ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
29 avril 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Aides accordées par les États membres – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Notion d’“aide d’État” – Sélectivité d’une mesure fiscale – Critères d’appréciation – Détermination du cadre de référence – Impôt foncier – Exonération pour les terrains, bâtiments et constructions faisant partie de l’infrastructure ferroviaire »
Dans l’affaire C‑453/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), par décision du 19 avril 2023, parvenue à la Cour le 19 juillet 2023, dans la procédure
E. sp. z o.o.
contre
Prezydent Miasta Mielca,
en présence de :
Rzecznik Małych i Średnich Przedsiębiorców,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. T. von Danwitz, vice‑président, M. F. Biltgen, Mme K. Jürimäe, M. C. Lycourgos (rapporteur), Mme M. L. Arastey Sahún, MM. S. Rodin, D. Gratsias et M. Gavalec, présidents de chambre, M. E. Regan, Mme I. Ziemele, MM. J. Passer et Z. Csehi, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : Mme M. Siekierzyńska, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 juillet 2024,
considérant les observations présentées :
– pour E. sp. z o.o., par Me M. Dziedzic, radca prawny, et M. R. Kran, doradca podatkowy,
– pour le Prezydent Miasta Mielca, par Me A. Dowgier, adwokat, et Me J. Grabiec, radca prawny,
– pour le Rzecznik Małych i Średnich Przedsiębiorców, par Me P. Chrupek, radca prawny,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, Mme A. Kramarczyk-Szaładzińska et M. M. Rzotkiewicz, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement espagnol, par Mme M. Morales Puerta, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par M. I. Barcew, Mmes C.‑M. Carrega et F. Tomat, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 17 octobre 2024,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant E. sp. z o.o. (ci-après la « société E ») au Prezydent Miasta Mielca (maire de la ville de Mielec, Pologne) (ci-après le « maire de Mielec ») au sujet du refus de ce dernier d’accorder à cette société une exonération fiscale relative à l’impôt foncier.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le traité FUE
3 L’article 107, paragraphe 1, TFUE dispose :
« Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. »
4 Aux termes de l’article 108, paragraphe 3, TFUE :
« La Commission [européenne] est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu’un projet n’est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l’article 107 [TFUE], elle ouvre sans délai la procédure prévue [à l’article 108, paragraphe 2, TFUE]. L’État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. »
La directive 2012/34/UE
5 L’article 1er de la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, établissant un espace ferroviaire unique européen (JO 2012, L 343, p. 32), intitulé « Objet et champ d’application », prévoit :
« 1. La présente directive établit :
a) les règles applicables à la gestion de l’infrastructure ferroviaire et aux activités de transport par chemin de fer des entreprises ferroviaires qui sont établies ou s’établiront dans un État membre, telles qu’énoncées au chapitre II ;
b) les critères applicables à la délivrance, à la prorogation ou à la modification, par un État membre, des licences destinées aux entreprises ferroviaires qui sont établies ou qui s’établiront dans l’Union [européenne], tels qu’exposés au chapitre III ;
c) les principes et les procédures applicables à la fixation et à la perception de redevances d’utilisation de l’infrastructure ferroviaire ainsi qu’à la répartition des capacités de cette infrastructure, tels qu’exposés au chapitre IV.
2. La présente directive s’applique à l’utilisation d’infrastructures ferroviaires pour les services ferroviaires nationaux et internationaux. »
6 L’article 3, point 3, de cette directive définit la notion d’« infrastructure ferroviaire » comme étant l’ensemble des éléments visés à l’annexe I de ladite directive. Cette annexe I contient la liste des éléments qui composent l’infrastructure ferroviaire « pour autant qu’ils fassent partie des voies principales et des voies de service, à l’exception de celles situées à l’intérieur des ateliers de réparation du matériel et des dépôts ou garages d’engins de traction, ainsi que des embranchements
particuliers ».
Le règlement 2015/1589
7 L’article 2, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 dispose :
« Sauf indication contraire dans tout règlement pris en application de l’article 109 du TFUE ou de toute autre disposition pertinente de ce dernier, tout projet d’octroi d’une aide nouvelle est notifié en temps utile à la Commission par l’État membre concerné. La Commission informe aussitôt l’État membre concerné de la réception d’une notification. »
Le droit polonais
8 L’article 2, paragraphes 1 et 2, de l’ustawa o podatkach i opłatach lokalnych (loi relative aux impôts et redevances locales), du 12 janvier 1991 (Dz. U. de 2019, position 1170), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi relative aux impôts et redevances locales »), prévoit :
« 1. Les biens immobiliers ou ouvrages de construction suivants sont soumis à l’impôt foncier :
1) les terrains ;
2) les bâtiments ou leurs éléments ;
3) les constructions ou leurs éléments destinés à une activité économique.
