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23/01/2025 | CJUE | N°C-421/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Procédure pénale contre EX., 23/01/2025, C-421/23


 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

23 janvier 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Travailleurs migrants – Sécurité sociale – Législation applicable – Travailleurs détachés – Documents revêtant la forme de certificats A 1 prétendument émis par l’institution compétente pour délivrer ces certificats – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 76, paragraphe 6 – Obligation des autorités de l’État membre d’accueil d’enclencher une procédure de dialogue et de conciliation aux fins de la détermination de l’existence de fraud

es »

Dans l’affaire C‑421/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 T...

 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

23 janvier 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Travailleurs migrants – Sécurité sociale – Législation applicable – Travailleurs détachés – Documents revêtant la forme de certificats A 1 prétendument émis par l’institution compétente pour délivrer ces certificats – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 76, paragraphe 6 – Obligation des autorités de l’État membre d’accueil d’enclencher une procédure de dialogue et de conciliation aux fins de la détermination de l’existence de fraudes »

Dans l’affaire C‑421/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour d’appel de Liège (Belgique), par décision du 25 mai 2023, parvenue à la Cour le 10 juillet 2023, dans la procédure pénale contre

EX

en présence de :

Ministère public,

Office national de sécurité sociale (ONSS)

LA COUR (septième chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de la première chambre, faisant fonction de président de la septième chambre, Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), présidente de la cinquième chambre, et M. J. Passer, juge,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le ministère public, par M. J. Deumer, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement belge, par M. S. Baeyens, Mmes C. Pochet et L. Van den Broeck, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement portugais, par Mmes C. Alves, P. Barros da Costa, A. Pimenta et E. Silveira, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme F. Clotuche-Duvieusart et M. B.-R. Killmann, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 76, paragraphe 6, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 (JO 2012, L 149, p. 4) (ci‑après le « règlement no 883/2004 »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre EX pour, notamment, la commission de fraudes en matière de cotisations de sécurité sociale.

Le cadre juridique

Le règlement no 883/2004

3 L’article 1er, sous l), du règlement no 883/2004 définit le terme « législation », aux fins de ce règlement, comme désignant, pour chaque État membre, les lois, règlements et autres dispositions légales et toutes autres mesures d’application qui concernent les branches de sécurité sociale visées à l’article 3, paragraphe 1, dudit règlement.

4 L’article 2 du règlement no 883/2004 dispose :

« 1.   Le présent règlement s’applique aux ressortissants de l’un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants.

2.   En outre, le présent règlement s’applique aux survivants des personnes qui ont été soumises à la législation d’un ou de plusieurs États membres, quelle que soit la nationalité de ces personnes, lorsque leurs survivants sont des ressortissants de l’un des États membres ou bien des apatrides ou des réfugiés résidant dans l’un des États membres. »

5 L’article 3 du règlement no 883/2004, intitulé « Champ d’application matériel », prévoit, à son paragraphe 1, que ce règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui y sont énumérées.

6 Le titre II du même règlement, intitulé « Détermination de la législation applicable », comporte les articles 11 à 16 de celui-ci.

7 L’article 11 du règlement no 883/2004 prévoit :

« 1.   Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre.

[...]

3.   Sous réserve des articles 12 à 16 :

a) la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre ;

[...] »

8 L’article 12, paragraphe 1, de ce règlement est ainsi libellé :

« La personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que cette personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée. »

9 Aux termes de l’article 72, sous a), dudit règlement, la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci‑après la « commission administrative ») est chargée notamment de traiter toute question administrative ou d’interprétation découlant des dispositions du même règlement ou de celles de son règlement d’application.

10 L’article 76 du règlement no 883/2004, intitulé « Coopération », dispose :

« [...]

3.   Aux fins du présent règlement, les autorités et les institutions des États membres peuvent communiquer directement entre elles ainsi qu’avec les personnes intéressées ou leurs mandataires.

4.   Les institutions et les personnes couvertes par le présent règlement sont tenues à une obligation mutuelle d’information et de coopération pour assurer la bonne application du présent règlement.

Les institutions, conformément au principe de bonne administration, répondent à toutes les demandes dans un délai raisonnable et communiquent, à cet égard, aux personnes concernées toute information nécessaire pour faire valoir les droits qui leur sont conférés par le présent règlement.

[...]

6.   En cas de difficultés d’interprétation ou d’application du présent règlement, susceptibles de mettre en cause les droits d’une personne couverte par celui-ci, l’institution de l’État membre compétent ou de l’État membre de résidence de l’intéressé contacte la ou les institutions du ou des États membres concernés. À défaut d’une solution dans un délai raisonnable, les autorités concernées peuvent saisir la commission administrative. »

Le règlement no 987/2009

11 L’article 5 du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2009, L 284, p. 1), tel que modifié par le règlement no 465/2012 (ci‑après le « règlement no 987/2009 »), intitulé « Valeur juridique des documents et pièces justificatives établis dans un autre État membre », prévoit :

« 1.   Les documents établis par l’institution d’un État membre qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application du [règlement no 883/2004] et du [présent règlement], ainsi que les pièces justificatives y afférentes, s’imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre où ils ont été établis.

