La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/06/2025 | CJUE | N°C-629/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, MTÜ Eesti Suurkiskjad contre Keskkonnaamet., 12/06/2025, C-629/23


 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

12 juin 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Directive 92/43/CEE – Article 1er, sous i), premier alinéa – État de conservation d’une espèce – Notion – Article 14 – Mesures de gestion – Prélèvement dans la nature et exploitation compatible avec le maintien ou le rétablissement de l’espèce dans un état de conservation favorable – Article 1er, sous i), second alinéa – Évaluation du caractère favorable d

e l’état de conservation de l’espèce
concernée – Conditions cumulatives – Canis lupus (loup) – Classement dans la ...

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

12 juin 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Directive 92/43/CEE – Article 1er, sous i), premier alinéa – État de conservation d’une espèce – Notion – Article 14 – Mesures de gestion – Prélèvement dans la nature et exploitation compatible avec le maintien ou le rétablissement de l’espèce dans un état de conservation favorable – Article 1er, sous i), second alinéa – Évaluation du caractère favorable de l’état de conservation de l’espèce
concernée – Conditions cumulatives – Canis lupus (loup) – Classement dans la catégorie “vulnérable” de la “liste rouge” de l’Union internationale pour la conservation de la nature – Espèce animale faisant partie d’une population dont l’aire de répartition naturelle s’étend au-delà du territoire d’un État membre – Prise en compte des échanges avec les populations de la même espèce présentes dans les États membres ou pays tiers voisins – Article 2, paragraphe 3 – Prise en compte des exigences
économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales »

Dans l’affaire C‑629/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Riigikohus (Cour suprême, Estonie), par décision du 13 octobre 2023, parvenue à la Cour le 16 octobre 2023, dans la procédure

MTÜ Eesti Suurkiskjad

contre

Keskkonnaamet,

en présence de :

Keskkonnaagentuur,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. D. Gratsias, E. Regan, J. Passer (rapporteur) et B. Smulders, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme C. Strömholm, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 novembre 2024,

considérant les observations présentées :

– pour MTÜ Eesti Suurkiskjad, par M. M. Ellermaa et Mme E. Lopp,

– pour le gouvernement estonien, par Mme M. Kriisa, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement danois, par Mmes D. Elkan, J. F. Kronborg et C. Maertens, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, Mme J. Schmoll et M. M. Kopetzki, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme L. Haasbeek, M. C. Hermes, Mme E. Randvere, M. N. Ruiz García et Mme K. Toomus, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 12 décembre 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, sous i), de l’article 2, paragraphe 3, et de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7), telle que modifiée par la directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013 (JO 2013, L 158, p. 193) (ci-après la « directive “habitats” »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MTÜ Eesti Suurkiskjad au Keskkonnaamet (Office de l’environnement, Estonie) au sujet de la légalité d’un acte administratif portant sur les quotas relatifs à la chasse au loup.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Aux termes du quinzième considérant de la directive « habitats » :

« considérant [...] [qu’]il convient de prévoir un système général de protection pour certaines espèces de faune et de flore ; que des mesures de gestion doivent être prévues pour certaines espèces, si leur état de conservation le justifie, y compris l’interdiction de certaines modalités de capture ou de mise à mort, tout en prévoyant la possibilité de dérogations sous certaines conditions ».

4 L’article 1er de cette directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

i) état de conservation d’une espèce : l’effet de l’ensemble des influences qui, agissant sur l’espèce, peuvent affecter à long terme la répartition et l’importance de ses populations sur le territoire visé à l’article 2 ;

“L’état de conservation” sera considéré comme “favorable”, lorsque :

– les données relatives à la dynamique de la population de l’espèce en question indiquent que cette espèce continue et est susceptible de continuer à long terme à constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle appartient

et

– l’aire de répartition naturelle de l’espèce ne diminue ni ne risque de diminuer dans un avenir prévisible

et

– il existe et il continuera probablement d’exister un habitat suffisamment étendu pour que ses populations se maintiennent à long terme ;

[...] »

5 L’article 2 de ladite directive prévoit :

« 1.   La présente directive a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres où le traité s’applique.

2.   Les mesures prises en vertu de la présente directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire.

3.   Les mesures prises en vertu de la présente directive tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales. »

6 L’article 11 de la même directive est libellé comme suit :

« Les États membres assurent la surveillance de l’état de conservation des espèces et habitats naturels visés à l’article 2, en tenant particulièrement compte des types d’habitats naturels prioritaires et des espèces prioritaires. »

7 L’article 12, paragraphe 1, de la directive « habitats » prévoit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant :

a) toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ;

b) la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration ;

c) la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature ;

d) la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos. »

8 Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, de cette directive :

« Si les États membres l’estiment nécessaire à la lumière de la surveillance prévue à l’article 11, ils prennent des mesures pour que le prélèvement dans la nature de spécimens des espèces de la faune et de la flore sauvages figurant à l’annexe V, ainsi que leur exploitation, soit compatible avec leur maintien dans un état de conservation favorable. »

9 L’article 16, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« À condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les États membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l’article 15 points a) et b) :

a) dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ;

b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ;

c) dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ;

d) à des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ;

e) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d’une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d’un nombre limité et spécifié par les autorités nationales compétentes de certains spécimens des espèces figurant à l’annexe IV. »

10 L’annexe II de la même directive, intitulée « Espèces animales et végétales d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation », mentionne, parmi ces espèces animales, notamment le « Canis lupus (excepté la population estonienne [...]) ».

11 Conformément à l’annexe IV de la directive « habitats », intitulée « Espèces animales et végétales présentant un intérêt communautaire et nécessitant une protection stricte », le Canis lupus fait partie de ces espèces animales, « excepté [...] les populations estoniennes ».

