ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
8 mai 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Contrats de crédit à la consommation – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Article 3, paragraphe 1 – Clause de déchéance du terme – Contrôle juridictionnel – Absence de réglementation nationale régissant la clause de déchéance du terme – Critères d’appréciation du caractère abusif »
Dans les affaires jointes C‑6/24 et C‑231/24,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Juzgado de Primera Instancia no 8 de La Coruña (tribunal de première instance no 8 de La Corogne, Espagne), par décisions respectivement du 19 décembre 2023 et du 26 février 2024, parvenues à la Cour le 4 janvier et le 26 mars 2024, dans les procédures
Abanca Corporación Bancaria SA
contre
WE (C‑6/24),
VX (C‑231/24),
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. S. Rodin (rapporteur), président de chambre, MM. N. Piçarra et N. Fenger, juges,
avocat général : M. D. Spielmann,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Abanca Corporación Bancaria SA, par Mes M. Á. Cepero Aránguez, J. M. Martínez Gimeno et M. C. Vendrell Cervantes, abogados,
– pour le gouvernement espagnol, par Mme P. Pérez Zapico, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par Mme I. Galindo Martín et M. P. Kienapfel, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant Abanca Corporación Bancaria SA, établissement bancaire de droit espagnol, à des consommateurs, WE, dans l’affaire C‑6/24, et VX, dans l’affaire C‑231/24, au sujet du caractère prétendument abusif d’une clause de déchéance du terme contenue dans des contrats de prêt personnel conclus entre ces parties.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 :
« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. »
4 L’article 4 de cette directive prévoit :
« 1. Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.
2. L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »
5 L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive est rédigé comme suit :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
Le droit espagnol
6 L’article 693, paragraphe 2, de la Ley 1/2000 de Enjuiciamiento Civil (loi 1/2000 portant code de procédure civile), du 7 janvier 2000 (BOE no 7, du 8 janvier 2000, p. 575), telle que modifiée par la Ley 42/2015 de reforma de la Ley 1/2000 (loi 42/2015 portant réforme de la loi 1/2000), du 5 octobre 2015 (BOE no 239, du 6 octobre 2015), relatif à l’exigibilité anticipée des dettes à paiement fractionné dispose :
« Le montant total dû pour le capital et les intérêts peut être réclamé selon les conditions convenues dans l’acte constitutif du prêt et inscrit dans le registre correspondant. Lorsqu’il s’agit d’un prêt ou d’un crédit conclu par une personne physique et garanti par une hypothèque sur un logement ou dont l’objet est l’acquisition d’un bien immobilier à usage résidentiel, les dispositions de l’article 24 de la loi 5/2019, réglementant les contrats de crédit immobilier, seront appliquées et, le cas
échéant, l’article 129 bis de la loi hypothécaire. »
7 L’article 24 de la Ley 5/2019 reguladora de los contratos de crédito inmobiliario (loi 5/2019 portant réglementation des contrats de crédit immobilier), du 15 mars 2019 (BOE no 65, du 16 mars 2019), est ainsi libellé :
« 1. Dans les contrats de prêt dont l’emprunteur, la caution ou le garant est une personne physique et qui sont garantis par une hypothèque ou par une autre sûreté réelle sur des biens immeubles à usage résidentiel ou destinés à l’acquisition ou au maintien de droits de propriété sur des terrains ou immeubles à usage résidentiel construits ou à construire, l’emprunteur perd le bénéfice du terme et l’exigibilité anticipée du contrat se produit lorsque les conditions cumulatives suivantes sont
réunies :
a) l’emprunteur est en retard de paiement d’une partie du capital du prêt ou des intérêts ;
b) le montant des mensualités échues et impayées équivaut au moins :
i. à trois pour cent du montant du capital accordé, si le retard survient au cours de la première moitié de la durée du prêt. Cette condition est considérée comme remplie lorsque les mensualités échues et impayées correspondent au non-paiement de douze mensualités ou d’un nombre de mensualités tel qu’il signifie que le débiteur a manqué à son obligation pour une période au moins équivalente à douze mois ;
ii. à sept pour cent du montant du capital accordé, si le retard survient au cours de la seconde moitié de la durée du prêt. Cette condition est considérée comme remplie lorsque les mensualités échues et impayées correspondent au non-paiement de quinze mensualités ou d’un nombre de mensualités tel qu’il signifie que le débiteur a manqué à son obligation pour une période au moins équivalente à quinze mois ;
c) le prêteur a mis en demeure l’emprunteur de le payer en lui accordant un délai d’au moins un mois pour s’exécuter et en l’avertissant que, à défaut, il demandera le remboursement intégral du montant dû au titre du prêt.