2.   En cas de doute sur la validité du document ou l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution de l’État membre qui reçoit le document demande à l’institution émettrice les éclaircissements nécessaires et, le cas échéant, le retrait dudit document. L’institution émettrice réexamine ce qui l’a amenée à établir le document et, au besoin, le retire.

3.   En application du paragraphe 2, en cas de doute sur les informations fournies par les intéressés, sur le bien‑fondé d’un document ou d’une pièce justificative, ou encore sur l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution du lieu de séjour ou de résidence procède, pour autant que cela soit possible, à la demande de l’institution compétente, à la vérification nécessaire desdites informations ou dudit document.

4.   À défaut d’un accord entre les institutions concernées, les autorités compétentes peuvent saisir la commission administrative au plus tôt un mois après la date à laquelle l’institution qui a reçu le document a présenté sa demande. La commission administrative s’efforce de concilier les points de vue dans les six mois suivant sa saisine. »

12 L’article 19, paragraphe 2, du règlement no 987/2009 est libellé comme suit :

« À la demande de la personne concernée ou de l’employeur, l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable en vertu d’une disposition du titre II du [règlement no 883/2004] atteste que cette législation est applicable et indique, le cas échéant, jusqu’à quelle date et à quelles conditions. »

Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

13 EX, un entrepreneur portugais, a, par l’intermédiaire de plusieurs sociétés, employé 650 travailleurs de nationalité portugaise qui ont été détachés sur le territoire du Royaume de Belgique, au cours des années 2012 à 2017, pour travailler sur des chantiers de construction dans cet État membre. Un tel détachement a été effectué au moyen, notamment, de documents revêtant la forme de certificats A 1 prétendument émis, au titre du règlement no 883/2004, par l’institution portugaise compétente pour
délivrer ce type de certificats, afin d’attester, en application de l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 987/2009, l’affiliation des travailleurs concernés au régime de sécurité sociale portugais pendant la période de détachement (ci-après la « période litigieuse »).

14 Par un jugement du 10 novembre 2021, le tribunal de première instance de Namur (Belgique) a déclaré EX coupable de plusieurs infractions, dont, notamment, la commission de fraudes en matière de cotisations de sécurité sociale et l’usage de faux documents.

15 Dans ce contexte, cette juridiction a constaté, premièrement, que les documents revêtant la forme de certificats A 1 produits par EX étaient de faux documents qui n’avaient pas été émis par les autorités portugaises, ce que le prévenu au principal n’a pas contesté, deuxièmement, que les sociétés, créées ou gérées par ce dernier, par l’intermédiaire desquelles les travailleurs concernés ont été détachés en Belgique n’exerçaient aucune activité substantielle au Portugal dans le secteur de la
construction et n’avaient d’autre objet que celui de pourvoir de la main-d’œuvre à bon marché en Belgique et, troisièmement, que l’institution portugaise compétente pour émettre des certificats A 1 avait confirmé que ces sociétés soit n’avaient pas demandé la délivrance de tels certificats, soit s’étaient vu refuser une telle délivrance en raison de l’inexistence d’activités substantielles desdites sociétés au Portugal dans le secteur de la construction.

16 Tant le prévenu au principal que le ministère public (Belgique) ont interjeté appel de ce jugement devant la cour d’appel de Liège (Belgique), qui est la juridiction de renvoi.

17 Dans le cadre de cet appel, EX, qui ne conteste pas que les documents revêtant la forme de certificats A 1 qu’il a produits sont de faux documents, ainsi qu’il ressort du jugement du tribunal de première instance de Namur du 10 novembre 2021, fait valoir que, en cas d’indices de fraude, hypothèse qui, selon lui, engloberait le cas d’usage de faux certificats A 1, la procédure de dialogue et de conciliation visée à l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 constitue un préalable
obligatoire afin de constater l’existence d’une telle fraude.

18 La juridiction de renvoi rappelle la jurisprudence de la Cour, issue notamment de l’arrêt du 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff (C‑620/15, EU:C:2017:309), qui consacre le principe de l’unicité de la législation applicable à la couverture de sécurité sociale et la compétence exclusive de l’institution émettrice, en cas d’indices de fraude, quant à l’appréciation de la validité des certificats A 1 qu’elle a émis. Par ailleurs, cette juridiction renvoie à l’arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling
Airlines (C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260), dont il ressortirait que ladite procédure de dialogue et de conciliation constitue un préalable obligatoire afin de déterminer si les conditions de l’existence d’une fraude sont réunies.

19 Cette juridiction s’interroge toutefois sur l’application des principes issus de cette jurisprudence dans des circonstances telles que celles en cause au principal dans lesquelles, d’une part, la juridiction de première instance a constaté que les documents revêtant la forme de certificats A 1 en cause n’ont pas été émis par l’institution mentionnée dans ces documents, sans que ce constat soit contesté dans le cadre de l’appel, et, d’autre part, des cotisations ont été versées au système de
sécurité sociale portugais au cours de la période litigieuse alors que, selon le ministère public et l’Office national de sécurité sociale (ONSS) (Belgique), les sociétés par l’intermédiaire desquelles EX a détaché les travailleurs concernés en Belgique n’ont jamais exercé d’activité substantielle au Portugal.

