2024, Real Madrid Club de Fútbol, C‑633/22, EU:C:2024:843, point 41 et jurisprudence citée).
58 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 51, paragraphe 1, de la Charte doit être interprété en ce sens qu’un État membre met en œuvre le droit de l’Union, au sens de cette disposition, lorsque, d’une part, conformément à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 3821/85 et à l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 165/2014, il inflige une sanction administrative au conducteur d’un véhicule, en raison de la violation, par ce dernier, d’obligations imposées par
ces règlements et, d’autre part, il utilise, par la suite, la faculté qui lui est reconnue par l’article 3, paragraphe 2, de ce dernier règlement, de dispenser du respect de telles obligations certains véhicules de transport routier.
Sur la deuxième question
59 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il est susceptible de s’appliquer à une sanction administrative qui a été infligée sur le fondement d’une règle qui, postérieurement à l’adoption de cette sanction, a été modifiée d’une manière qui est plus favorable à la personne sanctionnée.
60 À titre liminaire, il y a lieu de souligner que l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte prévoit que, si, postérieurement à la date de la commission de l’infraction, la loi prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être appliquée.
61 Cette disposition consacre ainsi le principe de l’application rétroactive de la loi pénale plus favorable, lequel est également garanti à l’article 7 de la CEDH [voir, en ce sens, Cour EDH, 17 septembre 2009, Scoppola c. Italie (no 2), CE:ECHR:2009:0917JUD001024903, § 109].
Sur le champ d’application de l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte
62 Il ressort des explications relatives à la charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17) afférentes à son article 49 que cette disposition s’applique au domaine pénal.
63 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 52 de ses conclusions, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que trois critères sont pertinents pour l’appréciation de la nature pénale d’une sanction, aux fins, notamment, de l’application de l’article 49 de la Charte. Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième, la nature même de l’infraction et, le troisième, le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé (voir,
en ce sens, arrêts du 5 juin 2012, Bonda, C‑489/10, EU:C:2012:319, point 37, et du 4 mai 2023, Agenția Națională de Integritate, C‑40/21, EU:C:2023:367, point 34).
64 S’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, à la lumière de ces critères, si l’amende infligée à T.T. présente une nature pénale au sens de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut toutefois apporter des précisions visant à guider cette juridiction dans son appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2023, Agenția Națională de Integritate, C‑40/21, EU:C:2023:367, point 36).
65 À cet égard, s’agissant, tout d’abord, du premier critère relatif à la qualification juridique de l’infraction en droit interne, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que l’infraction en cause au principal est considérée comme une infraction administrative en droit slovaque.
66 Toutefois, l’application de l’article 49 de la Charte s’étend, même pour des infractions qui ne sont pas qualifiées de « pénales » en droit interne, à des poursuites et à des sanctions qui doivent être considérées comme présentant un caractère pénal sur le fondement des deux autres critères visés au point 63 du présent arrêt [voir, en ce sens, arrêts du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité), C‑439/19, EU:C:2021:504, point 88, et du 14 septembre 2023, Vinal, C‑820/21,
EU:C:2023:667, point 49].
67 S’agissant, ensuite, du deuxième critère tiré de la nature même de l’infraction, celui-ci implique de vérifier si la mesure en cause poursuit, notamment, une finalité répressive, ce qui est le propre d’une sanction de nature pénale au sens de l’article 49 de la Charte, sans que la seule circonstance qu’elle poursuit également une finalité préventive soit de nature à lui ôter sa qualification de sanction pénale. En effet, il est dans la nature même des sanctions pénales qu’elles tendent tant à la
répression qu’à la prévention de comportements illicites. En revanche, une mesure qui se limite à réparer le préjudice causé par l’infraction concernée ne présente pas une nature pénale [arrêts du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité), C‑439/19, EU:C:2021:504, point 89, et du 14 septembre 2023, Vinal, C‑820/21, EU:C:2023:667, point 50].
68 En l’occurrence, les amendes administratives qu’entraîne la violation des obligations relatives à la présence et au contrôle périodique d’un tachygraphe à bord de certains types de véhicules paraissent poursuivre des objectifs tant de dissuasion que de répression de ces infractions, sans avoir vocation à réparer le préjudice causé par celles-ci.
