ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
27 février 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile et commerciale – Règlement (UE) no 1215/2012 – Article 25, paragraphe 1 – Convention attributive de juridiction – Appréciation de la validité de la convention – Caractère imprécis et déséquilibré – Loi applicable – Notion de “nullité quant au fond” »
Dans l’affaire C‑537/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 13 avril 2023, parvenue à la Cour le 22 août 2023, dans la procédure
Società Italiana Lastre SpA (SIL)
contre
Agora SARL,
LA COUR (première chambre),
composée de M. T. von Danwitz, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, MM. A. Kumin (rapporteur) et A. Arabadjiev, juges,
avocat général : M. A. M. Collins,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Società Italiana Lastre SpA (SIL), par Me F. Boucard, avocat,
– pour le gouvernement français, par M. R. Bénard et Mme B. Dourthe, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement tchèque, par Mme A. Edelmannová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. S. Noë et W. Wils, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 25, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1, ci-après le « règlement Bruxelles I bis »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Società Italiana Lastre SpA (SIL) (ci-après « SIL »), une société de droit italien, à Agora SARL, une société de droit français, au sujet de la compétence des juridictions françaises pour connaître de l’appel en garantie formé par Agora à l’égard de SIL dans le cadre d’une action en responsabilité et en indemnité introduite contre ces deux sociétés.
Le cadre juridique
Le droit international
La convention de La Haye, du 30 juin 2005, sur les accords d’élection de for
3 L’article 5, paragraphe 1, de la convention de La Haye, du 30 juin 2005, sur les accords d’élection de for, signée le 1er avril 2009, dont la conclusion a été approuvée, au nom de l’Union européenne, par la décision 2014/887/UE du Conseil, du 4 décembre 2014 (JO 2014, L 353, p. 5), stipule :
« Le tribunal ou les tribunaux d’un État contractant désignés dans un accord exclusif d’élection de for sont compétents pour connaître d’un litige auquel l’accord s’applique, sauf si celui-ci est nul selon le droit de cet État. »
La convention de Lugano II
4 L’article 1 de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée le 30 octobre 2007 (ci‑après la « convention de Lugano II »), dont la conclusion a été approuvée, au nom de la Communauté européenne, par la décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008 (JO 2009, L 147, p. 1), prévoit :
« 1. La présente convention s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Elle ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.
[...]
3. Dans la présente convention, on entend par “État lié par la présente convention” tout État qui est partie contractante à la présente convention ou tout État membre de la Communauté européenne. Ce terme peut également désigner la Communauté européenne. »
5 Le titre II de cette convention, intitulé « Compétence », comprend notamment les sections 1 et 2 de celle-ci qui regroupent, respectivement, des règles de compétence générales et des règles de compétence spéciales.
6 L’article 23, paragraphe 1, de ladite convention dispose :
« Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État lié par la présente convention, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État lié par la présente convention pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ; ou
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. »
Le droit de l’Union
La convention de Bruxelles
7 L’article 17 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci-après la « convention de Bruxelles »), prévoyait :
« Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État contractant, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État contractant pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État sont seuls compétents. Cette convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite,
soit
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles,
soit
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.
[...]
Si une convention attributive de juridiction n’a été stipulée qu’en faveur de l’une des parties, celle-ci conserve le droit de saisir tout autre tribunal compétent en vertu de la présente convention.
[...] »
Le règlement Bruxelles I
8 L’article 23 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1, ci-après le « règlement Bruxelles I »), disposait, à son paragraphe 1 :
« Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. »
Le règlement Bruxelles I bis
9 Les considérants 4, 6, 15, 16 et 18 à 20 du règlement Bruxelles I bis énoncent :
« (4) [...] Des dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de garantir la reconnaissance et l’exécution rapides et simples des décisions rendues dans un État membre sont indispensables.
[...]
(6) Pour atteindre l’objectif de la libre circulation des décisions en matière civile et commerciale, il est nécessaire et approprié que les règles relatives à la compétence judiciaire, à la reconnaissance et à l’exécution des décisions soient déterminées par un instrument juridique de l’Union contraignant et directement applicable.
[...]
(15) Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les
conflits de compétence.
(16) Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. [...]
[...]
(18) S’agissant des contrats d’assurance, de consommation et de travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales.
(19) L’autonomie des parties à un contrat autre qu’un contrat d’assurance, de consommation et de travail pour lequel n’est prévue qu’une autonomie limitée quant à la détermination de la juridiction compétente devrait être respectée sous réserve des fors de compétence exclusifs prévus dans le présent règlement.