12 En vertu de l’annexe V de cette directive, intitulée « Espèces animales et végétales d’intérêt communautaire dont le prélèvement dans la nature et l’exploitation sont susceptibles de faire l’objet de mesures de gestion », les populations estoniennes du Canis lupus peuvent faire l’objet de telles mesures.

Le droit estonien

La loi sur la conservation de la nature

13 L’article 1er de la Looduskaitseseadus (loi sur la conservation de la nature, RT I 2004, 38, 258), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur la conservation de la nature »), est libellé comme suit :

« La présente loi a pour objectif :

1) de protéger la nature en préservant sa diversité et en assurant l’état favorable des habitats naturels et des espèces de la faune, de la flore et de la fonge ;

[...] »

14 L’article 3 de la loi sur la conservation de la nature, intitulé « État favorable d’un habitat et d’une espèce », prévoit, à son paragraphe 2 :

« L’état d’une espèce est considéré comme favorable si l’abondance de sa population indique que l’espèce persistera à long terme en tant qu’élément viable de son habitat naturel ou de son habitat de reproduction, si l’aire de répartition naturelle de l’espèce n’est pas en déclin et s’il existe et continuera vraisemblablement d’exister un habitat suffisamment vaste pour assurer la persistance à long terme de la population de l’espèce. »

15 L’article 49 de cette loi, intitulé « Plan d’action de protection et de gestion de l’espèce », dispose :

« (1) Un plan d’action est élaboré :

1) pour organiser la conservation de l’espèce relevant de la catégorie de protection I ;

2) pour assurer l’état de conservation favorable de l’espèce si les résultats de l’inventaire scientifique de l’espèce montrent que les mesures prises jusqu’à présent ne le garantissent pas ou si une obligation internationale l’exige ;

3) pour la gestion de l’espèce si les résultats de l’inventaire scientifique de l’espèce montrent un impact négatif significatif sur l’environnement ou une menace pour les biens ou la santé humaine à la suite d’une augmentation de l’abondance de l’espèce.

(2) Le plan d’action doit comprendre :

1) des données sur la biologie, l’abondance et la répartition de l’espèce ;

2) les conditions pour assurer l’état favorable de l’espèce menacée ;

3) les facteurs de risque ;

4) l’objectif de conservation ou de gestion ;

5) les priorités et le calendrier des mesures nécessaires pour atteindre l’état favorable ou pour gérer l’espèce ;

6) le budget pour l’organisation de la conservation ou de la gestion.

[...] »

La loi sur la chasse

16 L’article 21 de la Jahiseadus (loi sur la chasse, RT I 2013, 2), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur la chasse »), intitulé « Suivi du gibier », prévoit, à son paragraphe 4 :

« Chaque année, l’autorité visée au paragraphe 3 du présent article [la Keskkonnaagentuur (Agence de l’environnement, Estonie)] établit un rapport de suivi sur le gibier. Le rapport de suivi doit comprendre les données suivantes :

1) la description de l’état des populations de gibier ;

2) les changements survenus dans l’état des populations de gibier ;

3) les prévisions de l’état des populations de gibier et les facteurs de risque ;

4) les recommandations concernant les quotas et la structure de la chasse. »

17 L’article 22 de la loi sur la chasse, intitulé « Quotas et structure de la chasse », dispose, à son paragraphe 2 :

« Chaque année, l’Office de l’environnement fixe les quotas relatifs à la chasse à l’ours brun, au loup, au lynx et au phoque gris en s’appuyant sur les rapports mentionnés à l’article 21, paragraphe 4, de la présente loi, ainsi que sur la proposition émise par le conseil de la chasse. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

18 Le 4 octobre 2012, le ministre estonien de l’Environnement a adopté un « Plan d’action pour la protection et la gestion des grands prédateurs [Canis lupus (loup), Lynx lynx (lynx) et Ursus arctos (ours brun)] pour la période 2012-2021 » (ci-après le « plan d’action pour la période 2012-2021 »).

19 Le plan d’action pour la période 2012-2021 indiquait que l’état de conservation des populations estoniennes de grands carnivores pouvait être considéré comme étant favorable et visait, entre autres, à maintenir l’état de conservation favorable du loup tant au niveau de la population estonienne que de la population balte de cette espèce animale. À cette fin, ce plan d’action fixait comme objectif de maintenir chaque année, avant le début de la saison de la chasse, 15 à 25 meutes de loups
comprenant des petits, de sorte à ce que la population totale de l’espèce sur le territoire estonien soit d’environ 150 à 250 individus. Dans cette fourchette, des objectifs annuels devaient être fixés en fonction des résultats du suivi et l’abondance de la population devait être maintenue, à l’intérieur de cette fourchette, par la chasse. L’objectif était également de réduire les dommages causés par le loup, notamment en privilégiant la chasse dans les zones dans lesquelles il commettait des
dégâts.

20 Selon ledit plan d’action, la population balte du loup faisait elle-même partie de la population eurasienne de cette espèce animale, dont l’aire de répartition naturelle s’étendait en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, dans le nord-est de la Pologne, en Biélorussie, dans le nord de l’Ukraine et dans certaines régions russes. Le même plan d’action indiquait le nombre approximatif, pour l’année 2008, de loups présents en Lettonie et en Lituanie ainsi que, pour l’année 2010, dans les régions russes
voisines de l’Estonie. Il précisait également que, si des plans de protection ou de conservation et de gestion du loup avaient été adoptés par la République de Lettonie, la République de Finlande ainsi que par la République de Biélorussie et étaient en préparation par la République de Lituanie et la République de Pologne, ils faisaient, en revanche, défaut en Russie. Le plan d’action pour la période 2012-2021 faisait par ailleurs état de la possibilité de chasser le loup dans ces États membres et
pays tiers. Dans le domaine de la coopération internationale, ce plan d’action soulignait notamment la participation de la République d’Estonie au groupe de travail de l’Union internationale pour la conservation de la nature (ci-après l’« UICN ») ainsi que l’existence de contacts entretenus par le représentant de cet État membre avec ses homologues lettons, lituaniens, polonais, finlandais, suédois, norvégiens et russes. Ledit plan d’action prévoyait également la mise en place d’un échange
régulier d’informations entre la République d’Estonie et la République de Lettonie sur l’évolution quantitative de la population des grands carnivores et sur les quotas de chasse ainsi que la participation active de la République d’Estonie aux projets internationaux liés à l’organisation de la conservation et de la gestion des grands carnivores.