2. Les terrains agricoles et les forêts, à l’exception de ceux qui sont utilisés pour une activité économique, ne sont pas soumis à l’impôt foncier. »
9 Selon l’article 2, paragraphe 3, point 4, de cette loi, sont exonérés de l’impôt foncier les terrains occupés par des voies de circulation publique, à l’exception de ceux liés à l’exercice d’une activité économique autre que l’entretien des voies publiques et de l’exploitation d’autoroutes payantes.
10 L’article 4 de ladite loi dispose :
« 1. Constituent la base imposable :
1) pour les terrains, la surface ;
2) pour les bâtiments ou leurs éléments, la surface utile ;
3) pour les constructions ou leurs éléments destinés à une activité économique, sous réserve des paragraphes 4 à 6, la valeur visée aux dispositions relatives à l’impôt sur le revenu, établie au 1er janvier de l’année fiscale, constituant la base de calcul de l’amortissement au cours de cette année, non diminuée par les amortissements et, dans le cas de constructions entièrement amorties, leur valeur au 1er janvier de l’année au cours de laquelle le dernier amortissement a été effectué.
[...] »
11 L’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), de la même loi prévoyait :
« Sont exonérés de l’impôt foncier :
1) les terrains, bâtiments et constructions faisant partie de l’infrastructure ferroviaire, au sens des dispositions sur le transport ferroviaire, qui :
a) est mise à la disposition des transporteurs ferroviaires ».
12 L’article 6, paragraphe 2, de l’ustawa o postępowaniu w sprawach dotyczących pomocy publicznej (loi sur la procédure en matière d’aides d’État), du 30 avril 2004 (Dz. U. de 2023, position 702), dispose :
« Les aides d’État prévues par un acte réglementaire qui subordonne le droit à une aide au seul respect des conditions qu’il prévoit, sans exiger une décision ou la conclusion d’un contrat, ou dans le cadre duquel la décision adoptée ne fait que confirmer l’acquisition de ce droit, peuvent être octroyées lorsque cet acte réglementaire est un régime d’aides approuvé par la Commission conformément à l’article 108 TFUE ou prévoit l’octroi d’aides qui ne sont pas soumises à l’obligation de
notification. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
13 La société E possède un embranchement ferroviaire particulier situé sur des terrains lui appartenant et est également propriétaire d’une partie de l’infrastructure de cet embranchement. Au cours de l’année 2021, cette société a manifesté son intention de mettre ledit embranchement à la disposition d’un transporteur ferroviaire, qui effectuerait des transports pour le compte de ladite société.
14 Celle-ci a considéré que, à partir de la date de cette mise à disposition, elle pourrait bénéficier de l’exonération de l’impôt foncier, prévue à l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), de la loi relative aux impôts et redevances locales, pour l’ensemble de ces terrains ainsi que pour des terrains qu’elle envisageait d’acquérir et qui sont aussi partiellement équipés d’un embranchement ferroviaire particulier. Dans ces conditions, elle a demandé au maire de Mielec un rescrit fiscal
confirmant que, à partir de cette date, elle pourrait bénéficier de cette exonération.
15 Par un rescrit fiscal du 14 juin 2021, le maire de Mielec a exclu la possibilité, pour la société E, de bénéficier de ladite exonération. Il a indiqué que, bien que cette société respecte, d’un point de vue formel, les conditions énoncées à cet article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), elle ne pouvait pas bénéficier de l’exonération prévue à cette disposition, dès lors que cela aurait eu pour effet d’accorder à ladite société une aide d’État n’ayant pas été soumise à la procédure de contrôle
préalable de la Commission.
16 La société E a alors introduit un recours contre ce rescrit fiscal devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Rzeszowie (tribunal administratif de voïvodie de Rzeszów, Pologne), qui a rejeté ce recours par un jugement du 19 octobre 2021. Cette juridiction a confirmé la position du maire de Mielec en ce que celui-ci a qualifié cette exonération d’« aide d’État » et constaté que cette aide n’avait pas été notifiée à la Commission, en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et de l’article 2
du règlement 2015/1589.
17 Cette société a alors formé un pourvoi en cassation contre ce jugement devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), qui est la juridiction de renvoi.
18 Cette juridiction explique que l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), de la loi relative aux impôts et redevances locales a élargi l’exonération de l’impôt foncier aux embranchements ferroviaires particuliers, notamment ceux qui constituent une infrastructure dite « privée », qui sont, notamment, situés dans des mines, des sites de production ou des centrales électriques, et font partie de l’ensemble du système de transport ferroviaire de marchandises. De tels embranchements ainsi que les
bâtiments faisant partie de leur infrastructure bénéficieraient de cette exonération à condition qu’ils soient mis à la disposition d’une entreprise ferroviaire. À cet égard, ladite juridiction indique que le législateur polonais a prévu un mécanisme pour inciter les entreprises à remettre en état les voies de service désaffectées et à recourir effectivement au transport ferroviaire, lequel n’entraîne pas d’émissions polluantes et offre plus de sécurité.
