ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
10 juillet 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (UE) no 1215/2012 – Article 66 – Champ d’application ratione temporis – Action judiciaire intentée par un demandeur – Délivrance d’une injonction de payer – Opposition d’un défendeur à cette injonction tendant au réexamen de l’affaire concernée – Règlement (CE) no 44/2001 – Article 5, point 3 – Compétence en matière délictuelle ou quasi délictuelle – Article 6, point 1 – Pluralité de défendeurs – Article 22, point 1 –
Compétence exclusive en matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles – Recours tendant au paiement d’une indemnité pour l’occupation non contractuelle d’un immeuble situé dans un État membre – Défendeur domicilié dans un autre État membre »
Dans l’affaire C‑99/24 [Chmieka] ( i ),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Rejonowy w Koszalinie I Wydział Cywilny (tribunal d’arrondissement de Koszalin, première division civile, Pologne), par décision du 31 janvier 2024, parvenue à la Cour le 7 février 2024, dans la procédure
G.M.K.-Z.B.M.
contre
S.O.,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de M. N. Jääskinen (rapporteur), président de chambre, M. A. Arabadjiev et Mme R. Frendo, juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme S. Żyrek, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mme J. Hottiaux et M. S. Noë, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des dispositions du chapitre II et de l’article 66 du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), ainsi que des dispositions du chapitre II du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant G.M.K.‑Z.B.M., une entité communale polonaise, à S.O., une personne physique domiciliée aux Pays‑Bas, au sujet du paiement d’une indemnité pour l’occupation non contractuelle d’un bien immobilier situé en Pologne.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement no 44/2001
3 Les considérants 11, 12 et 15 du règlement no 44/2001 étaient libellés comme suit :
« (11) Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. [...]
(12) Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.
[...]
(15) Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. [...] »
4 Le chapitre II du règlement no 44/2001, intitulé « Compétence », contenait une section 1, qui était elle‑même intitulée « Dispositions générales » et dans laquelle figuraient les articles 2 à 4 de ce règlement.
5 L’article 2 dudit règlement prévoyait, à son paragraphe 1 :
« Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »
6 L’article 3 du même règlement disposait, à son paragraphe 1 :
« Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du [chapitre II]. »
7 La section 2 du chapitre II du règlement no 44/2001 était intitulée « Compétences spéciales » et comprenait les articles 5 à 7 de ce règlement.
8 Aux termes de l’article 5 dudit règlement :
« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre :
1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;
[...]
3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ;
[...] »
9 L’article 6 du même règlement prévoyait :
« Cette même personne peut aussi être attraite :
1) s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ;
[...] »
10 La section 6 du chapitre II du règlement no 44/2001, intitulée « Compétences exclusives », contenait l’article 22 de ce dernier, qui disposait :
« Sont seuls compétents, sans considération de domicile :
1) en matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles, les tribunaux de l’État membre où l’immeuble est situé.
Toutefois, en matière de baux d’immeubles conclus en vue d’un usage personnel temporaire pour une période maximale de six mois consécutifs, sont également compétents les tribunaux de l’État membre dans lequel le défendeur est domicilié, à condition que le locataire soit une personne physique et que le propriétaire et le locataire soient domiciliés dans le même État membre ;
[...] »
Le règlement no 1215/2012
11 Le règlement no 1215/2012 a abrogé et remplacé le règlement no 44/2001.
12 Le considérant 34 du règlement no 1215/2012 énonce :
« Pour assurer la continuité nécessaire entre la convention [du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci‑après la “convention de Bruxelles”)], le règlement [no 44/2001] et le présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être
assurée en ce qui concerne l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne de la convention de Bruxelles [...] et des règlements qui la remplacent. »
13 Le chapitre II du règlement no 1215/2012, intitulé « Compétence », contient une section 2, qui est elle-même intitulée « Compétences spéciales » et dans laquelle figurent les articles 7 à 9 de ce règlement.
14 Aux termes de l’article 7 dudit règlement :
« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :
1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ;
[...]
2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ;
[...] »
15 L’article 8 du même règlement prévoit :
« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite :
1) s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ;
[...] »
16 La section 6 du chapitre II du règlement no 1215/2012, intitulée « Compétences exclusives », contient l’article 24 de ce règlement, qui dispose :
« Sont seules compétentes les juridictions ci‑après d’un État membre, sans considération de domicile des parties :
1) en matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles, les juridictions de l’État membre où l’immeuble est situé.
Toutefois, en matière de baux d’immeubles conclus en vue d’un usage personnel temporaire pour une période maximale de six mois consécutifs, sont également compétentes les juridictions de l’État membre dans lequel le défendeur est domicilié, à condition que le locataire soit une personne physique et que le propriétaire et le locataire soient domiciliés dans le même État membre ;
[...] »
17 Figurant au chapitre VI dudit règlement, intitulé « Dispositions transitoires », l’article 66 de celui‑ci prévoit :
« 1. Le présent règlement n’est applicable qu’aux actions judiciaires intentées, aux actes authentiques dressés ou enregistrés formellement et aux transactions judiciaires approuvées ou conclues à compter du 10 janvier 2015.
