ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
10 juillet 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Transports – Transports aériens – Règlement (CE) no 300/2008 – Sûreté de l’aviation civile – Article 4 – Normes de base communes – Article 9 – Autorité compétente – Obligation pour l’État membre de désigner une seule autorité responsable de la coordination et de la surveillance de la mise en œuvre des normes de sûreté – Portée – Autorité nationale chargée de veiller au respect d’une réglementation nationale régissant l’exercice des activités de sécurité privée »
Dans l’affaire C‑783/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (Belgique), par décision du 1er décembre 2023, parvenue à la Cour le 19 décembre 2023, dans la procédure
Liège Airport Security SA
contre
État belge,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, MM. S. Rodin (rapporteur), N. Piçarra, Mme O. Spineanu‑Matei et M. N. Fenger, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Liège Airport Security SA, par Mes P. Frühling et B. Maes, avocats,
– pour le gouvernement belge, par MM. S. Baeyens, P. Cottin et Mme C. Pochet, en qualité d’agents, assistés de Mes M. Chomé, S. Depré et G. Haumont, avocats,
– pour le gouvernement français, par MM. B. Fodda, B. Herbaut et Mme B. Travard, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par M. O. Gariazzo et Mme B. Sasinowska, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 janvier 2025,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9 du règlement (CE) no 300/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2008, relatif à l’instauration de règles communes dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile et abrogeant le règlement (CE) no 2320/2002 (JO 2008, L 97, p. 72).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Liège Airport Security SA, une société anonyme de droit public, à l’État belge au sujet d’une amende infligée par des agents du service public fédéral Intérieur (Belgique, ci-après le « SPF Intérieur ») à Liège Airport Security à la suite du constat d’infractions à une réglementation nationale relative aux entreprises de sécurité privée.
Le cadre juridique
La convention de Chicago
3 La convention relative à l’aviation civile internationale, signée à Chicago le 7 décembre 1944 (Recueil des traités des Nations unies, volume 15, no 102, ci-après la « convention de Chicago »), a été ratifiée par tous les États membres de l’Union européenne, cette dernière n’étant toutefois pas elle-même partie à cette convention. Ladite convention a institué l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), laquelle, aux termes de l’article 44 de la même convention, a pour objet de
développer les principes et les techniques de la navigation aérienne internationale ainsi que de favoriser l’établissement et de stimuler le développement des transports aériens internationaux.
4 L’annexe 17 de la convention de Chicago, dans sa version résultant de sa douzième édition du mois de juillet 2022 (ci-après l’« annexe 17 de la convention de Chicago »), est intitulée « Sûreté de l’aviation ». Sous le titre « Définitions », le chapitre 1 de cette annexe stipule :
« Actes d’intervention illicite. Actes ou tentatives d’actes de nature à compromettre la sécurité de l’aviation civile, notamment (la liste n’étant pas exhaustive) :
– capture illicite d’un aéronef ;
– destruction d’un aéronef en service ;
– prise d’otages à bord d’un aéronef ou sur les aérodromes ;
– intrusion par la force à bord d’un aéronef, dans un aéroport ou dans l’enceinte d’une installation aéronautique ;
– introduction à bord d’un aéronef ou dans un aéroport d’une arme, d’un engin dangereux ou d’une matière dangereuse, à des fins criminelles ;
– utilisation d’un aéronef en service afin de causer la mort, des blessures corporelles graves ou des dégâts sérieux à des biens ou à l’environnement ;
– communication d’informations fausses de nature à compromettre la sécurité d’un aéronef en vol ou au sol, de passagers, de navigants, de personnel au sol ou du public, dans un aéroport ou dans l’enceinte d’une installation de l’aviation civile.