(20) Lorsque la question se pose de savoir si un accord d’élection de for en faveur d’une ou des juridictions d’un État membre est entaché de nullité quant à sa validité au fond, cette question devrait être tranchée conformément au droit de l’État membre de la ou des juridictions désignées dans l’accord, y compris conformément aux règles de conflit de lois de cet État membre. »
10 Aux termes de l’article 1er de ce règlement :
« 1. Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii).
2. Sont exclus de son application :
a) l’état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux ou les régimes patrimoniaux relatifs aux relations qui, selon la loi qui leur est applicable, sont réputés avoir des effets comparables au mariage ;
b) les faillites, concordats et autres procédures analogues ;
c) la sécurité sociale ;
d) l’arbitrage ;
e) les obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance ;
f) les testaments et les successions, y compris les obligations alimentaires résultant du décès. »
11 Le chapitre II dudit règlement, intitulé « Compétence », comprend notamment les sections 1 à 5 et 7 de celui-ci, intitulées respectivement « Dispositions générales », « Compétences spéciales », « Compétence en matière d’assurances », « Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », « Compétence en matière de contrats individuels de travail » et « Prorogation de compétence ».
12 L’article 15 du même règlement, qui figure dans le chapitre II, section 3, de celui-ci, prévoit :
« Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions :
[...]
2) qui permettent au preneur d’assurance, à l’assuré ou au bénéficiaire de saisir d’autres juridictions que celles indiquées à la présente section ;
[...] »
13 L’article 19 du règlement Bruxelles I bis, qui figure dans le chapitre II, section 4, de celui-ci, dispose :
« Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions :
[...]
2) qui permettent au consommateur de saisir d’autres juridictions que celles indiquées à la présente section ; [...]
[...] »
14 L’article 23 de ce règlement, qui figure dans le chapitre II, section 5, de celui-ci, est libellé comme suit :
« Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions :
[...]
2) qui permettent au travailleur de saisir d’autres juridictions que celles indiquées à la présente section. »
15 Aux termes de l’article 25 dudit règlement, qui figure dans le chapitre II, section 7, de celui-ci :
« 1. Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. La convention attributive de
juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ;
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.
[...]
4. Les conventions attributives de juridiction ainsi que les stipulations similaires d’actes constitutifs de trust sont sans effet si elles sont contraires aux dispositions des articles 15, 19 ou 23 ou si les juridictions à la compétence desquelles elles dérogent sont exclusivement compétentes en vertu de l’article 24.
[...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
16 Pour la réalisation d’un ouvrage commandé par deux personnes physiques, en tant que maîtres d’ouvrage, Agora a conclu un contrat portant sur la fourniture de panneaux de bardage avec SIL.
17 Ce contrat de fourniture comportait une convention attributive de juridiction (ci-après la « convention attributive de juridiction en cause »), qui stipulait que « [l]a compétence du tribunal de Brescia [(Italie)] s’appliquera à tout litige qui surgirait du présent contrat ou qui aurait un rapport avec ce dernier[, SIL] se réserv[ant] la faculté de procéder à l’égard de l’acheteur devant un autre tribunal compétent en Italie ou à l’étranger ».
18 Après avoir constaté des irrégularités dans l’exécution de l’ouvrage en cause, les maîtres d’ouvrage ont, aux mois de novembre 2019 et de janvier 2020, assigné notamment Agora et SIL en responsabilité et en indemnisation devant le tribunal de grande instance de Rennes (France).
19 Agora a appelé SIL en garantie. Sur le fondement de la convention attributive de juridiction en cause, SIL s’est opposé à cette demande de garantie en soulevant une exception d’incompétence internationale de la juridiction française.
20 Par ordonnance du 11 février 2021, le tribunal de grande instance de Rennes a rejeté cette exception d’incompétence. SIL a interjeté appel de cette décision.
21 Par arrêt du 4 novembre 2021, la cour d’appel de Rennes (France), sans examiner la validité de la clause d’attribution en cause au regard du droit italien, a confirmé ladite décision au motif que la convention attributive de juridiction en cause était illicite, dans la mesure où elle donnait à SIL un plus grand choix de juridictions à saisir qu’à Agora, sans préciser les éléments objectifs sur lesquels les parties s’étaient mises d’accord pour identifier la juridiction qui pouvait être saisie, de
telle sorte qu’elle offrait à SIL un choix discrétionnaire qui était contraire à l’objectif de prévisibilité auquel les clauses attributives de juridiction devraient satisfaire.
22 SIL a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant la Cour de cassation (France), la juridiction de renvoi. SIL fait valoir que la cour d’appel de Rennes a violé l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, dès lors que la validité d’une convention attributive de juridiction devrait être appréciée au regard du droit de l’État membre dont les juridictions sont désignées en vertu de celle-ci et, partant, en l’occurrence, au regard du droit italien, et non pas du droit
français.