19 Elle considère que, même si, en raison de sa nature générale, ladite exonération se réfère, en principe, à un cercle illimité de bénéficiaires, des doutes subsisteraient quant au critère utilisé à cet article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), selon lequel l’entité économique concernée doit disposer d’un certain type d’infrastructure, ce qui, en pratique, bénéficie à des entreprises opérant dans certains secteurs, à savoir, notamment, des entreprises exploitant des mines, des centrales thermiques
ou des brasseries. L’application d’un tel critère, bien qu’ayant, à première vue, un caractère objectif, pourrait ainsi donner lieu à une sélectivité « cachée ».
20 En outre, la juridiction de renvoi précise que l’impôt foncier ne fait pas l’objet d’une harmonisation au niveau de l’Union, les États membres conservant donc la liberté de déterminer leur politique fiscale et la manière de fixer les taux de cet impôt. Dans le système juridique polonais, l’impôt foncier porterait sur les terrains autres que les terrains agricoles et forestiers, les bâtiments ou leurs éléments ainsi que les constructions ou leurs éléments liés à l’exercice d’une activité
économique. En l’occurrence, il s’agirait de savoir non pas si l’exonération de l’impôt foncier prévue à l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), de la loi relative aux impôts et redevances locales est compatible avec le droit de l’Union, mais si son application est permise dans la mesure où elle n’a pas été notifiée à la Commission, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, dont cette juridiction rappelle l’effet direct.
21 Enfin, ladite juridiction s’interroge sur le point de savoir si, dans l’hypothèse où cette exonération aurait été appliquée en méconnaissance de l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, une entreprise qui a bénéficié de ladite exonération serait tenue de rembourser les aides illégalement perçues, majorées des intérêts, ou si le principe de protection de la confiance légitime s’opposerait à un tel remboursement. À cet égard, elle indique que ce n’est qu’après avoir
appliqué pendant quatre années l’exonération en cause que les autorités fiscales polonaises ont commencé à refuser d’octroyer celle-ci en invoquant le non-respect de cette obligation.
22 Dans ces conditions, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) À la lumière de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, l’octroi, par un État membre à toutes les entreprises, d’un allègement fiscal tel que celui découlant de l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), de la [loi relative aux impôts et redevances locales], qui consiste à exonérer de l’impôt foncier les terrains, bâtiments et constructions faisant partie de l’infrastructure ferroviaire, au sens des dispositions sur le transport ferroviaire, qui est mise à la disposition des entreprises
ferroviaires, fausse-t-il ou menace-t-il de fausser la concurrence ?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, une entreprise qui a bénéficié d’une exonération fiscale sur la base de la disposition nationale susmentionnée, qui a été introduite en méconnaissance de la procédure exigée par l’article 108, paragraphe 3, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 du règlement [2015/1589], est-elle tenue de payer les arriérés d’impôt, majorés des intérêts ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité
23 Le gouvernement espagnol considère que la demande de décision préjudicielle est irrecevable. En effet, l’exonération fiscale prévue à l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), de la loi relative aux impôts et redevances locales viserait les terrains, bâtiments et constructions « faisant partie de l’infrastructure ferroviaire ». Or, selon la définition de la notion d’« infrastructure ferroviaire », figurant à l’article 3, point 3, de la directive 2012/34, lu en combinaison avec l’annexe I de
celle-ci, les embranchements particuliers seraient exclus de cette notion. Par conséquent, la société E, qui ne possède sur ses terrains qu’un embranchement particulier, ne serait pas en droit de bénéficier de cette exonération. Dans ces conditions, les questions posées à la Cour seraient dénuées de pertinence pour la solution du litige au principal.
24 Par ailleurs, le gouvernement polonais et la Commission estiment que la seconde question est irrecevable. En effet, il ressortirait de la demande de décision préjudicielle que la société E n’a pas bénéficié de ladite exonération. Ainsi, une réponse à la question de savoir si une entreprise qui a bénéficié d’une telle exonération est tenue de rembourser le montant de l’impôt foncier dont elle a été exonérée ainsi que les intérêts y afférant n’aurait aucune incidence sur l’issue du litige au
principal.
25 Il y a lieu, à cet égard, de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la
pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer [arrêt du 4 octobre 2024, Bezirkshauptmannschaft Landeck (Tentative d’accès aux données personnelles stockées sur un téléphone portable), C‑548/21, EU:C:2024:830, point 46 et jurisprudence citée].
26 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle présentée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de
fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2024, Bezirkshauptmannschaft Landeck (Tentative d’accès aux données personnelles stockées sur un téléphone portable), C‑548/21, EU:C:2024:830, point 47 et jurisprudence citée].
27 En l’occurrence, la première question porte sur l’interprétation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE dans le cadre d’un litige opposant la société E au maire de Mielec au sujet du refus de ce dernier de permettre à cette société de bénéficier de l’exonération fiscale prévue à l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), de la loi relative aux impôts et redevances locales, au motif que l’octroi de cette exonération constituerait une aide d’État illégale, celle-ci n’ayant pas été notifiée à la
Commission au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Il apparaît ainsi que cette interprétation a un rapport avec l’objet de ce litige et vise à résoudre un problème qui n’est pas de nature hypothétique. En outre, la Cour dispose des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à cette première question.