69 En outre, la Cour a déjà considéré que le fait que la mesure en cause vise non pas le public en général, mais une catégorie particulière de destinataires qui, parce qu’ils exercent une activité spécifiquement réglementée par le droit de l’Union, sont tenus de satisfaire aux conditions requises par ce droit, peut tendre à indiquer que cette mesure n’a pas une finalité répressive et ainsi contribuer à établir que ladite mesure ne présente pas une nature pénale, pourvu que la même mesure se limite à
priver son destinataire de certaines prérogatives spécifiques qui lui ont été reconnues par ledit droit, au motif que l’autorité administrative compétente a estimé que les conditions d’octroi desdites prérogatives n’étaient plus satisfaites (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2023, Vinal, C‑820/21, EU:C:2023:667, point 53 et jurisprudence citée). Or, l’amende en cause au principal n’a manifestement pas un tel objet.
70 S’agissant, enfin, du troisième critère relatif au degré de sévérité de la sanction encourue, il importe de constater que ce dernier doit être apprécié en fonction de la peine maximale prévue aux dispositions pertinentes (arrêt du 14 septembre 2023, Vinal, C‑820/21, EU:C:2023:667, point 55 et jurisprudence citée).
71 En l’occurrence, il a été souligné, au cours de l’audience, qu’une infraction, telle que celle commise par T.T., était passible d’une amende administrative d’un montant maximal de 1699 euros. De plus, comme le gouvernement slovaque l’a souligné lors de cette audience, cette amende semble pouvoir être assortie d’une déchéance du droit de conduire de deux ans. Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si de telles sanctions, prises ensemble, pourraient témoigner d’une sévérité suffisante
pour permettre que celles-ci soient qualifiées de répressives et, partant, comme présentant un caractère pénal.
72 Doit également être prise en compte la circonstance que l’utilisation d’un tachygraphe qui n’a pas été inspecté par un atelier agréé constitue une infraction très grave, en vertu du point H.1. de l’annexe III de la directive 2006/22, telle que modifiée par la directive (UE) 2020/1057 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2020 (JO 2020, L 249, p. 49). En effet, l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 165/2014 requiert des États membres qu’ils prévoient des sanctions non seulement
effectives, proportionnées, dissuasives et non discriminatoires, mais aussi conformes aux catégories d’infractions prévues dans la directive 2006/22.
73 Si, toutefois, au terme d’un examen de l’ensemble des circonstances pertinentes, cette juridiction estimait que cette amende ne revêt pas un caractère pénal et que, partant, l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte ne s’applique pas au litige au principal, aucune règle de droit de l’Union n’imposerait, en l’occurrence, le respect du principe de la lex mitior.
74 Plus particulièrement, la juridiction de renvoi ne saurait se fonder sur le principe général de droit de l’Union consacrant l’application rétroactive de la peine plus légère.
75 En effet, d’une part, la Cour a, certes, consacré l’existence d’un tel principe, dès avant l’entrée en vigueur de la Charte, en se fondant sur les traditions constitutionnelles communes aux États membres (arrêt du 3 mai 2005, Berlusconi e.a., C‑387/02, C‑391/02 et C‑403/02, EU:C:2005:270, points 68 et 69). Cependant, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 67 de ses conclusions, il n’existe pas de tradition constitutionnelle commune qui puisse fonder l’extension du
principe de la lex mitior à des sanctions qui n’ont pas un caractère pénal.
76 Cette conclusion est corroborée par le choix des auteurs de la Charte de limiter aux seules mesures relevant du domaine pénal le champ d’application du principe de la loi pénale plus favorable, tel qu’il est garanti à son article 49, paragraphe 1, dernière phrase, tout comme par le fait que le champ d’application de l’article 7 de la CEDH est également limité à ces seules mesures.
77 D’autre part, le fait que la portée du principe général consacrant l’application rétroactive de la peine plus légère soit circonscrite au domaine pénal n’est pas remis en cause par l’article 2, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement no 2988/95, en vertu duquel il incombe aux autorités compétentes d’appliquer de manière rétroactive, à un comportement constitutif d’une irrégularité, susceptible de porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de ce
règlement, les modifications ultérieures apportées par des dispositions contenues dans une réglementation de l’Union sectorielle instituant des sanctions administratives moins sévères.
78 Certes, cette disposition prévoit l’application rétroactive des dispositions de droit de l’Union diminuant la sévérité du régime des sanctions administratives, sans que son champ d’application soit limité aux seules sanctions de nature pénale.
