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05/06/2025 | CJUE | N°C-82/24

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Miejskie Przedsiębiorstwo Wodociągów i Kanalizacji w m.st. Warszawie S.A. contre Veolia Water Technologies sp. z o.o. e.a., 05/06/2025, C-82/24


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

5 juin 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directives 2004/17/CE et 2004/18/CE – Principe d’égalité de traitement – Obligation de transparence – Marché public de travaux – Applicabilité par analogie à un marché public de travaux, en vertu d’une interprétation jurisprudentielle, de règles relatives à la garantie en matière de contrats de vente »

Dans l’affaire C‑82/24,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 

TFUE, introduite par le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne), par décision du 21 décembre 2023, ...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

5 juin 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directives 2004/17/CE et 2004/18/CE – Principe d’égalité de traitement – Obligation de transparence – Marché public de travaux – Applicabilité par analogie à un marché public de travaux, en vertu d’une interprétation jurisprudentielle, de règles relatives à la garantie en matière de contrats de vente »

Dans l’affaire C‑82/24,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne), par décision du 21 décembre 2023, parvenue à la Cour le 1er février 2024, dans la procédure

Miejskie Przedsiębiorstwo Wodociągów i Kanalizacji w m.st. Warszawie S.A.

contre

Veolia Water Technologies sp. z o.o.,

Krüger A/S,

OTV France,

Haarslev Industries GmbH,

Warbud S.A.,

LA COUR (première chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. T. von Danwitz, vice‑président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, M. A. Kumin, Mme I. Ziemele et M. S. Gervasoni (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Miejskie Przedsiębiorstwo Wodociągów i Kanalizacji w m.st. Warszawie S.A., par Mes P. Celiński et Ł. Matyjas, adwokaci,

– pour Veolia Water Technologies sp. z o.o., Krüger A/S, OTV France, Haarslev Industries GmbH et Warbud S.A., par Me A. Bolecki, radca prawny, et Me S. Drozd, adwokat,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme D. Lutostańska, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par M. L. Malferrari, Mme M. Owsiany-Hornung et M. G. Wils, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 février 2025,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Miejskie Przedsiębiorstwo Wodociągów i Kanalizacji w m.st. Warszawie S.A. (ci-après l’« entité adjudicatrice ») à Veolia Water Technologies sp. z o.o. (ci-après « Veolia »), à Krüger A/S, à OTV France, à Haarslev Industries GmbH et à Warbud S.A. (ci-après, pris ensemble, le « consortium d’entreprises ») au sujet du paiement de pénalités contractuelles et du versement d’une indemnité au titre de la mauvaise exécution d’un marché
public de travaux pour la modernisation et l’extension de la station d’épuration de Czajka (Pologne).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2004/17/CE

3 Aux termes de l’article 4 de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JO 2004, L 134, p. 1), intitulé « Eau » :

« 1.   La présente directive s’applique aux activités suivantes :

a) la mise à disposition ou l’exploitation de réseaux fixes destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution d’eau potable, ou

b) l’alimentation de ces réseaux en eau potable.

2.   La présente directive s’applique également aux marchés ou concours qui sont passés ou organisés par les entités exerçant une activité visée au paragraphe 1 et qui :

a) sont liés à des projets de génie hydraulique, à l’irrigation ou au drainage pour autant que le volume d’eau destiné à l’approvisionnement en eau potable représente plus de 20 % du volume total d’eau mis à disposition par ces projets ou ces installations d’irrigation ou de drainage, ou

b) sont liés à l’évacuation ou au traitement des eaux usées.

3.   L’alimentation en eau potable des réseaux qui fournissent un service au public par une entité adjudicatrice autre que les pouvoirs adjudicateurs n’est pas considérée comme une activité au sens du paragraphe 1 lorsque :

a) la production d’eau potable par l’entité concernée a lieu parce que sa consommation est nécessaire à l’exercice d’une activité autre que celles visées aux articles 3 à 7, et

b) l’alimentation du réseau public ne dépend que de la consommation propre de l’entité et n’a pas dépassé 30 % de la production totale d’eau potable de l’entité prenant en considération la moyenne des trois dernières années, y inclus l’année en cours. »

4 L’article 10 de cette directive, intitulé « Principes de passation des marchés », prévoit :

« Les entités adjudicatrices traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence. »

5 L’article 38 de ladite directive, intitulé « Conditions d’exécution du marché », est libellé comme suit :

« Les entités adjudicatrices peuvent exiger des conditions particulières concernant l’exécution du marché pour autant que ces conditions soient compatibles avec le droit communautaire et soient indiquées dans l’avis utilisé comme moyen de mise en concurrence ou dans le cahier des charges. Les conditions dans lesquelles un marché est exécuté peuvent notamment viser des considérations sociales et environnementales ».

