ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
1er août 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Environnement – Promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables – Directive 2009/28/CE – Article 3 – Directive (UE) 2018/2001 – Article 4 – Mesures nationales d’incitation à la production d’énergie à partir de sources renouvelables – Régime d’aide – Aides d’État – Article 108 TFUE – Compétence exclusive de la Commission européenne pour statuer sur la compatibilité de mesures d’aide avec le marché intérieur – Décision de la Commission
constatant la compatibilité d’un tel régime d’aide avec le marché intérieur – Recours introduit par le bénéficiaire d’une aide au titre de ce régime, devant une juridiction nationale, contestant une modalité dudit régime qui est indissolublement liée à son fonctionnement – Irrecevabilité, dans le cadre de ce recours, d’une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de ces dispositions de ces directives »
Dans l’affaire C‑514/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 8 août 2023, parvenue à la Cour le 8 août 2023, dans la procédure
Tiberis Holding Srl
contre
Gestore dei servizi energetici (GSE) SpA,
Ministero dello Sviluppo economico,
Ministero dell’Ambiente e della Sicurezza energetica,
en présence de :
Conza Energia Srl,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. I. Jarukaitis (rapporteur), président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la quatrième chambre, MM. N. Jääskinen, A. Arabadjiev et M. Condinanzi, juges,
avocat général : M. A. Rantos,
greffier : M. C. Di Bella, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 novembre 2024,
considérant les observations présentées :
– pour Tiberis Holding Srl, par Mes F. Bassan, I. Perego, G. M. Roberti, A. Sascaro et S. Venturini, avvocati,
– pour Gestore dei servizi energetici (GSE) SpA, par Mes R. Lener, A. Pugliese et C. San Mauro, avvocati,
– pour le gouvernement italien, par M. S. Fiorentino et Mme G. Palmieri, en qualité d’agents, assistés de Mme L. G. V. Delbono et M. P. Garofoli, avvocati dello Stato,
– pour la Commission européenne, par MM. B. De Meester et A. Spina, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 février 2025,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3 de la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE (JO 2009, L 140, p. 16), ainsi que de l’article 4 de la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018, relative à la promotion de
l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (JO 2018, L 328, p. 82).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Tiberis Holding Srl (ci-après « Tiberis ») à Gestore dei servizi energetici (GSE) SpA, au Ministero dello Sviluppo economico (ministère du Développement économique, Italie) et au Ministero dell’Ambiente e della Sicurezza energetica (ministère de l’Environnement et de la Sécurité énergétique, Italie) au sujet de factures par lesquelles GSE a demandé à Tiberis de lui restituer une partie des aides que cette dernière avait perçues au
titre d’un régime d’incitation à la production d’électricité à partir de sources renouvelables autres que l’énergie photovoltaïque.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement (UE) 2015/1589
3 L’article 1er du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), contient les définitions suivantes :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
a) “aide” : toute mesure remplissant tous les critères fixés à l’article 107, paragraphe 1, [TFUE] ;
b) “aide existante” :
[...]
ii) toute aide autorisée, c’est-à-dire les régimes d’aides et les aides individuelles autorisés par la Commission [européenne] ou le Conseil [de l’Union européenne] ;
c) “aide nouvelle” : toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante ;
d) “régimes d’aides” : toute disposition sur la base de laquelle, sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaires, des aides peuvent être octroyées individuellement à des entreprises, définies d’une manière générale et abstraite dans ladite disposition et toute disposition sur la base de laquelle une aide non liée à un projet spécifique peut être octroyée à une ou plusieurs entreprises pour une période indéterminée et/ou pour un montant indéterminé ;
[...]
f) “aide illégale” : une aide nouvelle mise à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, [TFUE] ;
[...] »
4 L’article 2, paragraphe 1, de ce règlement dispose :
« Sauf indication contraire dans tout règlement pris en application de l’article 109 [TFUE] ou de toute autre disposition pertinente de ce dernier, tout projet d’octroi d’une aide nouvelle est notifié en temps utile à la Commission par l’État membre concerné. [...] »
5 Aux termes de l’article 3 dudit règlement :
« Toute aide devant être notifiée en vertu de l’article 2, paragraphe 1, n’est mise à exécution que si la Commission a pris, ou est réputée avoir pris, une décision l’autorisant. »
Le règlement (CE) no 794/2004
6 L’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement 2015/1589 (JO 2004, L 140, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/2282 de la Commission du 27 novembre 2015 (JO 2015, L 325, p. 1) (ci‑après le « règlement no 794/2004 »), prévoit que, aux fins de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589, « on entend par modification d’une aide existante tout changement autre que les modifications de caractère
purement formel ou administratif qui ne sont pas de nature à influencer l’évaluation de la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché commun. [...] ».