2. Il ne saurait être dérogé aux règles du présent article par des conventions contraires. »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
8 Les 5 juillet et 15 septembre 2022, WE et VX ont conclu avec Abanca Corporación Bancaria un contrat de prêt personnel d’un montant de 10600 euros remboursable sur cinq ans pour le premier et d’un montant de 6000 euros remboursable sur huit ans pour le second.
9 Conformément à la clause no 13 des conditions générales de ces contrats de prêt (ci-après la « clause litigieuse »), l’établissement bancaire peut prononcer la déchéance du terme du contrat de prêt, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, en cas de défaut de paiement.
10 Il est précisé dans la clause litigieuse que le défaut de paiement est caractérisé lorsque trois conditions cumulatives sont réunies. Premièrement, l’emprunteur est redevable d’une partie du capital emprunté ou des intérêts. Deuxièmement, le montant des mensualités échues et impayées s’élève à, au moins, 3 % du capital prêté quand le défaut de paiement intervient lors de la première moitié de la durée du prêt ou à, au moins, 7 % de celui-ci lorsque le défaut intervient au cours de la seconde
moitié de la durée du prêt. Troisièmement, l’emprunteur doit avoir été mis en demeure, par l’établissement bancaire, de régler les sommes dues dans le délai d’un mois.
11 Après avoir prononcé la déchéance du terme conformément à la clause litigieuse, Abanca Corporación Bancaria a présenté deux requêtes en injonction de payer auprès du Juzgado de Primera Instancia no 8 de La Coruña (tribunal de première instance no 8 de La Corogne, Espagne), qui est la juridiction de renvoi, contre WE et VX.
12 Cette juridiction exprime des doutes quant à la conformité de la clause litigieuse à la directive 93/13 au regard des arrêts du 14 mars 2013, Aziz (C‑415/11, EU:C:2013:164, point 73), et du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60, points 66 et 67), dans lesquels la Cour a jugé que parmi les éléments pouvant être pris en compte pour apprécier le caractère abusif d’une telle clause figure l’existence de moyens, dans la réglementation nationale, permettant au consommateur d’éviter
l’exigibilité anticipée du prêt ou de remédier aux effets de celle-ci, ce qui n’est pas le cas du droit espagnol pour les contrats de prêt personnel, tels que ceux en cause au principal. La clause litigieuse contenue dans ces derniers offrirait néanmoins cette possibilité à l’emprunteur, à l’instar de ce que prévoit la réglementation nationale applicable aux contrats de prêt hypothécaire. Par ailleurs, elle se demande si un délai d’un mois pour régler le solde débiteur du prêt, tel que celui fixé
par cette clause, est suffisant pour permettre effectivement au consommateur d’éviter l’exigibilité anticipée du prêt ou de priver celle-ci d’effet après sa déclaration.
13 Dans ces conditions, le Juzgado de Primera Instancia no 8 de La Coruña (tribunal de première instance no 8 de La Corogne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Une clause de déchéance du terme qui prévoit la possibilité d’éviter ou de neutraliser l’exigibilité anticipée du prêt dans un certain délai est-elle conforme à l’article 3, paragraphe 1, et à l’article 7 de la directive 93/13[...], ou faut-il que cette possibilité soit prévue dans une règle de droit national spécifique ?