La directive 2004/18

6 Aux termes de l’article 2 de la directive 2004/18, intitulé « Principes de passation des marchés » :

« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence. »

7 L’article 12 de cette directive, intitulé « Marchés passés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux », dispose :

« La présente directive ne s’applique pas aux marchés publics qui, dans le cadre de la directive [2004/17], sont passés par des pouvoirs adjudicateurs exerçant une ou plusieurs des activités visées aux articles 3 à 7 de ladite directive et sont passés pour ces activités, ni aux marchés publics exclus du champ d’application de ladite directive en vertu de son article 5, paragraphe 2, et de ses articles 19, 26 et 30.

Toutefois, la présente directive continue à s’appliquer aux marchés publics qui sont passés par des pouvoirs adjudicateurs exerçant une ou plusieurs des activités visées à l’article 6 de la directive [2004/17] et qui sont passés pour ces activités, aussi longtemps que l’État membre concerné se prévaut de la faculté visée à l’article 71 de ladite directive pour en différer l’application. »

8 L’article 26 de la directive 2004/18, intitulé « Conditions d’exécution du marché », est libellé comme suit :

« Les pouvoirs adjudicateurs peuvent exiger des conditions particulières concernant l’exécution du marché pour autant qu’elles soient compatibles avec le droit communautaire et qu’elles soient indiquées dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges. Les conditions dans lesquelles un marché est exécuté peuvent notamment viser des considérations sociales et environnementales ».

Le droit polonais

Le code civil

9 L’article 3531 de l’ustawa – Kodeks cywilny (loi portant code civil), du 23 avril 1964 (Dz. U. no 16, position 93), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code civil »), dispose :

« Les parties au contrat sont libres de déterminer leur rapport juridique pourvu que son contenu et son objectif n’aillent pas à l’encontre de la spécificité (nature) du rapport, des lois ni des règles de vie en société. »

10 L’article 581 du code civil, qui figure dans un titre de celui-ci consacré au contrat de vente, prévoit, à son paragraphe 1 :

« Si, dans l’exécution de ses obligations, le garant a livré au garanti, au lieu de la chose défectueuse, une chose sans défaut ou a effectué des réparations importantes à la chose couverte par la garantie, le délai de garantie court à nouveau à partir de la livraison de la chose exempte de défaut ou de la restitution de la chose réparée. Si le garant a remplacé une partie de la chose, la disposition ci-dessus s’applique mutatis mutandis à la partie remplacée. »

La loi sur les marchés publics

11 Aux termes de l’article 29, paragraphe 1, de l’ustawa Prawo zamówień publicznych (loi sur les marchés publics), du 29 janvier 2004 (Dz. U. de 2007, no 223, position 1655), dans sa version applicable au litige au principal :

« L’objet du marché est décrit de manière non équivoque et exhaustive en termes suffisamment précis et intelligibles, en tenant compte de toutes les exigences et circonstances susceptibles d’influer sur l’élaboration de l’offre. »

12 L’article 36, paragraphe 1, point 16, de cette loi, dans sa version applicable au litige au principal, dispose :

« Le cahier des charges contient au moins :

[...]

16) les clauses essentielles pour les parties qui seront introduites dans le contrat de marché public à conclure, les conditions générales du contrat ou le modèle de contrat, si le pouvoir adjudicateur exige du contractant de conclure un marché public avec lui à ces conditions ».

Le litige au principal et la question préjudicielle

13 Le 1er août 2008, à la suite d’une procédure de marché public attribué par appel d’offres ouvert, l’entité adjudicatrice a conclu avec un consortium d’entreprises établies dans différents États membres, dont la cheffe de file était Veolia, établie à Varsovie (Pologne), un contrat relatif à la modernisation et à l’extension de la station d’épuration de Czajka. Ce contrat prévoyait notamment la construction d’une station de traitement thermique de boues d’épuration comprenant deux récupérateurs,
sur deux lignes indépendantes d’incinération des déchets. La date d’achèvement des travaux, initialement fixée au 30 octobre 2010, a par la suite été reportée au 30 novembre 2012.

