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05/06/2025 | CJUE | N°C-349/24

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, A.B. contre Ministerstvo vnitra, Odbor azylové a migrační politiky., 05/06/2025, C-349/24


 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

5 juin 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique d’asile – Statut de réfugié ou statut conféré par la protection subsidiaire – Directive 2011/95/UE – Article 3 – Normes plus favorables – Protection subsidiaire – Motif dénué de lien avec la situation dans le pays d’origine – Logique de protection internationale »

Dans l’affaire C‑349/24 [Nuratau] ( i ),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au

titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno, République tchèque), par décision du 9...

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

5 juin 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique d’asile – Statut de réfugié ou statut conféré par la protection subsidiaire – Directive 2011/95/UE – Article 3 – Normes plus favorables – Protection subsidiaire – Motif dénué de lien avec la situation dans le pays d’origine – Logique de protection internationale »

Dans l’affaire C‑349/24 [Nuratau] ( i ),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno, République tchèque), par décision du 9 mai 2024, parvenue à la Cour le 13 mai 2024, dans la procédure

A.B.

contre

Ministerstvo vnitra, Odbor azylové a migrační politiky,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. C. Lycourgos (rapporteur), président de chambre, MM. S. Rodin, N. Piçarra, Mme O. Spineanu‑Matei et M. N. Fenger, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour A.B., par Me A. Žemla, advokátka,

– pour le gouvernement tchèque, par Mme A. Edelmannová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme F. Blanc-Simonetti, M. Debieuvre et M. Salyková, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant A.B., un ressortissant d’un pays tiers, au Ministerstvo vnitra, Odbor azylové a migrační politiky (ministère de l’Intérieur, département de la politique en matière d’asile et de migration, République tchèque) (ci-après le « ministère ») au sujet d’une décision de ce dernier portant refus d’accorder à A.B. une protection internationale.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2008/115/UE

3 L’article 5 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98), dispose :

« Lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive, les États membres tiennent dûment compte :

a) de l’intérêt supérieur de l’enfant,

b) de la vie familiale,

c) de l’état de santé du ressortissant concerné d’un pays tiers,

et respectent le principe de non-refoulement. »

La directive 2011/95

4 Le considérant 14 de la directive 2011/95 est libellé comme suit :

« Les États membres devraient pouvoir prévoir ou maintenir des conditions plus favorables que les normes énoncées dans la présente directive pour les ressortissants de pays tiers ou les apatrides qui demandent à un État membre une protection internationale, lorsqu’une telle demande est comprise comme étant introduite au motif que la personne concernée a la qualité de réfugié [...] ou est une personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire. »

5 L’article 2, sous d) et f), de cette directive précise :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

d) “réfugié”, tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle,
ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 12 ;

[...]

f) “personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire”, tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 15, l’article 17, paragraphes 1 et 2,
n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

6 L’article 3 de ladite directive prévoit :

« Les États membres peuvent adopter ou maintenir des normes plus favorables pour décider quelles sont les personnes qui remplissent les conditions d’octroi du statut de réfugié ou de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et pour déterminer le contenu de la protection internationale, dans la mesure où ces normes sont compatibles avec la présente directive. »

7 L’article 4, paragraphe 3, sous a), de la même directive dispose :

« Il convient de procéder à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants :

a) tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués ».

8 L’article 6 de la directive 2011/95 est ainsi rédigé :

« Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’État ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’État ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves au sens de l’article 7. »

9 L’article 8, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Dans le cadre de l’évaluation de la demande de protection internationale, les États membres peuvent déterminer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque dans une partie du pays d’origine :

a) il n’a pas une crainte fondée d’être persécuté ou ne risque pas réellement de subir des atteintes graves ; ou

b) il a accès à une protection contre les persécutions ou les atteintes graves [...]

et qu’il peut, en toute sécurité et en toute légalité, effectuer le voyage vers cette partie du pays et obtenir l’autorisation d’y pénétrer et que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il s’y établisse. »

10 L’article 10, paragraphe 1, sous d), de ladite directive prévoit :

« Lorsqu’ils évaluent les motifs de la persécution, les États membres tiennent compte des éléments suivants :

[...]

d) un groupe est considéré comme un certain groupe social lorsque, en particulier :

– ses membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce, et

– ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante.

En fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, un groupe social spécifique peut être un groupe dont les membres ont pour caractéristique commune une orientation sexuelle. L’orientation sexuelle ne peut pas s’entendre comme comprenant des actes réputés délictueux d’après la législation nationale des États membres. [...] »

11 L’article 15 de la même directive est libellé comme suit :

« Les atteintes graves sont :

a) la peine de mort ou l’exécution ; ou

b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou

c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. »

Le droit tchèque

12 L’article 14a du zákon č. 325/1999 Sb. o azylu (loi no 325/1999 Sb. sur l’asile), du 11 novembre 1999, dans sa version en vigueur jusqu’au 30 juin 2023 (ci‑après la « loi sur l’asile »), disposait :

« 1.   La protection subsidiaire est octroyée au ressortissant étranger qui ne remplit pas les conditions pour se voir octroyer l’asile, si, dans le cadre de la procédure d’octroi d’une protection internationale, il est établi que, dans son cas, il existe des raisons légitimes de craindre que, en cas de renvoi dans l’État dont il a la citoyenneté ou, dans le cas d’un apatride, dans l’État dans lequel il a eu son dernier domicile permanent, il serait exposé à un risque réel de subir une atteinte
grave, au sens du paragraphe 2, et qu’il est établi que, en raison de ce risque, il ne peut pas bénéficier de la protection de l’État dont il est ressortissant ou dans lequel se trouve son dernier domicile permanent, ou qu’il n’est pas disposé à en bénéficier.

2.   Aux fins de la présente loi, on entend par atteinte grave

a) la peine de mort ou l’exécution,

b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur d’une protection internationale,

c) des menaces graves contre la vie d’un civil ou sa dignité humaine en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé international ou interne, ou

d) la contrariété de l’éloignement du ressortissant étranger avec les obligations internationales de la République tchèque. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

13 A.B. est arrivé en République tchèque au mois de juillet 2006. Son séjour sur le territoire de cet État membre a été régulier pendant la plus grande partie de la période allant de son entrée sur ce territoire au rejet, par les autorités tchèques, d’une demande de prolongation de son titre de séjour déposée au mois d’août 2018. Par la suite, au mois d’avril 2019, il a introduit une demande de protection internationale dans le même État membre.

14 Cette demande a été rejetée, une première fois, par une décision du ministère adoptée au mois de février 2020. Par un arrêt du 17 juin 2021, le Krajský soud v Praze (cour régionale de Prague, République tchèque) a annulé cette première décision.

15 Le ministère a réexaminé la demande de protection internationale introduite par A.B. et l’a rejetée, une deuxième fois, par une décision du 20 octobre 2022. Par un arrêt du 17 mai 2023, le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno, République tchèque), qui est la juridiction de renvoi, a annulé cette deuxième décision.

16 La motivation des annulations de ces deux décisions était essentiellement fondée sur le caractère lacunaire des informations recueillies par le ministère sur la vie privée et familiale de A.B. et sur le constat que le ministère n’avait pas examiné de manière suffisante certains éléments tenant à cette vie privée et familiale, tels que la durée de son séjour en République tchèque, son intégration dans cet État membre, son état de santé, le décès de son épouse dans ledit État membre ou encore son
absence de liens sociaux et familiaux dans son pays d’origine.

17 Par une décision du 9 novembre 2023, le ministère a rejeté, une troisième fois, la demande de protection internationale introduite par A.B., principalement au motif que, au terme d’un examen de l’ensemble des éléments pertinents, il apparaissait que A.B. n’avait pas de liens sociaux ou privés forts en République tchèque. A.B. a introduit un recours contre cette troisième décision devant la juridiction de renvoi.

18 La juridiction de renvoi précise que les arrêts des 17 juin 2021 et 17 mai 2023, tout comme l’appréciation du ministère, étaient fondés sur une interprétation de l’article 14a, paragraphe 2, sous d), de la loi sur l’asile, suivie de manière constante par les juridictions tchèques. Selon cette interprétation, ladite disposition était applicable dans toutes les situations dans lesquelles l’éloignement du demandeur conduirait à une violation des obligations internationales de la République tchèque.
Conformément à ladite interprétation, la même disposition impliquait, notamment, d’octroyer la protection subsidiaire aux ressortissants de pays tiers dont le droit à la vie privée et familiale serait méconnu en cas d’éloignement de la République tchèque.