La décision SA.43756
7 Par la décision C(2016) 2726 final, du 28 avril 2016, concernant l’aide d’État SA.43756 (2015/N) – Italie, Soutien à l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables en Italie (ci-après la « décision SA.43756 »), la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections au régime d’aide qui lui avait été notifié par la République italienne, sous la forme de projet d’arrêté ministériel, visant à promouvoir la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables, au
motif que celui-ci est compatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.
8 La partie 2 de cette décision, intitulée « Description de la mesure », contient, sous la section 2.1 de celle-ci, intitulée « Contexte et objectifs du régime d’aide », les considérants suivants :
« (2) L’objectif du régime notifié est de promouvoir la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables. La mesure aidera l’Italie à atteindre les objectifs européens en matière d’énergie renouvelable. Le régime est ouvert à toutes les sources d’énergie renouvelables, à l’exception de l’énergie solaire photovoltaïque [...]
(3) Dans le but de réformer son régime national d’aide aux énergies renouvelables conformément aux dispositions [de la communication de la Commission intitulée “Lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020” (JO 2014, C 200, p. 1, ci‑après les “lignes directrices 2014-2020”)], l’Italie a notifié un régime transitoire pour les années 2015 et 2016. [...]
(4) L’Italie a notifié à la Commission un projet d’arrêté ministériel contenant les dispositions d’application du régime. L’arrêté sera formellement adopté lorsque la Commission aura pris la décision de ne pas soulever d’objections. »
9 La partie 3 de ladite décision, consacrée à l’évaluation du régime d’aide notifié, comprend les considérants 28 à 66 de la même décision. Dans cette partie 3, la Commission précise, aux considérants 31 et 32, que, dès lors qu’il vise à soutenir l’électricité produite à partir de sources renouvelables, le régime notifié entre dans le champ d’application des lignes directrices 2014-2020 et que c’est donc sur la base des dispositions pertinentes de celles-ci, à savoir celles exposées dans la
section 3.2 ainsi que dans les sous-sections 3.3.1 et 3.3.2 de ces lignes directrices, qu’elle a apprécié la compatibilité de ce régime avec l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.
10 Le considérant 34 de la décision SA.43756, qui figure sous l’intitulé « Objectif d’intérêt commun », énonce :
« L’objectif de la mesure d’aide notifiée est d’aider l’Italie à atteindre les objectifs à long terme en matière de changement climatique et de durabilité énergétique fixés par l’[Union européenne] dans le cadre de la politique énergétique de l’[Union]. Le régime aidera l’Italie à atteindre ses objectifs. Conformément aux points 30 et 31 des [lignes directrices 2014-2020], l’Italie a défini l’objectif de la mesure et a expliqué que la mesure contribuera à la réalisation des objectifs de la
politique énergétique européenne [voir le considérant (2)]. »
11 Sous l’intitulé « Nécessité d’une aide, instrument approprié et effet incitatif », les considérants 36 à 42 de cette décision visent notamment les points 107, 116 et 49 des lignes directrices 2014-2020.
12 Sous l’intitulé « Proportionnalité » figurent les considérants suivants :
« (43) Selon les termes du point 69 des [lignes directrices 2014-2020], une aide à l’environnement est considérée comme proportionnée si son montant par bénéficiaire se limite au minimum nécessaire pour atteindre l’objectif fixé en matière de protection de l’environnement.
(44) La Commission a évalué la proportionnalité des aides au regard des dispositions de la section 3.3.2 des [lignes directrices 2014-2020] relative aux aides au fonctionnement octroyées en faveur de l’énergie produite à partir de sources renouvelables.
[...]
(47) Comme le précise le point 128 des [lignes directrices 2014-2020], en l’absence de procédure de mise en concurrence, la Commission apprécie la proportionnalité de l’aide au regard des dispositions du point 131 de [ces lignes directrices 2014-2020].
(48) Pour les projets figurant sur les listes prioritaires bénéficiant d’un tarif de rachat, l’Italie a démontré que l’aide par unité d’énergie ne dépasse pas [le coût total moyen actualisé de l’électricité (levelised cost of electricity, ci-après le “LCOE”)] pour la technologie en question. À titre d’exemple, le tableau 4 montre que le LCOE estimé des projets sélectionnés dans le domaine des énergies renouvelables est nettement supérieur au prix estimé sur le marché de l’électricité [...] La
fourchette de [taux de rendement interne] estimée par l’Italie [...] semble être conforme ou inférieure à celle des projets dans le domaine des énergies renouvelables récemment approuvés par la Commission [...]
[...]
(50) Pour les projets figurant sur les listes prioritaires, si le prix du marché de l’électricité dépasse le LCOE estimé, la différence sera récupérée en réduisant la prime lors de paiements ultérieurs. Cela permettra d’éviter des bénéfices exceptionnels si les prix de l’électricité plus élevés que le LCOE génèrent des recettes supplémentaires pour le projet (au-delà de celles prises en compte dans l’estimation de la rentabilité du projet [...]). [...]