14 Ledit contrat comprenait un document intitulé « Garantie de la qualité » (ci-après la « charte de garantie »), qui indiquait que la période de garantie commençait à courir à la date de délivrance de l’attestation de bonne exécution des travaux, pour une durée de 36 mois, et devait expirer au plus tard le 30 avril 2015, à moins qu’il ne fût pas possible de procéder aux essais finaux et à la réception en raison de circonstances imputables au cocontractant.

15 L’article 6.1 de la charte de garantie prévoyait que « [l]es dispositions pertinentes du droit polonais, en particulier du code civil, s’appliquent mutatis mutandis aux questions qui ne sont pas régies par la présente charte de garantie ». Aucune précision n’était apportée quant au point de savoir si ce renvoi au droit polonais s’étendait aux dispositions du code civil relatives à la garantie en matière de contrats de vente.

16 L’attestation de bonne exécution des travaux a été délivrée le 21 mars 2013.

17 Le 26 septembre 2014, l’entité adjudicatrice a notifié au consortium d’entreprises une panne concernant l’un des deux récupérateurs en cause. Ce récupérateur a été remplacé au titre de la charte de garantie et le nouvel équipement a été mis en service le 22 février 2016.

18 Le 3 mars 2015, cette entité a notifié une deuxième panne à ce consortium d’entreprises, concernant l’autre récupérateur. Ce récupérateur a également été remplacé au titre de la charte de garantie et le nouvel équipement a été mis en service le 28 avril 2016.

19 Le 27 novembre 2018, ladite entité a notifié une nouvelle panne audit consortium d’entreprises, concernant cette fois les deux récupérateurs. Ce dernier a refusé de réparer ou de remplacer ces équipements au motif que, selon lui, la période de garantie avait expiré.

20 Ce différend a donné lieu à un litige devant le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne), qui est la juridiction de renvoi, portant, notamment, sur le paiement de pénalités contractuelles et d’indemnités de la part du consortium d’entreprises.

21 Selon cette juridiction, les relations entre les parties seraient régies, par analogie, par l’article 581, paragraphe 1, du code civil, relatif à la garantie en matière de contrats de vente, qui prévoit que le délai de garantie court à nouveau à partir de la livraison d’une chose exempte de défaut ou de la restitution de la chose réparée, de sorte que, le 27 novembre 2018, les récupérateurs étaient encore couverts par la garantie, dont le délai avait recommencé à courir respectivement les
22 février et 28 avril 2016. Néanmoins, cette question ferait débat tant dans la jurisprudence des tribunaux polonais qu’en doctrine.

22 Ladite juridiction indique également que le consortium d’entreprises conteste l’application de l’article 581, paragraphe 1, du code civil au motif que cette disposition ne concernerait que les contrats de vente et qu’il n’aurait été convenu à aucun moment qu’elle régirait, par analogie, la garantie dans le cadre du contrat de travaux en cause. Selon ce consortium d’entreprises, l’application de ladite disposition serait contraire aux principes de transparence, d’égalité de traitement et de
concurrence énoncés par la directive 2004/18 et désormais repris dans la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65), en ce qu’elle reviendrait à lui opposer des exigences ne ressortant pas clairement du dossier d’appel d’offres ou de la réglementation polonaise en vigueur, mais seulement d’une interprétation, controversée, du code civil.

23 La juridiction de renvoi s’interroge sur la portée, dans ce cadre, des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination dans la jurisprudence de la Cour, et plus particulièrement sur le point de savoir s’il convient de transposer aux garanties applicables dans le cadre du contrat de travaux en cause au principal les appréciations retenues dans l’arrêt du 2 juin 2016, Pizzo (C‑27/15, EU:C:2016:404). Elle relève notamment que la connaissance du droit national conditionne la possibilité,
pour les opérateurs concernés, de fixer leurs prix au juste niveau, et souligne que l’application par analogie des dispositions du code civil régissant la garantie en matière de contrats de vente pourrait désavantager les opérateurs économiques d’autres États membres par rapport aux opérateurs économiques nationaux.

24 Dans ces conditions, le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les principes de transparence, d’égalité de traitement et de concurrence loyale, visés à l’article 2 de la directive [2004/18] (actuellement, article 18, paragraphe 1, de la directive [2014/24]), doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation du droit national qui permet de déterminer les stipulations d’un contrat de marché public conclu avec un consortium composé d’entités de différents États membres de l’Union européenne en tenant compte, dans ce contrat, d’une
obligation susceptible d’affecter indirectement la détermination du prix dans l’offre soumise par ce contractant, [obligation] qui n’est pas expressément prévue dans [ledit] contrat ni dans le dossier d’appel d’offres, mais qui découle d’une disposition du droit national non directement applicable [au même] contrat, ayant toutefois fait l’objet d’une application par voie d’analogie ? »

Sur la question préjudicielle

25 À titre liminaire, il convient de relever, à l’instar de la Commission européenne que, eu égard à l’objet du contrat de travaux en cause au principal, portant sur la construction d’une station de traitement thermique des boues d’épuration, un doute est permis quant au point de savoir si le litige au principal relève du champ d’application de la directive 2004/18, à laquelle se réfère la demande de décision préjudicielle, ou de celui de la directive 2004/17.