19 Cependant, par une ordonnance du 15 février 2024, le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque), statuant en chambre élargie, aurait adopté une autre interprétation de l’article 14a, paragraphe 2, sous d), de la loi sur l’asile. Cette juridiction aurait ainsi jugé que la protection subsidiaire ne pouvait être octroyée, sur le fondement de cette disposition, à un ressortissant d’un pays tiers que si son éloignement l’exposerait, dans son pays d’origine, à une violation
des obligations internationales de la République tchèque. Par conséquent, selon cette autre interprétation, la protection subsidiaire ne pourrait plus être octroyée au demandeur du fait d’une atteinte à la vie privée ou familiale de celui-ci en République tchèque, en cas d’éloignement.

20 La juridiction de renvoi doute de la compatibilité avec l’article 3 de la directive 2011/95 de ladite autre interprétation. Elle estime ainsi que cette dernière permet d’octroyer une protection internationale dans des hypothèses qui ne relèvent pas de la protection subsidiaire, telle que définie par cette directive, et qui vont au-delà des cas que les États membres pourraient décider de faire relever de cette protection subsidiaire en application de cet article 3, lequel autorise les États
membres à adopter des normes plus favorables dans l’octroi de cette protection, à condition que ces normes soient compatibles avec ladite directive.

21 La juridiction de renvoi considère, en conséquence, que l’article 14a, paragraphe 2, sous d), de la loi sur l’asile est, en tout état de cause, incompatible avec la directive 2011/95 et que cette disposition ne peut pas être interprétée en conformité avec cette directive. Néanmoins, l’application de ladite disposition ne pourrait pas être écartée dans l’affaire au principal, dès lors qu’il ne serait pas possible d’appliquer directement une disposition d’une directive au détriment d’un
particulier. Partant, dans l’hypothèse où l’interprétation de l’article 14a, paragraphe 2, sous d), de la loi sur l’asile adoptée dans l’ordonnance du Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême), du 15 février 2024, rendue en chambre élargie, ne serait pas compatible avec la directive 2011/95, la juridiction de renvoi estime qu’elle devrait interpréter cette disposition en suivant l’approche adoptée par les juridictions tchèques avant cette ordonnance.

22 Dans ces conditions, le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 3 de la directive [2011/95] doit-il être interprété en ce sens que peut être considérée comme une norme plus favorable pour décider quelles sont les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, au sens de cette disposition, la réglementation d’un État membre permettant d’accorder la protection subsidiaire à un demandeur d’une protection internationale, y compris en cas de risque réel qu’il subisse un type d’atteinte grave non prévu à l’article 15 de cette directive,
consistant en ce que l’éloignement, de l’État membre, du demandeur d’une protection internationale est contraire aux obligations internationales de cet État membre, à condition que simultanément cette contradiction avec les obligations internationales de l’État membre soit liée à la situation dans le pays d’origine du demandeur d’une protection internationale ? »

Sur la question préjudicielle

23 Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. Il lui appartient, à cet égard, d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale,
et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments de droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige [voir, en ce sens, arrêts du 13 décembre 1984, Haug-Adrion, 251/83, EU:C:1984:397, point 9, et du 30 avril 2024, M.N. (EncroChat), C‑670/22, EU:C:2024:372, point 78].

24 En l’occurrence, il ressort des termes de la question posée que celle-ci vise un motif de protection subsidiaire tiré de la situation dans le pays d’origine du demandeur de protection internationale.

25 Il découle cependant de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, le motif envisagé de protection subsidiaire est tiré non pas de la situation dans le pays d’origine du demandeur de protection internationale, mais du risque, pour ce demandeur, de subir une violation de son droit à la vie privée en raison de la rupture des liens entre ledit demandeur et l’État membre qui examine sa demande de protection internationale, en cas d’éloignement vers ce pays.

26 Dès lors, il y a lieu de comprendre la question posée comme invitant la Cour à déterminer si l’article 3 de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que soit considérée comme une norme plus favorable, pouvant être adoptée conformément à cet article, une réglementation nationale prévoyant d’octroyer la protection subsidiaire à un ressortissant d’un pays tiers qui, s’il était éloigné vers son pays d’origine, courrait un risque réel de subir une violation de son droit
à la vie privée en raison de la rupture de ses liens avec l’État membre qui examine la demande de protection internationale.