(51) À la lumière de ce qui précède, la Commission conclut que la rémunération remplit les conditions du point 131 des [lignes directrices 2014-2020] et est donc proportionnée. »
13 Le considérant 66 de la décision SA.43756, qui figure sous l’intitulé « Conclusion sur la compatibilité de la mesure », énonce :
« À la lumière de ce qui précède, la Commission considère que le régime notifié poursuit un objectif d’intérêt commun d’une manière nécessaire et proportionnée sans affecter indûment la concurrence et les échanges et que, par conséquent, l’aide est compatible avec le marché intérieur sur la base des [lignes directrices 2014-2020]. »
Le droit italien
14 Le Decreto del Ministero dello Sviluppo economico – Incentivazione dell’energia elettrica prodotta da fonti rinnovabili diverse dal fotovoltaico (arrêté du ministère du Développement économique portant promotion de l’électricité produite à partir de sources renouvelables autres que photovoltaïque), du 23 juin 2016 (GURI no 150, du 29 juin 2016, p. 8, ci-après l’« arrêté du 23 juin 2016 »), se réfère, dans ses visas, notamment à la directive 2009/28 et à la décision SA.43756.
15 L’article 4 de l’arrêté du 23 juin 2016 détermine, à ses paragraphes 1 à 3, les procédures d’accès au système d’incitations qu’il institue, à savoir, respectivement, l’inscription de l’installation au registre approprié, lequel est déterminé selon la source d’énergie et le type d’installation, la participation de l’opérateur à des procédures d’enchères au rabais et l’accès direct. Cet article 4 précise, pour chaque type de procédure, les catégories d’installations éligibles, déterminées, en
substance, en fonction de la capacité de production de l’installation concernée.
16 L’article 7 de cet arrêté porte sur la détermination des tarifs de rachat et des incitations. Son paragraphe 4 prévoit que, pour les installations d’une capacité inférieure ou égale à 500 kilowatts (kW), GSE procède, le cas échéant, au rachat de l’électricité injectée dans le réseau, en payant, pour la production nette injectée dans le réseau, un tarif incitatif global, déterminé sur la base de l’annexe 1 dudit arrêté. Le paragraphe 6 de cet article 7 précise que, dans l’hypothèse où l’opérateur
d’une telle installation choisit de garder l’énergie en sa possession et de la vendre sur le marché libre, GSE procède à un « retrait forfaitaire », le passage d’une modalité de versement de l’incitation à l’autre n’étant pas autorisé plus de deux fois au cours de la période d’application de la mesure d’incitation. Le paragraphe 5 dudit article 7 dispose que, pour les installations d’une puissance nominale supérieure à 500 kW qui bénéficient d’une incitation au titre de leur participation à une
procédure d’enchères au rabais, GSE verse, au titre de la production nette injectée dans le réseau, l’incitation déterminée en application du même arrêté, l’énergie produite par ces installations restant à la disposition du producteur.
17 Les modalités de calcul des incitations sont précisées dans la partie 1 de l’annexe 1 de l’arrêté du 23 juin 2016, intitulée « Détermination des mesures d’incitation pour les nouvelles installations ». Le point 1 de cette partie 1 définit ces modalités pour les installations d’une capacité inférieure ou égale à 500 kW optant pour le tarif incitatif global, au sens de l’article 7, paragraphe 4, de cet arrêté. Le point 2 de ladite partie 1 définit les modalités de calcul de l’incitation pour les
autres installations.
18 Les tarifs incitatifs de base qui servent au calcul de l’incitation sont différenciés selon la source d’énergie renouvelable, le type d’installation et la puissance de celle-ci. Ceux qui sont applicables aux grandes installations sont inférieurs à ceux qui sont applicables aux installations de taille moyenne.
19 L’article 26, paragraphe 1, de l’arrêté du 23 juin 2016 prévoit que GSE publie des procédures d’application spécifiques du système d’incitations mis en place par cet arrêté, notamment les règles opérationnelles relatives, respectivement, aux procédures d’enchères et aux procédures d’inscription au registre.
Le litige au principal et la question préjudicielle
20 Tiberis exploite une centrale hydroélectrique sur le Tibre, d’une puissance de 2,747 mégawatts (MW). Le 8 septembre 2017, GSE a fait droit à sa demande, présentée le 22 décembre 2016, de pouvoir bénéficier du système d’incitations à la production d’électricité prévu par l’arrêté du 23 juin 2016, tel que complété par les procédures d’application édictées par GSE le 15 juillet 2016, conformément à l’article 26 de cet arrêté.