26 Or, l’article 12 de la directive 2004/18 prévoit qu’elle ne s’applique pas « aux marchés publics qui, dans le cadre de la directive [2004/17], sont passés par des pouvoirs adjudicateurs exerçant une ou plusieurs des activités visées aux articles 3 à 7 de [cette dernière] directive et sont passés pour ces activités ». L’article 4 de la directive 2004/17 prévoit quant à lui, notamment, que cette directive s’applique aux marchés qui concernent la mise à disposition ou l’exploitation de réseaux fixes
destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution d’eau potable.

27 Si, au vu de l’objet du marché de travaux en cause, le litige au principal semble relever du champ d’application de la directive 2004/17, plutôt que de celui de la directive 2004/18, il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de s’en assurer au regard de l’ensemble des caractéristiques du marché en cause au principal et en tenant compte de l’activité exercée par l’entité adjudicatrice.

28 Dans ces conditions, afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu de considérer que la question posée porte sur l’interprétation de l’article 10 de la directive 2004/17, dont le libellé est identique à celui de l’article 2 de la directive 2004/18.

29 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence tels que visés à l’article 10 de la directive 2004/17 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’application par analogie à un contrat de travaux, en vertu d’une interprétation jurisprudentielle, de dispositions de droit national régissant la garantie en matière de contrats de vente dont la
teneur n’a été expressément précisée ni dans les documents d’appel d’offres, ni dans ce contrat de travaux.

30 D’emblée, il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement, qui appartient aux principes fondamentaux du droit de l’Union, impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 6 octobre 2021, Conacee, C‑598/19, EU:C:2021:810, point 36 et jurisprudence citée).

31 En particulier, dans le domaine du droit de l’Union en matière de marchés publics, le principe d’égalité de traitement, qui constitue la base des règles de l’Union relatives aux procédures de passation des marchés publics, signifie, notamment, que les soumissionnaires doivent se trouver sur un pied d’égalité au moment où ils préparent leurs offres et a pour objectif de favoriser le développement d’une concurrence saine et effective entre les entreprises participant à un marché public (arrêt du
6 octobre 2021, Conacee, C‑598/19, EU:C:2021:810, point 37 et jurisprudence citée).

32 Ainsi, ce principe impose que les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres et implique donc que ces offres soient soumises aux mêmes conditions pour tous les soumissionnaires (arrêts du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 110, et du 2 juin 2016, Pizzo, C‑27/15, EU:C:2016:404, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

33 Selon une jurisprudence constante, ledit principe a pour corollaire l’obligation de transparence, qui a, quant à elle, pour but de garantir l’absence de risque de favoritisme et d’arbitraire de la part du pouvoir adjudicateur. Cette obligation implique que toutes les conditions et les modalités de la procédure d’attribution soient formulées de manière claire, précise et univoque dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, de façon, premièrement, à permettre à tous les soumissionnaires
raisonnablement informés et normalement diligents d’en mesurer la portée exacte et de les comprendre de la même manière, et, deuxièmement, à mettre le pouvoir adjudicateur en mesure de vérifier effectivement si les offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant le marché en cause (voir, en ce sens, arrêts du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 111 ; du 2 juin 2016, Pizzo, C‑27/15, EU:C:2016:404, point 36, et du 4 avril 2019, Allianz
Vorsorgekasse, C‑699/17, EU:C:2019:290, point 62 ainsi que jurisprudence citée).

34 Dans ce contexte, il importe de souligner que la Cour a également jugé que le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence, qui régissent toutes les procédures de passation de marchés publics, exigent que les conditions de fond et de procédure concernant la participation à un marché soient clairement définies au préalable et rendues publiques, en particulier les obligations pesant sur les soumissionnaires, afin que ceux-ci puissent comprendre exactement les contraintes de la
procédure et être assurés que les mêmes exigences valent pour tous les concurrents (arrêt du 2 juin 2016, Pizzo, C‑27/15, EU:C:2016:404, point 37 et jurisprudence citée).