23 À cet égard, la juridiction de renvoi s’interroge sur la portée exacte de l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du règlement Bruxelles I bis, en ce que cette disposition prévoit, en substance, qu’une convention attributive de juridiction doit en principe sortir ses effets, sauf si elle est « entachée de nullité quant au fond selon le droit de [l’État membre dont les juridictions sont désignées par cette convention] ».
24 En l’occurrence, se poserait, tout d’abord, la question de savoir si la validité d’une convention attributive de juridiction, contestée en raison de son caractère prétendument imprécis ou déséquilibré, doit être examinée au regard de critères autonomes tirés de l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis ainsi que des objectifs de prévisibilité et de sécurité juridique poursuivis par ce règlement ou si cet examen doit être effectué à l’aune des critères relatifs aux causes de
« nullité quant au fond » d’une telle convention, avec pour conséquence que cette validité devrait, conformément à cet article 25, paragraphe 1, première phrase, être appréciée en vertu du droit de l’État membre du juge désigné par cette convention. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi souhaite notamment savoir si la notion de « nullité quant au fond » doit être interprétée de manière restrictive, en ce sens que ces causes de nullité se limiteraient à la fraude, à l’erreur, au dol, à la
violence et à l’incapacité.
25 Ensuite, dans l’hypothèse où la validité d’une convention attributive de juridiction, contestée en raison de son caractère prétendument imprécis ou déséquilibré, devrait être examinée au regard de critères autonomes tirés de l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis ainsi que des objectifs de prévisibilité et de sécurité juridique poursuivis par ce règlement, la juridiction de renvoi souhaite savoir s’il convient d’interpréter cette disposition en ce sens qu’une convention
attributive de juridiction qui contraint l’une des parties à saisir le seul tribunal qu’elle désigne, alors qu’elle permet à l’autre partie de saisir, outre ce tribunal, toute autre juridiction compétente, est valide.
26 Enfin, si la validité d’une convention attributive de juridiction, contestée en raison de son caractère prétendument déséquilibré, devait être examinée au regard des critères relatifs aux causes de nullité « quant au fond » de cette convention, au sens de ladite disposition, la juridiction de renvoi demande quel est le droit national applicable pour apprécier cette validité si ladite convention permet à l’une des parties de saisir les juridictions de plusieurs États et que cette partie n’a pas
encore opéré de choix au jour où le juge est saisi.
27 Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) En présence d’une clause attributive de juridiction asymétrique offrant à l’une seulement des parties la possibilité d’opter pour une juridiction de son choix, compétente selon les règles de droit commun, autre que celle mentionnée par cette même clause, si l’autre partie soutient que cette clause est illicite en raison de son imprécision et/ou de son caractère déséquilibré, cette question doit-elle être tranchée au regard de règles autonomes tirées de l’article 25, [paragraphe] 1, du
règlement Bruxelles I bis et de l’objectif de prévisibilité et de sécurité juridique poursuivi par ce règlement, ou doit-elle être tranchée en faisant application du droit de l’État membre désigné par la clause [?] Autrement dit, cette question relève-t-elle, au sens de cet article, de la validité au fond de la clause ? Faut-il au contraire considérer que les conditions de validité au fond de la clause s’interprètent de manière restrictive et ne visent que les seules causes matérielles de
nullité, et principalement la fraude, l’erreur, le dol, la violence et l’incapacité ?
2) Si la question de l’imprécision ou du caractère déséquilibré de la clause doit être tranchée au regard de règles autonomes, l’article 25, [paragraphe] 1, du règlement Bruxelles I bis doit-il être interprété en ce sens qu’une clause qui n’autorise une partie à saisir qu’un seul tribunal, alors qu’elle permet à l’autre de saisir, outre ce tribunal, toute autre juridiction compétente selon le droit commun doit ou ne doit pas recevoir application ?
3) Si l’asymétrie d’une clause relève d’une condition de fond, comment faut-il interpréter ce texte et particulièrement le renvoi au droit de l’État de la juridiction désignée lorsque plusieurs juridictions sont désignées par la clause, ou lorsque la clause désigne une juridiction tout en laissant une option à l’une des parties pour choisir une autre juridiction et que ce choix n’a pas été encore fait au jour où le juge est saisi :
– la loi nationale applicable est-elle celle de la seule juridiction explicitement désignée, peu important que d’autres puissent également être saisies ?
– en présence d’une pluralité de juridictions désignées, est-il possible de se référer au droit de la juridiction effectivement saisie ?