21 Par un arrêté du 29 octobre 2020, pris en application de l’article 22, paragraphe 2, de la loi sur la chasse, l’Office de l’environnement a fixé la première tranche du quota relatif à la chasse au loup pour la saison cynégétique 2020/2021 en Estonie à 140 spécimens, répartis sur 20 zones de gestion, en privilégiant les zones d’élevage et celles dans lesquelles des dommages étaient commis par cette espèce animale.

22 La requérante au principal, une association estonienne de protection de l’environnement, a introduit un recours devant le Tallinna Halduskohus (tribunal administratif de Tallinn, Estonie) tendant à l’annulation de cet arrêté. Au soutien de ce recours, elle a notamment fait valoir que, en Estonie, l’état de conservation du loup ne pouvait pas être considéré comme étant « favorable », au sens de l’article 3 de la loi sur la conservation de la nature, et que le fait d’autoriser la chasse de
140 loups rendrait l’objectif d’assurer le maintien ou le rétablissement de cette espèce dans un état de conservation favorable encore plus difficile à atteindre.

23 Par un arrêt du 1er octobre 2021, le Tallinna Halduskohus (tribunal administratif de Tallinn) a rejeté ce recours.

24 Cette décision de rejet a été confirmée par la Tallinna Ringkonnakohus (cour d’appel de Tallinn, Estonie).

25 La Riigikohus (Cour suprême, Estonie), qui est la juridiction de renvoi, est saisie d’un pourvoi de la requérante au principal contre la décision de confirmation de la juridiction d’appel.

26 La juridiction de renvoi se demande, premièrement, si, lorsqu’un État membre adopte des mesures de gestion au titre de l’article 14 de la directive « habitats », il convient, pour vérifier la compatibilité de ces mesures avec l’objectif d’assurer le maintien ou le rétablissement de cette espèce dans un « état de conservation favorable », au sens de l’article 1er, sous i), second alinéa, de cette directive, de prendre en considération l’état de conservation de la population de cette espèce
présente sur le territoire de l’État membre concerné ou s’il est possible de tenir compte de l’état de conservation de la population située sur le territoire d’autres États membres de l’Union européenne, en l’occurrence de la population balte.

27 Ladite juridiction relève, à cet égard, que, s’il n’y a aucune contestation quant à l’état de conservation « favorable » de la population balte du loup, la requérante au principal, en s’appuyant sur une évaluation de l’UICN, soutient que la population estonienne du loup ne saurait être considérée comme étant dans un tel état de conservation.

28 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi fait observer, deuxièmement, que, à sa connaissance, en vue de la conservation de la population du loup en cause, il n’existe aucune forme de coopération officielle entre les États membres sur le territoire desquels s’étend l’aire de répartition naturelle de cette population, mais il existe seulement une communication informelle entre les scientifiques.

29 Troisièmement, la juridiction de renvoi se pose la question de savoir, au regard, notamment, des arrêts du 14 juin 2007, Commission/Finlande (C‑342/05, EU:C:2007:341), et du 23 avril 2020, Commission/Finlande (Chasse printanière à l’eider à duvet mâle) (C‑217/19, EU:C:2020:291), si une population d’une espèce classée, en ce qui concerne un État membre, dans la catégorie « vulnérable » de la liste rouge des espèces menacées de l’UICN (ci-après la « liste rouge de l’UICN ») peut être considérée
comme étant dans un « état de conservation favorable », au sens de la directive « habitats ». Elle relève, à cet égard, que, dans le plan d’action établi pour la période 2022‑2031, à la suite du plan d’action pour la période 2012-2021, la population balte du loup est considérée comme relevant de la catégorie « préoccupation mineure » (LC) de la liste rouge de l’UICN, tandis que la population estonienne de cette espèce est qualifiée de « vulnérable » (VU), et devrait même être considérée comme
étant « en danger » (EN) s’il n’était pas tenu compte des populations voisines.

30 Enfin, quatrièmement, la juridiction de renvoi indique que, dans le cadre du litige au principal, l’Office de l’environnement et l’Agence de l’environnement ont toujours soutenu qu’une augmentation du nombre de loups entraînerait de fortes tensions sociales et économiques. En effet, l’un des principaux arguments avancés pour justifier l’autorisation de la chasse au loup serait la nécessité de réduire les dommages causés par cette espèce animale, surtout au bétail.

31 Dans ces conditions, la Riigikohus (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 14, paragraphe 1, de la [directive “habitats”] doit-il être interprété en ce sens que l’adoption des mesures visées par cette disposition implique l’obligation d’assurer un état de conservation favorable, au sens de l’article 1er, sous i), de cette même directive, à la population régionale de l’espèce se trouvant dans l’État membre concerné, ou est-il possible de tenir compte de l’état de conservation de l’ensemble de la population qui se trouve sur le territoire d’États membres de
l’Union européenne ?

2) S’il est permis de tenir compte de l’état de conservation de l’ensemble de la population se trouvant sur le territoire d’États membres de l’Union, la [directive “habitats”] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle exige une coopération formalisée entre les États membres compris dans l’aire de répartition de la population en vue de la conservation de cette dernière, ou suffit-il que l’État membre qui prend les mesures visées à l’article 14 de la [directive “habitats”] s’informe sur l’état
de la population de l’espèce dans les autres États membres concernés, ou pose des conditions à cet égard dans son plan national de gestion ?