20 Dans ces conditions, la cour d’appel de Liège a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Le [règlement no 883/2004] doit-il [être interprété] comme s’appliquant dans l’hypothèse où il a été jugé, sans que des contestations aient été émises sur ce point par les parties, que, d’une part, les certificats A 1 qui ont été produits sont faux selon les autorités judiciaires de l’État [membre] d’accueil, et d’autre part, les devoirs d’enquête réalisés par les autorités judiciaires du même État [membre] d’accueil paraissent démontrer que les certificats litigieux ne sont pas l’œuvre de
l’autorité compétente de l’État [membre] d’émission et ce, alors même que cette dernière a perçu des cotisations de sécurité sociale ?

2) Dans l’affirmative, la procédure de dialogue et de conciliation instaurée par l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 (qui reprend la procédure visée à l’article 84 bis, paragraphe 3, du [règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO 1971, L 149, p. 2)]) est-elle un préalable
obligatoire aux fins de déterminer si les conditions de l’existence d’une fraude sont réunies ?

3) Si les réponses à ces deux questions étaient positives, en application du principe d’interdiction de la fraude et de l’abus de droit, qui constitue un principe général du droit de l’Union dont le respect s’impose aux justiciables, les autorités de l’État [membre] où les salariés ont exercé leur activité peuvent-elles ne pas tenir compte desdits certificats A 1, en ce compris en l’absence de recours à la procédure de dialogue et de conciliation en cas de suspicion de fraude, dans l’hypothèse où
les faits soumis à leur appréciation permettent de constater que lesdits certificats ont été produits à la suite d’un comportement jugé, par une autorité judiciaire de l’État [membre] d’accueil, comme frauduleux de l’employeur ? »

21 Le 24 avril 2024, la Cour a adressé une demande d’informations à la juridiction de renvoi afin que cette dernière précise si le tribunal de première instance de Namur s’est fondé sur les éléments relatifs à la coopération entre les institutions belge et portugaise compétentes, figurant dans les observations déposées par les gouvernements belge et portugais, pour constater, notamment, que l’ensemble des documents revêtant la forme de certificats A 1 produits par le prévenu au principal
constituaient de faux documents. À la suite de cette demande, la juridiction de renvoi a transmis à la Cour une copie du jugement du 10 novembre 2021 mentionné au point 14 du présent arrêt.

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

22 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que, dans une situation dans laquelle des ressortissants d’un État membre employés par un entrepreneur établi dans cet État membre effectuent, au moyen de documents revêtant la forme de certificats A 1 prétendument émis par l’institution dudit État membre compétente pour délivrer ce type de certificats, un travail pour le compte de cet entrepreneur dans un autre
État membre, pour lequel cette institution perçoit des cotisations de sécurité sociale, ce règlement s’applique, y compris lorsque, dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre ledit entrepreneur, devant les juridictions de ce dernier État membre, pour la commission de fraudes en matière de sécurité sociale, ces juridictions constatent, sans être contredites par le même entrepreneur, que ces documents sont de faux documents.

23 Il convient de relever que, afin de statuer sur la commission de fraudes en matière de sécurité sociale, dans le cadre d’une procédure pénale engagée, dans l’État membre dans lequel le travail est effectué, contre un entrepreneur pour avoir eu recours de manière frauduleuse au détachement de travailleurs, une juridiction nationale saisie de cette procédure doit notamment déterminer si la législation de sécurité sociale de cet État membre est applicable aux travailleurs concernés.

24 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, lu à la lumière de l’article 1er, sous l), de ce règlement, les personnes auxquelles celui-ci est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre relative aux branches de sécurité sociale énumérées à l’article 3, paragraphe 1, dudit règlement. Selon ledit article 11, paragraphe 1, cette législation est déterminée conformément au titre II dudit règlement.

25 Par conséquent, dès lors qu’une personne relève du champ d’application personnel du règlement no 883/2004, tel qu’il est défini à l’article 2 de ce dernier, la règle d’unicité de la législation nationale de sécurité sociale applicable, énoncée à l’article 11, paragraphe 1, de ce règlement, est en principe pertinente (arrêt du 8 mai 2019, Inspecteur van de Belastingdienst, C‑631/17, EU:C:2019:381, point 20 et jurisprudence citée).

26 Or, eu égard au libellé de l’article 2 du règlement no 883/2004, tel est manifestement le cas des ressortissants d’un État membre employés par un entrepreneur établi dans cet État membre, qui effectuent un travail pour le compte de cet entrepreneur dans un autre État membre, pour lequel l’institution compétente en matière de sécurité sociale du premier État membre perçoit des cotisations de sécurité sociale.

27 Partant, une juridiction nationale saisie dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre un tel entrepreneur pour la commission de fraudes en matière de sécurité sociale doit appliquer le règlement no 883/2004.

28 En particulier, cette juridiction doit, notamment, vérifier si les conditions auxquelles le règlement no 883/2004 subordonne le détachement de travailleurs, telles qu’énoncées à l’article 12, paragraphe 1, de ce règlement, sont remplies, de telle sorte que les travailleurs concernés seraient soumis à la législation de sécurité sociale de l’État membre dans lequel l’entrepreneur concerné est établi ou si, au contraire, ces conditions font défaut, de telle sorte que ces travailleurs seraient, en
vertu de l’article 11, paragraphe 3, sous a), dudit règlement, soumis à la législation de sécurité sociale de l’État membre dont relève ladite juridiction.