[...] »
5 Le chapitre 2 de l’annexe 17 de la convention de Chicago, intitulé « Principes généraux », comporte une section 2.1, elle-même intitulée « Objectifs », dans laquelle figurent les points 2.1.1 à 2.1.4 de cette annexe. Aux termes du point 2.1.1 de ladite annexe :
« L’objectif primordial de chaque État contractant sera d’assurer la sécurité des passagers, des équipages, du personnel au sol et du public dans toutes les questions relatives à la protection contre les actes d’intervention illicite dans l’aviation civile. »
6 Le chapitre 3 de l’annexe 17 de la convention de Chicago, intitulé « Organisation », comporte une section 3.1, elle-même intitulée « Organisation nationale et autorité compétente », dans laquelle figurent les points 3.1.1 à 3.1.9 de cette annexe. Le point 3.1.2 de ladite annexe prévoit :
« Chaque État contractant désignera, au sein de son administration nationale, une autorité compétente qui sera chargée d’élaborer, de mettre en œuvre et de tenir à jour la réalisation du programme national de sûreté de l’aviation civile et en précisera l’identité à l’OACI. »
Le droit de l’Union
7 Les considérants 2, 5, 10, 12 et 25 du règlement no 300/2008 sont libellés comme suit :
« (2) Dans l’intérêt de la sûreté de l’aviation civile en général, il est souhaitable d’établir la base d’une interprétation commune de l’annexe 17 de la [convention de Chicago].
[...]
(5) Compte tenu de la nécessité de rendre plus souple l’adoption de mesures et de procédures de sûreté afin de s’adapter à l’évolution des évaluations des risques et de permettre l’introduction de nouvelles technologies, le présent règlement devrait établir les principes de base concernant les mesures à prendre afin de préserver l’aviation civile d’actes d’intervention illicite, sans entrer dans les détails techniques et de procédure relatifs aux modalités de leur mise en œuvre.
[...]
(10) Sur la base d’une évaluation des risques, les États membres devraient aussi pouvoir appliquer des mesures plus strictes que celles prévues dans le présent règlement.
[...]
(12) Même si dans un même État membre deux organismes ou plus peuvent être chargés de la sûreté de l’aviation, il convient que chaque État membre désigne une seule autorité responsable de la coordination et du suivi de la mise en œuvre des normes de sûreté.
[...]
(25) Étant donné que les objectifs du présent règlement, à savoir préserver l’aviation civile d’actes d’intervention illicite et fournir la base d’une interprétation commune de l’annexe 17 de la [convention de Chicago], ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc en raison des dimensions et des effets du présent règlement être mieux réalisés au niveau communautaire, la Communauté peut prendre des mesures, conformément au principe de subsidiarité
consacré à l’article 5 du traité. Conformément au principe de proportionnalité tel qu’énoncé audit article, le présent règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs ».
8 L’article 1er de ce règlement, intitulé « Objectifs », dispose :
« 1. Le présent règlement instaure des règles communes destinées à protéger l’aviation civile contre des actes d’intervention illicite mettant en péril la sûreté de celle-ci.
Il constitue, en outre, la base d’une interprétation commune de l’annexe 17 de la [convention de Chicago].
2. Les moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs énoncés au paragraphe 1 sont les suivants :
a) l’établissement de règles et normes de base communes en matière de sûreté de l’aviation ;
b) des mécanismes pour en contrôler l’application. »
9 L’article 2 dudit règlement, intitulé « Champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Le présent règlement s’applique :
a) à tous les aéroports ou parties d’aéroports situés sur le territoire d’un État membre qui ne sont pas exclusivement utilisés à des fins militaires ;
b) à tous les exploitants, y compris les transporteurs aériens, fournissant des services dans les aéroports visés au point a) ;
c) à toutes les entités appliquant des normes de sûreté de l’aviation qui opèrent dans des locaux situés à l’intérieur ou à l’extérieur des bâtiments de l’aéroport et qui fournissent des biens et/ou des services aux aéroports visés au point a) ou à travers ceux-ci. »
10 L’article 3 du même règlement, intitulé « Définitions », est libellé comme suit :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
1) “aviation civile”, toute exploitation d’aéronef civil, à l’exclusion de l’exploitation des aéronefs d’État visés à l’article 3 de la [convention de Chicago] ;
2) “sûreté de l’aviation”, la combinaison des mesures et des ressources humaines et matérielles visant à protéger l’aviation civile d’actes d’intervention illicite mettant en péril la sûreté de l’aviation civile ;
[...]