3) L’article 1er, sous i), de la [directive “habitats”] peut-il être interprété en ce sens qu’une population régionale d’une espèce classée dans la catégorie “vulnérable” (VU) [de la liste rouge de l’UICN] peut être considérée comme étant dans un état de conservation favorable au sens de la [directive “habitats”] ?

4) L’article 1er, sous i), de la [directive “habitats”], lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 3, de cette même directive, peut-il être interprété en ce sens que, pour déterminer l’état de conservation favorable d’une espèce, il peut également être tenu compte d’exigences économiques, sociales et culturelles ainsi que des particularités régionales et locales ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première à troisième questions

32 Par ses trois premières questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, sous i), de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que le classement dans la catégorie « vulnérable » de la liste rouge de l’UICN de la population d’une espèce animale présente sur le territoire d’un État membre exclut que l’état de conservation de cette espèce, sur le territoire de cet État membre, soit considéré comme étant « favorable », au
sens de cette disposition. Par ailleurs, cette juridiction s’interroge, en substance, quant à savoir si cet article 1er, sous i), doit être interprété en ce sens que l’adoption, par un État membre, de mesures de gestion au titre de l’article 14, paragraphe 1, de cette directive implique l’obligation d’assurer un état de conservation favorable de la population de cette espèce présente sur le territoire de cet État membre ou si ce dernier peut prendre en considération l’état de conservation de
l’ensemble de la population dont l’aire de répartition naturelle s’étend au-delà du territoire dudit État membre et, le cas échéant, dans quelle mesure et sous quelles conditions.

33 À titre liminaire, il convient de rappeler que, en principe, le loup relève, en vertu de l’article 12 de la directive « habitats », lu en combinaison avec l’annexe IV, sous a), de celle-ci, des espèces d’« intérêt communautaire » dont il convient d’assurer une « protection stricte », au sens de cet article 12.

34 Cependant, cette annexe IV, sous a), exclut de cette protection stricte, notamment, les populations estoniennes du loup.

35 C’est ainsi que ces populations sont inscrites à l’annexe V, sous a), de la directive « habitats » en tant qu’espèce animale d’intérêt communautaire dont le prélèvement dans la nature et l’exploitation sont susceptibles de faire l’objet de mesures de gestion et qui relèvent, dès lors, de l’article 14 de cette directive.

36 S’agissant des mesures de gestion dont les espèces inscrites à l’annexe V de la directive « habitats » sont susceptibles de faire l’objet, il convient de relever que, conformément à l’article 14, paragraphe 1, de cette directive, « [s]i les États membres l’estiment nécessaire à la lumière de la surveillance prévue à l’article 11, ils prennent des mesures pour que le prélèvement dans la nature de spécimens des espèces de la faune et de la flore sauvages figurant à l’annexe V, ainsi que leur
exploitation, soit compatible avec leur maintien dans un état de conservation favorable ».

37 Il ressort du libellé même de cette disposition que les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer la nécessité d’adopter des mesures en application de ladite disposition, de nature à limiter l’exploitation des espèces inscrites à l’annexe V de la directive « habitats » (arrêt du 29 juillet 2024, ASCEL, C‑436/22, EU:C:2024:656, point 53).

38 Cependant, cette marge d’appréciation est limitée par l’obligation de veiller à ce que le prélèvement des spécimens d’une espèce dans la nature et l’exploitation de ces spécimens soient compatibles avec le maintien de cette espèce dans un état de conservation favorable (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2024, ASCEL, C‑436/22, EU:C:2024:656, point 55).

39 En effet, il y a lieu de rappeler que toute mesure prise par un État membre sur le fondement de la directive « habitats » doit avoir pour objectif, conformément à l’article 2, paragraphe 2, de cette directive, d’assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des espèces animales d’intérêt communautaire (arrêt du 29 juillet 2024, ASCEL, C‑436/22, EU:C:2024:656, point 56).

40 En outre, ainsi qu’il découle du quinzième considérant de la directive « habitats », le législateur de l’Union a considéré qu’il convient de prévoir un système général de protection pour certaines espèces de la faune et de la flore et que des mesures de gestion doivent être prévues pour certaines espèces, « si leur état de conservation le justifie », y compris l’interdiction de certaines modalités de capture ou de mise à mort, tout en prévoyant la possibilité de dérogations sous certaines
conditions. De cette manière, ainsi que l’incise « si leur état de conservation le justifie » en atteste, l’adoption de telles mesures doit être justifiée par la nécessité de maintenir ou de rétablir l’espèce concernée dans un état de conservation favorable (arrêt du 29 juillet 2024, ASCEL, C‑436/22, EU:C:2024:656, point 57).

41 Par ailleurs, lorsqu’une espèce animale se trouve dans un état de conservation défavorable, les autorités compétentes doivent prendre des mesures, au sens de l’article 14 de la directive « habitats », afin d’améliorer l’état de conservation de l’espèce concernée, de telle sorte que les populations de celle-ci atteignent, à l’avenir et de manière durable, un état de conservation favorable (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2024, ASCEL, C‑436/22, EU:C:2024:656, point 69).

42 Enfin, l’évaluation de l’état de conservation d’une espèce et de l’opportunité d’adopter des mesures fondées sur l’article 14 de la directive « habitats » doit être effectuée en tenant compte, notamment, des données scientifiques les plus récentes obtenues grâce à la surveillance prévue à l’article 11 de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2024, ASCEL, C‑436/22, EU:C:2024:656, point 65). À cet égard, en vertu du principe de précaution consacré à l’article 191, paragraphe 2,
TFUE, si l’examen des meilleures données scientifiques disponibles laisse subsister une incertitude sur le point de savoir si l’exploitation d’une espèce d’intérêt communautaire est compatible avec le maintien de celle-ci dans un état de conservation favorable, l’État membre concerné doit s’abstenir d’autoriser une telle exploitation (arrêt du 29 juillet 2024, ASCEL, C‑436/22, EU:C:2024:656, point 72 et jurisprudence citée).