2. Nonobstant l’article 80, le règlement [no 44/2001] continue à s’appliquer aux décisions rendues dans les actions judiciaires intentées, aux actes authentiques dressés ou enregistrés formellement et aux transactions judiciaires approuvées ou conclues avant le 10 janvier 2015 qui entrent dans le champ d’application dudit règlement. »
Le droit polonais
La loi relative à la protection des droits des locataires
18 L’article 18, paragraphe 1, de l’ustawa o ochronie praw lokatorów, mieszkaniowym zasobie gminy i o zmianie Kodeksu cywilnego (loi relative à la protection des droits des locataires, au parc immobilier des communes et portant modification du code civil), du 21 juin 2001 (Dz. U. no 71, position 733), dans sa version applicable au litige au principal (ci‑après la « loi relative à la protection des droits des locataires »), prévoit :
« Les personnes qui occupent des locaux sans titre sont tenues de payer une indemnité mensuelle jusqu’à la date de libération de ces locaux. »
Le code de procédure civile
19 L’article 505 de l’ustawa – Kodeks postępowania cywilnego (loi portant code de procédure civile), du 17 novembre 1964 (Dz. U. no 43, position 296), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code de procédure civile »), dispose :
« § 1. Le défendeur peut former une opposition à l’injonction de payer.
§ 2. L’injonction de payer cesse de produire ses effets dans la mesure contestée par l’opposition. L’opposition formée par un seul des codéfendeurs dans une même affaire et sur une ou plusieurs des prétentions auxquelles il a été fait droit ne fait cesser les effets de l’injonction qu’à l’égard de ces prétentions.
[...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
20 Au cours de l’année 1994, T.O., une personne physique, a conclu avec G.M.K.‑Z.B.M., une entité communale polonaise, un contrat de bail portant sur un logement situé à Koszalin (Pologne), dans lequel cette personne a habité avec ses trois enfants, dont S.O. Ce contrat a été résilié ultérieurement par cette entité communale. Au cours de l’année 2007, l’expulsion des occupants de ce logement a été ordonnée par une juridiction polonaise, mais, selon ladite entité communale, ceux‑ci n’ont cependant
pas quitté les lieux.
21 Le 15 mars 2013, G.M.K.‑Z.B.M. a saisi le Sąd Rejonowy w Koszalinie I Wydział Cywilny (tribunal d’arrondissement de Koszalin, première division civile, Pologne), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours tendant au paiement d’une indemnité. Par ce recours, fondé semble-t-il sur l’article 18 de la loi relative à la protection des droits des locataires, G.M.K.‑Z.B.M. a demandé que T.O. et ses trois enfants soient condamnés à lui verser une telle indemnité pour l’occupation non contractuelle du
logement concerné pendant les années 2011 et 2012. La requête indiquait une adresse de domiciliation de tous ces défendeurs en Pologne.
22 À la suite dudit recours, une injonction de payer a été délivrée. Celle‑ci a été reçue, en Pologne, par l’un desdits défendeurs, au nom et pour le compte de tous les autres. Cette injonction n’ayant, à l’époque, pas fait l’objet d’une opposition, elle a été déclarée définitive et exécutoire.
23 Le 7 juillet 2023, S.O. a valablement formé une opposition à ladite injonction de payer, en vertu de l’article 505 du code de procédure civile, aux fins du réexamen de l’affaire et du rejet du recours du 15 mars 2013 comme étant irrecevable. S.O. a soulevé une exception d’incompétence des juridictions polonaises, en invoquant qu’elle résidait exclusivement aux Pays‑Bas depuis l’année 2007. S.O. a ajouté qu’elle n’avait jamais conclu de contrat de bail portant sur le logement en question.
24 En revanche, G.M.K.‑Z.B.M. a soutenu que les juridictions polonaises étaient compétentes. Cette entité a fait valoir que le lien entre les défendeurs concernés est tellement étroit, en ce qu’ils sont apparentés et ont vécu ensemble dans ce logement, qu’il y avait lieu d’examiner conjointement les demandes de paiement qu’elle a formées contre eux.
25 Dans ce cadre, la juridiction de renvoi s’interroge, en premier lieu, sur le champ d’application temporel du règlement no 44/2001 par rapport à celui du règlement no 1215/2012, qui l’a remplacé, et, plus précisément, sur l’interprétation de la notion d’« actions judiciaires intentées » figurant à l’article 66 de ce dernier règlement. Elle souhaite savoir si cette notion se rapporte, en l’occurrence, au recours en indemnisation, qui a été introduit par la requérante au principal le 15 mars 2013,
ou à l’opposition à l’injonction de payer délivrée à la suite de ce recours, qui a été formée par S.O. le 7 juillet 2023 aux fins du réexamen de l’affaire concernée.
26 En second lieu, la juridiction de renvoi cherche à établir s’il découle des dispositions du chapitre II du règlement no 44/2001, ou de celles du chapitre II du règlement no 1215/2012 si ce dernier s’avère applicable, qu’une personne domiciliée dans un État membre peut être attraite devant une juridiction d’un autre État membre qui est saisie d’un recours tendant au paiement d’une indemnité pour l’occupation non contractuelle d’un immeuble situé dans cet autre État membre.
27 Premièrement, la juridiction de renvoi se demande si un tel recours relève de la notion de « matière délictuelle ou quasi délictuelle », au sens de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, ou de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012. L’arrêt du 25 mars 2021, Obala i lučice (C‑307/19, EU:C:2021:236), indiquerait que cette notion comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et qui ne se rattache pas à la « matière contractuelle », au sens de
l’article 5, point 1, sous a), du règlement no 44/2001 ou de l’article 7, point 1, sous a), du règlement no 1215/2012. Cependant, il ressortirait d’une jurisprudence polonaise que, au regard de la loi relative à la protection des droits des locataires, le fait de résider dans les locaux d’autrui sans titre valide ne constitue pas un délit.