28 Par ailleurs, il convient de relever que, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2012/34, celle-ci établit, notamment, les règles applicables à la gestion de l’infrastructure ferroviaire, les critères applicables à la délivrance, à la prorogation ou à la modification, par un État membre, des licences destinées aux entreprises ferroviaires ainsi que les principes et les procédures applicables à la fixation et à la perception de redevances d’utilisation de l’infrastructure
ferroviaire ainsi qu’à la répartition des capacités de cette infrastructure. Selon l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, celle-ci s’applique à l’utilisation d’infrastructures ferroviaires pour les services ferroviaires nationaux et internationaux.
29 Il s’ensuit que ladite directive n’a manifestement pas vocation à s’appliquer dans le cadre d’un litige tel que celui au principal, qui porte sur l’éventuelle qualification d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, d’une mesure fiscale nationale prévoyant une exonération de l’impôt foncier.
30 Il est donc sans pertinence que, aux fins de l’application de la directive 2012/34, l’annexe I de cette directive exclue les embranchements particuliers de la notion d’« infrastructure ferroviaire », au sens de l’article 3, point 3, de ladite directive.
31 Il résulte des considérations qui précèdent que la première question est recevable.
32 La seconde question porte sur les obligations qui pèseraient sur une entreprise ayant bénéficié de l’exonération fiscale prévue à l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), de la loi relative aux impôts et redevances locales, dans le cas où cette exonération comporterait des éléments d’aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, au motif qu’elle aurait été octroyée sans que l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2
du règlement 2015/1589, ait été respectée.
33 À cet égard, il importe de relever que, ainsi que le gouvernement polonais et la Commission l’indiquent, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la société E n’a pas bénéficié de ladite exonération.
34 Or, il résulte d’une jurisprudence constante qu’il n’appartient pas à la Cour de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques [arrêt du 20 octobre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement de la victime de la traite d’êtres humains), C‑66/21, EU:C:2022:809, point 82 et jurisprudence citée].
35 Par conséquent, la seconde question est irrecevable.
Sur la première question
36 À titre liminaire, il convient, en premier lieu, de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’une mesure ne peut être qualifiée d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE que pour autant que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle
doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir, notamment, arrêt du 7 mars 2024, Fallimento Esperia et GSE, C‑558/22, EU:C:2024:209, point 62 ainsi que jurisprudence citée).
37 En l’occurrence, il y a lieu de relever que la première question, telle que formulée par la juridiction de renvoi, porte sur l’interprétation de la notion d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, uniquement au regard de la condition, prévue à cette disposition, tenant à ce que la mesure en cause fausse ou menace de fausser la concurrence. Cela étant, il ressort clairement des motifs de la demande de décision préjudicielle que cette juridiction émet également des doutes
quant à la condition, prévue à ladite disposition, que cette mesure confère un avantage sélectif à ses bénéficiaires, en ce qu’elle favoriserait certaines entreprises ou certaines productions.
38 Or, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle‑ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises [arrêt du 4 octobre 2024, Bezirkshauptmannschaft Landeck (Tentative d’accès aux données personnelles stockées sur un téléphone portable),
C‑548/21, EU:C:2024:830, point 60 et jurisprudence citée].
39 À cet égard, la Cour doit extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige [voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2024, Bezirkshauptmannschaft Landeck (Tentative d’accès aux données personnelles stockées sur un téléphone portable), C‑548/21, EU:C:2024:830, point 61 et jurisprudence citée].
40 Ainsi, il y a lieu de considérer que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une législation d’un État membre qui exonère de l’impôt foncier les terrains, bâtiments et constructions faisant partie de l’infrastructure ferroviaire, lorsque celle-ci est mise à la disposition des transporteurs ferroviaires, procure un avantage sélectif aux bénéficiaires de cette exonération et fausse ou menace
de fausser la concurrence.
41 En second lieu, il importe de rappeler, premièrement, que les interventions des États membres dans les domaines qui n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation en droit de l’Union, comme le domaine de la fiscalité directe, ne sont pas exclues du champ d’application des dispositions du traité FUE relatives au contrôle des aides d’État. Les États membres doivent ainsi s’abstenir d’adopter toute mesure fiscale susceptible de constituer une aide d’État incompatible avec le marché intérieur (voir, en
ce sens, arrêt du 10 septembre 2024, Commission/Irlande e.a., C‑465/20 P, EU:C:2024:724, point 73 ainsi que jurisprudence citée).