– enfin, eu égard au considérant [20] du règlement Bruxelles I bis, faut-il comprendre que le renvoi au droit de la juridiction de l’État membre désigné s’entend des règles matérielles de cet État ou de ses règles de conflit de lois ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
28 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis doit être interprété en ce sens que, dans le cadre de l’appréciation de la validité d’une convention attributive de juridiction, les griefs tirés du caractère prétendument imprécis ou déséquilibré de cette convention doivent être examinés au regard des critères relatifs aux causes de « nullité quant au fond » de cette convention, définis par le droit des États
membres conformément à cette disposition, ou si l’examen de ces griefs doit être effectué à l’aune de critères autonomes qui se dégagent de cet article.
29 Aux termes de l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du règlement Bruxelles I bis, « [s]i les parties [...] sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre ».
30 Le règlement Bruxelles I bis ne définit pas la notion de « nullité quant au fond » ni ne procède à un renvoi au droit des États membres pour définir cette notion. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement
trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être établie conformément au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie [voir, en ce sens, arrêts du 10 juin 2021, Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs (Agent innocent), C‑279/19, EU:C:2021:473, point 23, et du 4 octobre 2024, AFAÏA, C‑228/23, EU:C:2024:829, point 39
ainsi que jurisprudence citée].
31 En premier lieu, selon son sens habituel dans le langage courant, l’expression « au fond » est employée, dans les jugements et dans les actes de procédure, pour annoncer que, après avoir examiné les questions de compétence, de forme et de recevabilité, le juge aborde les questions concernant l’objet même du procès, à savoir les questions de fait ou de droit que le juge doit trancher à la demande des parties.
32 Cela étant, il y a lieu de relever que, en ce que l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du règlement Bruxelles I bis prévoit que les juridictions dont les parties sont convenues pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé sont compétentes « sauf si » la convention attributive de juridiction est « entachée de nullité quant au fond » selon le droit de l’État membre dont les juridictions sont désignées, cette disposition se limite à prévoir une
règle de conflit de lois. Ainsi, cette disposition précise quel est le droit national applicable s’agissant du point de savoir si, en dépit du fait que l’ensemble des conditions de validité prévues à cet article sont remplies, une telle convention est nulle pour d’autres motifs relevant de ce droit national.
33 En deuxième lieu, s’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du règlement Bruxelles I bis, il convient de constater que le considérant 20 de celui-ci est libellé en des termes analogues à cette disposition, puisqu’il énonce que, « [l]orsque la question se pose de savoir si un accord d’élection de for en faveur d’une ou des juridictions d’un État membre est entaché de nullité quant à sa validité au fond, cette question devrait être tranchée
conformément au droit de l’État membre de la ou des juridictions désignées dans l’accord ».
34 Par ailleurs, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les dispositions de l’article 25 du règlement Bruxelles I bis, du fait qu’elles dérogent tant à la règle consacrée à l’article 4 de ce règlement, au titre de laquelle la compétence est déterminée par le principe général du for du défendeur, qu’à celle selon laquelle les compétences spéciales sont déterminées aux articles 7 à 9 dudit règlement, sont d’interprétation stricte quant aux conditions y fixées (voir, en ce
sens, arrêt du 8 mars 2018, Saey Home & Garden, C‑64/17, EU:C:2018:173, point 24).
35 Or, il y a lieu de relever que, outre la référence à la notion de « nullité quant au fond », l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis prévoit des conditions de validité propres aux conventions attributives de juridiction, tant sur le plan matériel, à savoir que « les parties [...] sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé », que formel.
36 Par conséquent, il convient de constater que cette notion vise les causes générales de nullité d’un contrat, à savoir notamment les vices de consentement, tels que l’erreur, le dol ou la violence, et l’incapacité de contracter, causes qui, à la différence des conditions de validité propres aux conventions attributives de juridiction, ne sont pas régies par le règlement Bruxelles I bis, mais par le droit de l’État membre dont les juridictions sont désignées.
37 En troisième lieu, l’interprétation de la notion de « nullité quant au fond » d’une convention attributive de juridiction comme visant uniquement sa nullité au regard des causes générales de nullité d’un contrat propres au droit national de la juridiction désignée par cette convention est conforme aux objectifs poursuivis par le règlement Bruxelles I bis.
38 En effet, ainsi qu’il ressort notamment des considérants 4, 6, 15 et 16 du règlement Bruxelles I bis, celui-ci vise à unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale dans un instrument juridique de l’Union contraignant et directement applicable. Il en ressort aussi que le législateur de l’Union a voulu adopter des règles de compétence présentant un haut degré de prévisibilité et de transparence en vue de renforcer la sécurité juridique et de faciliter la bonne
administration de la justice.