27 Conformément à l’article 2, sous f), de la directive 2011/95, la protection subsidiaire doit être octroyée à tout ressortissant d’un pays tiers qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que, s’il était renvoyé dans son pays d’origine, il courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 15 de cette directive, ce ressortissant d’un pays tiers ne relevant pas d’une clause d’exclusion, et ne pouvant pas ou,
compte tenu de ce risque, n’étant pas disposé à se prévaloir de la protection de ce pays.

28 Aux termes de l’article 15 de ladite directive, les atteintes graves sont la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ou encore des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

29 Il en résulte que, ainsi que le relève la juridiction de renvoi, la violation du droit à la vie privée ne figure pas parmi les atteintes graves justifiant, en application de la directive 2011/95, l’octroi de la protection subsidiaire.

30 Toutefois, l’article 3 de cette directive permet aux États membres d’adopter ou de maintenir « des normes plus favorables pour décider quelles sont les personnes qui remplissent les conditions d’octroi du statut de réfugié ou de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et pour déterminer le contenu de la protection internationale, dans la mesure où ces normes sont compatibles avec [ladite] directive ».

31 Il ressort de ce libellé, lu en combinaison avec le considérant 14 de la directive 2011/95, que les normes plus favorables visées à l’article 3 de cette directive peuvent notamment consister en un assouplissement des conditions dans lesquelles un ressortissant d’un pays tiers peut jouir du statut conféré par la protection subsidiaire [voir, en ce sens, arrêts du 4 octobre 2018, Ahmedbekova, C‑652/16, EU:C:2018:801, point 70, et du 9 novembre 2021, Bundesrepublik Deutschland (Maintien de l’unité
familiale), C‑91/20, EU:C:2021:898, point 39].

32 S’agissant de la précision figurant à cet article 3, selon laquelle toute norme plus favorable doit être compatible avec la directive 2011/95, la Cour a jugé que celle-ci signifie que cette norme ne doit pas porter atteinte à l’économie générale ou aux objectifs de cette directive. Sont, en particulier, interdites des normes qui tendent à reconnaître le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire à des ressortissants de pays tiers ou à des apatrides placés dans des
situations dénuées de tout lien avec la logique de protection internationale [voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2014, M’Bodj, C‑542/13, EU:C:2014:2452, point 44 ; du 4 octobre 2018, Ahmedbekova, C‑652/16, EU:C:2018:801, point 71, et du 9 novembre 2021, Bundesrepublik Deutschland (Maintien de l’unité familiale), C‑91/20, EU:C:2021:898, point 40].

33 Or, plusieurs dispositions de la directive 2011/95 indiquent que la protection internationale est liée à la situation du demandeur non pas dans l’État membre examinant sa demande de protection internationale, mais dans son pays d’origine, au cas où il devrait retourner dans ce pays.

34 Ainsi, il ressort, en premier lieu, de la définition des notions de « réfugié » et de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », énoncées à l’article 2, sous d) et f), de cette directive, que la protection internationale a pour objet de se substituer à la protection du pays d’origine lorsque le demandeur ne peut ou, compte tenu de certaines craintes ou de certains risques, ne veut pas se réclamer de la protection de ce pays.

35 À cet égard, la Cour a précisé que l’appréciation de la capacité du pays d’origine d’assurer une protection contre des actes de persécution, laquelle constitue un élément décisif de l’appréciation conduisant à l’octroi du statut de réfugié, doit, tout comme l’appréciation de l’existence d’une crainte fondée d’une persécution, reposer sur l’examen des circonstances existant dans le pays d’origine [voir, en ce sens, arrêts du 7 novembre 2013, X e.a., C‑199/12 à C‑201/12, EU:C:2013:720, point 43 ;
du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile), C‑238/19, EU:C:2020:945, point 21, ainsi que du 20 janvier 2021, Secretary of State for the Home Department, C‑255/19, EU:C:2021:36, points 36 et 57].

36 En deuxième lieu, l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2011/95, qui énumère les éléments devant être pris en compte lors de l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale, ne mentionne pas l’examen de la situation du demandeur dans l’État membre qui examine la demande de protection internationale ou celui des conséquences de la rupture des liens entre le demandeur et cet État membre. Cette disposition impose, en revanche, l’examen de tous les faits pertinents
concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande.