28 Deuxièmement, cette juridiction souhaite savoir s’il peut être inféré de l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001, ou de l’article 8, point 1, du règlement no 1215/2012, qu’elle devrait examiner le recours dont elle est saisie de manière à statuer conjointement à l’égard de toutes les personnes visées par ce recours ayant résidé dans le logement concerné. Il découlerait du droit polonais une possibilité que des jugements différents soient rendus à l’égard de chacune de ces personnes, en
fonction du fait que l’individu concerné a occupé ou non ce logement après la résiliation du contrat de bail en cause, car il n’y aurait pas de responsabilité solidaire entre lesdites personnes. Une telle possibilité pourrait plaider contre l’applicabilité de ces dispositions au litige au principal, en tant que fondement de la compétence internationale de ladite juridiction.
29 Troisièmement, la juridiction de renvoi entend déterminer si un recours tendant au paiement d’une indemnité pour l’occupation, sans titre valide, d’un immeuble appartenant à autrui, après la résiliation d’un contrat de bail y afférent, constitue une action « en matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles », au sens de l’article 22, point 1, du règlement no 44/2001, ou de l’article 24, point 1, du règlement no 1215/2012. Selon cette juridiction, une telle interprétation pourrait
être rejetée à la lumière de l’arrêt du 3 octobre 2013, Schneider (C‑386/12, EU:C:2013:633).
30 Enfin, ladite juridiction indique que, dans l’hypothèse où aucune des dispositions des règlements nos 44/2001 et 1215/2012 mentionnées aux points 27 à 29 du présent arrêt ne permettrait de fonder la compétence des juridictions polonaises, elle rejettera comme étant irrecevable le recours introduit le 15 mars 2013 par la requérante au principal.
31 Dans ces conditions, le Sąd Rejonowy w Koszalinie I Wydział Cywilny (tribunal d’arrondissement de Koszalin, première division civile) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 66 du règlement [no 1215/2012] doit‑il être interprété en ce sens que “l’introduction d’une action judiciaire” signifie le dépôt d’un recours par le requérant dans une affaire civile ou le dépôt d’une demande de réexamen de cette affaire par le défendeur après la clôture définitive de ladite affaire ?
En fonction de la réponse à la question ci-dessus :
2) Les dispositions du chapitre II du règlement [no 44/2001] ou, le cas échéant, les dispositions du chapitre II du règlement [no 1215/2012] doivent-elles être interprétées en ce sens qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite devant les juridictions d’un autre État membre dans une affaire ayant pour objet un recours en paiement d’une indemnité pour l’utilisation non contractuelle d’un immeuble situé dans cet autre État membre ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
32 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 66, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que, aux fins de la détermination de l’applicabilité ratione temporis de ce règlement, une action judiciaire est à considérer comme étant intentée, au sens de cette disposition, à la date à laquelle le demandeur a introduit son action, dans une affaire ayant par la suite fait l’objet d’une décision, ou à la date à laquelle le défendeur
a ultérieurement formé, contre cette décision, une opposition tendant au réexamen de cette affaire.
33 À cet égard, il importe de rappeler que l’article 66 du règlement no 1215/2012 prévoit, à son paragraphe 1, que ce règlement s’applique, en particulier, aux actions judiciaires intentées à compter du 10 janvier 2015. Le paragraphe 2 de cet article 66 ajoute que le règlement no 44/2001 continue à s’appliquer aux décisions rendues dans les actions judiciaires intentées avant cette date.
34 En l’occurrence, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que la requérante au principal l’a saisie d’un recours en indemnisation, le 15 mars 2013, et que l’un des quatre défendeurs visés par ce recours, à savoir S.O., a valablement introduit une opposition devant cette juridiction, le 7 juillet 2023, contre l’injonction de payer qui avait été délivrée à la suite dudit recours.
35 Le libellé de la première question vise l’hypothèse dans laquelle « l’affaire » ouverte par le recours considéré a fait l’objet d’une « clôture définitive ». Cependant, il ressort de la motivation de la décision de renvoi que, en l’espèce, l’opposition formée par S.O. en vue d’un réexamen de cette affaire est valable, de sorte que l’injonction de payer contestée apparaît avoir cessé de produire ses effets à l’égard de cette personne, en vertu de l’article 505, paragraphe 2, du code de procédure
civile.
36 Dans ce contexte, il y a lieu de déterminer si, aux fins de l’applicabilité du règlement no 44/2001 ou du règlement no 1215/2012, la date déterminante pour identifier l’action judiciaire visée à l’article 66 de ce dernier est celle à laquelle le demandeur a formé le recours ayant abouti à une décision rendue par une juridiction ou celle à laquelle le défendeur a formé, contre cette décision, une opposition tendant au réexamen, par cette juridiction, de l’affaire concernée.
37 Or, dans le cadre d’une telle vérification de la compétence directe d’une juridiction d’un État membre, afin d’établir si c’est le règlement no 44/2001 ou le règlement no 1215/2012 qui est applicable ratione temporis en vertu de l’article 66, paragraphe 1, de ce dernier, il convient de se référer à la date de l’introduction de l’action judiciaire dont cette juridiction est saisie (voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 2017, Pula Parking, C‑551/15, EU:C:2017:193, points 25 et 26, ainsi que du
7 novembre 2019, Guaitoli e.a., C‑213/18, EU:C:2019:927, point 29).
38 Plus particulièrement, aux fins de l’article 66, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, une opposition formée devant une juridiction d’un État membre qui comporte, conformément aux règles de procédure nationales applicables, une demande de réexamen de l’affaire concernée, telle que celle en cause au principal, doit être considérée comme s’inscrivant dans la continuité du recours initial, dès lors que cette demande formée par le défendeur est un acte introduisant une instance qui constitue non
pas une procédure indépendante de celle ouverte par ce recours initial, mais le prolongement de celui‑ci.
