ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
19 décembre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Directive 2011/98/UE – Droits des travailleurs issus de pays tiers titulaires d’un permis unique – Article 12 – Droit à l’égalité de traitement – Sécurité sociale – Réglementation nationale relative à la détermination des droits aux prestations familiales – Réglementation excluant la prise en compte des enfants mineurs du titulaire du permis unique en l’absence de justification de leur entrée régulière sur le territoire national »
Dans l’affaire C‑664/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour d’appel de Versailles (France), par décision du 9 novembre 2023, parvenue à la Cour le même jour, dans la procédure
Caisse d’allocations familiales des Hauts-de-Seine
contre
TX,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. I. Jarukaitis (rapporteur), président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. D. Gratsias et E. Regan, juges,
avocat général : M. P. Pikamäe,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour TX, par Me S. Potiron, avocate,
– pour le gouvernement français, par M. R. Bénard et Mme O. Duprat-Mazaré, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes F. Blanc-Simonetti et J. Hottiaux, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un État membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État
membre (JO 2011, L 343, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant TX, un ressortissant de pays tiers, titulaire d’un permis unique, à la caisse d’allocations familiales des Hauts-de-Seine (France) (ci-après la « CAF ») au sujet du rejet de sa demande tendant à la prise en compte de ses enfants mineurs nés à l’étranger pour la détermination de ses droits aux prestations familiales.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2011/98
3 Les considérants 20, 21, 24 et 26 de la directive 2011/98 énoncent :
« (20) Tous les ressortissants de pays tiers qui résident et travaillent légalement dans un État membre devraient jouir au minimum d’un socle commun de droits, fondé sur l’égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre d’accueil, indépendamment de la finalité initiale ou du motif de leur admission sur son territoire. Le droit à l’égalité de traitement dans les domaines précisés par la présente directive devrait être garanti non seulement aux ressortissants de pays tiers qui ont été
admis dans un État membre à des fins d’emploi, mais aussi à ceux qui y ont été admis à d’autres fins, puis qui ont été autorisés à y travailler en vertu d’autres dispositions du droit de l’Union ou de droit national, y compris les membres de la famille du travailleur issu d’un pays tiers qui ont été admis dans l’État membre conformément à la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial [(JO 2003, L 251, p. 12)] [...]
(21) Le droit à l’égalité de traitement dans certains domaines devrait être strictement lié au séjour légal du ressortissant d’un pays tiers et à la condition d’avoir obtenu l’accès au marché du travail dans un État membre, lesquels font partie intégrante du permis unique autorisant le séjour et le travail et des titres de séjour délivrés à d’autres fins et contenant des informations relatives à l’autorisation de travailler.
[...]
(24) Les travailleurs issus de pays tiers devraient bénéficier d’une égalité de traitement en matière de sécurité sociale. Les branches de la sécurité sociale sont définies dans le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale [(JO 2004, L 166, p. 1)]. Les dispositions de la présente directive relatives à l’égalité de traitement en matière de sécurité sociale devraient également s’appliquer aux travailleurs
admis dans un État membre en provenance directe d’un pays tiers. Toutefois, la présente directive ne devrait pas accorder aux travailleurs issus de pays tiers plus de droits que ceux qu’accorde d’ores et déjà le droit de l’Union en vigueur dans le domaine de la sécurité sociale aux ressortissants de pays tiers dont la situation a un caractère transfrontalier. Par ailleurs, la présente directive ne devrait pas accorder de droits dans des situations n’entrant pas dans le champ d’application du
droit de l’Union, tels que dans le cas des membres de la famille résidant dans un pays tiers. La présente directive ne devrait accorder des droits qu’aux membres de la famille qui rejoignent les travailleurs issus d’un pays tiers pour résider dans un État membre au titre du regroupement familial ou aux membres de la famille qui séjournent déjà légalement dans cet État membre.
[...]