8) “inspection/filtrage”, la mise en œuvre de moyens techniques ou autres visant à identifier et/ou détecter des articles prohibés ;
9) “contrôle de sûreté”, la mise en œuvre des moyens permettant de prévenir l’introduction d’articles prohibés ;
10) “contrôle des accès”, la mise en œuvre des moyens permettant de prévenir l’entrée de personnes ou de véhicules non autorisés, ou des deux ;
[...] »
11 Aux termes de l’article 4 du règlement no 300/2008, intitulé « Normes de base communes » :
« 1. Les normes de base communes de protection de l’aviation civile contre les actes d’intervention illicite mettant en péril la sûreté de celle‑ci figurent en annexe.
[...]
2. Les mesures de portée générale visant à modifier les éléments non essentiels des normes de base communes visées au paragraphe 1 en les complétant sont arrêtées en conformité avec la procédure de réglementation avec contrôle visée à l’article 19, paragraphe 3.
[...] »
12 L’article 9 de ce règlement, intitulé « Autorité compétente », dispose :
« Lorsque, dans un même État membre, deux organismes ou plus sont chargés de la sûreté de l’aviation civile, l’État membre en question désigne une seule autorité (ci-après “l’autorité compétente”) comme responsable de la coordination et de la surveillance de la mise en œuvre des normes de base communes visées à l’article 4. »
13 L’article 10 dudit règlement, intitulé « Programme national de sûreté de l’aviation civile », dispose :
« 1. Chaque État membre élabore, applique et maintient un programme national de sûreté de l’aviation civile.
Ce programme définit les responsabilités en matière de mise en œuvre des normes de base communes visées à l’article 4 et décrit les mesures demandées à cet effet aux exploitants et aux entités.
2. L’autorité compétente met par écrit à la disposition des exploitants et des entités dont elle estime qu’ils y ont un intérêt légitime, selon le principe du “besoin d’en connaître”, les parties appropriées de son programme national de sûreté de l’aviation civile. »
14 L’annexe I du même règlement est intitulée « Normes de base communes de protection de l’aviation civile contre les actes d’intervention illicite (article 4) » et détaille ces normes.
Le droit belge
La loi réglementant la sécurité privée
15 L’article 4 de la loi du 2 octobre 2017 réglementant la sécurité privée et particulière (Moniteur belge du 31 octobre 2017, p. 96776, ci-après la « loi réglementant la sécurité privée ») dispose :
« Est considérée comme une entreprise de gardiennage, toute entreprise qui offre ou exerce des activités de gardiennage ou se fait connaître comme telle. »
16 L’article 14 de la loi réglementant la sécurité privée dispose :
« Cette loi est d’application dans l’exercice des activités visées dans la présente section ou des compétences déterminées dans la présente loi, même si une réglementation européenne ou une législation particulière prévoit l’obligation d’offrir, d’exercer ou d’organiser de telles activités. »
17 L’article 16, premier alinéa, de cette loi est libellé comme suit :
« Nul ne peut offrir les services d’une entreprise ou organiser ceux d’un service interne s’il n’y a pas été préalablement autorisé par le ministre de l’Intérieur. »
18 L’article 76, premier alinéa, de ladite loi dispose :
« Les personnes visées à l’article 60, 1°, 3°, 4° et 5°, doivent être détentrices d’une carte d’identification délivrée par le ministre de l’Intérieur. »
Le décret wallon du 23 juin 1994 relatif à la création et à l’exploitation des aéroports et aérodromes relevant de la Région wallonne
19 L’article 4 ter du décret wallon du 23 juin 1994 relatif à la création et à l’exploitation des aéroports et aérodromes relevant de la Région wallonne (Moniteur belge du 15 juillet 1994, p. 18666), tel que modifié par le décret de la Région wallonne du 19 décembre 2007 (Moniteur belge du 31 décembre 2007, p. 65947), dispose :
« [...]