39 Cette interprétation est cohérente avec la jurisprudence de la Cour dont il ressort que, dans le cadre de l’application de cet article 66, paragraphe 1, une juridiction statuant en appel doit déterminer sa propre compétence internationale dans la continuité de celle de la juridiction ayant été saisie de la première instance, de sorte que la date de l’introduction de l’instance initiale doit être prise comme critère de référence (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 2017, Hanssen Beleggingen,
C‑341/16, EU:C:2017:738, points 3, 4, 20 et 22, ainsi que du 5 septembre 2019, AMS Neve e.a., C‑172/18, EU:C:2019:674, points 16, 28, 34 et 36).
40 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 66, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que, aux fins de la détermination de l’applicabilité ratione temporis de ce règlement, une action judiciaire est à considérer comme étant intentée, au sens de cette disposition, à la date à laquelle le demandeur a introduit son action, dans une affaire ayant par la suite fait l’objet d’une décision, et non
à la date à laquelle le défendeur a ultérieurement formé, contre cette décision, une opposition tendant au réexamen de cette affaire.
Sur la seconde question
Sur l’identification des dispositions pertinentes du droit de l’Union
41 Dans le cadre de sa seconde question, la juridiction de renvoi s’interroge sur sa propre compétence d’une manière alternative, en fonction de la réponse fournie par la Cour à la première question, soit au titre des dispositions du chapitre II du règlement no 44/2001, plus spécialement de l’article 5, point 3, de l’article 6, point 1, et de l’article 22, point 1, premier alinéa, de celui‑ci, soit au titre des dispositions du chapitre II du règlement no 1215/2012, plus spécialement de l’article 7,
point 2, de l’article 8, point 1, et de l’article 24, point 1, premier alinéa, de celui‑ci.
42 Il résulte de la réponse apportée à la première question qu’il y a lieu de considérer que, dans le litige au principal, l’action judiciaire a été intentée, au sens de l’article 66, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, à la date de l’introduction du recours formé par la requérante au principal, à savoir le 15 mars 2013. Il s’ensuit que ce sont les dispositions du règlement no 44/2001 qui sont applicables ratione temporis à ce litige et qui doivent donc être interprétées pour permettre à la
juridiction de renvoi de trancher celui‑ci.
43 Néanmoins, il découle du considérant 34 du règlement no 1215/2012 que, dans la mesure où celui‑ci a abrogé et remplacé le règlement no 44/2001, qui a lui‑même remplacé la convention de Bruxelles, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de l’un de ces instruments juridiques vaut également pour celles des autres, lorsque ces dispositions peuvent être qualifiées d’« équivalentes » (voir, en ce sens, arrêts du 4 octobre 2024, Mahá, C‑494/23, EU:C:2024:848, point 27,
ainsi que du 30 avril 2025, Mutua Madrileña Automovilista, C‑536/23, EU:C:2025:293, point 24 et jurisprudence citée). Or, une telle équivalence existe entre, d’une part, l’article 5, point 3, l’article 6, point 1, et l’article 22, point 1, premier alinéa, du règlement no 44/2001 ainsi que, d’autre part, respectivement l’article 7, point 2, l’article 8, point 1, et l’article 24, point 1, premier alinéa, du règlement no 1215/2012.
44 Cela étant précisé, il apparaît que, par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, point 3, l’article 6, point 1, et l’article 22, point 1, premier alinéa, du règlement no 44/2001 doivent être interprétés en ce sens que l’une de ces dispositions est applicable à une action judiciaire tendant au paiement d’une indemnité en raison de l’occupation non contractuelle d’un immeuble après la résiliation d’un contrat de bail afférent à cet immeuble, qui est
situé dans un État membre autre que celui du domicile du défendeur concerné.
45 Il y a lieu d’interpréter successivement l’article 22, point 1, premier alinéa, puis l’article 5, point 3, et l’article 6, point 1, de ce règlement.
Sur l’interprétation de l’article 22, point 1, premier alinéa, du règlement no 44/2001
46 S’agissant de l’application éventuelle de l’article 22, point 1, premier alinéa, du règlement no 44/2001 à une action judiciaire telle que celle visée au point 44 du présent arrêt, il convient de rappeler que, en vertu de cette disposition, les tribunaux de l’État membre où l’immeuble concerné est situé disposent d’une compétence exclusive pour connaître des actions « en matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles », sans considération du domicile des parties.
47 Cet article 22 figure à la section 6 du chapitre II du règlement no 44/2001, laquelle contient un certain nombre de règles de compétence exclusive, qui dérogent à la règle générale de compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le domicile du défendeur est situé, prévue à l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, de celui‑ci ainsi qu’à la lumière des considérants 11 et 12 dudit règlement. Eu égard à son caractère
dérogatoire, ledit article 22, point 1, premier alinéa, ne doit pas être interprété dans un sens plus étendu que ne le requiert son objectif (voir, en ce sens, arrêts du 2 octobre 2008, Hassett et Doherty, C‑372/07, EU:C:2008:534, point 19, ainsi que du 16 novembre 2023, Roompot Service, C‑497/22, EU:C:2023:873, point 25).
48 Au sujet de l’objectif poursuivi par l’article 22, point 1, premier alinéa, du règlement no 44/2001, la Cour a mis en exergue des considérations de bonne administration de la justice, en soulignant que le motif essentiel de la compétence exclusive des juridictions de l’État membre où est situé l’immeuble concerné est la circonstance que le tribunal du lieu de situation est le mieux à même, compte tenu de la proximité, d’avoir une bonne connaissance des situations de fait et d’appliquer les règles
et les usages qui sont, en général, ceux de l’État de situation. S’agissant, en particulier, des baux d’immeubles, cette compétence exclusive est justifiée, spécialement, par la complexité du rapport propriétaire‑locataire et par le fait que ce rapport est régi par des législations particulières, dont certaines à caractère impératif, de l’État où l’immeuble qui fait l’objet du bail est situé (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 2015, Komu e.a., C‑605/14, EU:C:2015:833, points 25 et 30, ainsi
que du 16 novembre 2023, Roompot Service, C‑497/22, EU:C:2023:873, points 26 et 27).