2) En cas de réponse affirmative à la question précédente, quel serait le délai raisonnable ? »
14 Par décision du président de la Cour du 26 avril 2024, les affaires C‑6/24 et C‑231/24 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
15 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 7 novembre 2024, ERB New Europe Funding II,
C‑178/23, EU:C:2024:943, point 26 et jurisprudence citée).
16 À cet égard, il importe de préciser que, dans le cadre des procédures au principal, la juridiction de renvoi a procédé au contrôle d’office du caractère éventuellement abusif de la clause litigieuse dont la mise en œuvre est à l’origine des demandes d’injonction de payer dont elle est saisie. Cette juridiction ne s’interroge pas sur l’existence de moyens juridictionnels pour faire cesser l’utilisation de clauses abusives, au regard de l’article 7 de la directive 93/13, mais sur la qualification
même de ces clauses d’abusives, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13.
17 Aussi, en vue de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu de considérer que, par sa première question, cette juridiction demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, aux fins de l’appréciation de l’éventuel caractère abusif d’une clause de déchéance du terme contenue dans un contrat de prêt personnel, il peut être tenu compte de ce que cette clause permet au consommateur d’éviter l’exigibilité anticipée du
prêt ou de remédier aux effets de celle-ci, ou s’il faut que cette possibilité soit prévue dans une règle de droit national spécifiquement applicable aux contrats de prêt personnel.
18 Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée qu’un consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard d’un professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information [arrêt du 18 janvier 2024, Getin Noble Bank e.a. (Contrôle d’office du caractère abusif des clauses), C‑531/22, EU:C:2024:58, point 63].
19 En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme étant abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée, au détriment du consommateur concerné, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant de ce contrat, tandis que, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive, une telle clause abusive ne lie pas ce consommateur.
20 Dans ce contexte, et en vue d’assurer le niveau élevé de protection des consommateurs énoncé à l’article 38 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le juge national est tenu d’apprécier, même d’office, le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel, dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet.
À cet égard, l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13 définissent, dans leur ensemble, les critères généraux permettant au juge national d’apprécier la nature abusive des clauses contractuelles soumises aux dispositions de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2023, Všeobecná úverová banka, C‑598/21, EU:C:2023:845, points 74 et 75).
21 En se référant aux notions de « bonne foi » et de « déséquilibre significatif » au détriment du consommateur entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne définit que de manière abstraite les éléments qui donnent un caractère abusif à une clause contractuelle n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle (arrêt du 9 novembre 2023, Všeobecná úverová banka, C‑598/21, EU:C:2023:845, point 76).
22 S’agissant du point de savoir dans quelles circonstances un déséquilibre significatif est créé « en dépit de l’exigence de bonne foi », le juge national doit, eu égard au seizième considérant de la directive 93/13, vérifier à cette fin si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte une telle clause à la suite d’une négociation individuelle (arrêt du 9 novembre 2023, Všeobecná úverová banka,
C‑598/21, EU:C:2023:845, point 78).
23 En outre, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, le caractère abusif d’une clause contractuelle doit être apprécié en tenant compte de la nature des biens ou des services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion de même que de toutes les autres clauses dudit contrat ou d’un autre contrat dont il dépend (arrêt du 9 novembre 2023, Všeobecná úverová banka, C‑598/21,
EU:C:2023:845, point 79).
24 Au point 66 de l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60), portant non pas sur un contrat de prêt personnel mais sur un contrat de prêt hypothécaire de longue durée, la Cour a, en substance, jugé que, afin de déterminer si une clause conventionnelle produit un déséquilibre significatif au détriment du consommateur, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, la juridiction nationale doit examiner notamment si la faculté laissée au professionnel de déclarer
exigible la totalité du prêt dépend de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté est prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêt un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté déroge aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national confère au
consommateur des moyens adéquats et efficaces lui permettant, lorsque celui-ci est soumis à l’application d’une telle clause, de remédier aux effets de l’exigibilité du prêt.
25 Par ailleurs, au point 35 de l’arrêt du 8 décembre 2022, Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest (C‑600/21, EU:C:2022:970), la Cour a précisé que ces critères ne peuvent être compris comme étant cumulatifs ou alternatifs, mais doivent être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national doit examiner afin d’apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle, au sens de
l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13.