43 En l’occurrence, il découle de la demande de décision préjudicielle et du dossier dont dispose la Cour que, dans le plan d’action pour la période 2012-2021, l’état de conservation du loup en Estonie était considéré comme étant favorable. Dans ce contexte, il a été tenu compte, entre autres, des éléments relatifs à des États membres et à des pays tiers voisins, mentionnés au point 20 du présent arrêt.

44 Cependant, la juridiction de renvoi relève, notamment, que, dans le plan d’action ultérieur, établi pour la période 2022-2031, la population estonienne du loup est classée dans la catégorie « vulnérable » de la liste rouge de l’UICN, à savoir comme étant, selon la définition figurant dans les lignes directrices pour l’utilisation des catégories et des critères de la liste rouge de l’UICN, « confronté[e] à un risque élevé d’extinction à l’état sauvage ».

45 À cet égard, il y a lieu de rappeler, d’une part, que la notion d’« état de conservation d’une espèce » est définie à l’article 1er, sous i), premier alinéa, de la directive « habitats » comme étant l’effet de l’ensemble des influences qui, agissant sur l’espèce, peuvent affecter à long terme la répartition et l’importance de ses populations sur le territoire visé à l’article 2 de cette directive.

46 D’autre part, il convient de relever que, conformément à l’article 1er, sous i), second alinéa, de ladite directive, l’état de conservation d’une espèce sera considéré comme étant favorable pour autant que trois conditions cumulatives soient réunies. Premièrement, les données relatives à la dynamique de la population de l’espèce en question doivent indiquer que celle-ci continue et est susceptible de continuer à long terme de constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle
appartient. Deuxièmement, l’aire de répartition naturelle de cette espèce ne doit pas diminuer ni risquer de diminuer dans un avenir prévisible. Troisièmement, il faut qu’il existe et qu’il continue probablement d’exister un habitat suffisamment étendu pour que les populations de ladite espèce se maintiennent à long terme (arrêt du 29 juillet 2024, ASCEL, C‑436/22, EU:C:2024:656, point 60 et jurisprudence citée).

47 Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 16 de la directive « habitats », qui autorise les États membres à déroger aux dispositions des articles 12 à 15 de celle-ci et dont l’application dépend également, entre autres, du maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, que cet état doit exister et être évalué, en premier lieu et nécessairement, au niveau local et national, de sorte qu’un
état de conservation défavorable sur le territoire d’un État membre ou une partie de celui-ci ne soit pas dissimulé par l’effet d’une évaluation effectuée au seul niveau transfrontalier dont il ressortirait que ladite espèce se trouverait dans un état de conservation favorable (arrêt du 11 juillet 2024, WWF Österreich e.a., C‑601/22, EU:C:2024:595, point 57).

48 Il en va de même, nécessairement, dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 14 de la directive « habitats ». En effet, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 39 et 40 de ses conclusions, si l’état de conservation d’une espèce n’est pas favorable dans un État membre sur le territoire duquel s’étend, au moins potentiellement, son aire de répartition naturelle, elle ne peut pas y remplir sa fonction écologique, ou du moins pas pleinement, même si la population de l’espèce
concernée présente dans cet État membre fait partie d’une population dont l’état de conservation est favorable.

49 Cela étant, s’agissant, en premier lieu, du fait que la population estonienne du loup est classée dans la catégorie « vulnérable » de la liste rouge de l’UICN, force est de constater que, comme l’a relevé Mme l’avocate générale au point 85 de ses conclusions, aux fins de la définition de la notion d’« état de conservation d’une espèce », ni l’article 1er, sous i), de la directive « habitats » ni aucune autre disposition de cette directive ne se réfèrent à la liste rouge de l’UICN ou aux critères
selon lesquels celle-ci est établie en tant qu’indicateur de l’état de conservation favorable ou non d’une espèce.

50 Par ailleurs, comme l’a relevé la Commission européenne dans ses observations écrites, la méthode d’évaluation utilisée aux fins de la classification des espèces dans la liste rouge de l’UICN diffère de celle devant être mise en œuvre au titre de l’article 1er, sous i), de la directive « habitats ».

51 De ce fait, si, ainsi que l’a souligné, en substance, Mme l’avocate générale au point 86 de ses conclusions, les données, les critères et les appréciations ayant abouti à la classification d’une espèce dans la liste rouge de l’UICN sont susceptibles de faire partie des données scientifiques que l’État membre concerné doit prendre en considération aux fins de sa propre évaluation [voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2007, Commission/Finlande, C‑342/05, EU:C:2007:341, points 26 et 27 ; du 23 avril
2020, Commission/Finlande (Chasse printanière à l’eider à duvet mâle), C‑217/19, EU:C:2020:291, points 77 à 88, ainsi que du 29 juillet 2024, ASCEL, C‑436/22, EU:C:2024:656, points 65 et 78], la classification d’une espèce dans la liste rouge de l’UICN, et plus particulièrement dans la catégorie « vulnérable » au niveau national de celle-ci, n’exclut pas, en tant que telle, que l’état de conservation de ladite espèce, sur le territoire de l’État membre concerné, soit néanmoins considéré comme
étant favorable si les conditions cumulatives prévues à l’article 1er, sous i), second alinéa, de la directive « habitats » sont réunies.