79 Cela étant, comme M. l’avocat général l’a souligné au point 70 de ses conclusions, la circonstance que le législateur de l’Union a estimé nécessaire, à l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 2988/95, d’étendre le principe général de droit de l’Union d’application rétroactive de la peine plus légère à l’ensemble des sanctions administratives visant des irrégularités susceptibles de porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union, au sens de l’article 1er de ce règlement, qu’elles revêtent
ou non un caractère pénal, témoigne précisément de ce que ce principe n’a pas vocation à s’appliquer, en tant que tel, à des sanctions ne présentant pas un tel caractère.
Sur les conditions d’application de l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte
80 L’obligation d’appliquer, en vertu de l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte, une loi postérieure à la commission de l’infraction est subordonnée à la condition que cette loi « prévoi[e] une peine plus légère ».
81 L’application de cette disposition suppose donc une succession de régimes juridiques dans le temps et repose sur la constatation que cette succession reflète, au sein de l’ordre juridique concerné, un changement de position, favorable à l’auteur de l’infraction, soit en ce qui concerne la qualification pénale des faits susceptibles de constituer une infraction, soit en ce qui concerne la peine à appliquer à une telle infraction (voir, en ce sens, arrêt du 24 juillet 2023, Lin, C‑107/23 PPU,
EU:C:2023:606, point 107 et jurisprudence citée).
82 Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme a déjà jugé que l’article 7 de la CEDH ne garantit pas l’application rétroactive d’une modification de la réglementation favorable à l’auteur de l’infraction lorsque cette dernière s’explique uniquement par un changement de circonstances factuelles, depuis la commission de cette infraction, et qu’elle est, partant, dénuée de pertinence pour l’examen de l’infraction en tant que telle (Cour EDH, 18 octobre 2022, Morck Jensen c. Danemark,
CE:ECHR:2022:1018JUD006078519, § 52).
83 En l’occurrence, ainsi qu’il a été souligné au point 52 du présent arrêt, T.T. a été sanctionné pour avoir conduit, le 4 novembre 2015, un véhicule de livraison de béton prêt à l’emploi dont le tachygraphe n’avait pas fait l’objet d’un contrôle périodique valable.
84 À cet égard, il convient de relever, d’une part, que, avant son abrogation par le règlement no 165/2014, l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 3821/85, applicable au moment de l’infraction en cause au principal, autorisait les États membres à dispenser de l’application de ce règlement les véhicules visés à l’article 13, paragraphes 1 et 3, du règlement no 561/2006. Une même faculté demeure reconnue aux États membres par l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 165/2014, applicable à
compter du 2 mars 2016.
85 D’autre part, le règlement 2020/1054 a ajouté la catégorie des véhicules utilisés pour la livraison de béton prêt à l’emploi aux catégories de véhicules visées à l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 561/2006, à savoir celles pour lesquelles les États membres peuvent accorder des dérogations, une telle modification étant applicable à compter du 20 août 2020.
86 Comme M. l’avocat général l’a relevé au point 78 de ses conclusions, en ajoutant ces véhicules à ceux déjà mentionnés à l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 561/2006, le règlement 2020/1054 témoigne d’un changement de position de la part du législateur de l’Union quant à la nécessité d’imposer la présence d’un tachygraphe à bord desdits véhicules, dont les trajets portent, en principe, sur des distances assez courtes.
87 Une telle modification se distingue ainsi des cas dans lesquels la Cour a eu l’occasion de considérer, en substance, qu’une modification de la réglementation applicable, bien qu’elle soit favorable à la personne poursuivie ou condamnée, ne pouvait pas relever du champ d’application du principe de la lex mitior, au motif qu’une telle modification n’était pas de nature à altérer les éléments constitutifs de l’infraction mais constituait, au regard de cette infraction, un simple changement d’une
situation de fait, ou était exclusivement justifiée par une nouvelle appréciation purement économique et technique du législateur de l’Union qui ne remettait pas en cause l’irrégularité des comportements antérieurs de la personne sanctionnée (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2016, Paoletti e.a., C‑218/15, EU:C:2016:748, points 32 à 36, ainsi que du 7 août 2018, Clergeau e.a., C‑115/17, EU:C:2018:651, points 34 à 40).
88 Il s’ensuit que les règles de droit de l’Union relatives à l’obligation de munir certains véhicules d’un tachygraphe et d’en assurer le contrôle périodique ont été modifiées, après l’infraction commise par T.T., dans un sens qui pouvait lui être favorable si les autorités slovaques décidaient, conformément à l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 165/2014, d’exonérer ce type de véhicules de l’obligation d’être munis d’un tachygraphe.