§ 2. Les missions de service public que constituent les tâches de sûreté et de sécurité au sein de l’aéroport sont confiées aux sociétés auxquelles l’exploitation des aéroports a été concédée, selon les modalités fixées dans la convention de concession et dans le cahier des charges y afférent, sans préjudice du [troisième] alinéa du présent paragraphe et des paragraphes 3 à 5.
Au sens du présent article, il convient d’entendre par :
1° tâches de sûreté : la combinaison des mesures ainsi que des moyens humains et matériels visant à protéger l’aviation civile contre les actes d’intervention illicites ;
2° tâches de sécurité : l’ensemble de[s] mesures ainsi que des moyens humains et matériels destinés à assurer un écoulement sûr du trafic aérien civil, à l’exclusion des mesures ou des moyens de protection de l’aviation civile contre des actes illicites.
L’Administration assure le contrôle de la bonne exécution de la concession, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre des tâches de sûreté et de sécurité. Les modalités de contrôle de la bonne exécution de la concession dont dispose l’Administration sont décrites dans les conventions de concession et dans les cahiers des charges y afférents.
§ 3. Pour chaque aéroport, une société anonyme de droit public est créée, dont le capital est détenu à 49 % par la société à laquelle l’exploitation de l’aéroport a été confiée et à 51 % par la Région wallonne. La société exploitante délègue les missions de sûreté à cette société anonyme de droit public, dénommée Brussels South Charleroi Airport-Security pour l’aéroport de Charleroi-Bruxelles Sud et Liège Airport-Security pour l’aéroport de Liège-Bierset.
Le code des sociétés et ses arrêtés d’exécution sont applicables à Brussels South Airport-Security et Liège Airport-Security, sauf dérogation contenue dans le présent décret.
Les actes de Brussels South Charleroi Airport-Security et Liège Airport‑Security sont réputés commerciaux, au sens des articles 2 et 3 du Code des sociétés.
[...] »
Le litige au principal et la question préjudicielle
20 Liège Airport Security a été constituée par la Région wallonne (Belgique) et par Liège Airport SA, la société exploitante de l’aéroport de Liège-Bierset (Belgique), pour assurer les « tâches de sûreté », au sens de l’article 4 ter, paragraphe 2, du décret wallon du 23 juin 1994 relatif à la création et à l’exploitation des aéroports et aérodromes relevant de la Région wallonne, tel que modifié par le décret de la Région wallonne du 19 décembre 2007, au sein de cet aéroport.
21 Le 16 mars 2018, des agents du SPF Intérieur se sont présentés audit aéroport pour y effectuer un contrôle du respect de la loi réglementant la sécurité privée. Dans le cadre de ce contrôle, ils ont constaté que deux agents de Liège Airport Security se livraient à des activités relevant des missions spécifiques de gardiennage privé, au sens de la loi réglementant la sécurité privée, à savoir, le premier, le contrôle de l’accès des passagers aux pistes à l’aide d’un détecteur de métaux et, le
second, l’inspection des postes ainsi que des agents de contrôle.
22 Trois procès-verbaux d’infraction ont ainsi été établis, l’un à charge de Liège Airport Security, pour avoir organisé un service interne de gardiennage sans y avoir été autorisée par le ministre de l’Intérieur, en violation de l’article 16, premier alinéa, de la loi réglementant la sécurité privée, les deux autres à charge de chacun de ces agents, pour avoir exercé des fonctions relevant d’un tel service sans être titulaires de la carte d’identification requise en vertu de l’article 76, premier
alinéa, de cette loi.
23 Par décisions administratives du 27 novembre 2020 et du 11 mars 2021, le SPF Intérieur a infligé une amende, respectivement, de 15000 euros à Liège Airport Security et de 500 euros à chacun desdits agents.