21 Le 5 octobre 2017, Tiberis a conclu avec GSE un contrat régissant les conditions d’octroi de l’incitation lui étant due en vertu de ce système. À compter de l’année 2017 jusqu’à l’année 2021, Tiberis a reçu un total de 4044340,75 euros d’aides. Cependant, par deux factures du 4 avril 2022 et une facture du 2 mai 2022, GSE a demandé à Tiberis de lui restituer une partie des aides perçues, pour un montant total de 1224210,86 euros.
22 Tiberis a alors introduit un recours devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie), visant à l’annulation de ces demandes de restitution ainsi que des dispositions contractuelles et réglementaires sur lesquelles elles se fondaient. Au soutien de celui-ci, Tiberis invoquait notamment une violation de l’article 3 de la directive 2009/28 ainsi que de l’article 4 de la directive 2018/2001. GSE et Conza Energia Srl, l’autre partie à
la procédure, ont fait valoir que le recours était irrecevable pour cause de tardiveté et, en tout état de cause, non fondé.
23 Ce tribunal a jugé ce recours recevable, mais non fondé.
24 Tiberis a saisi le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), qui est la juridiction de renvoi, d’une demande tendant à obtenir la réformation de ce jugement, en réitérant son moyen tiré d’une violation de l’article 3 de la directive 2009/28 et de l’article 4 de la directive 2018/2001. GSE et Conza Energia concluent au rejet de ce recours.
25 La juridiction de renvoi indique que, à première vue, la partie 1, point 2, de l’annexe 1 de l’arrêté du 23 juin 2016 semble contraire à l’article 3 de la directive 2009/28 ainsi qu’à l’article 4 de la directive 2018/2001. En effet, ces dispositions du droit de l’Union fixeraient cinq critères cumulatifs pour que les incitations soient légales. Il faudrait, premièrement, qu’elles soient fondées sur le marché, deuxièmement qu’elles permettent aux bénéficiaires de réagir aux signaux de marché,
troisièmement, qu’elles évitent toute distorsion inutile sur les marchés, quatrièmement, qu’elles garantissent que les producteurs répondent aux signaux de prix du marché et, cinquièmement, qu’elles assurent que les producteurs maximisent les revenus qu’ils tirent du marché. Elles devraient, en outre, être accordées de manière ouverte, transparente, concurrentielle, non discriminatoire et efficace au regard des coûts.
26 Or, la réglementation nationale en cause devant elle pourrait avoir pour effet de contraindre les producteurs à renoncer aux incitations, ce qui serait contraire à l’objectif du système d’incitations. À cet égard, la juridiction de renvoi précise que l’article 4 de l’arrêté du 23 juin 2016 prévoit que l’accès à ces incitations est ouvert sur la base de trois procédures différentes, mais que les producteurs ne sont pas libres d’opter pour une procédure en particulier, la procédure à laquelle ils
peuvent prétendre dépendant exclusivement de la capacité de production de l’installation concernée. Tiberis n’aurait donc pas pu librement choisir entre bénéficier d’une incitation au titre de son inscription au registre ou bénéficier d’une incitation au titre d’une participation à une procédure d’enchères. Or, les producteurs bénéficiant d’une incitation au titre de leur inscription à un registre sont tenus de reverser à GSE la différence entre le prix du marché et le tarif incitatif garanti par
GSE lorsque le prix du marché est supérieur à celui-ci, contrairement aux producteurs disposant d’installations de grande taille qui bénéficient d’une incitation moyennant participation à une procédure d’enchères, ceux-ci pouvant encaisser la totalité du prix du marché.
27 De plus, la modalité consistant à effectuer un décompte en faveur de GSE lorsque le prix du marché est supérieur à ce tarif semblerait potentiellement incompatible avec les directives 2009/28 et 2018/2001, en ce que, selon la juridiction de renvoi, ces directives obligent les États membres à permettre aux opérateurs de réagir à la dynamique du marché afin d’éviter les distorsions résultant de l’élimination de la réactivité des producteurs face à la demande, alors que, du fait de ce mécanisme
d’« incitation négative », les producteurs bénéficiaires de l’incitation au titre de leur inscription au registre n’auraient aucun intérêt à réagir à cette dynamique du marché.
28 Dans ces conditions, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Les principes énoncés à l’article 3 de la directive 2009/28 et à l’article 4 de la directive 2018/2011 s’opposent-ils à une réglementation nationale qui, dans le cadre d’un régime national d’incitations, prévoit, pour les cas dans lesquels les producteurs vendent de l’énergie sur le marché libre, un tarif incitatif garantissant un prix minimal, qui est également un prix maximal en vertu d’un mécanisme de décompte/remboursement des sommes dépassant le montant de l’incitation si le prix du marché
est supérieur à l’incitation (mécanisme dit d’“incitation négative”), ce mécanisme de décompte ne s’appliquant en outre que lorsque le producteur qui vend l’énergie sur le marché libre bénéficie de l’incitation grâce à son inscription au registre pertinent, mais pas dans le cas où il obtient l’incitation en participant à une procédure d’enchères ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
29 GSE fait valoir que la demande de décision préjudicielle est irrecevable au motif que la juridiction de renvoi n’a pas indiqué l’ensemble des faits pertinents ni exposé les raisons précises pour lesquelles elle s’interroge sur la conformité de la législation nationale avec le droit de l’Union, en violation de l’article 94 du règlement de procédure de la Cour.