49 Conformément à une jurisprudence constante, en premier lieu, l’expression « en matière de droits réels immobiliers », qui figure à l’article 22, point 1, premier alinéa, du règlement no 44/2001, doit être interprétée de manière autonome, en vue d’assurer une application uniforme de celle‑ci dans tous les États membres. La règle de compétence exclusive prévue à cette disposition couvre seulement les actions concernant de tels droits qui relèvent du champ d’application de ce règlement et qui
tendent, d’une part, à déterminer l’étendue, la consistance, la propriété, la possession d’un bien immobilier ou l’existence d’autres droits réels sur un tel bien et, d’autre part, à assurer aux titulaires de ces droits la protection des prérogatives attachées à leur titre. Aux fins de l’application de ladite disposition, il ne suffit pas qu’un droit réel immobilier soit concerné par l’action en cause ou que celle‑ci ait un lien avec un immeuble. Il faut que cette action soit fondée sur un droit
réel, lequel grève un bien corporel et produit ses effets à l’égard de tous, et non sur un droit personnel, lequel ne peut être invoqué que contre le débiteur (voir, en ce sens, arrêts du 3 octobre 2013, Schneider, C‑386/12, EU:C:2013:633, point 21 ; du 16 novembre 2016, Schmidt, C‑417/15, EU:C:2016:881, points 30, 31 et 34, ainsi que du 14 février 2019, Milivojević, C‑630/17, EU:C:2019:123, points 97, 99 et 100).
50 En second lieu, pour déterminer si un litige concerne des « baux d’immeubles », au sens de l’article 22, point 1, premier alinéa, du règlement no 44/2001, il y a lieu d’examiner, d’une part, si ce litige porte sur un contrat de bail d’immeuble et, d’autre part, si l’objet dudit litige se rattache directement aux droits et aux obligations découlant de ce contrat de bail, car il ne suffit pas que le même litige ait un lien avec un tel contrat. La règle de compétence prévue à cette disposition vise
ainsi les contestations qui portent sur les conditions de jouissance d’un immeuble, à savoir, notamment, celles entre bailleurs et locataires relatives à l’existence ou à l’interprétation de baux, à la réparation des dégâts causés par un locataire ou à l’évacuation du bien loué (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2023, Roompot Service, C‑497/22, EU:C:2023:873, points 28 et 29 ainsi que jurisprudence citée).
51 En l’occurrence, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que l’action pendante devant elle porte sur le paiement d’une indemnité au titre de l’occupation d’un logement après la fin d’un contrat de bail y afférent. Il n’est pas contesté que, à partir de la date à laquelle l’entité communale propriétaire de ce logement a résilié le bail qu’elle avait conclu avec T.O., les quatre défendeurs attraits en justice par l’effet du recours initial, à savoir T.O. et ses trois
enfants, sont devenus des occupants sans titre valide dudit logement, pour autant qu’ils y résidaient encore, et n’avaient donc plus aucun droit sur celui‑ci. En outre, il paraît non contesté que S.O. n’a personnellement ni conclu ce contrat de bail, étant rappelé qu’elle est l’enfant de la signataire dudit contrat, ni adhéré ultérieurement à celui‑ci, de sorte qu’elle doit être qualifiée de tiers par rapport à cette relation contractuelle.
52 Or, il y a lieu de considérer qu’une telle action, tendant au paiement d’une indemnisation en raison de l’occupation non contractuelle d’un bien immobilier après la résiliation d’un contrat de bail y afférent, ne relève pas du champ d’application de la règle de compétence exclusive prévue à l’article 22, point 1, premier alinéa, du règlement no 44/2001.
53 En effet, premièrement, une telle analyse satisfait à l’exigence d’une interprétation stricte de la règle dérogatoire figurant à cette disposition et est compatible avec les objectifs poursuivis par celle‑ci, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 47 et 48 du présent arrêt. En particulier, l’examen d’une telle action en indemnisation ne nécessite pas de procéder à des investigations sur place et n’exige ni l’appréciation de faits ni l’application des règles et des usages du lieu de
situation du bien immobilier concerné, qui sont de nature à justifier la compétence exclusive d’un juge de l’État membre sur le territoire duquel ce bien est situé (voir, par analogie, arrêt du 10 juillet 2019, Reitbauer e.a., C‑722/17, EU:C:2019:577, points 47 et 48 ainsi que jurisprudence citée).
54 Deuxièmement, cette analyse est conforme aux interprétations de l’expression « en matière de droits réels immobiliers » et de la notion de « baux d’immeubles », au sens de l’article 22, point 1, premier alinéa, du règlement no 44/2001, qui sont rappelées aux points 49 et 50 du présent arrêt. En effet, d’une part, une action tendant au paiement d’une indemnisation pour l’occupation non contractuelle d’un immeuble, après la résiliation d’un contrat de bail relatif à celui‑ci, n’est pas couverte par
cette expression, car une telle action est fondée non pas sur un droit réel, produisant des effets à l’égard de tous, mais sur un droit personnel, ne pouvant être invoqué que contre le supposé débiteur auquel ce paiement est réclamé. D’autre part, une action telle que celle formée contre S.O., qui a la qualité de tiers par rapport au contrat résilié, ne saurait être englobée par la notion de « baux d’immeubles », au sens de cet article 22, point 1, premier alinéa, car une telle action ne se
rattache pas directement aux droits et aux obligations découlant d’un contrat de bail et n’est donc pas fondée sur le rapport propriétaire‑locataire (voir par analogie, s’agissant de la disposition équivalente audit article 22, point 1, premier alinéa, figurant à l’article 16, point 1, de la convention de Bruxelles, arrêt du 9 juin 1994, Lieber, C‑292/93, EU:C:1994:241, points 15 et 20, ainsi que ordonnance du 5 avril 2001, Gaillard, C‑518/99, EU:C:2001:209, point 20).