37 En troisième lieu, les éléments retenus par le législateur de l’Union pour caractériser plus précisément les craintes et les risques de nature à justifier l’octroi de la protection internationale indiquent que ces craintes et ces risques ont trait à la situation dans le pays d’origine et, en tout état de cause, qu’ils n’ont pas trait à la situation dans l’État membre examinant la demande de protection internationale.

38 Premièrement, l’article 6 de la directive 2011/95 identifie les « acteurs des persécutions ou des atteintes graves », comme étant l’État, des partis ou organisations qui contrôlent l’État ou une partie importante du territoire de celui-ci ou encore des acteurs non étatiques contre lesquels l’État ou ces organisations ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection.

39 L’« État » visé à cet article 6 ne pouvant logiquement être l’État membre dont la protection est recherchée en vue de se prémunir des pratiques des acteurs des persécutions ou des atteintes graves, une rupture des liens entre le demandeur et cet État membre ne saurait être regardée comme procédant du comportement d’un de ces acteurs.

40 Deuxièmement, l’article 8 de cette directive permet aux États membres d’exclure l’octroi de la protection internationale lorsque le demandeur est effectivement susceptible de ne pas subir d’actes de persécution et d’atteintes graves ou de bénéficier d’une protection contre ces actes et ces atteintes dans une partie de son pays d’origine.

41 Troisièmement, en ce qui concerne les motifs de la persécution, il y a lieu, notamment, de relever qu’il ressort du second alinéa du paragraphe 1, sous d), de l’article 10 de ladite directive que l’existence d’un « groupe social », au sens de cet article 10, paragraphe 1, sous d), doit être déterminée en fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine. De même, la Cour a jugé que l’existence d’opinions politiques ainsi que le lien de causalité entre celles-ci et les actes de
persécution doivent être évalués au regard du contexte général du pays d’origine du demandeur de protection internationale [voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, Migracijos departamentas (Motifs de persécution fondés sur des opinions politiques), C‑280/21, EU:C:2023:13, point 33].

42 Quatrièmement, il résulte de l’article 15, sous b), de la même directive que l’atteinte grave visée à cette disposition ne trouve à s’appliquer que lorsque des traitements inhumains ou dégradants ont lieu dans le pays d’origine du demandeur de protection internationale (voir, par analogie, arrêt du 18 décembre 2014, M’Bodj, C‑542/13, EU:C:2014:2452, point 33).

43 Il découle de l’ensemble de ces éléments que l’octroi d’un titre de séjour pour un motif ne se rapportant pas à la situation dans le pays d’origine du demandeur doit être regardé comme étant dénué de tout lien avec la logique de protection internationale, de sorte qu’un État membre ne saurait octroyer la protection subsidiaire, au sens de la directive 2011/95, en se fondant sur un tel motif, sans méconnaître l’article 3 de cette directive.

44 Dès lors qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi envisage d’interpréter la réglementation en cause au principal comme permettant d’octroyer la protection subsidiaire sur la base d’un motif ne se rapportant pas à la situation dans le pays d’origine du demandeur, il y a lieu de rappeler qu’une juridiction nationale est tenue, lorsqu’elle applique les dispositions de son droit interne adoptées afin de transposer les obligations prévues par une directive,
d’assurer une interprétation conforme du droit national concerné, afin d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la pleine efficacité du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 114, ainsi que du 8 novembre 2016, Ognyanov, C‑554/14, EU:C:2016:835, point 58).

45 Certes, le principe d’interprétation conforme du droit national connaît certaines limites. Ainsi, l’obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes de son droit interne est limitée par les principes généraux du droit, notamment ceux de sécurité juridique ainsi que de non-rétroactivité, et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national concerné (voir, en ce sens, arrêts du
4 juillet 2006, Adeneler e.a., C‑212/04, EU:C:2006:443, point 110, ainsi que du 21 décembre 2023, BMW Bank e.a., C‑38/21, C‑47/21 et C‑232/21, EU:C:2023:1014, point 222).