30 À cet égard, il importe de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, reflétée à l’article 94, sous a) et b), du règlement de procédure, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. En outre, il est indispensable,
comme l’énonce l’article 94, sous c), du règlement de procédure, que la demande de décision préjudicielle expose les raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la réglementation nationale applicable au litige au principal (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 59 et jurisprudence
citée).
31 En l’occurrence, la demande de décision préjudicielle répond aux exigences rappelées au point précédent du présent arrêt.
32 Cela étant, il convient de relever que le gouvernement italien fait également valoir que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, mais cela au motif que la juridiction de renvoi ne saurait faire droit à la demande de Tiberis, de sorte que la question posée serait hypothétique. En effet, selon ce gouvernement, faire droit à cette demande entraînerait une modification substantielle de l’aide autorisée par la décision SA.43756, ce qui reviendrait à ce que cette juridiction accorde une
aide nouvelle qui n’a été ni notifiée à la Commission ni autorisée par cette dernière. Or, l’article 108, paragraphe 3, TFUE s’y opposerait.
33 À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’une procédure instituée par l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence,
dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêts du 21 avril 1988, Pardini, 338/85, EU:C:1988:194, point 8, ainsi que du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret, C‑652/22, EU:C:2024:910, point 36 et jurisprudence citée).
34 Néanmoins, il revient à la Cour d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national, en vue de vérifier sa propre compétence ou la recevabilité de la demande qui lui est soumise (arrêt du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret, C‑652/22, EU:C:2024:910, point 37 et jurisprudence citée).
35 La Cour peut, notamment, être amenée à examiner si les dispositions du droit de l’Union sur lesquelles portent les questions préjudicielles sont susceptibles d’être appliquées par la juridiction de renvoi aux fins de la résolution du litige au principal. Si tel n’est pas le cas, ces dispositions sont dépourvues de pertinence pour la solution de ce litige et la décision préjudicielle sollicitée n’est pas nécessaire pour permettre à la juridiction de renvoi de rendre son jugement, de sorte que ces
questions doivent être jugées irrecevables (arrêt du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret, C‑652/22, EU:C:2024:910, point 38).
36 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, par son recours devant la juridiction de renvoi, Tiberis conteste la légalité, au regard de l’article 3 de la directive 2009/28 et de l’article 4 de la directive 2018/2001, du mécanisme d’incitation négative prévu par l’arrêté du 23 juin 2016, lequel constitue une modalité de mise en œuvre du régime de promotion de l’électricité produite à partir de sources renouvelables autres que l’énergie photovoltaïque, établi par cet
arrêté.
37 Par ailleurs, il ressort du dossier dont dispose la Cour ainsi que des débats tenus lors de l’audience devant celle-ci qu’il est constant que ce régime de promotion de l’électricité produite à partir de sources renouvelables autres que l’énergie photovoltaïque constitue un régime d’aides d’État, au sens de l’article 107 TFUE, de l’article 2, sous k), de la directive 2009/28 ainsi que de l’article 2, second alinéa, point 5, de la directive 2018/2001, qui a été notifié par les autorités italiennes
compétentes à la Commission et qui fait l’objet de la décision SA.43756. Par cette décision, cette institution a décidé de ne pas soulever d’objections à l’égard de celui-ci, ayant estimé que ce régime est compatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.
38 Dans la présente affaire, il y a donc lieu de vérifier si un recours introduit devant une juridiction nationale par un opérateur économique en vue de contester une modalité de mise en œuvre d’un régime d’aides d’État visant à promouvoir l’électricité produite à partir de sources renouvelables, dont il est bénéficiaire et qui fait l’objet d’une décision de la Commission constatant sa compatibilité avec le marché intérieur, est susceptible d’être apprécié par cette juridiction au regard des
dispositions de l’article 3 de la directive 2009/28 ou de l’article 4 de la directive 2018/2001, dont se prévaut cet opérateur et qui font l’objet de la question posée.
39 À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, dans le système de contrôle des aides d’État institué par le traité FUE, les juridictions nationales et la Commission remplissent des rôles complémentaires, mais distincts (arrêt du 2 mai 2019, A-Fonds, C‑598/17, EU:C:2019:352, point 45 et jurisprudence citée).