24 Liège Airport Security a introduit un recours contre ces trois décisions administratives devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles (Belgique), en faisant valoir que le SPF Intérieur n’était pas compétent pour contrôler les aéroports belges ni pour infliger des amendes à Liège Airport Security et à ses agents. En effet, la direction générale du transport aérien (ci-après la « DGTA »), intégrée au service public fédéral Mobilité et Transport (Belgique), bénéficierait d’une
compétence exclusive en matière de coordination et de surveillance de la mise en œuvre des normes de base communes en matière de sûreté de l’aviation civile, au sens de l’article 9 du règlement no 300/2008. Par conséquent, en soumettant les services de sécurité d’un aéroport national au contrôle du SPF Intérieur, le Royaume de Belgique aurait violé son obligation, prévue à cette disposition, de ne désigner qu’une seule autorité compétente.
25 La juridiction de première instance ayant rejeté le recours introduit par Liège Airport Security par jugement du 25 février 2022, cette société a formé un pourvoi contre celui-ci devant la Cour de cassation (Belgique), qui est la juridiction de renvoi.
26 Dans le cadre de ce pourvoi, Liège Airport Security maintient, en particulier, que le SPF Intérieur n’est pas compétent pour contrôler les services de sécurité privée qu’elle fournit ni pour lui infliger des sanctions dans ce cadre, étant donné que, en vertu de l’article 9 du règlement no 300/2008, une seule autorité compétente doit être nommée à cet effet dans chaque État membre. Si l’article 14 de la loi réglementant la sécurité privée devait être interprété comme permettant à l’État belge de
déroger à cette obligation, il devrait être écarté comme étant incompatible avec le droit de l’Union.
27 La juridiction de renvoi relève que le jugement faisant l’objet du pourvoi en cassation repose notamment sur le motif de droit selon lequel l’article 9 du règlement no 300/2008 tend à imposer aux États membres de désigner une seule autorité compétente non pas pour prendre en charge, à elle seule, tout ce qui concerne la sécurité des aéroports, mais pour veiller à la coordination de toutes les mesures nécessaires à la sécurité d’un aéroport et à ce que les mesures de sécurité imposées par le droit
de l’Union soient effectivement d’application dans les aéroports nationaux, sans pour autant être chargée de veiller au respect de toutes les réglementations en la matière. En l’occurrence, la DGTA ne serait donc pas compétente pour veiller au respect de toutes les règles applicables aux travailleurs occupés au sein des aéroports nationaux, telles que les règles du droit du travail ou celles relatives à la sécurité privée, sous peine, pour cette autorité, de voir placés sous sa surveillance,
outre les entreprises de sécurité privée qui fournissent leurs services au sein des aéroports nationaux, les policiers et douaniers du seul fait qu’ils y travaillent également.
28 Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 9 du règlement [no 300/2008] doit-il être interprété en ce sens que l’autorité compétente désignée en vertu de cette disposition n’assure la surveillance de la mise en œuvre des normes de base communes visées à l’article 4 de ce règlement, à l’exclusion de toute autre autorité, que lorsque ces normes résultent d’une réglementation spécifique à la sûreté de l’aviation civile ? »
Sur la question préjudicielle
29 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la question posée vise à déterminer si, en l’occurrence, Liège Airport Security et deux de ses employés, assurant des tâches de sûreté au sein de l’aéroport de Liège-Bierset, telles que le contrôle de l’accès des passagers aux pistes et l’inspection des postes ainsi que des agents de contrôle, pouvaient légalement faire l’objet d’un contrôle par une autre autorité que la DGTA, à savoir par le SPF Intérieur, en vertu de la loi réglementant la
sécurité privée, et, par la suite, se voir infliger, par cette dernière autorité, des amendes pour non-respect de cette loi, bien que seule la DGTA ait été désignée, par le Royaume de Belgique, comme étant l’« autorité compétente », au sens de l’article 9 du règlement no 300/2008, responsable de la coordination et de la surveillance de la mise en œuvre des normes de base communes visées à l’article 4 de ce règlement.
30 Ainsi, il convient de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9 du règlement no 300/2008 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une autorité autre que l’« autorité compétente » désignée en vertu de cette disposition soit chargée de contrôler si une personne morale de droit privé et ses employés, qui assurent des tâches de sûreté au sein d’un aéroport national, respectent les obligations découlant d’une réglementation nationale
régissant l’exercice des activités de sécurité privée.