29 L’existence de documents revêtant la forme de certificats A 1 prétendument émis, à l’égard de travailleurs, par l’institution compétente de l’État membre dans lequel l’entrepreneur concerné est établi, tout comme le fait que ces documents ont été considérés, par la juridiction nationale saisie en première instance dans le cadre de la procédure pénale engagée contre cet entrepreneur, comme étant de faux documents, sans être contredite par cet entrepreneur, ne modifient en rien l’applicabilité du
règlement no 883/2004 dans le cadre de cette procédure pénale.

30 En effet, il suffit de constater que l’article 2 de ce règlement n’exige pas de disposer d’un certificat A 1 pour relever de son champ d’application personnel.

31 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que le règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que, dans une situation dans laquelle des ressortissants d’un État membre employés par un entrepreneur établi dans cet État membre effectuent, au moyen de documents revêtant la forme de certificats A 1 prétendument émis par l’institution dudit État membre compétente pour délivrer ce type de certificats, un travail pour le compte de cet entrepreneur
dans un autre État membre, pour lequel cette institution perçoit des cotisations de sécurité sociale, ce règlement s’applique, y compris lorsque, dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre ledit entrepreneur, devant les juridictions de ce dernier État membre, pour la commission de fraudes en matière de sécurité sociale, ces juridictions constatent, sans être contredites par le même entrepreneur, que ces documents sont de faux documents.

Sur la deuxième question

32 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que, dans une situation dans laquelle des ressortissants d’un État membre employés par un entrepreneur établi dans cet État membre effectuent, au moyen de documents revêtant la forme de certificats A 1 prétendument émis par l’institution dudit État membre compétente pour délivrer ce type de certificats, un travail pour le compte de cet
entrepreneur dans un autre État membre, pour lequel cette institution perçoit des cotisations de sécurité sociale, la procédure de dialogue et de conciliation visée à cette disposition constitue un préalable obligatoire à la constatation, par une juridiction de ce dernier État membre, saisie dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre ledit entrepreneur pour avoir eu recours au détachement de ces travailleurs, sous couvert de faux certificats A 1, d’une telle fraude.

33 Il convient de rappeler que, ainsi qu’il découle de l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004, lu à la lumière de l’article 72, sous a), de ce règlement, la procédure de dialogue et de conciliation constitue un moyen institué par le législateur de l’Union afin de résoudre les différends entre les institutions compétentes des États membres concernés au sujet notamment de l’interprétation ou de l’application dudit règlement (arrêt du 16 novembre 2023, Zakład Ubezpieczeń Społecznych
Oddział w Toruniu, C‑422/22, EU:C:2023:869, point 41).

34 En particulier, le législateur de l’Union a prévu, dans un premier temps, l’engagement d’une voie de dialogue entre les institutions compétentes des États membres concernés en vue de parvenir à un accord en ce qui concerne l’appréciation des faits pertinents pour l’application des règles relatives à la détermination de la législation nationale de sécurité sociale applicable à une situation spécifique et, dans un second temps, dans le cas où ces institutions ne parviendraient pas à se mettre
d’accord sur l’appréciation de tels faits et, par conséquent, sur la détermination du régime de sécurité sociale applicable à la situation en cause, la possibilité de saisir la commission administrative afin que celle-ci tente de concilier les points de vue desdites institutions au sujet de la législation nationale applicable à ladite situation.

35 Dans ce contexte, le règlement no 987/2009 prévoit expressément le recours à la procédure de dialogue et de conciliation en tant que moyen pour résoudre les différends entre les institutions des États membres concernés portant aussi bien sur la validité des documents établis par l’institution d’un État membre pour attester de la situation d’une personne aux fins de l’application des règlements nos 883/2004 et 987/2009 – parmi lesquels figure le certificat A 1 – et des pièces justificatives y
afférentes ou sur l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions figurant dans ces documents et ces pièces justificatives que sur la détermination de la législation applicable aux travailleurs concernés.

36 S’agissant, notamment, des différends portant sur la validité desdits documents et desdites pièces justificatives ou sur l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’article 5 du règlement no 987/2009, après avoir consacré, à son paragraphe 1, le caractère contraignant de tels documents et de telles pièces justificatives à l’égard des institutions des autres États membres ainsi que la compétence exclusive de l’institution émettrice quant à l’appréciation de leur validité
et de leur exactitude, prévoit, à ses paragraphes 2 à 4, le recours à la procédure de dialogue et de conciliation aux fins de la résolution des différends entre l’institution de l’État membre qui reçoit les mêmes documents et les mêmes pièces justificatives et l’institution émettrice de ceux-ci.

37 À cet égard, la Cour a, d’une part, précisé qu’un certificat A 1, délivré par l’institution compétente d’un État membre lie non seulement les institutions de l’État membre dans lequel l’activité est exercée, mais également les juridictions de cet État membre et, d’autre part, souligné que la procédure de dialogue et de conciliation visée à l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 doit être observée par les institutions des États membres amenées à appliquer les règlements nos 883/2004
et 987/2009 lorsqu’il existe des différends entre les institutions des États membres concernés portant sur la validité ou l’exactitude d’un tel certificat (arrêt du 2 mars 2023, DRV Intertrans et Verbraeken J. en Zonen, C‑410/21 et C‑661/21, EU:C:2023:138, points 45 et 52 ainsi que jurisprudence citée).