52 S’agissant, en second lieu, de ces dernières conditions, il y a lieu de relever que, pour déterminer si l’état de conservation d’une espèce est favorable sur le territoire d’un État membre, des données relatives aux populations de cette espèce dans d’autres États membres, voire dans des pays tiers, peuvent être pertinentes. Il en sera ainsi en particulier dans le cas d’espèces animales protégées qui occupent de vastes territoires, telles que le loup, et dont l’« aire de répartition naturelle »,
qui constitue l’un des critères devant être pris en considération pour déterminer si l’état de conservation d’une espèce est favorable, est, dès lors, plus vaste que l’espace géographique qui présente les éléments physiques ou biologiques essentiels à leur vie et à leur reproduction (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2024, ASCEL, C‑436/22, EU:C:2024:656, point 61 et jurisprudence citée).

53 En effet, ainsi que l’a relevé, en substance, Mme l’avocate générale aux points 48 à 52 de ses conclusions, en particulier dans le cas d’une espèce animale telle que le loup, les populations de celle-ci présentes également dans les États membres ou pays tiers voisins de celui qui envisage l’adoption de mesures de gestion au titre de l’article 14, paragraphe 1, de la directive « habitats » seront pertinentes pour la vérification, par ce dernier État membre, du caractère favorable ou non de l’état
de conservation de la population de cette espèce présente sur son territoire, pour autant qu’il y ait des échanges entre ces populations, de tels échanges étant susceptibles de constituer une influence qui, agissant sur l’espèce, peut affecter à long terme la répartition et l’importance de cette dernière population sur ledit territoire, au sens de l’article 1er, sous i), premier alinéa, de cette directive.

54 De fait, de tel échanges sont notamment susceptibles de compenser les pertes de spécimens d’une espèce par immigration ou, en revanche, d’atténuer, par émigration, une croissance excessive de la population de cette espèce dans l’État membre concerné. Par ailleurs, ces échanges sont susceptibles de renforcer la variabilité génétique de cette population.

55 En outre, ainsi que l’a également relevé, en substance, Mme l’avocate générale au point 53 de ses conclusions, les échanges entre les populations des États membres ou pays tiers faisant partie d’une même population, en l’occurrence la population balte du loup, voire de la population eurasienne de cette espèce animale, peuvent même être une condition indispensable à la conservation de celle-ci, en particulier pour ce qui concerne les populations présentes dans les États membres dont la superficie
est relativement réduite, de telle sorte que l’habitat naturel que l’espèce peut y trouver est trop petit pour assurer la viabilité d’une population. Dans un tel cas, l’espèce concernée ne peut assurer sa pérennité dans un tel État membre que si sa population, qui ne serait pas viable si elle restait isolée, entretient des échanges de manière continue avec des populations de la même espèce présentes dans les États membres ou pays tiers voisins. La prise en compte de ces échanges peut alors
permettre d’établir que les trois conditions cumulatives d’un état de conservation favorable, prévues à l’article 1er, sous i), second alinéa, de la directive « habitats », sont réunies en ce qui concerne cette population.

56 Cela étant, il convient de souligner que, ainsi qu’il découle du libellé de cette disposition, rappelé au point 46 du présent arrêt, pour que l’état de conservation d’une espèce soit considéré comme étant favorable, il ne suffit pas que les données relatives à la dynamique de la population de l’espèce en question indiquent que cette espèce continue à constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle appartient, que l’aire de répartition naturelle de ladite espèce ne diminue pas et
qu’il existe un habitat suffisamment étendu pour que ses populations se maintiennent à long terme. Encore faut-il que, premièrement, les données relatives à la dynamique de la population de l’espèce en question indiquent que cette dernière est susceptible de continuer, à long terme, à constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle appartient, deuxièmement, l’aire de répartition naturelle de cette espèce ne risque pas de diminuer dans un avenir prévisible et, troisièmement, un
habitat suffisamment étendu, pour que ses populations se maintiennent à long terme, continuera probablement d’exister.

57 Par conséquent, comme l’a relevé, en substance, Mme l’avocate générale au point 59 de ses conclusions, dans l’hypothèse d’une situation actuelle satisfaisante, au regard de ces critères, il convient encore de s’assurer du caractère pérenne de cette situation pour que le caractère favorable de l’état de conservation d’une espèce puisse être constaté.

58 À cet égard, il y a lieu de tenir compte notamment, premièrement, de tout changement prévisible pouvant affecter les échanges entre la population présente dans l’État membre concerné et les autres populations faisant partie de la même population.

59 La construction en cours de clôtures frontalières entre, d’une part, la République d’Estonie, la République de Lettonie et la République de Lituanie ainsi que, d’autre part, la République de Biélorussie et la Fédération de Russie, évoquée par la juridiction de renvoi, constitue un tel changement. En effet, ces clôtures sont susceptibles d’affecter les échanges entre, d’une part, les populations de l’espèce concernée présentes dans ces États membres et, d’autre part, les populations de cette
espèce présentes en Biélorussie et en Russie.

60 Deuxièmement, il y a lieu de tenir compte du niveau de protection juridique dont bénéficie l’espèce concernée dans les États membres et pays tiers voisins.

61 Le caractère pérenne des échanges constatés entre la population de l’espèce concernée présente dans un État membre et les populations de cette espèce se trouvant dans d’autres États membres peut en principe être présumé, dès lors que ces derniers États membres sont soumis, tout comme le premier, aux exigences de la directive « habitats ».

62 En revanche, comme l’a relevé, en substance, Mme l’avocate générale aux points 63 et 64 de ses conclusions, en l’absence, dans un pays tiers, d’une protection comparable à celle qui est assurée par la directive « habitats » ou, à tout le moins, par la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, signée le 19 septembre 1979 à Berne (JO 1982, L 38, p. 3), il n’existe aucune garantie juridique contre une détérioration, à l’avenir, des populations
présentes dans ce pays tiers et, partant, des échanges avec la population de l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2024, WWF Österreich e.a., C‑601/22, EU:C:2024:595, points 62 et 63 ainsi que jurisprudence citée).