40 En particulier, les juridictions nationales veillent à la sauvegarde, jusqu’à la décision finale de la Commission, des droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle, par les autorités étatiques, de l’interdiction visée à l’article 108, paragraphe 3, TFUE. À cette fin, elles peuvent être saisies de litiges les obligeant à interpréter et à appliquer la notion d’« aide d’État », visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en vue de déterminer si une mesure étatique instaurée sans tenir
compte de la procédure de contrôle préalable prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE devait ou non y être soumise. En revanche, ces juridictions ne sont pas compétentes pour statuer sur la compatibilité de mesures d’aides ou d’un régime d’aides d’État avec le marché intérieur. En effet, en vertu d’une jurisprudence constante, cette appréciation relève de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle des juridictions de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre
2016, PGE, C‑574/14, EU:C:2016:686, points 31 et 32, ainsi que du 2 mai 2019, A-Fonds, C‑598/17, EU:C:2019:352, point 46 et jurisprudence citée).
41 En outre, selon une jurisprudence bien établie, la procédure prévue à l’article 108 TFUE ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité FUE. Ainsi, une aide qui, en tant que telle ou par certaines de ses modalités, viole des dispositions ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur. En effet, lorsque les modalités d’une aide ou d’un régime d’aide sont à ce point indissolublement liées à
l’objet de l’aide ou du régime d’aide, ou à leur fonctionnement, qu’il ne serait pas possible de les apprécier isolément, leur effet sur la compatibilité ou l’incompatibilité de l’aide ou du régime d’aide dans son ensemble doit nécessairement être apprécié au moyen de la procédure prévue à l’article 108 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 2 mai 2019, A-Fonds, C‑598/17, EU:C:2019:352, point 48 et jurisprudence cité, ainsi que du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a., C‑284/21 P, EU:C:2023:58,
points 96 et 97 ainsi que jurisprudence citée).
42 L’appréciation de telles modalités échappe, dès lors, à la compétence des juridictions nationales (voir, en ce sens, arrêt du 2 mai 2019, A-Fonds, C‑598/17, EU:C:2019:352, point 47 ainsi que jurisprudence citée).
43 Il y a lieu, également, de rappeler que l’application des règles de l’Union en matière d’aides d’État repose sur une obligation de coopération loyale entre, d’une part, les juridictions nationales et, d’autre part, la Commission ainsi que les juridictions de l’Union, dans le cadre de laquelle chacun agit en fonction du rôle qui lui est assigné par le traité FUE. Dans le cadre de cette coopération, les juridictions nationales doivent prendre toutes mesures générales ou particulières propres à
assurer l’exécution des obligations découlant du droit de l’Union et s’abstenir de prendre celles qui sont susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du traité, ainsi qu’il découle de l’article 4, paragraphe 3, TUE. Ainsi, les juridictions nationales doivent, en particulier, s’abstenir de prendre des décisions allant à l’encontre d’une décision de la Commission portant sur la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, dont l’appréciation relève de la compétence
exclusive de cette institution, agissant sous le contrôle du juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 2016, PGE, C‑574/14, EU:C:2016:686, points 33 et 34 ainsi que jurisprudence citée, et du 17 octobre 2024, NFŠ, C‑28/23, EU:C:2024:893, point 59).
44 En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que le mécanisme d’incitation négative contesté dans l’affaire au principal constitue une modalité de fonctionnement du régime d’aide visé par la décision SA.43756, ce qui a d’ailleurs été confirmé au cours des débats tenus lors de l’audience. À cet égard, il ressort, en effet, notamment des considérants 43, 44, 47, 48, 50 et 51 de la décision SA.43756 que c’est le mécanisme d’incitation négative contesté dans l’affaire au principal qui
détermine in fine le montant de l’aide qui est individuellement octroyé aux opérateurs économiques qui bénéficient du régime d’aide en cause au titre de leur inscription à un registre. Ainsi, c’est ce mécanisme qui a permis à la Commission de conclure que, précisément pour les projets qui seraient inscrits à un registre, ce régime d’aide satisfait à la condition de proportionnalité.
45 Partant, compte tenu de la jurisprudence rappelée au point 41 du présent arrêt, cette modalité, qui est indissolublement liée au fonctionnement du régime d’aide concerné, ne saurait être appréciée isolément de celui-ci.
46 En outre, il découle de cette même jurisprudence que la Commission ne pouvait pas déclarer le régime d’aides d’État qui fait l’objet de la décision SA.43756 comme étant compatible avec le marché intérieur, en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, sans s’être préalablement assurée que ce régime d’aide ne viole pas, par ailleurs, d’autres dispositions ou principes généraux pertinents du droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a.,
C‑284/21 P, EU:C:2023:58, point 100).