38 Ainsi, en ce qui concerne, en particulier, une situation de détachement de travailleurs dans laquelle l’institution compétente de l’État membre dans lequel le travail est effectué dispose d’indices concrets donnant à penser que les certificats E 101 – qui ont été remplacés par les certificats A 1 – délivrés par l’institution compétente d’un autre État membre à l’égard des travailleurs concernés ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, la Cour a relevé que, dans le contexte d’une
suspicion de fraude, la mise en œuvre de cette procédure de dialogue et de conciliation, préalablement à un éventuel constat définitif de fraude par les autorités compétentes de l’État membre d’accueil, revêt une importance particulière. En effet, selon la Cour, ladite procédure est de nature à permettre à l’institution compétente de l’État membre d’émission et à celle de l’État membre d’accueil d’engager un dialogue et de collaborer étroitement afin de vérifier et de recueillir, en recourant aux
pouvoirs d’enquête dont elles disposent respectivement en vertu de leur droit national, tout élément de fait ou de droit pertinent susceptible de dissiper ou, au contraire, de confirmer la réalité des doutes exprimés par l’institution compétente de l’État membre d’accueil concernant les circonstances ayant entouré la délivrance des certificats en cause (voir, s’agissant du règlement no 1408/71, arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling Airlines, C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260, point 66).

39 La Cour a ainsi jugé que la présence d’indices concrets donnant à penser que des certificats E 101 ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse doit amener l’institution compétente de l’État membre d’accueil non pas à constater unilatéralement l’existence d’une fraude et à écarter ces certificats mais à enclencher promptement la procédure de dialogue et de conciliation afin que l’institution émettrice de ces certificats, ayant été saisie par l’institution de l’État membre d’accueil,
procède, dans un délai raisonnable, en vertu du principe de coopération loyale, au réexamen du bien‑fondé de la délivrance desdits certificats à la lumière de ces indices et, le cas échéant, décide d’annuler ou de retirer ceux-ci (voir, s’agissant du règlement no 1408/71, arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling Airlines, C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260, point 72 ainsi que jurisprudence citée).

40 Conformément à cette jurisprudence, une juridiction de l’État membre d’accueil saisie dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre un employeur pour des faits de nature à révéler une obtention ou une utilisation frauduleuses de certificats A 1 ne peut se prononcer de manière définitive sur l’existence d’une telle fraude et écarter ces certificats que si elle constate, après avoir, pour autant que de besoin, procédé à la suspension de la procédure judiciaire en vertu de son droit national,
que, la procédure de dialogue et de conciliation ayant été promptement enclenchée, l’institution émettrice desdits certificats s’est abstenue de procéder à leur réexamen et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur les éléments présentés par l’institution compétente de l’État membre d’accueil, le cas échéant en annulant ou en retirant ces mêmes certificats (arrêt du 2 mars 2023, DRV Intertrans et Verbraeken J. en Zonen, C‑410/21 et C‑661/21, EU:C:2023:138, point 61 ainsi que
jurisprudence citée).

41 La Cour a également jugé que la procédure de dialogue et de conciliation constitue un préalable obligatoire afin de déterminer si les conditions de l’existence d’une fraude sont réunies et, partant, de tirer toute conséquence utile en ce qui concerne la validité des certificats A 1 en cause et la législation de sécurité sociale applicable aux travailleurs concernés, de telle sorte qu’une juridiction de l’État membre d’accueil saisie d’une telle procédure pénale ne saurait ignorer ladite procédure
de dialogue et de conciliation (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2023, DRV Intertrans et Verbraeken J. en Zonen, C‑410/21 et C‑661/21, EU:C:2023:138, points 60 et 62 ainsi que jurisprudence citée).

42 Certes, la jurisprudence mentionnée aux points 38 à 41 du présent arrêt a été rendue dans le cadre d’affaires dans lesquelles les certificats E 101 ou A 1 en cause avaient été émis par l’institution compétente d’un État membre, de telle sorte que l’institution ou la juridiction de l’État membre d’accueil émettaient des doutes non pas sur l’authenticité de ces certificats mais sur leur validité au regard des éléments sur la base desquels ils avaient été délivrés (voir, en ce sens, arrêt du
27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff, C‑620/15, EU:C:2017:309, point 49 et jurisprudence citée).

43 Toutefois, rien dans le libellé de l’article 5 du règlement no 987/2009 ni dans celui d’aucune autre disposition de ce règlement ne permet de considérer que le législateur de l’Union a entendu exclure des différends portant sur la validité des certificats A 1, visés audit article 5, ceux portant sur leur authenticité, dans le but que, les concernant, la procédure de dialogue et de conciliation ne constitue pas un préalable obligatoire devant être respecté par les institutions et les juridictions
des États membres émettant des doutes sur l’authenticité de tels certificats en vue de les écarter.