31 Il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêts du 17 novembre 1983, Merck, 292/82, EU:C:1983:335, point 12 , et du 16 mars 2023, Commission/Jiangsu Seraphim Solar System et Conseil/Jiangsu Seraphim Solar System et Commission, C‑439/20 P
et C‑441/20 P, EU:C:2023:211, point 113 ainsi que jurisprudence citée).
32 Tout d’abord, il convient de relever que, aux termes de l’article 9 du règlement no 300/2008, lorsque, dans un même État membre, « deux organismes ou plus sont chargés de la sûreté de l’aviation civile », cet État membre doit désigner une seule autorité, qualifiée d’« autorité compétente », en tant que responsable « de la coordination et de la surveillance de la mise en œuvre » des normes de base communes visées à l’article 4 de ce règlement.
33 Il ressort ainsi du libellé de cette disposition, d’une part, que, au sein d’un État membre, il n’est pas exclu que plusieurs organismes soient chargés de la sûreté de l’aviation civile, domaine qui recouvre, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 300/2008, lu en combinaison avec l’article 3, point 2, de ce règlement, les activités protégeant l’aviation civile contre les actes d’intervention illicite mettant en péril la sûreté de celle‑ci. Une telle
éventualité est d’ailleurs expressément évoquée au considérant 12 dudit règlement.
34 D’autre part, les États membres doivent, en pareil cas de pluralité d’organismes nationaux concernés, désigner une « autorité compétente », qui sera chargée de la coordination et de la surveillance de la mise en œuvre des normes de base communes visées à l’article 4 du règlement no 300/2008.
35 Il ressort, dès lors, des termes de l’article 9 de ce règlement que l’autorité compétente visée à cette disposition se distingue des autres organismes nationaux compétents en matière de sûreté de l’aviation civile par le fait qu’elle est chargée d’assurer, au niveau national, la coordination et la surveillance du respect des normes de base communes en la matière, visées à l’article 4 dudit règlement.
36 Par conséquent, sous réserve qu’ils respectent les prérogatives de l’autorité compétente désignée conformément à l’article 9 du règlement no 300/2008, relatives à la coordination et à la surveillance de la mise en œuvre des normes communes visées à l’article 4 de ce règlement, il ne ressort pas de l’interprétation littérale de cet article 9 qu’un État membre devrait veiller à ce que cette autorité soit la seule à être chargée de contrôler le respect de tous les aspects liés au domaine de la
sûreté de l’aviation civile au plan national.
37 Ensuite, s’agissant des objectifs que poursuit le règlement no 300/2008, il convient de relever, d’une part, que, conformément à l’article 1er de ce règlement, lu à la lumière, notamment, des considérants 5 et 10 de celui‑ci, l’un de ces objectifs consiste à instaurer des règles communes pour protéger l’aviation civile contre des actes d’intervention illicite mettant en péril la sûreté de celle-ci, en établissant des normes de base communes en matière de sûreté de l’aviation et des mécanismes
pour en contrôler l’application, tout en laissant aux États membres une certaine marge quant aux modalités de mise en œuvre de ces règles communes.
38 D’autre part, l’article 1er, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 300/2008 dispose que ce dernier est amené à constituer, pour les États membres, la base d’une interprétation commune de l’annexe 17 de la convention de Chicago, cette interprétation commune constituant le second objectif poursuivi par ce règlement, ainsi qu’il ressort de ses considérants 2 et 25. Or, le point 3.1.2 de cette annexe se borne à stipuler que les États contractants doivent désigner, au sein de leur
administration nationale, une autorité compétente qui sera chargée d’élaborer, de mettre en œuvre et de tenir à jour la réalisation du programme national de sûreté de l’aviation civile, sans pour autant imposer à ces États de confier l’ensemble des compétences dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile à une seule autorité nationale.