47 Il s’ensuit, en premier lieu, que permettre à une juridiction nationale, dans le cadre de la mise en œuvre de ce régime d’aide, de se prononcer à son tour sur la légalité, au regard de l’article 3 de la directive 2009/28, de ce mécanisme d’incitation négative reviendrait, en substance, à attribuer à cette juridiction le pouvoir de substituer sa propre appréciation à celle opérée par la Commission dans la décision SA.43756 et à lui permettre, en méconnaissance de la jurisprudence citée au point 40
du présent arrêt, d’empiéter sur des compétences exclusives réservées à cette institution en ce qui concerne l’appréciation de la compatibilité des aides d’État avec le marché intérieur, ainsi qu’à violer son obligation de coopérer loyalement avec les institutions de l’Union, évoquée au point 43 de celui-ci (voir, par analogie, arrêt du 15 septembre 2016, PGE, C‑574/14, EU:C:2016:686, points 36 et 37).
48 Le fait que la décision SA.43756 ne mentionne pas expressément la directive 2009/28, notamment l’article 3 de celle-ci, visé par la question posée, est sans incidence à cet égard.
49 Le régime d’aide qui fait l’objet de cette décision vise précisément, ainsi qu’il ressort des considérants 2 à 4 et 34 de celle-ci, à promouvoir, en Italie, la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables autres que l’énergie photovoltaïque et, comme indiqué au considérant 31 de ladite décision, le régime notifié, qui correspond à celui en cause au principal, a été apprécié en particulier au regard des lignes directrices 2014-2020. Or, le point 107 de celles-ci, auquel le
considérant 36 de la décision SA.43756 renvoie, rappelle que l’Union s’est fixée des objectifs ambitieux en matière de changement climatique et d’utilisation durable de l’énergie, que plusieurs actes législatifs de l’Union, tels que la directive 2009/28, contribuent déjà à la réalisation de ces objectifs, et que, dans certaines conditions, les aides d’État peuvent constituer un instrument approprié pour contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union et des objectifs chiffrés nationaux qui y
sont liés.
50 Partant, lorsque la Commission a, dans la décision SA.43756, apprécié la compatibilité avec le marché intérieur de ce régime d’aide, y compris la modalité de fonctionnement de celui-ci que constitue le mécanisme d’incitation négative, elle a nécessairement tenu compte de la directive 2009/38.
51 En second lieu, s’agissant de l’appréciation de la conformité du mécanisme d’incitation négative à l’article 4 de la directive 2018/2001, voire à l’article 6 de celle-ci, invoqué notamment par la Commission, il convient de relever que, certes, cette directive a été adoptée postérieurement à la décision SA.43756, de sorte qu’il ne saurait être considéré que, par cette décision, la Commission a nécessairement apprécié ce mécanisme en s’assurant qu’il ne viole pas l’une ou l’autre de ces
dispositions.
52 Toutefois, d’une part, dès lors que le régime d’aide établi par l’arrêté du 23 juin 2016 a été autorisé par la Commission en vertu de ladite décision, il relève de la notion d’« aide existante », au sens de l’article 1er, sous b), ii), du règlement 2015/1589.
53 Or, l’article 108, paragraphe 1, TFUE donne compétence à la Commission pour procéder avec les États membres à l’examen permanent des régimes d’aides existant dans ces États. Cet examen peut conduire la Commission à proposer à l’État membre concerné les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du marché intérieur et, le cas échéant, à décider la suppression ou la modification d’une aide qu’elle estime incompatible avec ce marché (arrêt du 18 juillet 2013, P,
C‑6/12, EU:C:2013:525, point 40 et jurisprudence citée).
54 De plus, dans le cadre de l’examen permanent des régimes d’aides existants, la situation juridique ne change pas jusqu’à l’acceptation éventuelle par l’État membre concerné de propositions de mesures utiles ou jusqu’à l’adoption d’une décision finale par la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C‑400/99, EU:C:2001:528, point 61).
55 L’appréciation de la compatibilité d’un régime d’aide existant avec le marché intérieur continue ainsi à relever de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle des juridictions de l’Union, conformément à la jurisprudence rappelée au point 40 du présent arrêt.
56 Au demeurant, en l’occurrence, la Commission a, par la communication intitulée « Lignes directrices concernant les aides d’État au climat, à la protection de l’environnement et à l’énergie pour 2022 » (JO 2022, C 80, p. 1), qui a remplacé les lignes directrices 2014-2020 le 18 février 2022, proposé aux États membres, à titre de « mesures utiles », au sens de l’article 108, paragraphe 1, TFUE, de modifier, si nécessaire, leurs régimes d’aides à la protection de l’environnement et à l’énergie
existants de manière à les mettre en conformité avec celles-ci le 31 décembre 2023 au plus tard.