44 Une telle exclusion serait, par ailleurs, incohérente au regard de l’effet contraignant attaché aux certificats A 1 et compromettrait les principes sous-tendant aussi bien la jurisprudence de la Cour relative à un tel effet que les règlements nos 883/2004 et 987/2009, à savoir, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 2 mars 2023, DRV Intertrans et Verbraeken J. en Zonen (C‑410/21 et C‑661/21, EU:C:2023:138, point 54 ainsi que jurisprudence citée), les principes d’unicité de la législation nationale de
sécurité sociale applicable, de coopération loyale et de sécurité juridique.

45 Par conséquent, la jurisprudence mentionnée aux points 38 à 41 du présent arrêt est également applicable au cas de suspicion d’usage de faux certificats A 1 dans le but d’éluder les conditions auxquelles les règlements nos 883/2004 et 987/2009 subordonnent le détachement des travailleurs.

46 Cela étant dit, il convient, d’une part, de préciser que, lorsque, dans le cadre de la procédure de dialogue et de conciliation visée à l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004, l’institution ayant prétendument émis les documents revêtant la forme de certificats A 1 dont l’authenticité est mise en cause confirme qu’elle ne les a pas délivrés et que, par conséquent, ils constituent de faux documents, ceux-ci ne sauraient, partant, être considérés comme étant des certificats A 1 ni, par
voie de conséquence, comme produisant les effets propres à ces certificats, parmi lesquels figure l’effet contraignant à l’égard des institutions et des juridictions de l’État membre d’accueil.

47 Il s’ensuit que, dès lors qu’une juridiction de l’État membre dans lequel le travail est effectué, saisie dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre un entrepreneur soupçonné d’avoir détaché des travailleurs dans cet État membre au moyen de faux documents revêtant la forme de certificats A 1, constate que l’institution qui a prétendument émis ces documents a, dans le cadre de cette procédure de dialogue et de conciliation, confirmé qu’elle ne les a pas émis, ladite juridiction peut
constater qu’il s’agit de faux documents et qu’elle n’est pas liée par les mentions qui y figurent.

48 D’autre part, il convient de préciser que, lorsque, comme en l’occurrence, il est avéré que l’institution ayant prétendument émis les documents revêtant la forme de certificats A 1 produits par l’entrepreneur concerné a perçu des cotisations de sécurité sociale pour le travail effectué par les travailleurs prétendument détachés, ladite juridiction ne saurait se prononcer définitivement sur l’existence du détachement frauduleux de ces travailleurs sans avoir vérifié au préalable que ladite
procédure de dialogue et de conciliation a été respectée en ce qui concerne non seulement l’authenticité de ces documents mais également la détermination de la législation de sécurité sociale qui aurait dû être appliquée aux travailleurs concernés au cours de la période du prétendu détachement.

49 En effet, étant donné que la procédure de dialogue et de conciliation visée à l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 a été instituée par le législateur de l’Union pour résoudre tout différend portant sur l’interprétation et l’application du règlement no 883/2004, dont notamment les différends portant sur la détermination de la législation applicable aux travailleurs relevant du champ d’application de ce règlement, une juridiction de l’État membre d’accueil saisie dans le cadre d’une
procédure pénale, telle que celle en cause au principal, qui estime qu’il existe des éléments permettant de considérer que les conditions auxquelles le détachement de travailleurs est subordonné ne sont pas réunies et de mettre, ainsi, en cause la soumission des travailleurs concernés au régime de sécurité sociale de l’institution ayant perçu des cotisations de sécurité sociale pour le travail effectué par ces derniers, ne saurait constater unilatéralement l’existence d’un tel détachement
frauduleux, sans qu’ait été enclenchée la procédure de dialogue et de conciliation avec cette institution aux fins d’une concertation sur la législation de sécurité sociale applicable à ces travailleurs.

50 Une autre interprétation serait, en outre, contraire aux principes d’unicité de la législation nationale de sécurité sociale applicable, de coopération loyale et de sécurité juridique sous-tendant les règlements nos 883/2004 et 987/2009.

51 Partant, il y a lieu de considérer que la jurisprudence mentionnée aux points 38 à 41 du présent arrêt vaut également mutatis mutandis lorsqu’une institution ou une juridiction de l’État membre dans lequel le travail est effectué met en doute la soumission des travailleurs concernés à la législation de sécurité sociale de l’institution de l’État membre ayant perçu des cotisations de sécurité sociale pour le travail effectué par ces travailleurs.

52 Il résulte de ce qui précède qu’une juridiction de l’État membre d’accueil, saisie dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre un employeur soupçonné d’avoir eu recours au détachement de travailleurs au moyen de faux documents revêtant la forme de certificats A 1, ne peut se prononcer sur l’authenticité de ces documents et les écarter que, d’une part, si elle constate, après avoir, pour autant que de besoin, procédé à la suspension de la procédure judiciaire en vertu de son droit
national, que l’institution prétendument émettrice a, dans le cadre de la procédure de dialogue et de conciliation enclenchée par l’institution de l’État membre d’accueil, confirmé qu’elle n’a pas délivré lesdits documents ou que, la procédure de dialogue et de conciliation ayant été promptement enclenchée, l’institution prétendument émettrice s’est abstenue de prendre position, dans un délai raisonnable, sur l’authenticité des mêmes documents, et, d’autre part, si les garanties inhérentes au
droit à un procès équitable qui doivent être accordées à l’entrepreneur concerné sont respectées (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2023, DRV Intertrans et Verbraeken J. en Zonen, C‑410/21 et C‑661/21, EU:C:2023:138, points 61, 66 et 67 ainsi que jurisprudence citée).