55 Troisièmement, ladite analyse est corroborée par le rapport de M. P. Schlosser sur la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord à la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu’au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice (JO 1979, C 59, p. 71). Il ressort du point 163 de ce rapport que les actions
en dommages‑intérêts fondées sur la violation de droits réels n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 16, point 1, de la convention de Bruxelles, équivalent à l’article 22, point 1, premier alinéa, du règlement no 44/2001, car l’existence et la substance du droit réel, le plus souvent la propriété, n’ont dans ce contexte qu’une importance incidente.
56 Par conséquent, l’article 22, point 1, premier alinéa, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une action judiciaire tendant au paiement d’une indemnité en raison de l’occupation non contractuelle d’un immeuble après la résiliation d’un contrat de bail afférent à cet immeuble, situé dans un État membre autre que celui du domicile du défendeur concerné, ne constitue pas une action « en matière de droits réels immobiliers » et ne relève pas de la notion de « baux d’immeubles »,
au sens de cette disposition.
Sur l’interprétation de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001
57 S’agissant de l’application éventuelle de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 à une action judiciaire telle que celle visée au point 44 du présent arrêt, il y a lieu de rappeler qu’il résulte de cette disposition que, « en matière délictuelle ou quasi délictuelle », une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.
58 Conformément à une jurisprudence constante, la règle de compétence spéciale prévue à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit faire l’objet d’une interprétation autonome (voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2024, FCA Italy et FPT Industrial, C‑81/23, EU:C:2024:165, point 23 ainsi que jurisprudence citée). Dès lors, aux fins de l’interprétation de cette disposition, est sans incidence la circonstance qu’une jurisprudence nationale, telle que celle portant sur la loi relative à la
protection des droits des locataires, qualifie ou non de « délit » le fait de résider dans les locaux d’autrui sans titre valide.
59 Il est également de jurisprudence constante, d’une part, que cette règle de compétence spéciale doit, en tant que dérogation à la règle générale de la compétence des juridictions du domicile du défendeur inscrite à l’article 2 de ce règlement, être interprétée de manière stricte et, d’autre part, que ladite règle est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre le litige et les tribunaux du lieu où le fait dommageable s’est produit, qui justifie une attribution
de compétence à ces tribunaux pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès, notamment quant à l’administration des preuves (voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2024, FCA Italy et FPT Industrial, C‑81/23, EU:C:2024:165, points 23 à 25 ainsi que jurisprudence citée).
60 Ainsi que la juridiction de renvoi l’a relevé, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la notion de « matière délictuelle ou quasi délictuelle », au sens de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, comprend toute demande qui, d’une part, ne se rattache pas à la « matière contractuelle », au sens de l’article 5, point 1, sous a), de ce règlement, et, d’autre part, vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur, de sorte qu’il convient de vérifier si ces deux conditions sont
satisfaites (voir, en ce sens, arrêts du 25 mars 2021, Obala i lučice, C‑307/19, EU:C:2021:236, points 83 et 85, ainsi que du 9 décembre 2021, HRVATSKE ŠUME, C‑242/20, EU:C:2021:985, points 42 et 43 ainsi que jurisprudence citée).
61 S’agissant de la première desdites conditions, la Cour a précisé que la notion autonome de « matière contractuelle », au sens de l’article 5, point 1, sous a), du règlement no 44/2001, comprend toute demande fondée sur une obligation librement consentie par une personne à l’égard d’une autre (voir, en ce sens, arrêts du 10 septembre 2015, Holterman Ferho Exploitatie e.a., C‑47/14, EU:C:2015:574, point 52, ainsi que du 9 décembre 2021, HRVATSKE ŠUME, C‑242/20, EU:C:2021:985, point 44).
62 En l’occurrence, une demande d’indemnisation telle que celle formée par la requérante au principal contre S.O. n’est pas couverte par cette notion de « matière contractuelle », car une telle demande est fondée sur la circonstance qu’une personne aurait occupé un immeuble sans le libre consentement du propriétaire exprimé sous la forme d’un contrat de bail.
63 S’agissant de la seconde condition énoncée au point 60 du présent arrêt, il a déjà été jugé qu’une action vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur lorsqu’un fait dommageable, au sens de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, peut être imputé au défendeur, en ce qu’il lui est reproché un acte ou une omission contraire à un devoir ou à une interdiction imposée par la loi. En effet, un lien causal doit pouvoir être établi entre le dommage et le fait illicite dans lequel ce
dommage trouve son origine, sans qu’il y ait lieu à cet égard de distinguer spécifiquement la « matière quasi délictuelle », au sens de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 2021, HRVATSKE ŠUME, C‑242/20, EU:C:2021:985, points 52 à 54 ainsi que jurisprudence citée).
64 En l’occurrence, une demande de paiement d’une indemnité en raison de l’occupation non contractuelle d’un immeuble appartenant à autrui repose sur une obligation qui trouve sa source dans un fait dommageable, cette obligation n’étant pas née indépendamment du comportement du défendeur, si bien qu’un lien causal est susceptible d’être établi entre le dommage allégué et un éventuel acte ou une éventuelle omission illicites commis par ce défendeur (voir, a contrario, arrêt du 9 décembre 2021,
HRVATSKE ŠUME, C‑242/20, EU:C:2021:985, point 55).