26 En l’occurrence, ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, la réglementation espagnole n’encadre pas les clauses de déchéance du terme dans les contrats de prêt personnel, à la différence des contrats de prêt hypothécaire. Pour autant, la clause litigieuse contenue dans les contrats de prêt en cause au principal prévoit un moyen pour le consommateur d’éviter l’exigibilité anticipée du prêt ou de remédier aux effets de celle-ci, en réglant les sommes restant dues au titre du prêt dans le délai
d’un mois suivant la mise en demeure notifiée par l’établissement bancaire, à l’instar de ce qui est prévu par cette réglementation portant sur les contrats de prêt hypothécaire.
27 Conformément à la jurisprudence rappelée aux points 24 et 25 du présent arrêt, il appartient au juge national de déterminer si une clause de déchéance du terme produit un déséquilibre significatif au détriment du consommateur, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, au regard de différents critères parmi lesquels figure l’existence de moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur d’éviter l’application de cette clause ou de remédier aux effets de celle-ci. Or, le
fait que les moyens permettant d’atteindre un tel résultat soient prévus par la clause contractuelle de déchéance du terme elle-même et non par une règle de droit national spécifiquement applicable aux contrats en cause au principal est sans incidence et, en tout état de cause, n’est pas de nature à rendre cette clause contractuelle abusive au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13.
28 Eu égard aux motifs qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, aux fins de l’appréciation de l’éventuel caractère abusif d’une clause de déchéance du terme contenue dans un contrat de prêt personnel, il peut être tenu compte de ce que cette clause permet au consommateur d’éviter l’exigibilité anticipée du prêt ou de remédier aux effets de celle-ci, sans que cette possibilité doive être
prévue par une règle de droit national spécifiquement applicable aux contrats de prêt personnel.
Sur la seconde question
29 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que constitue un moyen adéquat et efficace permettant au consommateur d’éviter la mise en œuvre de la clause de déchéance du terme du contrat de prêt personnel ou de remédier à ses effets la faculté contractuelle offerte à ce consommateur de régler les sommes restant dues au titre du prêt dans un délai fixé à un mois, à partir de la mise en
demeure adressée par l’établissement bancaire.
30 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour en la matière porte sur l’interprétation de la notion de « clause abusive », visée à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive et à l’annexe de celle-ci, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de ladite directive, étant entendu qu’il appartient à ce juge de se prononcer, en tenant compte de
ces critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce (arrêt du 8 décembre 2022, Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest, C‑600/21, EU:C:2022:970, point 38 ainsi que jurisprudence citée).
31 S’agissant de la clause litigieuse relative à la déchéance du terme du contrat de prêt personnel en cas de défaut du paiement, il incombe à la juridiction de renvoi d’examiner, notamment, si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté est prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêt un
caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté déroge aux règles de droit commun applicables en la matière et si le droit national ou une clause du contrat confère au consommateur des moyens adéquats et efficaces lui permettant d’éviter l’application d’une clause de déchéance du terme ou de remédier aux effets de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C‑421/14, EU:C:2017:60, point 66).
32 Aux points 47 et 48 de l’arrêt du 25 janvier 2024, Caixabank (Prescription de remboursement des frais hypothécaires) (C‑810/21 à C‑813/21, EU:C:2024:81), la Cour a jugé, s’agissant d’un délai de prescription, en substance, que, pour être considéré comme étant conforme au principe d’effectivité, d’une part, ce délai devait être matériellement suffisant pour permettre au consommateur de préparer et de former un recours effectif afin de faire valoir les droits qu’il tire de la directive 93/13 et,
d’autre part, que le consommateur devait avoir eu la possibilité de connaître ses droits avant qu’un tel délai ne commence à courir ou ne s’écoule.