53 Par ailleurs, lorsqu’il est avéré que l’institution ayant prétendument émis les documents revêtant la forme de certificats A 1 a perçu des cotisations de sécurité sociale pour le travail effectué par les travailleurs prétendument détachés, la juridiction nationale ne peut constater l’existence d’un détachement frauduleux de travailleurs que si, d’une part, dans le cadre de la procédure de dialogue et de conciliation enclenchée entre les institutions concernées, l’institution ayant perçu des
cotisations sociales a confirmé que la législation de sécurité sociale qui aurait dû être appliquée aux travailleurs concernés est celle de l’État membre d’accueil ou que cette institution s’est abstenue, dans un délai raisonnable, de réexaminer, en prenant en considération les éléments avancés par l’institution de l’État membre d’accueil et eu égard à la situation réelle de ces travailleurs, les faits sur la base desquels elle a soumis ces derniers à son régime de sécurité sociale et de prendre
position sur la législation nationale de sécurité sociale applicable auxdits travailleurs, et, d’autre part, les garanties inhérentes au droit à un procès équitable qui doivent être accordées à l’entrepreneur concerné sont respectées.

54 Enfin, il convient d’ajouter que le législateur de l’Union n’a pas prévu de forme particulière devant être respectée par les institutions concernées pour engager la voie du dialogue ou pour saisir la commission administrative afin de résoudre leurs différends concernant l’interprétation ou l’application des règlements nos 883/2004 et 987/2009.

55 En effet, le règlement no 883/2004 se borne à indiquer, à son article 76, paragraphe 6, que l’institution de l’État membre compétent ou de l’État membre de résidence de l’intéressé « contacte » la ou les institutions du ou des États membres concernés et que, à défaut d’une solution dans un délai raisonnable, les autorités concernées « peuvent saisir » la commission administrative.

56 Le règlement no 987/2009 ne contient pas davantage de précision à cet égard.

57 Pour ce qui est, notamment, de la voie du dialogue, qui correspond à la première étape de la procédure de dialogue et de conciliation visée à l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004, il y a lieu de considérer, ainsi qu’il ressort du point 6 de la décision A 1 de la commission administrative, du 12 juin 2009, concernant l’établissement d’une procédure de dialogue et de conciliation relative à la validité des documents, à la détermination de la législation applicable et au service des
prestations au titre du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil (JO 2010, C 106, p. 1), qu’il suffit que l’institution émettant des doutes concernant la validité d’un certificat A 1 ou la détermination de la législation applicable à un travailleur donné prenne contact avec l’institution ayant émis un tel certificat et/ou ayant décidé d’appliquer son régime de sécurité sociale à un tel travailleur afin de lui demander les éclaircissements nécessaires concernant sa décision
de soumettre ce travailleur à ce régime et, éventuellement, de retirer ou d’invalider ledit certificat ou de revoir ou d’annuler cette décision, pour considérer qu’une telle voie a été enclenchée.

58 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle, des éléments fournis par la juridiction de renvoi à la demande de la Cour et des observations des parties intéressées que, avant l’engagement de la procédure pénale contre EX, les institutions belge et portugaise compétentes ont enclenché la voie de dialogue en ce qui concerne l’authenticité des documents revêtant la forme de certificats A 1 produits par EX et l’appréciation des faits étant à la base de ces documents. Dans le
cadre d’un tel dialogue, l’institution portugaise a confirmé, ainsi que le tribunal de première instance de Namur l’a constaté dans son jugement du 10 novembre 2021, qu’elle n’avait pas émis ces documents, ce que EX n’a contesté ni devant cette juridiction ni devant la juridiction de renvoi.

59 Ainsi, il apparaît que, s’agissant de l’authenticité desdits documents, la procédure de dialogue et de conciliation visée à l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 a été respectée.

60 Partant, eu égard aux considérations exposées au point 47 du présent arrêt, le tribunal de première instance de Namur pouvait constater que les documents en cause au principal constituaient de faux documents et qu’il n’était pas lié par ceux-ci.

61 Par ailleurs, il ressort des observations du gouvernement portugais que, dans le cadre du dialogue engagé entre les institutions belge et portugaise compétentes, l’institution portugaise a constaté, d’une part, que les sociétés par l’intermédiaire desquelles le prévenu au principal a procédé au détachement des travailleurs concernés au moyen de documents revêtant la forme de certificats A 1 n’exerçaient aucune activité substantielle au Portugal dans le secteur de la construction et n’avaient
d’autre objet que celui consistant à pourvoir de la main‑d’œuvre à bon marché en Belgique, ce que le tribunal de première instance de Namur a confirmé dans son jugement du 10 novembre 2021 et, d’autre part, que la législation qui aurait dû être appliquée aux travailleurs concernés au cours de la période litigieuse est la législation belge.

62 Partant, il apparaît, sous réserve des vérifications qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, que ladite procédure de dialogue et de conciliation entre les institutions concernées a également été respectée en ce qui concerne la détermination de la législation nationale de sécurité sociale qui aurait dû être appliquée aux travailleurs concernés au cours de la période litigieuse.