65 Les deux conditions mentionnées au point 60 du présent arrêt étant ainsi remplies dans une situation telle que celle au principal, comme le gouvernement polonais et la Commission européenne l’ont relevé dans leurs observations écrites, une demande d’indemnisation pour l’occupation non contractuelle d’un immeuble doit être considérée comme relevant de la « matière délictuelle ou quasi délictuelle », au sens de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.
66 Par suite, dans la procédure au principal, la juridiction de renvoi pourrait en principe se déclarer compétente sur le fondement de cet article 5, point 3, en tant que juridiction du « lieu où le fait dommageable s’est produit », au sens de cette disposition, l’immeuble concerné étant situé en Pologne et plus précisément dans le ressort territorial de cette juridiction. À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que la notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit » vise à la fois
le lieu de la matérialisation du dommage allégué et celui de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage. D’autre part, ladite disposition permet d’établir la compétence d’une juridiction au titre du lieu de la matérialisation du dommage allégué par rapport à tous les acteurs prétendument responsables, à condition que celui‑ci se soit matérialisé dans le ressort de la juridiction saisie (voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 2018, flyLAL-Lithuanian Airlines, C‑27/17, EU:C:2018:533,
point 42, et du 4 juillet 2024, MOL, C‑425/22, EU:C:2024:578, point 26).
67 Cependant, eu égard aux éléments de fait exposés par la juridiction de renvoi, il est nécessaire, pour fournir une réponse utile à celle‑ci, de préciser qu’il lui incombera de vérifier si, dans le litige dont elle est saisie, un « fait dommageable s’est produit », au sens de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, en raison d’agissements de S.O. et, plus précisément, si S.O. a personnellement occupé l’immeuble concerné au cours de la période en cause au principal, à savoir pendant les
années 2011 et 2012. Au vu de la décision de renvoi, il n’est pas exclu que S.O. ait résidé exclusivement aux Pays‑Bas au cours de cette période. Or, en l’absence d’une telle occupation de sa part, aucun des facteurs de rattachement rendant cet article 5, point 3, applicable à l’égard de S.O. ne saurait être identifié.
68 Il découle de ce qui précède que l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une demande d’indemnisation pour l’occupation non contractuelle d’un immeuble doit être considérée comme relevant de la « matière délictuelle ou quasi délictuelle », au sens de cette disposition.
Sur l’interprétation de l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001
69 S’agissant de l’application éventuelle de l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001 à une action judiciaire telle que celle visée au point 44 du présent arrêt, il convient de rappeler que cette disposition prévoit qu’une personne domiciliée dans un État membre peut être attraite, s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même
temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
70 L’objectif de la règle de compétence spéciale énoncée à l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001 répond, conformément aux considérants 12 et 15 de ce règlement, au souci de faciliter une bonne administration de la justice, de réduire au minimum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans différents États membres (voir, en ce sens, arrêts du 20 avril 2016, Profit Investment SIM, C‑366/13, EU:C:2016:282, point 61, ainsi que du
13 février 2025, Athenian Brewery et Heineken, C‑393/23, EU:C:2025:85, point 20 et jurisprudence citée).
71 Dès lors que cette règle de compétence spéciale déroge à la compétence de principe du for du domicile du défendeur énoncée à l’article 2 du règlement no 44/2001, elle doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Pour que des décisions puissent être considérées comme étant « inconciliables », au sens de l’article 6, point 1, de ce règlement, il doit exister une divergence dans la solution des litiges qui s’inscrive dans le cadre d’une même situation de fait et de droit. La seule circonstance
que le résultat de l’une des procédures concernées puisse avoir une influence sur celui de l’autre ne suffit pas pour qualifier d’« inconciliables » les décisions à rendre dans le cadre de ces deux procédures (voir, en ce sens, arrêts du 20 avril 2016, Profit Investment SIM, C‑366/13, EU:C:2016:282, points 63, 65 et 66, ainsi que du 13 février 2025, Athenian Brewery et Heineken, C‑393/23, EU:C:2025:85, points 21 et 22 ainsi que jurisprudence citée).
72 En outre, cet article 6, point 1, ne saurait permettre à un requérant de former une demande contre plusieurs défendeurs à la seule fin de soustraire l’un de ces défendeurs aux tribunaux de l’État où il est domicilié et, ainsi, de détourner la règle de compétence figurant à cette disposition. La juridiction saisie ne peut constater un tel détournement qu’en présence d’indices probants lui permettant d’établir que le demandeur a créé ou maintenu de manière artificielle les conditions d’application
de ladite disposition (voir, en ce sens, arrêt du 13 février 2025, Athenian Brewery et Heineken, C‑393/23, EU:C:2025:85, points 23 et 24 ainsi que jurisprudence citée).
73 Dès lors, il appartient à la juridiction de renvoi, d’une part, d’apprécier l’existence d’une même situation de fait et de droit en tenant compte à cet effet de tous les éléments pertinents de l’affaire dont elle est saisie, sans apprécier ni la recevabilité ni le bien-fondé de l’action concernée, et, d’autre part, de s’assurer que les demandes formées contre une pluralité de défendeurs n’aient pas pour objet de satisfaire de manière artificielle aux conditions d’application de l’article 6,
point 1, du règlement no 44/2001. Cependant, la Cour peut fournir à cette juridiction les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui sont utiles aux fins de cette appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 20 avril 2016, Profit Investment SIM, C‑366/13, EU:C:2016:282, point 64, et du 13 février 2025, Athenian Brewery et Heineken, C‑393/23, EU:C:2025:85, points 25 et 41 ainsi que jurisprudence citée).