39 Il s’ensuit que le règlement no 300/2008 n’a pas pour finalité de régir la répartition des responsabilités, au sein des États membres, en matière de mise en œuvre des normes de base communes visées à l’article 4 de ce règlement, ni, a fortiori, de contraindre ces États à confier à une seule autorité nationale toutes les responsabilités en matière de sûreté de l’aviation civile.
40 Enfin, en ce qui concerne le contexte dans lequel s’inscrit l’article 9 du règlement no 300/2008, il convient de relever que l’article 10, paragraphe 1, de ce règlement dispose que chaque État membre définit, dans le programme national de sûreté de l’aviation civile qu’il doit élaborer, les responsabilités en matière de mise en œuvre des normes de base communes visées à l’article 4 dudit règlement. Cette disposition corrobore ainsi le constat, figurant au point 39 du présent arrêt, selon lequel
le règlement no 300/2008 n’a pas pour finalité de régir la répartition des responsabilités, au sein des États membres, en matière de mise en œuvre de ces normes.
41 Il résulte de ce qui précède, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé aux points 48, 50 et 58 de ses conclusions, que l’article 9 du règlement no 300/2008, tout en permettant que plusieurs organismes soient chargés, dans un même État membre, de la sûreté de l’aviation civile, se limite à imposer à chaque État membre de désigner une seule autorité à laquelle il confie la responsabilité de coordonner et de surveiller la mise en œuvre, sur le territoire national, des normes de base
communes visées à l’article 4 de ce règlement.
42 En l’occurrence, des contrôles tels que ceux auxquels le SPF Intérieur a procédé ne relèvent pas, en tant que tels, de l’exercice d’une compétence devant obligatoirement être réservée à une autorité compétente désignée conformément à l’article 9 du règlement no 300/2008, dans la mesure où ils visent non pas à assurer la coordination ou la surveillance de la mise en œuvre des normes de base communes au sens de l’article 4 de ce règlement, mais à vérifier que les personnes concernées effectuent
leurs tâches conformément aux exigences spécifiques découlant d’une réglementation nationale régissant l’exercice des activités de sécurité privée.
43 Or, si cette réglementation nationale et les exigences qui en découlent peuvent être considérées comme ayant indirectement trait à la sûreté de l’aviation civile lorsque les entreprises de sécurité privée concernées et leurs agents fournissent leurs services au sein d’un aéroport, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une réglementation revêtant un caractère général, non uniquement lié à la sûreté de l’aviation civile, n’ayant pas pour objet spécifique la mise en œuvre des normes de base
communes visées à cet article 4.
44 Il s’ensuit que, lorsqu’une autorité nationale, comme, en l’occurrence, le SPF Intérieur, est habilitée à vérifier le respect des obligations découlant d’une telle réglementation et à effectuer des contrôles à cet effet, voire inflige des sanctions pécuniaires en cas d’infraction, il ne saurait être considéré, même lorsque ces contrôles visent des activités exercées dans un aéroport, que cette autorité est, de ce fait, chargée de la coordination et de la surveillance de la mise en œuvre de ces
normes de base communes, au sens de l’article 9 du règlement no 300/2008.
45 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 9 du règlement no 300/2008 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une autorité autre que l’« autorité compétente » désignée en vertu de cette disposition soit chargée de contrôler si une personne morale de droit privé et ses employés, qui assurent des tâches de sûreté au sein d’un aéroport national, respectent les obligations découlant d’une réglementation nationale
régissant l’exercice des activités de sécurité privée.
Sur les dépens
46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
L’article 9 du règlement (CE) no 300/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2008, relatif à l’instauration de règles communes dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile et abrogeant le règlement (CE) no 2320/2002,
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à ce qu’une autorité autre que l’« autorité compétente » désignée en vertu de cette disposition soit chargée de contrôler si une personne morale de droit privé et ses employés, qui assurent des tâches de sûreté au sein d’un aéroport national, respectent les obligations découlant d’une réglementation nationale régissant l’exercice des activités de sécurité privée.
Lycourgos
Rodin
Piçarra
Spineanu-Matei
Fenger
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 juillet 2025.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président de chambre
C. Lycourgos
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( *1 ) Langue de procédure : le français.