33 En l’occurrence, il ressort des demandes de décision préjudicielle que l’obligation inexécutée par les consommateurs concernés, à savoir le remboursement des mensualités du prêt, présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, ainsi qu’un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt. Les interrogations de la juridiction de renvoi sont circonscrites à l’appréciation du caractère adéquat et efficace du délai d’un mois imparti à ces
consommateurs afin d’éviter la mise en œuvre de la clause d’exigibilité immédiate des sommes dues au titre du prêt ou de remédier aux effets de celle-ci.
34 Selon la juridiction de renvoi, cette clause correspond à une disposition du droit national applicable aux contrats de prêt garanti par une hypothèque sur des biens immobiliers à usage résidentiel ou dont l’objet est l’acquisition d’un tel bien. Celle-ci entend ainsi établir un équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties à ce type de contrats. Cette disposition, à savoir l’article 24, paragraphe 1, de la loi 5/2019, prévoit que la déchéance du terme ne peut intervenir que
si le prêteur a accordé à l’emprunteur un délai d’au moins un mois pour remédier au défaut de paiement constaté.
35 Partant, afin d’apprécier si le moyen offert au consommateur d’éviter l’exigibilité anticipée du prêt ou de remédier aux effets de celle-ci présente un caractère adéquat et efficace, dans le cadre de son analyse globale de l’existence d’un déséquilibre significatif au détriment du consommateur qu’une clause de déchéance du terme est susceptible de créer, la juridiction de renvoi peut utilement tenir compte, notamment, de la circonstance que le délai de régularisation soit matériellement suffisant
afin de permettre au consommateur de réaliser l’opération de versement demandé. À cet égard, l’existence de dispositions dans la réglementation nationale prévoyant, dans le cadre de rapports contractuels similaires, un tel délai au profit de l’emprunteur est particulièrement pertinente.
36 Compte tenu des développements qui précèdent, il est envisageable qu’une juridiction nationale puisse être amenée à considérer qu’un délai d’un mois imparti au consommateur par une clause de déchéance du terme pour régler le solde débiteur du prêt, à compter d’une mise en demeure adressée par le prêteur, constitue un moyen adéquat et efficace lui permettant d’éviter l’application de cette clause ou de remédier aux effets de celle-ci.
37 Par suite, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, aux fins de l’appréciation de l’éventuel caractère abusif d’une clause de déchéance du terme contenue dans un contrat de prêt, il incombe à la juridiction nationale de vérifier le caractère adéquat et efficace des moyens permettant au consommateur d’éviter l’exigibilité anticipée du prêt ou de remédier aux effets de celle-ci, en prenant notamment en
considération le caractère matériellement suffisant du délai qui lui est offert pour effectuer le règlement demandé des sommes restant dues au titre du prêt. À cet égard, l’existence de dispositions dans la réglementation nationale prévoyant, dans le cadre de rapports contractuels similaires, un tel délai au profit de l’emprunteur constitue un élément particulièrement pertinent.
Sur les dépens
38 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :
1) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,
doit être interprété en ce sens que :
aux fins de l’appréciation de l’éventuel caractère abusif d’une clause de déchéance du terme contenue dans un contrat de prêt personnel, il peut être tenu compte de ce que cette clause permet au consommateur d’éviter l’exigibilité anticipée du prêt ou de remédier aux effets de celle-ci, sans que cette possibilité doive être prévue par une règle de droit national spécifiquement applicable aux contrats de prêt personnel.
2) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13
doit être interprété en ce sens que :
aux fins de l’appréciation de l’éventuel caractère abusif d’une clause de déchéance du terme contenue dans un contrat de prêt, il incombe à la juridiction nationale de vérifier le caractère adéquat et efficace des moyens permettant au consommateur d’éviter l’exigibilité anticipée du prêt ou de remédier aux effets de celle-ci, en prenant notamment en considération le caractère matériellement suffisant du délai qui lui est offert pour effectuer le règlement demandé des sommes restant dues au
titre du prêt. À cet égard, l’existence de dispositions dans la réglementation nationale prévoyant, dans le cadre de rapports contractuels similaires, un tel délai au profit de l’emprunteur constitue un élément particulièrement pertinent.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.