42 Deuxièmement, il ressort du dossier dont la Cour dispose que l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), de la loi relative aux impôts et redevances locales définit de manière générale et abstraite les bénéficiaires de l’exonération en cause au principal, laquelle peut leur être octroyée sur la seule base de cette disposition législative. Dans ces conditions, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si, en raison des modalités que l’exonération en cause au principal prévoit,
celle-ci assure un avantage sensible à ses bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter essentiellement à des entreprises qui participent aux échanges entre États membres (voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 1987, Allemagne/Commission, 248/84, EU:C:1987:437, point 18, ainsi que du 16 septembre 2021, Commission/Belgique et Magnetrol International, C‑337/19 P, EU:C:2021:741, point 77).
Sur la condition relative à l’avantage sélectif
43 Afin de déterminer si une mesure nationale est susceptible de conférer un avantage sélectif, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il convient d’examiner si, dans le cadre d’un régime juridique donné, cette mesure est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en
substance être qualifié de discriminatoire (arrêt du 10 septembre 2024, Commission/Irlande e.a., C‑465/20 P, EU:C:2024:724, point 75 ainsi que jurisprudence citée).
44 Partant, afin de qualifier une mesure fiscale telle que celle en cause au principal de « sélective », il importe d’identifier, dans un premier temps, le cadre de référence, à savoir le régime fiscal « normal » applicable dans l’État membre concerné, et de démontrer, dans un deuxième temps, que la mesure fiscale en cause déroge à ce cadre de référence, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce dernier, dans une
situation factuelle et juridique comparable. La notion d’« aide d’État » ne vise toutefois pas les mesures introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime juridique en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélectives, lorsque l’État membre concerné parvient à démontrer, dans un troisième temps, que cette différenciation est justifiée, en ce sens qu’elle résulte de la nature ou de
l’économie du système dans lequel ces mesures s’inscrivent (voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2018, A-Brauerei, C‑374/17, EU:C:2018:1024, points 36 et 44, ainsi que du 10 septembre 2024, Commission/Irlande e.a., C‑465/20 P, EU:C:2024:724, point 76 et jurisprudence citée).
45 Dans ce contexte, la détermination du cadre de référence revêt une importance accrue dans le cas de mesures fiscales, puisque l’existence d’un avantage économique, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » (arrêt du 10 septembre 2024, Commission/Irlande e.a., C‑465/20 P, EU:C:2024:724, point 77 ainsi que jurisprudence citée).
46 À cet égard, il importe de souligner, d’une part, que la détermination du cadre de référence doit découler d’un examen objectif du contenu, de l’articulation et des effets concrets des normes applicables en vertu du droit de cet État. La sélectivité d’une mesure fiscale ne peut être appréciée au regard d’un cadre de référence constitué de quelques dispositions du droit de l’État membre concerné qui ont été artificiellement sorties d’un cadre législatif plus large (voir, en ce sens, arrêt du
6 octobre 2021, Banco Santander e.a./Commission, C‑53/19 P et C‑65/19 P, EU:C:2021:795, point 62 ainsi que jurisprudence citée).
47 Par conséquent, lorsque la mesure fiscale en question est inséparable du système général d’imposition de l’État membre concerné, c’est à ce système qu’il convient de se référer. En revanche, lorsqu’il apparaît qu’une telle mesure est clairement détachable dudit système général, il ne peut être exclu que le cadre de référence devant être pris en compte soit plus restreint que le système général concerné, voire qu’il s’identifie à la mesure elle-même, lorsque celle-ci se présente comme une règle
dotée d’une logique juridique autonome et qu’il est impossible d’identifier un ensemble normatif cohérent en dehors de cette mesure (arrêt du 6 octobre 2021, Banco Santander e.a./Commission, C‑53/19 P et C‑65/19 P, EU:C:2021:795, point 63 ainsi que jurisprudence citée).
48 D’autre part, il convient de rappeler que, en dehors des domaines dans lesquels le droit fiscal de l’Union fait l’objet d’une harmonisation, c’est l’État membre concerné qui détermine, par l’exercice de ses compétences propres en matière de fiscalité directe et dans le respect de son autonomie fiscale, les caractéristiques constitutives de l’impôt, lesquelles définissent, en principe, le cadre de référence ou le régime fiscal « normal », à partir duquel il convient d’analyser la condition
relative à la sélectivité (voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 112, ainsi que du 10 septembre 2024, Commission/Irlande e.a., C‑465/20 P, EU:C:2024:724, point 81).
49 Cette détermination des caractéristiques constitutives de l’impôt inclut l’assiette de ce dernier, son fait générateur, mais aussi les éventuelles exonérations dont cet impôt est assorti [voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 112, ainsi que du 19 septembre 2024, Royaume-Uni e.a./Commission (Imposition des bénéfices des SEC), C‑555/22 P, C‑556/22 P et C‑564/22 P, EU:C:2024:763, point 96].