89 Or, l’article 2, paragraphe 2, de la loi no 461/2007 prévoit que les véhicules de toutes les catégories qui sont mentionnées à l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 561/2006 sont dispensés de l’obligation d’être munis d’un tachygraphe.
90 Il apparaît, dès lors, que, ainsi qu’il a été relevé au point 55 du présent arrêt, le législateur slovaque a décidé de mettre en œuvre la faculté prévue à l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 165/2014, en exonérant, de plein droit, toutes les catégories de véhicules qui sont énumérées à l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 561/2006, de l’obligation d’être munies d’un tachygraphe pour des raisons identiques à celles qui ont été retenues par le législateur de l’Union.
91 Ainsi que le gouvernement slovaque l’a souligné dans ses observations écrites et lors de l’audience, il paraît, dès lors, ressortir du dossier dont dispose la Cour que la suppression, en droit slovaque, de l’obligation, pour les véhicules destinés à transporter du béton prêt à l’emploi, d’être munis d’un tachygraphe, reflète un changement de position du législateur slovaque quant à la volonté de réprimer des faits tels que ceux reprochés à T.T., ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de
renvoi de vérifier.
92 Il convient enfin de rappeler que l’article 49 de la Charte comporte, à tout le moins, les mêmes garanties que celles prévues à l’article 7 de la CEDH dont il convient de tenir compte, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, en tant que seuil de protection minimale (arrêt du 29 juillet 2024, Alchaster, C‑202/24, EU:C:2024:649, point 92 et jurisprudence citée). La Cour doit, par conséquent, veiller à ce que l’interprétation qu’elle effectue dans la présente affaire assure un niveau
de protection qui ne méconnaît pas celui garanti à cet article 7, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt du 10 novembre 2022, DELTA STROY 2003, C‑203/21, EU:C:2022:865, point 44 et jurisprudence citée).
93 À cet égard, il convient de relever que les exigences auxquelles l’article 49, paragraphe 1, de la Charte soumet une éventuelle application du principe de rétroactivité de la loi pénale plus favorable, telles qu’elles ressortent du point 81 du présent arrêt, assurent, compte tenu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme citée au point 82 du présent arrêt, un niveau de protection de ce principe qui ne méconnaît pas celui garanti à l’article 7 de la CEDH, tel qu’interprété
par cette Cour.
94 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il est susceptible de s’appliquer à une sanction administrative, de nature pénale, qui a été infligée sur le fondement d’une règle qui, postérieurement à l’adoption de cette sanction, a été modifiée d’une manière qui est plus favorable à la personne sanctionnée, pour autant que cette modification reflète un changement de position sur la
qualification pénale des faits commis par cette personne ou sur la peine à appliquer.
Sur les troisième et quatrième questions
95 Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte doit être interprété en ce sens qu’une juridiction, saisie d’un pourvoi en cassation contre une décision juridictionnelle ayant rejeté le recours introduit contre une amende administrative, de nature pénale et relevant du champ d’application du droit de l’Union, est tenue d’appliquer une réglementation plus
favorable à la personne condamnée, qui est entrée en vigueur après le prononcé de cette décision juridictionnelle, indépendamment du fait que cette dernière est considérée comme définitive en droit national.
96 En premier lieu, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que la règle de la rétroactivité de la loi pénale plus favorable, contenue à l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte, a vocation à s’appliquer tant qu’aucune condamnation définitive n’a été prononcée (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Delvigne, C‑650/13, EU:C:2015:648, point 56).
97 En effet, cette règle implique que, à compter de la date à partir de laquelle il a été considéré, dans l’ordre juridique concerné, qu’il n’était plus nécessaire de punir ou de punir aussi sévèrement un comportement déterminé, un tel changement d’appréciation doit s’appliquer immédiatement à l’ensemble des procédures pénales qui n’ont pas encore été clôturées par une condamnation définitive.
98 Il importe de relever que cette interprétation de l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte ne méconnaît pas le seuil de protection offert par l’article 7 de la CEDH. En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le principe de rétroactivité de la loi pénale plus favorable, tel qu’il est garanti à l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH, implique que, si la loi pénale en vigueur au moment de la commission de l’infraction et les lois pénales
postérieures adoptées avant le prononcé d’un jugement définitif sont différentes, le juge doit appliquer celle dont les dispositions sont les plus favorables au prévenu [voir, en ce sens, Cour EDH, 17 septembre 2009, Scoppola c. Italie (no 2), CE:ECHR:2009:0917JUD001024903, § 109].