63 Enfin, troisièmement, comme l’a relevé Mme l’avocate générale au point 67 de ses conclusions, le poids qu’il convient d’accorder aux relations avec les populations des États membres et pays tiers voisins sera d’autant plus important lorsque ces États membres et pays tiers non seulement appliquent des régimes de protection juridique comparables, mais coopèrent, avec l’État membre concerné, en vue de la protection de l’espèce concernée et coordonnent avec celui-ci, par exemple, leurs mesures de
protection de manière à optimiser les échanges entre les populations concernées.

64 Par ailleurs, pour veiller, ainsi qu’il est rappelé au point 38 du présent arrêt, à ce que le prélèvement des spécimens d’une espèce dans la nature et l’exploitation de ces spécimens soient compatibles avec le maintien de cette espèce dans un état de conservation favorable, il peut s’avérer nécessaire que l’État membre, sur le territoire duquel est présente une population de loups faisant partie d’une population dont l’aire de répartition naturelle s’étend au-delà de ce territoire, lorsqu’il
entend prendre en considération les échanges entre la population de loup présente sur ledit territoire et celles présentes dans les États membres ou pays tiers voisins, partage avec ces derniers des informations sur les mouvements transfrontaliers observés chez les spécimens de cette espèce ainsi que sur les mesures de gestion que ces États membres ou pays tiers prennent ou envisagent de prendre à l’égard des populations présentes sur leurs territoires respectifs. En effet, d’une part, de tels
échanges d’informations sont à même de rendre plus précise l’appréciation, par l’État membre concerné, de la taille de sa propre population. D’autre part, s’informer sur les mesures de gestion appliquées ou envisagées par les États membres ou pays tiers pertinents peut être nécessaire pour que cet État membre puisse s’assurer que l’espèce concernée peut être considérée comme étant effectivement dans un état de conservation favorable sur son territoire. Enfin, des informations sur les mesures
appliquées ou envisagées par les États membres ou pays tiers voisins peuvent lui être nécessaires pour s’assurer que les mesures qu’il envisage de prendre à l’égard de cette espèce seront compatibles avec le maintien de celle-ci dans un état de conservation favorable sur son territoire.

65 Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si, compte tenu des éléments mentionnés aux points 45 à 64 du présent arrêt, l’état de conservation du loup en Estonie pouvait être considéré comme étant favorable au moment de l’adoption du plan d’action pour la période 2012-2021 et, le cas échéant, si les mesures de gestion décidées dans l’arrêté en cause au principal, visé au point 21 du présent arrêt, étaient compatibles avec le maintien du loup dans cet état.

66 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première à troisième questions que l’article 1er, sous i), de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que :

– le classement dans la catégorie « vulnérable » de la liste rouge de l’UICN de la population d’une espèce animale présente sur le territoire d’un État membre n’exclut pas que l’état de conservation de cette espèce, sur le territoire de cet État membre, soit considéré comme étant « favorable », au sens de cette disposition ;

– l’état de conservation favorable de ladite espèce doit exister et être évalué, en premier lieu et nécessairement, au niveau local et national. Cependant, dans le cadre de l’évaluation, en vue de l’adoption de mesures de gestion au titre de l’article 14, paragraphe 1, de cette directive, du caractère « favorable », au sens dudit article 1er, sous i), de l’état de conservation d’une espèce animale qui fait partie d’une population dont l’aire de répartition naturelle s’étend au-delà du territoire
de cet État membre, ce dernier peut prendre en considération les échanges entre, d’une part, la population de l’espèce concernée présente sur son territoire et, d’autre part, les populations de cette espèce présentes dans les États membres ou pays tiers voisins. Aux fins de l’appréciation de la pertinence à accorder à de tels échanges, l’État membre concerné doit tenir compte, notamment, de tout changement prévisible et probable pouvant affecter ces échanges, du niveau de la protection
juridique garantie par ces autres États membres et pays tiers ainsi que du degré de la coopération entre leurs autorités compétentes.

Sur la quatrième question

67 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, sous i), de la directive « habitats », lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 3, de cette directive, doit être interprété en ce sens que, dans le cadre de l’évaluation de l’état de conservation d’une espèce animale en vue de l’adoption, au titre de l’article 14 de ladite directive, de mesures de gestion, il peut être tenu compte d’exigences économiques, sociales et culturelles ainsi que de
particularités régionales et locales, au sens de cet article 2, paragraphe 3.

68 Ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 73 à 79 de ses conclusions, des exigences économiques, sociales et culturelles ainsi que des particularités régionales et locales qui caractérisent la situation d’un État membre peuvent être pertinentes pour établir le caractère favorable ou non de l’état de conservation d’une espèce présente sur son territoire, au sens de l’article 1er, sous i), de la directive « habitats ». En effet, de telles exigences et particularités sont susceptibles
de faire partie des influences qui, agissant sur l’espèce, peuvent affecter à long terme la répartition et l’importance de ses populations sur le territoire visé à l’article 2, paragraphe 1, de cette directive.

69 Toutefois, comme l’a souligné également, en substance, Mme l’avocate générale aux points 80 à 82 de ses conclusions, lorsque les trois conditions cumulatives posées par l’article 1er, sous i), second alinéa, de la directive « habitats » ne sont pas toutes réunies, l’état de conservation de l’espèce concernée ne saurait, en tout état de cause, être considéré comme étant favorable. En effet, s’il était permis aux États membres de considérer que, bien que ces conditions ne soient pas remplies,
l’état de conservation de l’espèce concernée doit néanmoins être considéré comme étant favorable, en raison des exigences ou des particularités auxquelles renvoie l’article 2, paragraphe 3, de ladite directive, serait alors mise en péril la réalisation de l’objectif de conservation de l’espèce, visé au paragraphe 2 de cet article 2 (voir, par analogie, arrêts du 7 novembre 2000, First Corporate Shipping, C‑371/98, EU:C:2000:600, point 23, et du 14 janvier 2010, Stadt Papenburg, C‑226/08,
EU:C:2010:10, point 31).