50 Dès lors que, en principe, les caractéristiques constitutives de l’impôt définissent le cadre de référence au regard duquel l’examen de la condition de sélectivité doit être effectué, une exonération générale et abstraite assortissant un impôt direct, telle que l’exonération en cause au principal, échappe normalement à la qualification d’« aide d’État ». En effet, dans la mesure où cette exonération est présumée être inhérente au régime fiscal « normal », elle ne saurait, en règle générale,
conférer un avantage sélectif, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
51 Un tel constat découle de l’autonomie reconnue aux États membres dans le domaine de la fiscalité directe, telle qu’elle a été rappelée au point 48 du présent arrêt, cette autonomie impliquant que ceux-ci disposent de la faculté de recourir à des catégorisations fiscales, et notamment à des exonérations fiscales, qu’ils estiment les plus aptes à réaliser les objectifs d’intérêt général qu’ils poursuivent, que ces objectifs aient ou non une nature fiscale. En effet, ainsi que Mme l’avocate générale
l’a indiqué, en substance, au point 33 de ses conclusions, dans le cadre de leur autonomie fiscale, les États membres peuvent légitimement poursuivre, par la fiscalité directe, outre un objectif purement budgétaire, un ou plusieurs autres objectifs, qui, le cas échéant, constituent, ensemble, l’objectif du cadre de référence pertinent.
52 Or, la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour considérer certaines aides comme étant compatibles avec le marché intérieur, au titre de l’article 107, paragraphe 3, TFUE (arrêt du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a., C‑284/21 P, EU:C:2023:58, point 94 ainsi que jurisprudence citée). Si l’exercice de ce pouvoir devait couvrir toute exonération fiscale générale et abstraite, il existerait dès lors un risque que l’appréciation de la Commission se substitue systématiquement à
celle des États membres en la matière et empiète, de ce fait, sur leur autonomie fiscale.
53 La conclusion figurant au point 50 du présent arrêt est toutefois sans préjudice de la possibilité de constater, d’une part, comme cela a été le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732), que le cadre de référence lui-même, tel qu’il découle du droit national, est incompatible avec le droit de l’Union en matière d’aides d’État, dès lors que le système fiscal en cause a
été configuré selon des paramètres manifestement discriminatoires, destinés à contourner ce droit (voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 114, ainsi que du 10 septembre 2024, Commission/Irlande e.a., C‑465/20 P, EU:C:2024:724, point 83).
54 D’autre part, par dérogation à ce qui a été exposé au point 50 du présent arrêt, une exonération générale et abstraite assortissant un impôt direct ne saurait être considérée comme relevant du régime fiscal « normal » lorsque les conditions fixées par la réglementation pertinente pour bénéficier de cette exonération se rapportent, en droit ou en fait, à une ou à plusieurs caractéristiques spécifiques de la seule catégorie d’entreprises susceptibles d’en bénéficier, ces caractéristiques étant
indissociablement liées à la nature de ces entreprises ou à celle de leurs activités. Est ainsi constituée une catégorie cohérente d’entreprises. Or, la circonstance que seule une telle catégorie cohérente d’entreprises soit susceptible de bénéficier d’une exonération fiscale est de nature à accréditer le caractère potentiellement discriminatoire et anticoncurrentiel de cette exonération, bien que le cadre de référence lui-même n’ait pas été configuré selon des paramètres manifestement
discriminatoires, au sens de la jurisprudence rappelée au point 53 du présent arrêt.
55 Tel est, notamment, le cas d’exonérations fiscales générales et abstraites qui sont réservées, en droit ou en fait, aux entreprises qui disposent d’une certaine structure capitalistique, qui sont actives dans un secteur géographique ou économique déterminé, qui ont une taille réduite ou, au contraire, disposent de ressources financières importantes ou encore qui n’emploient aucun salarié sur le territoire national (voir, en ce sens, arrêts du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a.,
C‑222/04, EU:C:2006:8, points 136 et 137 ; du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 104 à 106, ainsi que du 19 décembre 2018, A-Brauerei, C‑374/17, EU:C:2018:1024, points 31 et 38).
56 En revanche, lorsque les conditions prévues par un régime d’exonération fiscale ne se rapportent pas, en droit ou en fait, à des caractéristiques spécifiques de la seule catégorie d’entreprises susceptibles d’en bénéficier, indissociablement liées à la nature de ces entreprises ou à celle de leurs activités, ce régime relève du régime fiscal « normal ». En effet, les conditions d’octroi d’une telle exonération fiscale apparaissent comme étant neutres du point de vue concurrentiel, le fait que
certaines entreprises remplissent ces conditions, tandis que d’autres ne les remplissent pas, constituant une circonstance sans pertinence au regard des règles en matière d’aides d’État.
57 À cet égard, il convient de préciser que, certes, le fait de soumettre une exonération fiscale au respect de certaines conditions implique nécessairement que cette exonération bénéficie au seul groupe d’entreprises qui sont à même de les remplir. Toutefois, la Cour a déjà eu l’occasion de juger que le fait que seules les entreprises qui remplissent les conditions d’une mesure peuvent bénéficier de celle-ci ne saurait, en soi, conférer à cette mesure un caractère sélectif (voir, en ce sens, arrêts
du 29 mars 2012, 3M Italia, C‑417/10, EU:C:2012:184, points 41 et 42, ainsi que du 19 décembre 2018, A-Brauerei, C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 24 et jurisprudence citée).