35 L’article 10 de la directive 2004/17 énonce ces exigences en prévoyant explicitement que les entités adjudicatrices traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence.

36 Bien que, ainsi qu’il ressort des termes mêmes de cet article, le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence régissent la procédure de passation des marchés publics, en vue d’assurer leur effet utile ainsi que la réalisation des objectifs qu’ils poursuivent, ce principe et cette obligation doivent également être respectés par le pouvoir adjudicateur lors de la phase d’exécution du contrat concerné.

37 Ainsi, la Cour a déjà dit pour droit que le pouvoir adjudicateur est tenu d’observer strictement les critères qu’il a lui-même fixés non seulement lors de la procédure d’adjudication en tant que telle, mais, plus généralement, jusqu’au terme de la phase d’exécution du marché en cause. Il n’est dès lors pas autorisé à altérer l’économie générale d’une adjudication en modifiant unilatéralement, après celle-ci, une des conditions essentielles de cette adjudication, en particulier une stipulation
qui, si elle avait figuré dans l’avis de marché, aurait conduit les soumissionnaires concernés à soumettre une offre substantiellement différente (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, points 115 et 116).

38 En effet, si le pouvoir adjudicateur pouvait modifier, à sa guise, pendant la phase d’exécution d’un marché, les conditions mêmes de l’adjudication, en l’absence d’habilitation expresse en ce sens, les termes régissant l’attribution de ce marché, tels que convenus initialement, seraient dénaturés (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 120).

39 Une telle pratique entraînerait une violation de l’obligation de transparence et du principe d’égalité de traitement des soumissionnaires, puisque l’application uniforme des conditions d’adjudication et l’objectivité de la procédure ne seraient plus garanties (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 121).

40 S’agissant, en particulier, de la durée de la garantie et des conditions essentielles de mise en œuvre de celle-ci, il résulte des points 32 à 39 du présent arrêt que, compte tenu de leur importance pour la détermination des conditions financières des offres présentées par les soumissionnaires concernés, il y a lieu de considérer que ces éléments font partie de ceux devant être clairement définis au préalable et rendus publics, afin de permettre à ces soumissionnaires de comprendre exactement les
conditions juridiques et économiques auxquelles l’octroi du marché en cause et les modalités de son exécution sont subordonnés, et d’être assurés que les mêmes exigences valent pour tous les concurrents. Il en va notamment ainsi en matière de marchés de travaux, dans lesquels la mise en œuvre de la garantie, comme cela ressort des faits du litige au principal, peut présenter un risque financier significatif pour l’opérateur attributaire d’un marché.

41 Ainsi, un soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent doit être en mesure d’identifier, dès la phase d’adjudication, les événements susceptibles, le cas échéant, de prolonger le délai de garantie ainsi que l’étendue des obligations pouvant lui incomber dans le cadre de l’exécution du contrat en cause.

42 Il convient encore de relever que l’application d’un délai ou de modalités essentielles de mise en œuvre d’une garantie qui ne ressortiraient pas expressément des documents relatifs à la procédure de passation du marché en cause ou du contrat de travaux concernés, mais découleraient de dispositions non directement applicables à ce contrat, dont la teneur serait applicable seulement par analogie, en vertu d’une interprétation du droit national ou d’une pratique des autorités nationales, serait
particulièrement préjudiciable aux soumissionnaires établis dans un autre État membre. En effet, le niveau de connaissance, par ces soumissionnaires, du droit national et de son interprétation, ainsi que de la pratique des autorités nationales, ne peut être présumé identique à celui des soumissionnaires nationaux (voir, en ce sens, arrêt du 2 juin 2016, Pizzo, C‑27/15, EU:C:2016:404, point 46).

43 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la charte de garantie contenue dans le contrat de travaux en cause et liant les cocontractants au principal prévoyait expressément une garantie d’une durée de 36 mois, ayant pour point de départ la date de délivrance de l’attestation de bonne exécution des travaux, et renvoyait à l’application, mutatis mutandis, des dispositions pertinentes du droit polonais, en particulier du code civil, pour les questions non régies par
cette charte.

44 Selon la juridiction de renvoi, une telle mention rendrait applicable au contrat de travaux en cause au principal l’article 581, paragraphe 1, du code civil, relatif à la garantie en matière de contrats de vente, en vertu duquel, lorsque la garantie a été mise en œuvre dans le délai initialement prévu, « le délai de garantie court à nouveau à partir de la livraison de la chose exempte de défaut ou de la restitution de la chose réparée ».