74 En l’occurrence, la requérante au principal soutient que les juridictions polonaises sont compétentes internationalement, au motif que le lien entre les quatre défendeurs qu’elle a initialement attraits en justice, par son recours du 15 mars 2013, est si étroit qu’il conviendrait de juger en même temps les demandes d’indemnisation formées contre ceux‑ci, dans le but d’éviter des divergences en cas de jugements rendus dans des procédures distinctes. Ainsi que cela est mentionné au point 28 du
présent arrêt, la juridiction de renvoi doute de la nécessité d’un examen conjoint de ces demandes, tout en observant néanmoins que les défendeurs concernés sont les membres d’une même famille et qu’ils ont autrefois résidé ensemble dans le logement dont l’occupation suscite lesdites demandes.
75 Sous réserve des vérifications qu’il incombe à cette juridiction d’opérer, force est de constater qu’il paraît peu probable qu’il ait existé, à la date de l’introduction de ce recours, une même situation de fait et de droit dont il découlerait un risque que des décisions « inconciliables », au sens de l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001, soient rendues dans différents États membres si les demandes en cause étaient jugées séparément, ce qui justifierait de faire application de la règle
de compétence spéciale prévue à cette disposition.
76 En effet, les demandes d’indemnisation formées par la requérante au principal contre les quatre personnes visées par ledit recours sont, certes, liées entre elles par leur objet, le but de ces demandes étant identique. Toutefois, il ressort de la décision de renvoi que, en vertu des dispositions de droit polonais applicables, d’une part, ces demandes sont dissociables dans la mesure où des jugements différents pourraient être rendus à l’égard de ces personnes, en fonction de l’occupation ou non
par chacune de celles‑ci du logement concerné pendant la période pertinente, et, d’autre part, il n’existe pas de responsabilité solidaire entre elles, ce qui paraît impliquer un examen individuel des faits reprochés. Dans ses observations écrites, le gouvernement polonais semble confirmer, en substance, que le droit national permet d’adopter des décisions individualisées à l’égard desdites personnes, selon qu’il résulte des constatations factuelles de la juridiction saisie que chacune d’entre
elles occupait ou non le logement concerné.
77 Ainsi, il convient d’interpréter l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001 en ce sens que cette disposition n’est applicable que si, à la date de l’introduction d’une action par laquelle un demandeur a attrait plusieurs défendeurs devant une juridiction d’un État membre, il existait une même situation de fait et de droit induisant qu’il y aurait intérêt à instruire et à juger toutes les demandes formées contre ces défendeurs en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être
inconciliables si ces demandes étaient jugées séparément dans différents États membres, ce qu’il appartient à la juridiction saisie de vérifier.
78 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 5, point 3, l’article 6, point 1, et l’article 22, point 1, premier alinéa, du règlement no 44/2001 doivent être interprétés en ce sens que :
– une action judiciaire tendant au paiement d’une indemnité en raison de l’occupation non contractuelle d’un immeuble après la résiliation d’un contrat de bail afférent à cet immeuble, situé dans un État membre autre que celui du domicile du défendeur concerné, ne constitue pas une action « en matière de droits réels immobiliers » et ne relève pas de la notion de « baux d’immeubles », au sens de cet article 22, point 1, premier alinéa ;
– une demande d’indemnisation pour l’occupation non contractuelle d’un immeuble doit être considérée comme relevant de la « matière délictuelle ou quasi délictuelle », au sens de cet article 5, point 3, et
– cet article 6, point 1, n’est applicable que si, à la date de l’introduction d’une action par laquelle un demandeur a attrait plusieurs défendeurs devant une juridiction d’un État membre, il existait une même situation de fait et de droit induisant qu’il y aurait intérêt à instruire et à juger toutes les demandes formées contre ces défendeurs en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si ces demandes étaient jugées séparément dans différents États membres.
Sur les dépens
79 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
1) L’article 66, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,
doit être interprété en ce sens que :
aux fins de la détermination de l’applicabilité ratione temporis de ce règlement, une action judiciaire est à considérer comme étant intentée, au sens de cette disposition, à la date à laquelle le demandeur a introduit son action, dans une affaire ayant par la suite fait l’objet d’une décision, et non à la date à laquelle le défendeur a ultérieurement formé, contre cette décision, une opposition tendant au réexamen de cette affaire.
2) L’article 5, point 3, l’article 6, point 1, et l’article 22, point 1, premier alinéa, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,
doivent être interprétés en ce sens que :
– une action judiciaire tendant au paiement d’une indemnité en raison de l’occupation non contractuelle d’un immeuble après la résiliation d’un contrat de bail afférent à cet immeuble, situé dans un État membre autre que celui du domicile du défendeur concerné, ne constitue pas une action « en matière de droits réels immobiliers » et ne relève pas de la notion de « baux d’immeubles », au sens de cet article 22, point 1, premier alinéa ;
– une demande d’indemnisation pour l’occupation non contractuelle d’un immeuble doit être considérée comme relevant de la « matière délictuelle ou quasi délictuelle », au sens de cet article 5, point 3, et
– cet article 6, point 1, n’est applicable que si, à la date de l’introduction d’une action par laquelle un demandeur a attrait plusieurs défendeurs devant une juridiction d’un État membre, il existait une même situation de fait et de droit induisant qu’il y aurait intérêt à instruire et à juger toutes les demandes formées contre ces défendeurs en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si ces demandes étaient jugées séparément dans différents États membres.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.
( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.