63 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que, dans une situation dans laquelle des ressortissants d’un État membre employés par un entrepreneur établi dans cet État membre effectuent, au moyen de documents revêtant la forme de certificats A 1 prétendument émis par l’institution dudit État membre compétente pour délivrer ce type de certificats, un travail pour
le compte de cet entrepreneur dans un autre État membre, pour lequel cette institution perçoit des cotisations de sécurité sociale, la procédure de dialogue et de conciliation visée à cette disposition constitue un préalable obligatoire à la constatation, par une juridiction de ce dernier État membre, saisie dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre ledit entrepreneur pour avoir eu recours de manière frauduleuse au détachement de ces travailleurs, sous couvert de faux certificats A 1,
d’une telle fraude.

Sur la troisième question

64 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe d’interdiction de la fraude et de l’abus de droit doit être interprété en ce sens que, lorsque, dans le cadre d’une procédure pénale engagée devant les juridictions d’un État membre contre un entrepreneur soupçonné d’avoir détaché des travailleurs dans cet État au moyen de documents revêtant la forme de certificats A 1, la juridiction de première instance a constaté que ces documents constituent de faux
documents et que ce constat n’a pas été contesté devant la juridiction saisie en appel de cette procédure, cette dernière juridiction peut s’abstenir de prendre en compte lesdits documents alors même qu’un tel constat a été effectué par la juridiction de première instance sans qu’ait été enclenchée la procédure de dialogue et de conciliation visée à l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004.

65 À cet égard, il importe de rappeler qu’il appartient au seul juge national qui est saisi du litige au principal d’apprécier la nécessité d’une décision préjudicielle et la pertinence des questions qu’il pose à la Cour, lesquelles bénéficient d’une présomption de pertinence. Ainsi, la Cour est, en principe, tenue de statuer, dès lors que la question posée porte sur l’interprétation ou la validité d’une règle du droit de l’Union, sauf s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation
sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet de ce litige, si le problème est de nature hypothétique ou encore si la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à cette question (arrêt du 22 février 2024, Unedic, C‑125/23, EU:C:2024:163, point 35 et jurisprudence citée).

66 En l’occurrence, il convient de relever que la troisième question, qui concerne exclusivement le constat selon lequel les documents revêtant la forme de certificats A 1 en cause au principal constituent de faux documents, opéré par la juridiction nationale de première instance dans le cadre d’une procédure pénale telle que celle en cause au principal, repose sur la prémisse selon laquelle ce constat a été effectué par cette juridiction sans que cette procédure de dialogue et de conciliation ait
été enclenchée.

67 Or, ainsi qu’il a été constaté aux points 58 et 59 du présent arrêt, sur la base notamment des éléments fournis par la juridiction de renvoi, il apparaît que, en l’occurrence, ladite procédure de dialogue et de conciliation portant sur l’authenticité desdits documents a été respectée.

68 La troisième question revêtant ainsi un caractère hypothétique, il y a lieu de la considérer comme étant irrecevable.

Sur les dépens

69 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

  1) Le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012,

doit être interprété en ce sens que :

dans une situation dans laquelle des ressortissants d’un État membre employés par un entrepreneur établi dans cet État membre effectuent, au moyen de documents revêtant la forme de certificats A 1 prétendument émis par l’institution dudit État membre compétente pour délivrer ce type de certificats, un travail pour le compte de cet entrepreneur dans un autre État membre, pour lequel cette institution perçoit des cotisations de sécurité sociale, ce règlement s’applique, y compris lorsque, dans le
cadre d’une procédure pénale engagée contre ledit entrepreneur, devant les juridictions de ce dernier État membre, pour la commission de fraudes en matière de sécurité sociale, ces juridictions constatent, sans être contredites par le même entrepreneur, que ces documents sont de faux documents.

  2) L’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004, tel que modifié par le règlement no 465/2012,

doit être interprété en ce sens que :

dans une situation dans laquelle des ressortissants d’un État membre employés par un entrepreneur établi dans cet État membre effectuent, au moyen de documents revêtant la forme de certificats A 1 prétendument émis par l’institution dudit État membre compétente pour délivrer ce type de certificats, un travail pour le compte de cet entrepreneur dans un autre État membre, pour lequel cette institution perçoit des cotisations de sécurité sociale, la procédure de dialogue et de conciliation visée à
cette disposition constitue un préalable obligatoire à la constatation, par une juridiction de ce dernier État membre, saisie dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre ledit entrepreneur pour avoir eu recours de manière frauduleuse au détachement de ces travailleurs, sous couvert de faux certificats A 1, d’une telle fraude.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-421/23
Date de la décision : 23/01/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la cour d'appel de Liège.

Renvoi préjudiciel – Travailleurs migrants – Sécurité sociale – Législation applicable – Travailleurs détachés – Documents revêtant la forme de certificats A 1 prétendument émis par l’institution compétente pour délivrer ces certificats – Règlement (CE) nº 883/2004 – Article 76, paragraphe 6 – Obligation des autorités de l’État membre d’accueil d’enclencher une procédure de dialogue et de conciliation aux fins de la détermination de l’existence de fraudes.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : EX.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Arastey Sahún

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:36

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