39 Or, la Cour a itérativement jugé que, en vue de promouvoir ces objectifs, en particulier celui ayant trait à la sécurité juridique, il y a lieu de renforcer la protection juridique des personnes établies dans l’Union, en permettant à la fois au demandeur d’identifier facilement la juridiction qu’il peut saisir et au défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait. Dans ce contexte, l’objectif de sécurité juridique exige que le juge national saisi puisse aisément se
prononcer sur sa propre compétence, sans être contraint de procéder à un examen de l’affaire au fond [arrêt du 29 juillet 2024, FTI Touristik (Élément d’extranéité), C‑774/22, EU:C:2024:646, point 33 et jurisprudence citée].
40 En quatrième lieu, l’interprétation retenue aux points 32 et 36 du présent arrêt est en adéquation avec la genèse de l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis. En effet, dans l’exposé des motifs de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [COM(2010) 748 final], à l’origine du règlement Bruxelles I bis, la Commission européenne a souligné, à la
page 9 de cet exposé, que la modification de l’article 23 du règlement Bruxelles I, qui est devenu l’article 25 du règlement Bruxelles I bis, avait vocation à introduire « une règle harmonisée de conflit de lois en matière de bien-fondé des accords d’élection de for, garantissant ainsi une décision similaire sur cette question quelle que soit la juridiction saisie [...] correspond[a]nt aux solutions arrêtées dans la convention de La Haye[, du 30 juin 2005,] sur les accords d’élection de for ».
41 En l’occurrence, les interrogations de la juridiction de renvoi portent sur la question de savoir si le caractère prétendument imprécis ou déséquilibré de la convention attributive de juridiction en cause est susceptible de constituer une cause de « nullité quant au fond », au sens de l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du règlement Bruxelles I bis, dont l’existence doit être examinée au regard du droit national du juge désigné par cette convention, ou si cette existence doit être
appréciée au regard de critères autonomes, tirés de cet article.
42 En ce qui concerne, en premier lieu, l’appréciation du caractère suffisamment précis d’une convention attributive de juridiction aux fins de la détermination d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître entre les parties, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, afférente à l’article 17, premier alinéa, première phrase, de la convention de Bruxelles et à l’article 23, paragraphe 1, première phrase, du règlement
Bruxelles I, que les termes « sont convenues », qui figurent à ces dispositions, ne sauraient être interprétés en ce sens qu’ils exigent qu’une telle clause soit formulée de sorte qu’il soit possible d’identifier la juridiction compétente par son seul libellé. Il est en effet suffisant que la clause identifie les éléments objectifs sur lesquels les parties se sont mises d’accord pour choisir le tribunal ou les tribunaux auxquels elles entendent soumettre leurs différends nés ou à naître. Ces
éléments, qui doivent être suffisamment précis pour permettre au juge saisi de déterminer s’il est compétent, peuvent être concrétisés, le cas échéant, par les circonstances propres à la situation examinée par ce juge (arrêts du 9 novembre 2000, Coreck, C‑387/98, EU:C:2000:606, point 15, et du 7 juillet 2016, Hőszig, C‑222/15, EU:C:2016:525, point 43).
43 De surcroît, la Cour a jugé, en substance, que, afin de faciliter la reconnaissance et l’exécution réciproques des décisions judiciaires, l’article 17, premier alinéa, première phrase, de la convention de Bruxelles comporte une exigence de précision à laquelle doit satisfaire une convention attributive de juridiction (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2000, Coreck, C‑387/98, EU:C:2000:606, point 17).
44 Il en résulte que, en vertu de l’article 17, premier alinéa, première phrase, de la convention de Bruxelles et de l’article 23, paragraphe 1, première phrase, du règlement Bruxelles I, la condition selon laquelle les parties « sont convenues » d’un tribunal ou de tribunaux d’un État contractant ou d’un État membre comporte une exigence de précision pour être valide.
45 Or, dans la mesure où l’article 25 du règlement Bruxelles I bis, qui, selon le tableau figurant à l’annexe III de ce règlement, correspond à l’article 23 du règlement Bruxelles I, comporte également les termes « sont convenues », cette jurisprudence est transposable à l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis (voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2024, Maersk et Mapfre España, C‑345/22 à C‑347/22, EU:C:2024:349, point 52 ainsi que jurisprudence citée), de sorte que, conformément à
cette dernière disposition, pour être valide, une convention attributive de juridiction doit notamment identifier, de manière suffisamment précise, les éléments objectifs sur lesquels les parties se sont mises d’accord pour désigner le tribunal ou les tribunaux auxquels elles entendent soumettre leurs différends nés ou à naître.
46 Par ailleurs, l’imposition d’une exigence de précision participe nécessairement à la réalisation des objectifs de prévisibilité, de transparence et de sécurité juridique énoncés aux considérants 15 et 16 du règlement Bruxelles I bis.