45 S’agissant des conséquences à tirer de ces éléments dans le litige au principal, il importe de rappeler que, si, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national, il appartient en revanche à la Cour de fournir à la juridiction nationale les
éléments d’interprétation du droit de l’Union pouvant s’avérer nécessaires à la solution du litige au principal, tout en tenant compte des indications que comporte la décision de renvoi quant au droit national applicable audit litige et aux faits caractérisant ce dernier (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 134 ainsi que jurisprudence citée).

46 Dans cette perspective, il convient de relever que, selon la demande de décision préjudicielle, l’article 581, paragraphe 1, du code civil figure dans une partie de ce code relative aux contrats de vente et qu’il ne ressort pas du libellé de cette disposition que son champ d’application s’étendrait aux contrats de travaux, tel que celui en cause au principal. Selon cette demande, l’application, par analogie, de ladite disposition à des contrats de travaux procéderait d’une interprétation
jurisprudentielle et ferait l’objet de divergences entre juridictions nationales ainsi que de débats doctrinaux.

47 Il y a lieu de rappeler que la Cour a précisé que la directive 2004/18 ne s’oppose pas, en principe, à un renvoi, dans l’avis de marché ou le cahier des charges, à des dispositions législatives ou réglementaires en ce qui concerne certaines spécifications techniques lorsqu’un tel renvoi est, en pratique, inévitable, pour autant que celui-ci soit accompagné de l’ensemble des indications complémentaires éventuellement requises par cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2012,
Commission/Pays-Bas, C‑368/10, EU:C:2012:284, point 68 et jurisprudence citée). À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé au point 73 de ses conclusions, c’est la prévisibilité liée à la connaissance du droit national et au degré de sécurité juridique que ce droit doit garantir aux opérateurs économiques dans le cadre des marchés publics qui est déterminante.

48 Or, compte tenu des éléments mentionnés au point 46 du présent arrêt, un renvoi au droit national tel que celui opéré par la charte de garantie n’apparaît pas de nature à permettre à un soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent d’identifier suffisamment clairement, au stade de l’adjudication, que la mise en œuvre de la garantie dans le délai initial prévu par le contrat concerné est susceptible d’entraîner le déclenchement d’un nouveau délai de garantie, pas plus qu’il ne
lui permet, a fortiori, d’identifier les obligations pouvant lui incomber dans le cadre de l’exécution de ce contrat.

49 Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de s’en assurer en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes du litige au principal, et notamment du point de savoir si l’applicabilité de l’article 581, paragraphe 1, du code civil au contrat en cause au principal était suffisamment claire et prévisible pour le consortium d’entreprises, compte tenu de l’établissement de Veolia, société cheffe de file de ce consortium, en Pologne.

50 Il résulte de tout ce qui précède qu’il convient de répondre à la question posée que le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence tels que visés à l’article 10 de la directive 2004/17 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’application par analogie à un contrat de travaux, en vertu d’une interprétation jurisprudentielle, de dispositions de droit national régissant la garantie en matière de contrats de vente dont la teneur n’a été expressément précisée ni
dans les documents d’appel d’offres ni dans ce contrat de travaux, lorsque l’applicabilité de telles dispositions n’est pas suffisamment claire et prévisible pour un soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent.

Sur les dépens

51 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  Le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence tels que visés à l’article 10 de la directive 2004/17/CE du Parlement et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux,

  doivent être interprétés en ce sens que :

  ils s’opposent à l’application par analogie à un contrat de travaux, en vertu d’une interprétation jurisprudentielle, de dispositions de droit national régissant la garantie en matière de contrats de vente dont la teneur n’a été expressément précisée ni dans les documents d’appel d’offres ni dans ce contrat de travaux, lorsque l’applicabilité de telles dispositions n’est pas suffisamment claire et prévisible pour un soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-82/24
Date de la décision : 05/06/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Sąd Okręgowy w Warszawie.

Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directives 2004/17/CE et 2004/18/CE – Principe d’égalité de traitement – Obligation de transparence – Marché public de travaux – Applicabilité par analogie à un marché public de travaux, en vertu d’une interprétation jurisprudentielle, de règles relatives à la garantie en matière de contrats de vente.

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Miejskie Przedsiębiorstwo Wodociągów i Kanalizacji w m.st. Warszawie S.A.
Défendeurs : Veolia Water Technologies sp. z o.o. e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona
Rapporteur ?: Gervasoni

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:396

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