57 Or, ce délai n’était pas encore échu le 4 avril 2022 ni le 2 mai 2022, dates auxquelles ont été émises les factures à l’origine du litige au principal, visées au point 21 du présent arrêt.
58 D’autre part, toute modification qui serait apportée au mécanisme d’incitation négative en cause au principal serait, du fait d’une augmentation éventuelle de l’intensité de l’aide qui pourrait en résulter, susceptible d’influencer l’évaluation de la compatibilité avec le marché intérieur du régime d’aide en cause. En effet, ce mécanisme est indissolublement lié au fonctionnement de ce régime et, à défaut dudit mécanisme, il est possible que la Commission aurait considéré que ledit régime d’aide
n’était pas proportionné et que, par suite, elle ne l’aurait pas déclaré compatible avec le marché intérieur. Une telle modification constituerait donc, selon l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 794/2004, une « modification d’une aide existante » et, dès lors, une « aide nouvelle », au sens de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589, soumise à l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE et dont l’appréciation de la compatibilité avec le marché intérieur
relève, conformément à la jurisprudence rappelée au point 40 du présent arrêt, de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle des juridictions de l’Union.
59 Le constat effectué au point précédent du présent arrêt vaut également pour l’hypothèse où une modification de ce mécanisme serait effectuée non pas erga omnes, comme le demande Tiberis en l’occurrence, mais au seul profit d’un bénéficiaire particulier, tel que Tiberis. En effet, l’autorisation de mise en œuvre d’un régime d’aides d’État accordée par la Commission dans une décision de ne pas soulever d’objections ne vaut que pour autant que tous les éléments pris en considération par cette
institution dans cette décision aux fins de l’appréciation de la compatibilité de ce régime avec le marché intérieur soient respectés (voir, par analogie, arrêt du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a., C‑284/21 P, EU:C:2023:58, point 83). Ainsi, un régime d’aide qui serait mis en œuvre, à un niveau individuel, sans correspondre au régime d’aide qui a été notifié et autorisé par la Commission pourrait aussi être considéré comme une « aide nouvelle », au sens de l’article 1er, sous c), du
règlement 2015/1589 (voir, par analogie, arrêt du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a., C‑284/21 P, EU:C:2023:58, point 86).
60 Or, la Cour a déjà jugé que l’instauration en tant que telle d’une aide d’État ne saurait procéder d’une décision juridictionnelle, mais relève d’une appréciation d’opportunité qui est étrangère à l’office du juge (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1, point 76).
61 Par ailleurs, il est vrai que, aux points 121 et 122 de l’arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES (C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1), la Cour a indiqué que, dans le cas où le juge national est saisi d’une demande visant à obtenir le versement d’une aide illégale, faute pour cette dernière d’avoir été notifiée à la Commission, la mission de contrôle des aides d’État que le droit de l’Union confie à ce juge doit, en principe, conduire ce dernier à rejeter cette demande, tout en reconnaissant que,
néanmoins, une décision du juge national condamnant le défendeur au versement de l’aide, mais sous réserve que celle-ci soit, au préalable, notifiée à la Commission par les autorités nationales concernées et que cette institution donne son accord, ou soit réputée l’avoir donné, est aussi de nature à éviter qu’une aide nouvelle soit versée en méconnaissance de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ainsi que de l’article 2, paragraphe 1, et de l’article 3 du règlement 2015/1589.
62 Toutefois, cette jurisprudence n’est pas transposable au contexte de l’affaire au principal et ne saurait, dès lors, remettre en cause le constat qui découle des éléments exposés aux points 52 à 60 du présent arrêt. Dans l’affaire au principal, la compétence du juge national pour connaître du recours au principal n’est pas de nature à éviter qu’une aide nouvelle ne soit versée en méconnaissance de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ainsi que de l’article 2, paragraphe 1, et de l’article 3 du
règlement 2015/1589. En effet, ainsi qu’il ressort du point 58 du présent arrêt, toute modification apportée au mécanisme d’incitation négative est soumise à l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE et l’appréciation de la compatibilité de cette modification avec le marché intérieur relève de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle des juridictions de l’Union.
63 Il résulte de tout ce qui précède que le droit de l’Union s’oppose à ce que la juridiction de renvoi apprécie la conformité aux dispositions de l’article 3 de la directive 2009/28 ou de l’article 4 de la directive 2018/2001 du mécanisme d’incitation négative en cause au principal, ce mécanisme étant indissolublement lié au fonctionnement du régime d’aides d’État que la Commission a déclaré compatible avec le marché intérieur par la décision SA.43756.
64 En conséquence, l’interprétation de l’article 3 de la directive 2009/28 ou de l’article 4 de la directive 2018/2001 n’est pas pertinente pour résoudre le litige au principal.
65 Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est irrecevable.
Sur les dépens
66 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
La demande de décision préjudicielle introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 8 août 2023, est irrecevable.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.