58 Ceci implique notamment qu’une exonération fiscale dont l’application dépend des résultats des entreprises n’apparaît pas, en tant que telle, comme étant sélective (arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 80, 82 et 83). Pour autant que les conditions énoncées au point 56 du présent arrêt soient remplies, il en va, en principe, de même pour les exonérations fiscales dont l’application est subordonnée,
par exemple, à une certaine politique de recrutement ou à certaines démarches environnementales.
59 Par ailleurs, le fait qu’une exonération fiscale est octroyée indépendamment du fait que les assujettis à l’impôt auquel elle se rapporte exercent ou non une activité économique constitue un indice de ce que cette exonération relève du cadre de référence.
60 Il convient encore d’ajouter que, même lorsqu’elle doit être considérée comme ne relevant pas du cadre de référence, une exonération générale et abstraite assortissant un impôt direct n’en devient pas automatiquement sélective. En effet, dans une telle hypothèse, il convient de vérifier, comme Mme l’avocate générale l’a indiqué, en substance, au point 28 de ses conclusions et ainsi qu’il ressort du point 44 du présent arrêt, si les entreprises bénéficiaires de cette exonération se trouvent, au
regard de l’objectif poursuivi par ce cadre de référence, dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des entreprises qui n’en bénéficient pas. Si tel est le cas, ladite exonération sera considérée comme étant sélective, à moins qu’il puisse être démontré que la différenciation entre entreprises qui en découle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel la même exonération s’inscrit.
61 En l’occurrence, c’est au regard des considérations qui précèdent que la juridiction de renvoi doit examiner si l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), de la loi relative aux impôts et redevances locales, qui exonère de l’impôt foncier les terrains, bâtiments et constructions faisant partie de l’infrastructure ferroviaire, lorsque celle-ci est mise à la disposition des transporteurs ferroviaires, est susceptible de procurer un avantage sélectif aux entreprises bénéficiant de cette
exonération, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
62 À cet égard, premièrement, il ressort du dossier dont la Cour dispose que le régime juridique de l’impôt foncier, tel qu’il découle de cette loi, constitue le régime fiscal « normal » et, par conséquent, le cadre de référence applicable en l’occurrence.
63 Ainsi que le gouvernement polonais l’indique, ce régime est constitué d’un système de règles applicables à toutes les entités qui sont propriétaires ou détentrices de biens immobiliers, en définissant, notamment, l’objet et la base d’imposition, les contribuables ainsi que le taux d’imposition. En particulier, l’article 2, paragraphe 1, de ladite loi pose la règle selon laquelle les terrains, les bâtiments ou leurs éléments ainsi que les constructions ou leurs éléments destinés à une activité
économique sont soumis à l’impôt foncier.
64 Deuxièmement, il découle du point 54 du présent arrêt que l’exonération prévue à l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), de la même loi fait partie de ce cadre de référence sauf si les conditions d’octroi de cette exonération se rapportent, en droit ou en fait, à une ou à plusieurs caractéristiques spécifiques de la seule catégorie d’entreprises susceptibles d’en bénéficier, ces caractéristiques étant indissociablement liées à la nature de ces entreprises ou à celle de leurs activités et
permettant ainsi de considérer que lesdites entreprises font partie d’une catégorie cohérente.
65 L’exonération en cause au principal est accordée aux personnes soumises à l’impôt foncier à condition qu’elles possèdent un terrain, un bâtiment ou une construction faisant partie de l’infrastructure ferroviaire, qui est mise à la disposition des transporteurs ferroviaires.
66 Or, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, cette condition n’apparaît pas liée, en droit ou en fait, à une ou à plusieurs caractéristiques spécifiques des entreprises bénéficiaires de cette exonération, qui permettrait de regrouper l’ensemble de ces entreprises au sein d’une catégorie cohérente, au sens des points 54 et 64 du présent arrêt.
67 Au contraire, ladite exonération semble pouvoir être obtenue par tout contribuable qui possède un terrain, un bâtiment ou une construction faisant partie de l’infrastructure ferroviaire, qui est mise à la disposition des transporteurs ferroviaires, indépendamment du fait que le contribuable concerné exerce ou non une activité économique et, dans l’affirmative, de la nature de cette activité. Ainsi, la catégorie des bénéficiaires de l’exonération fiscale en cause au principal semble s’apparenter à
un ensemble disparate, composé tant d’opérateurs non économiques que d’entreprises, ces dernières étant, en outre, susceptibles de revêtir des formes juridiques et des dimensions très diverses ainsi que d’opérer dans des secteurs d’activité très variés.