70 Pour la même raison, les exigences économiques, sociales et culturelles ainsi que les particularités régionales et locales visées à l’article 2, paragraphe 3, de la directive « habitats », qui, au demeurant, ne constitue pas une dérogation autonome au régime général de protection mis en place par cette directive (arrêt 14 janvier 2010, Stadt Papenburg, C‑226/08, EU:C:2010:10, point 32), ne sauraient être invoquées pour écarter l’obligation de veiller à ce que le prélèvement des spécimens d’une
espèce dans la nature et l’exploitation de ces spécimens soient compatibles avec le maintien de cette espèce dans un état de conservation favorable, obligation qui, comme il a été relevé au point 38 du présent arrêt, limite la marge d’appréciation dont disposent les États membres en vertu de l’article 14 de ladite directive. Ce n’est que dans les limites de cette marge d’appréciation que les États membres sont en principe autorisés à tenir compte de ces exigences et particularités.

71 Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 1er, sous i), de la directive « habitats », lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 3, de cette directive, doit être interprété en ce sens que, dans le cadre de l’évaluation de l’état de conservation d’une espèce animale en vue de l’adoption, au titre de l’article 14 de ladite directive, de mesures de gestion, il peut être tenu compte d’exigences économiques, sociales et culturelles ainsi que
de particularités régionales et locales, au sens de cet article 2, paragraphe 3, dès lors que ces exigences et particularités constituent des influences qui, agissant sur l’espèce, peuvent affecter à long terme la répartition et l’importance de ses populations sur le territoire visé à l’article 2, paragraphe 1, de la même directive. Toutefois, l’état de conservation de ladite espèce ne peut pas être considéré comme étant favorable en raison de ces exigences et particularités si les trois
conditions cumulatives énoncées au second alinéa de cet article 1er, sous i), ne sont pas remplies.

Sur les dépens

72 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

1) L’article 1er, sous i), de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, telle que modifiée par la directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013,

doit être interprété en ce sens que :

– le classement dans la catégorie « vulnérable » (VU) de la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) de la population d’une espèce animale présente sur le territoire d’un État membre n’exclut pas que l’état de conservation de cette espèce, sur le territoire de cet État membre, soit considéré comme étant « favorable », au sens de cette disposition ;

– l’état de conservation favorable de ladite espèce doit exister et être évalué, en premier lieu et nécessairement, au niveau local et national. Cependant, dans le cadre de l’évaluation, en vue de l’adoption de mesures de gestion au titre de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 92/43, telle que modifiée, du caractère « favorable », au sens dudit article 1er, sous i), de l’état de conservation d’une espèce animale qui fait partie d’une population dont l’aire de répartition naturelle
  s’étend au-delà du territoire de cet État membre, ce dernier peut prendre en considération les échanges entre, d’une part, la population de l’espèce concernée présente sur son territoire et, d’autre part, les populations de cette espèce présentes dans les États membres ou pays tiers voisins. Aux fins de l’appréciation de la pertinence à accorder à de tels échanges, l’État membre concerné doit tenir compte, notamment, de tout changement prévisible et probable pouvant affecter ces échanges, du
niveau de la protection juridique garantie par ces autres États membres et pays tiers ainsi que du degré de la coopération entre leurs autorités compétentes.

2) L’article 1er, sous i), de la directive 92/43, telle que modifiée par la directive 2013/17, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 3, de la directive 92/43, telle que modifiée,

doit être interprété en ce sens que :

dans le cadre de l’évaluation de l’état de conservation d’une espèce animale en vue de l’adoption, au titre de l’article 14 de la directive 92/43, telle que modifiée, de mesures de gestion, il peut être tenu compte d’exigences économiques, sociales et culturelles ainsi que de particularités régionales et locales, au sens de cet article 2, paragraphe 3, dès lors que ces exigences et particularités constituent des influences qui, agissant sur l’espèce, peuvent affecter à long terme la répartition
et l’importance de ses populations sur le territoire visé à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 92/43, telle que modifiée. Toutefois, l’état de conservation de ladite espèce ne peut pas être considéré comme étant favorable en raison de ces exigences et particularités si les trois conditions cumulatives énoncées au second alinéa de cet article 1er, sous i), ne sont pas remplies.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : l’estonien.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-629/23
Date de la décision : 12/06/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la Riigikohus.

Renvoi préjudiciel – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Directive 92/43/CEE – Article 1er, sous i), premier alinéa – État de conservation d’une espèce – Notion – Article 14 – Mesures de gestion – Prélèvement dans la nature et exploitation compatible avec le maintien ou le rétablissement de l’espèce dans un état de conservation favorable – Article 1er, sous i), second alinéa – Évaluation du caractère favorable de l’état de conservation de l’espèce concernée – Conditions cumulatives – Canis lupus (loup) – Classement dans la catégorie “vulnérable” de la “liste rouge” de l’Union internationale pour la conservation de la nature – Espèce animale faisant partie d’une population dont l’aire de répartition naturelle s’étend au-delà du territoire d’un État membre – Prise en compte des échanges avec les populations de la même espèce présentes dans les États membres ou pays tiers voisins – Article 2, paragraphe 3 – Prise en compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales.

Environnement


Parties
Demandeurs : MTÜ Eesti Suurkiskjad
Défendeurs : Keskkonnaamet.

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott
Rapporteur ?: Passer

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:429

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award