47 Partant, l’exigence de précision qui conditionne la validité d’une convention attributive de juridiction doit être examinée au regard non pas des critères relatifs aux causes de « nullité quant au fond », au sens de l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du règlement Bruxelles I bis, mais de critères autonomes qui se dégagent de cet article 25, tel qu’interprété par la Cour.
48 S’agissant, en second lieu, de l’appréciation du caractère prétendument déséquilibré d’une convention attributive de juridiction, il convient de relever que, conformément à l’article 25, paragraphe 4, du règlement Bruxelles I bis, les conventions attributives de juridiction sont sans effet notamment si elles ne respectent pas les conditions de validité énoncées aux articles 15, 19 ou 23 de ce règlement. Or, il résulte de ces derniers articles que demeure valide une convention attributive de
juridiction permettant à la partie la plus vulnérable à un contrat d’assurance, de consommation ou de travail, de saisir d’autres juridictions que celles qui sont en principe compétentes en vertu des dispositions des sections 3 à 5 du chapitre II dudit règlement dont relèvent respectivement lesdits articles. En revanche, en vertu de cet article 25, paragraphe 4, une telle convention est nulle lorsqu’elle prévoit une dérogation de compétence au bénéfice de l’assureur, du cocontractant du
consommateur ou de l’employeur.
49 Ainsi qu’il ressort, en substance, du considérant 18 du règlement Bruxelles I bis, les contrats d’assurance, de consommation et de travail sont caractérisés par un certain déséquilibre entre les parties, que les dispositions des articles 15, 19 et 23 de ce règlement visent à corriger en faisant bénéficier la partie plus faible de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales [voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2024, FTI Touristik (Élément
d’extranéité), C‑774/22, EU:C:2024:646, point 44].
50 Ainsi, en ce qui concerne ces contrats, l’article 25, paragraphe 4, du règlement Bruxelles I bis, lu en combinaison avec les articles 15, 19 et 23 de celui-ci, règle expressément les cas dans lesquels une convention attributive de juridiction déséquilibrée est valide et ceux dans lesquels elle ne l’est pas.
51 Partant, il convient de considérer que la validité d’une convention attributive de juridiction au regard de son caractère prétendument déséquilibré doit être examinée au regard non pas des critères relatifs aux causes de « nullité quant au fond », au sens de l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du règlement Bruxelles I bis, mais de critères autonomes qui se dégagent de cet article 25, tel qu’interprété par la Cour.
52 Cette interprétation n’est pas remise en cause par le fait que l’article 17 de la convention de Bruxelles prévoyait que, « si une convention attributive de juridiction n’a été stipulée qu’en faveur de l’une des parties, celle-ci conserve le droit de saisir tout autre tribunal compétent en vertu de la présente convention » et admettait, dès lors, implicitement la validité d’une convention attributive de juridiction en dépit de son caractère déséquilibré. Certes, ni l’article 23 du règlement
Bruxelles I ni l’article 25 du règlement Bruxelles I bis ne comportent de règle équivalente s’agissant de la validité d’une telle convention présentant un caractère déséquilibré. Cela étant, il suffit de relever, à l’instar de la Commission dans ses observations écrites, qu’il ressort de l’exposé de motifs de la proposition de règlement (CE) du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale présentée par la Commission
[COM(1999) 348 final, p. 19], à l’origine du règlement Bruxelles I, que l’objectif de la suppression de cette règle ne reflétait rien d’autre que le choix du législateur de l’Union « de confirmer que la compétence conférée par une clause d’élection de for est une compétence exclusive [...], tout en permettant que les parties puissent convenir que cette compétence n’est pas exclusive[, c]et assouplissement se justifi[ant] par le respect de l’autonomie de la volonté des parties ».
53 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis doit être interprété en ce sens que, dans le cadre de l’appréciation de la validité d’une convention attributive de juridiction, les griefs tirés du caractère prétendument imprécis ou déséquilibré de cette convention doivent être examinés non pas au regard des critères relatifs aux causes de « nullité quant au fond » de cette convention,
définis par le droit des États membres conformément à cette disposition, mais à l’aune de critères autonomes qui se dégagent de cet article.
Sur la deuxième question
54 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis doit être interprété en ce sens qu’une convention attributive de juridiction en vertu de laquelle l’une des parties à celle-ci ne peut saisir que le seul tribunal qu’elle désigne, tandis qu’elle permet à l’autre partie de saisir, outre ce tribunal, toute autre juridiction compétente, est valide.
55 En premier lieu, dans la mesure où, en l’occurrence, la convention attributive de juridiction en cause semble permettre à SIL la saisine de juridictions de différents États, en ce qu’elle prévoit que cette société se réserve la faculté de procéder « devant un autre tribunal compétent en Italie ou à l’étranger », il convient de relever que, si le libellé de l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du règlement Bruxelles I bis fait référence aux juridictions « d’un État membre », cette
disposition ne saurait pour autant être interprétée en ce sens que les parties doivent nécessairement désigner les juridictions d’un seul et même État membre.