68 Comme la juridiction de renvoi l’indique, cette exonération apparaît, ainsi, comme étant fondée sur un critère neutre s’appliquant indépendamment, entre autres, des secteurs ou des activités économiques des entreprises bénéficiaires ou de la forme juridique de celles-ci.
69 Il s’ensuit que, sous réserve de vérification par cette juridiction, ladite exonération doit être considérée comme faisant partie du cadre de référence applicable en l’occurrence.
70 Troisièmement, ce cadre de référence apparaît comme étant doté d’une logique juridique autonome disposant d’objectifs propres et comme ne pouvant être rattaché à un ensemble normatif cohérent qui lui soit extérieur.
71 En effet, outre ce qui a été indiqué aux points 62 et 63 du présent arrêt, il ressort de la demande de décision préjudicielle que le régime de l’impôt foncier poursuit non seulement une finalité budgétaire, essentielle à la fonction même de l’impôt, mais également, au moyen de l’exonération fiscale en cause au principal, un objectif de nature environnementale visant à inciter les entreprises concernées à remettre en état les voies de service ferroviaire désaffectées et à utiliser le transport
ferroviaire, lequel n’entraînerait pas d’émissions de dioxyde de carbone (CO2) et offrirait plus de sécurité que le transport routier.
72 Or, ainsi qu’il a été indiqué au point 51 du présent arrêt, dans le cadre de son autonomie fiscale, un État membre peut légitimement poursuivre, par la fiscalité directe, outre un objectif purement budgétaire, un ou plusieurs autres objectifs, qui, le cas échéant, constituent, ensemble, l’objectif du cadre de référence pertinent.
73 Enfin, il ne ressort d’aucun élément du dossier dont la Cour dispose que ce cadre de référence aurait été configuré selon des paramètres manifestement discriminatoires, destinés à contourner le droit de l’Union en matière d’aides d’État, au sens de la jurisprudence citée au point 53 du présent arrêt.
74 Partant, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il résulte de toutes les considérations qui précèdent, que l’exonération de l’impôt foncier prévue à l’article 7, paragraphe 1, point 1, sous a), de la loi relative aux impôts et redevances locales n’accorde pas un avantage sélectif aux entreprises bénéficiaires de cette exonération.
Sur la condition selon laquelle la mesure concernée doit fausser ou menacer de fausser la concurrence
75 Si la juridiction de renvoi devait aboutir à la conclusion que l’exonération en cause au principal confère un avantage sélectif, la question se poserait de savoir si cette exonération satisfait à la condition selon laquelle la mesure en cause doit fausser ou menacer de fausser la concurrence, mentionnée au point 36 du présent arrêt.
76 À cet égard, il importe de rappeler qu’il y a lieu non pas d’établir une distorsion effective de la concurrence, mais seulement d’examiner si cette mesure est susceptible de fausser la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 78, et du 27 janvier 2022, Fondul Proprietatea, C‑179/20, EU:C:2022:58, point 100).
77 Une telle condition est remplie dès qu’il existe, au moment de l’entrée en vigueur de ladite mesure, une situation de concurrence effective sur le marché concerné (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1, point 51 ainsi que jurisprudence citée), la circonstance qu’un secteur économique a fait l’objet d’une libéralisation au niveau de l’Union étant de nature à caractériser une incidence réelle ou potentielle des aides sur la concurrence (voir, en
ce sens, arrêt du 18 mai 2017, Fondul Proprietatea, C‑150/16, EU:C:2017:388, point 34).
78 En outre, la Cour a déjà jugé que les mesures qui, comme l’exonération en cause au principal, visent à libérer une entreprise des coûts qu’elle aurait normalement dû supporter dans le cadre de sa gestion courante ou de ses activités normales faussent en principe les conditions de concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 80).
79 Enfin, il y a lieu de rappeler qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si, eu égard aux caractéristiques générales de cette exonération, celle-ci fausse ou menace de fausser la concurrence, sans que cette juridiction soit tenue d’examiner la situation individuelle de chaque entreprise (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 122 ; du 28 octobre 2021, Eco Fox e.a.,
C‑915/19 à C‑917/19, EU:C:2021:887, point 57, ainsi que du 30 mai 2024, Autoridad Portuaria de Bilbao/Commission, C‑110/23 P, EU:C:2024:441, point 69).
80 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une législation d’un État membre qui exonère de l’impôt foncier les terrains, bâtiments et constructions faisant partie de l’infrastructure ferroviaire, lorsque celle-ci est mise à la disposition des transporteurs ferroviaires, n’apparaît pas comme étant une mesure qui procure un avantage sélectif aux bénéficiaires de cette exonération.
Sur les dépens
81 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
L’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une législation d’un État membre qui exonère de l’impôt foncier les terrains, bâtiments et constructions faisant partie de l’infrastructure ferroviaire, lorsque celle-ci est mise à la disposition des transporteurs ferroviaires, n’apparaît pas comme étant une mesure qui procure un avantage sélectif aux bénéficiaires de cette exonération.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.