99 En deuxième lieu, si les règles de la procédure pénale relèvent de la compétence des États membres pour autant que l’Union n’ait pas légiféré en la matière, ceux-ci n’en sont pas moins tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union, incluant les droits fondamentaux consacrés par la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2024, Procura della Repubblica presso il Tribunale di Bolzano, C‑178/22, EU:C:2024:371, point 44).
100 Partant, si l’appréciation du caractère définitif de la condamnation doit être faite sur la base du droit de l’État membre ayant rendu celle-ci (voir, par analogie, arrêt du 5 juin 2014, M, C‑398/12, EU:C:2014:1057, point 36), il n’en demeure pas moins que cette notion doit recevoir dans toute l’Union, aux fins de l’application de l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte, une interprétation autonome et uniforme, dans la mesure où elle détermine l’étendue du droit garanti par
cette disposition et, par conséquent, l’étendue des obligations qui en découlent pour les États membres.
101 Il s’ensuit, comme M. l’avocat général l’a souligné, en substance, au point 99 de ses conclusions, que la circonstance qu’une condamnation est considérée comme définitive, en vertu du droit national, n’est pas déterminante pour l’application de l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte par la juridiction saisie d’un recours contre la décision qui a prononcé cette condamnation.
102 En effet, une condamnation ne saurait être considérée comme définitive, au sens de l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte, lorsqu’elle peut faire l’objet d’une voie de recours ordinaire, à savoir toute voie de recours qui fait partie du cours normal d’un procès et qui, en tant que telle, constitue un développement procédural avec lequel toute partie doit raisonnablement compter (voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 1977, Industrial Diamond Supplies, 43/77, EU:C:1977:188,
point 37).
103 Tel est le cas lorsque la personne condamnée ou l’autorité publique en charge des poursuites peuvent introduire, dans un délai déterminé par la loi et sans devoir justifier de circonstances exceptionnelles, telles que la nécessité d’assurer, dans l’intérêt de la loi, la cohérence de la jurisprudence, un recours juridictionnel en vue d’obtenir l’annulation ou la réformation de la condamnation ou de la peine imposée, et ce, nonobstant le fait qu’un tel recours est considéré, en droit national,
comme une voie de recours extraordinaire ce qui, conformément aux indications fournies par la juridiction de renvoi visées au point 43 du présent arrêt, serait, en l’occurrence, le cas en droit slovaque. En effet, tant que le délai pour introduire un tel recours n’a pas expiré ou qu’il n’a pas été statué sur celui-ci, la décision relative à cette condamnation et à cette peine ne peut être considérée comme ayant éteint définitivement l’action publique, aux fins de l’application de l’article 49,
paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte.
104 Par ailleurs, sans que cela ait un caractère décisif, l’effet suspensif de l’introduction d’un recours contre une condamnation constitue un indice que ce recours porte sur une décision qui ne peut pas être qualifiée de définitive, aux fins de l’application de cette disposition.
105 Il s’ensuit que, lorsqu’un pourvoi en cassation est ouvert, dans les conditions visées au point 103 du présent arrêt, contre une décision juridictionnelle, cette décision n’a vocation à devenir définitive, aux fins de l’application de l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte, que lorsque les parties ont épuisé cette voie de droit ou laissé passer le délai pour former un tel pourvoi sans l’avoir introduit.
106 Partant, l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte implique qu’une juridiction de cassation est, en principe, obligée de faire bénéficier l’auteur d’une infraction dont la sanction relève de la mise en œuvre du droit de l’Union d’une réglementation pénale qui est favorable à cet auteur, même si cette réglementation est entrée en vigueur après le prononcé de la décision juridictionnelle qui fait l’objet de ce pourvoi en cassation.
107 N’est pas de nature à modifier cette conclusion la circonstance que, en vertu du droit national, la décision qui fait l’objet du pourvoi ne peut être annulée que pour autant qu’elle soit affectée d’un vice de légalité ou que la juridiction de cassation est tenue de statuer au regard de la situation existante à la date de prononcé de cette décision. En effet, comme il ressort du point 97 du présent arrêt, il appartient à toute juridiction de faire bénéficier l’auteur d’une infraction de la loi
pénale qui lui est plus favorable, tant que sa condamnation n’est pas définitive.
108 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi, d’une part, que T.T. a saisi la juridiction de renvoi d’un pourvoi en cassation, dans le respect du délai fixé par la législation nationale pertinente, sans qu’il ait dû justifier de circonstances exceptionnelles et, d’autre part, que cette juridiction dispose, à tout le moins, de la faculté d’annuler la décision du 27 mars 2019 du Krajský súd v Bratislave (cour régionale de Bratislava).