56 En effet, imposer une telle limite contreviendrait à l’autonomie de la volonté des parties qui, ainsi qu’il ressort du considérant 19 du règlement Bruxelles I bis, doit être respectée, sous réserve, d’une part, des exceptions prévues à l’article 25, paragraphe 4, de ce règlement, lu en combinaison avec les articles 15, 19 et 23 de celui-ci, en matière de contrats d’assurance, de consommation et de travail, dans lesquelles les conventions attributives de juridictions ne peuvent déroger que de
manière limitée aux règles de compétence établies par ledit règlement, et, d’autre part, des fors bénéficiant d’une compétence exclusive, conformément à cet article 25, paragraphe 4, lu en combinaison avec l’article 24 du même règlement.
57 En outre, les fors compétents au titre des dispositions du chapitre II du règlement Bruxelles I bis confirment le fait que les parties peuvent, dans certaines situations, saisir des juridictions de plusieurs États membres. En effet, il ressort de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement, lus en combinaison avec les articles 7 et 8 de celui-ci, qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut non seulement être attraite devant les juridictions
de ce dernier, mais également devant celles d’un autre État membre, notamment si le lieu d’exécution de l’obligation contractuelle concernée, le lieu où le fait dommageable s’est produit ou encore le domicile d’un autre défendeur se trouve dans un tel autre État membre.
58 Ainsi, en l’occurrence, la validité de la convention attributive de juridiction en cause ne saurait être remise en cause au regard de l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis du fait que cette convention permet à une partie de saisir les juridictions de différents États membres ou États parties à la convention de Lugano II, au sens de l’article 23, paragraphe 1, première phrase, de cette dernière, lu en combinaison avec l’article 1, paragraphe 3, de celle-ci.
59 En deuxième lieu, il convient de relever qu’une convention attributive de juridiction désignant avec suffisamment de précision les juridictions des États membres ou des États parties à la convention de Lugano II pouvant être saisies, à savoir, d’une part, une juridiction en particulier et, d’autre part, les autres juridictions compétentes en vertu des dispositions du chapitre II, sections 1 et 2, du règlement Bruxelles I bis ainsi que du titre II, sections 1 et 2, de cette convention, satisfait à
l’exigence de précision découlant de l’article 25, paragraphe 1, de ce règlement ainsi que des objectifs de prévisibilité, de transparence et de sécurité juridique énoncés aux considérants 15 et 16 dudit règlement. En effet, il s’agit, en réalité, d’un renvoi aux règles générales de compétence prévues par le même règlement et par ladite convention.
60 Cela étant, il convient de préciser que, si, en ce qu’elle vise « un autre tribunal compétent [...] à l’étranger », la convention attributive de juridiction en cause devait être interprétée en ce sens qu’elle désignerait également une ou plusieurs juridictions d’un ou de plusieurs États qui ne seraient ni membres de l’Union ni parties à la convention de Lugano II, elle serait, en ce cas, contraire au règlement Bruxelles I bis. En effet, cette convention attributive de juridiction méconnaîtrait
alors les objectifs de prévisibilité, de transparence et de sécurité juridique visés aux considérants 15 et 16 de ce règlement, dans la mesure où le droit de l’Union ne permettrait pas, à lui seul, de désigner les juridictions compétentes, cette désignation étant, le cas échéant, tributaire de l’application de règles de droit international privé de pays tiers.
61 Or, en pareille hypothèse, il existe un risque accru de conflits de compétence préjudiciables à la sécurité juridique, l’application de ces règles nationales étant susceptible de conduire à des solutions divergentes (voir, en ce sens, arrêt du 8 février 2024, Inkreal, C‑566/22, EU:C:2024:123, point 31).
62 Partant, la convention attributive de juridiction en cause n’est susceptible de répondre à l’exigence de précision, au regard de la jurisprudence mentionnée au point 42 du présent arrêt, que dans la mesure où elle peut être interprétée en ce sens qu’elle désigne le tribunal de Brescia et les juridictions compétentes des États membres ou des États parties à la convention de Lugano II pour connaître des différends entre les parties.
63 En troisième lieu, en ce qui concerne la validité d’une convention attributive de juridiction conférant plus de droits à une partie qu’à l’autre, il y a lieu de considérer que, sauf dans les cas expressément interdits par le règlement Bruxelles I bis, le caractère déséquilibré d’une telle convention n’est pas de nature à remettre en cause sa validité sur la base des exigences énoncées à l’article 25 de ce règlement.