46 Néanmoins, le principe d’interprétation conforme du droit national requiert que les juridictions nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence, en prenant en considération l’ensemble de leur droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité de la directive en cause et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a.,
C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, points 118 et 119, ainsi que du 15 octobre 2024, KUBERA, C‑144/23, EU:C:2024:881, point 51).

47 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême), statuant en chambre élargie, a, dans son ordonnance du 15 février 2024, interprété la disposition nationale en cause comme visant exclusivement le risque de violations des droits fondamentaux liées à la situation dans le pays d’origine du demandeur. Il apparaît ainsi, sous réserve des vérifications qui incombent à la juridiction de renvoi, que cette disposition nationale
est susceptible d’être interprétée de manière à aboutir, dans le litige au principal, à une solution conforme à l’objectif poursuivi par la directive 2011/95.

48 Par ailleurs, l’article 3 de la directive 2011/95 n’interdit pas à un État membre d’accorder une protection nationale assortie de droits permettant aux personnes qui n’ont pas le statut de réfugié et qui ne bénéficient pas de la protection subsidiaire de séjourner sur son territoire, étant entendu que l’octroi d’un telle protection ne relève pas du champ d’application de cette directive. Ainsi, il est loisible à un État membre d’octroyer, en vertu de son seul droit interne, un droit de séjour
pour des raisons humanitaires aux ressortissants de pays tiers dont le retour dans leur pays d’origine porterait atteinte à leur droit à la vie privée, en raison de la rupture de leur lien avec cet État membre, pour autant que ce droit de séjour ne puisse pas être confondu avec le statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire, au sens de cette directive (voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 2010, B et D, C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, points 117 à 120, ainsi que du
12 septembre 2024, Changu, C‑352/23, EU:C:2024:748, points 48 et 49).

49 En outre, dans la mesure où le rejet de la demande de protection internationale pourrait, le cas échéant, conduire les autorités compétentes à envisager l’adoption d’une décision de retour contre A.B., il importe de rappeler que l’article 5 de la directive 2008/115 constitue une règle générale s’imposant aux États membres dès qu’ils mettent en œuvre cette directive, à tous les stades de la procédure de retour [voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en
Veiligheid (Éloignement – Cannabis thérapeutique), C‑69/21, EU:C:2022:913, point 55].

50 Or, bien que l’article 5 de la directive 2008/115 ne mentionne pas la vie privée du ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier dans un État membre parmi les éléments que les États membres doivent prendre en compte lorsqu’ils mettent en œuvre cette directive, il n’en demeure pas moins que les États membres sont tenus de respecter les droits fondamentaux qui sont reconnus au ressortissant de pays tiers par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et que, par conséquent, une
décision de retour ou une mesure d’éloignement ne peut être adoptée si elle méconnaît le droit au respect de la vie privée du ressortissant d’un pays tiers concerné [voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement – Cannabis thérapeutique), C‑69/21, EU:C:2022:913, point 92].

51 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 3 de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que soit considérée comme une norme plus favorable, pouvant être adoptée conformément à cet article 3, une réglementation nationale prévoyant d’octroyer la protection subsidiaire à un ressortissant d’un pays tiers qui, s’il était éloigné vers son pays d’origine, courrait un risque réel de subir une violation
de son droit à la vie privée en raison de la rupture de ses liens avec l’État membre qui examine la demande de protection internationale.

Sur les dépens

52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

  L’article 3 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection,

  doit être interprété en ce sens que :

  il s’oppose à ce que soit considérée comme une norme plus favorable, pouvant être adoptée conformément à cet article 3, une réglementation nationale prévoyant d’octroyer la protection subsidiaire à un ressortissant d’un pays tiers qui, s’il était éloigné vers son pays d’origine, courrait un risque réel de subir une violation de son droit à la vie privée en raison de la rupture de ses liens avec l’État membre qui examine la demande de protection internationale.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le tchèque.

( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-349/24
Date de la décision : 05/06/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Krajský soud v Brně.

Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique d’asile – Statut de réfugié ou statut conféré par la protection subsidiaire – Directive 2011/95/UE – Article 3 – Normes plus favorables – Protection subsidiaire – Motif dénué de lien avec la situation dans le pays d’origine – Logique de protection internationale.

Politique d'asile

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : A.B.
Défendeurs : Ministerstvo vnitra, Odbor azylové a migrační politiky.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Lycourgos

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:397

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