109 Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, la décision du 27 mars 2019 du Krajský súd v Bratislave (cour régionale de Bratislava) ne saurait, dès lors, être considérée comme une « condamnation définitive », aux fins de l’application de l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte.
110 Il s’ensuit que, si la juridiction de renvoi devait estimer que l’amende administrative à laquelle T.T. a été condamné présente un caractère pénal, cette juridiction serait tenue d’appliquer la réglementation plus favorable à celui-ci, au sens de l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte, que constitue l’article 2, paragraphe 2, de la loi no 461/2007, lu en combinaison avec le règlement 2020/1054, indépendamment du fait que cette réglementation est entrée en vigueur
postérieurement à la décision, qualifiée de définitive en vertu du droit national, du Krajský súd v Bratislave (cour régionale de Bratislava). Cette obligation n’est pas affectée par le fait que la juridiction de renvoi est tenue, selon ce droit, de se prononcer au regard de la situation existante à la date à laquelle cette décision a été rendue.
111 À ce dernier égard, il convient d’ajouter que, lorsqu’il n’est pas possible de procéder à une interprétation d’une disposition nationale qui serait conforme aux exigences du droit de l’Union, le principe de primauté de ce dernier exige que le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions de ce droit écarte l’application de toute disposition du droit national contraire aux dispositions du droit de l’Union ayant un effet direct [arrêts du 24 juin 2019,
Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, points 58 et 61, et du 20 février 2024, X (Absence de motifs de résiliation), C‑715/20, EU:C:2024:139, point 72].
112 Or, l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte est formulé en des termes clairs et précis et n’est assorti d’aucune condition, si bien qu’il est d’effet direct.
113 Partant, si la juridiction de renvoi devait constater que son droit interne ne l’autorise pas à appliquer les garanties découlant de l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte au litige pendant devant elle et qu’il n’est pas envisageable d’interpréter ce droit de manière conforme au droit de l’Union, elle serait tenue d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection découlant, pour les justiciables, de l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte et de
garantir le plein effet de cette disposition en laissant au besoin inappliquée toute disposition nationale contraire.
114 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte doit être interprété en ce sens qu’une juridiction, saisie d’un pourvoi en cassation contre une décision juridictionnelle ayant rejeté le recours introduit contre une amende administrative, de nature pénale et relevant du champ d’application du droit de l’Union, est, en principe, tenue d’appliquer une réglementation nationale plus favorable à la personne condamnée, qui est
entrée en vigueur après le prononcé de cette décision juridictionnelle, indépendamment du fait que cette dernière est considérée comme définitive en droit national.
Sur les dépens
115 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
1) L’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens que :
un État membre met en œuvre le droit de l’Union, au sens de cette disposition, lorsque, d’une part, conformément à l’article 19, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 3821/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route, tel que modifié par le règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, et à l’article 41, paragraphe 1, du règlement (UE) no 165/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 4 février
2014, relatif aux tachygraphes dans les transports routiers, abrogeant le règlement (CEE) no 3821/85 du Conseil concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route et modifiant le règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, il inflige une sanction administrative au conducteur d’un véhicule, en raison de la violation, par ce dernier,
d’obligations imposées par ces règlements et, d’autre part, il utilise, par la suite, la faculté qui lui est reconnue par l’article 3, paragraphe 2, de ce dernier règlement, de dispenser du respect de telles obligations certains véhicules de transport routier.
2) L’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la charte des droits fondamentaux doit être interprété en ce sens que :
il est susceptible de s’appliquer à une sanction administrative, de nature pénale, qui a été infligée sur le fondement d’une règle qui, postérieurement à l’adoption de cette sanction, a été modifiée d’une manière qui est plus favorable à la personne sanctionnée, pour autant que cette modification reflète un changement de position sur la qualification pénale des faits commis par cette personne ou sur la peine à appliquer.
3) L’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la charte des droits fondamentaux doit être interprété en ce sens que :
une juridiction, saisie d’un pourvoi en cassation contre une décision juridictionnelle ayant rejeté le recours introduit contre une amende administrative, de nature pénale et relevant du champ d’application du droit de l’Union, est, en principe, tenue d’appliquer une réglementation nationale plus favorable à la personne condamnée, qui est entrée en vigueur après le prononcé de cette décision juridictionnelle, indépendamment du fait que cette dernière est considérée comme définitive en droit
national.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le slovaque.