64 En effet, l’article 25 du règlement Bruxelles I bis est, tout comme la convention de Bruxelles ainsi que le règlement Bruxelles I, fondé sur le principe de l’autonomie de la volonté des parties (voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 2000, Coreck, C‑387/98, EU:C:2000:606, point 14 ; du 7 février 2013, Refcomp, C‑543/10, EU:C:2013:62, point 26, et du 18 novembre 2020, DelayFix, C‑519/19, EU:C:2020:933, point 38). Or, ainsi qu’il ressort du point 56 du présent arrêt, il doit être déduit du
considérant 19 du règlement Bruxelles I bis que le législateur de l’Union a entendu privilégier le respect de ce principe, de sorte qu’il convient de se conformer au choix des parties, sous réserve des exceptions établies à l’article 25, paragraphe 4, de ce règlement, lu en combinaison avec les articles 15, 19, 23 et 24 de celui-ci. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des points 48 à 50 du présent arrêt, ces articles 15, 19 et 23, auxquels renvoie cet article 25, paragraphe 4, permettent
explicitement la conclusion de conventions attributives de juridiction déséquilibrées en faveur respectivement de la partie la plus vulnérable à un contrat d’assurance, de consommation ou de travail. Ainsi, le caractère déséquilibré d’une telle convention ne la rend pas pour autant illicite, si les parties ont librement consenti à celle-ci.
65 En l’occurrence, sous réserve de vérifications par la juridiction de renvoi, la convention attributive de juridiction en cause ne semble ni être contraire aux dispositions des articles 15, 19 ou 23 du règlement Bruxelles I bis ni déroger à une compétence exclusive au titre de l’article 24 de celui-ci, de sorte qu’elle ne serait pas contraire à l’article 25 de ce règlement, nonobstant son caractère déséquilibré.
66 En tout état de cause, il ressort de l’article 25, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement Bruxelles I bis que la compétence de la juridiction désignée par la convention attributive de juridiction n’est exclusive que sauf convention contraire des parties. Partant, la circonstance que, aux termes de la convention attributive de juridiction en cause, seule Agora serait contrainte de respecter cette compétence exclusive dévolue au tribunal de Brescia n’apparaîtrait pas, en soi, contraire à cet
article 25.
67 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 25, paragraphes 1 et 4, du règlement Bruxelles I bis doit être interprété en ce sens qu’une convention attributive de juridiction en vertu de laquelle l’une des parties à celle-ci ne peut saisir que le seul tribunal qu’elle désigne, tandis qu’elle permet à l’autre partie de saisir, outre ce tribunal, toute autre juridiction compétente, est valide, dans la mesure où, premièrement, elle désigne
les juridictions d’un ou de plusieurs États qui sont soit membres de l’Union soit parties à la convention de Lugano II, deuxièmement, elle identifie des éléments objectifs suffisamment précis pour permettre au juge saisi de déterminer s’il est compétent et, troisièmement, elle n’est pas contraire aux dispositions des articles 15, 19 ou 23 de ce règlement et ne déroge pas à une compétence exclusive au titre de l’article 24 de celui-ci.
Sur la troisième question
68 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.
Sur les dépens
69 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
1) L’article 25, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,
doit être interprété en ce sens que :
dans le cadre de l’appréciation de la validité d’une convention attributive de juridiction, les griefs tirés du caractère prétendument imprécis ou déséquilibré de cette convention doivent être examinés non pas au regard des critères relatifs aux causes de « nullité quant au fond » de cette convention, définis par le droit des États membres conformément à cette disposition, mais à l’aune de critères autonomes qui se dégagent de cet article.
2) L’article 25, paragraphes 1 et 4, du règlement no 1215/2012
doit être interprété en ce sens que :
une convention attributive de juridiction en vertu de laquelle l’une des parties à celle-ci ne peut saisir que le seul tribunal qu’elle désigne, tandis qu’elle permet à l’autre partie de saisir, outre ce tribunal, toute autre juridiction compétente, est valide, dans la mesure où, premièrement, elle désigne les juridictions d’un ou de plusieurs États qui sont soit membres de l’Union européenne soit parties à la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des
décisions en matière civile et commerciale, signée le 30 octobre 2007, et dont la conclusion a été approuvée, au nom de la Communauté européenne, par la décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008, deuxièmement, elle identifie des éléments objectifs suffisamment précis pour permettre au juge saisi de déterminer s’il est compétent et, troisièmement, elle n’est pas contraire aux dispositions des articles 15, 19 ou 23 de ce règlement et ne déroge pas à une compétence exclusive au titre de
l’article 24 de celui-ci.
von Danwitz
Kumin
Arabadjiev
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 février 2025.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président
K. Lenaerts
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( *1 ) Langue de procédure : le français.