(26) Le droit de l’Union ne limite pas la compétence des États membres d’organiser leurs régimes de sécurité sociale. En l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union [européenne], il appartient à chaque État membre de prévoir les conditions dans lesquelles les prestations de sécurité sociale sont accordées, ainsi que le montant de ces prestations et la période pendant laquelle elles sont octroyées. Toutefois, lorsqu’ils exercent cette compétence, les États membres devraient se conformer au droit
de l’Union. »
4 L’article 3 de la directive 2011/98, intitulé « Champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :
« La présente directive s’applique aux :
[...]
b) ressortissants de pays tiers qui ont été admis dans un État membre à d’autres fins que le travail conformément au droit de l’Union ou au droit national, qui sont autorisés à travailler et qui sont titulaires d’un titre de séjour conformément au règlement (CE) no 1030/2002 [du Conseil, du 13 juin 2002, établissant un modèle uniforme de titre de séjour pour les ressortissants de pays tiers (JO 2002, L 157, p. 1)] ; et
c) ressortissants de pays tiers qui ont été admis dans un État membre aux fins d’y travailler conformément au droit de l’Union ou national. »
5 Aux termes de l’article 12 de cette directive, intitulé « Droit à l’égalité de traitement » :
« 1. Les travailleurs issus de pays tiers visés à l’article 3, paragraphe 1, points b) et c), bénéficient de l’égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre où ils résident en ce qui concerne :
[...]
e) les branches de la sécurité sociale, telles que définies dans le règlement [no 883/2004] ;
[...]
2. Les États membres peuvent prévoir des limites à l’égalité de traitement :
[...]
b) en limitant les droits conférés au titre du paragraphe 1, point e), aux travailleurs issus de pays tiers mais en ne restreignant pas ces droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui occupent un emploi ou qui ont occupé un emploi pendant une période minimale de six mois et qui sont inscrits comme chômeurs.
En outre, les États membres peuvent décider que le paragraphe 1, point e), relatif aux prestations familiales, ne s’applique pas aux ressortissants de pays tiers qui ont été autorisés à travailler sur le territoire d’un État membre pour une période ne dépassant pas six mois, ni aux ressortissants de pays tiers qui ont été admis afin de poursuivre des études ou aux ressortissants de pays tiers qui sont autorisés à travailler sous couvert d’un visa ;
[...] »
Le règlement no 883/2004
6 L’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement no 883/2004 prévoit que ce dernier s’applique à toutes les législations relatives aux prestations familiales. Il ne s’applique pas, en vertu du paragraphe 5 de cet article, à l’assistance sociale et médicale.
7 En vertu de l’article 1er, sous z), de ce règlement, le terme « prestations familiales » désigne toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille, à l’exclusion des avances sur pensions alimentaires et des allocations spéciales de naissance ou d’adoption visées à l’annexe I dudit règlement.
Le droit français
Le code de l’action sociale et des familles
8 Aux termes de l’article L. 262-5, second alinéa, du code de l’action sociale et des familles :
« Pour être pris en compte au titre des droits d’un bénéficiaire étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen[, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3),] ou de la Confédération suisse, les enfants étrangers doivent remplir les conditions mentionnées à l’article L. 512-2 du code de la sécurité sociale. »
Le code de la sécurité sociale
9 L’article L. 511-1 du code de la sécurité sociale dispose :
« Les prestations familiales comprennent :
[...]
2°) les allocations familiales ;
3°) le complément familial ;
[...]
7°) l’allocation de rentrée scolaire ;
[...] »
10 L’article L. 512-2 du code de la sécurité sociale prévoit :
« Bénéficient de plein droit des prestations familiales dans les conditions fixées par le présent livre les ressortissants des États membres de la Communauté européenne, des autres États parties à l’accord sur l’Espace économique européen et de la Confédération suisse qui remplissent les conditions exigées pour résider régulièrement en France [...]
Bénéficient également de plein droit des prestations familiales dans les conditions fixées par le présent livre les étrangers non ressortissants d’un État membre de la Communauté européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, titulaires d’un titre exigé d’eux en vertu soit de dispositions législatives ou réglementaires, soit de traités ou accords internationaux pour résider régulièrement en France.
Ces étrangers bénéficient des prestations familiales sous réserve qu’il soit justifié, pour les enfants qui sont à leur charge et au titre desquels les prestations familiales sont demandées, de l’une des situations suivantes :
– leur naissance en France ;
– leur entrée régulière dans le cadre de la procédure de regroupement familial [...]
– leur qualité de membre de famille de réfugié ;
– leur qualité d’enfant d’étranger titulaire de la carte de séjour [...]
Un décret fixe la liste des titres et justifications attestant de la régularité de l’entrée et du séjour des bénéficiaires étrangers. Il détermine également la nature des documents exigés pour justifier que les enfants que ces étrangers ont à charge et au titre desquels des prestations familiales sont demandées remplissent les conditions prévues aux alinéas précédents. »
11 L’article D. 512-2 de ce code dispose :
« La régularité de l’entrée et du séjour des enfants étrangers que le bénéficiaire a à charge et au titre desquels il demande des prestations familiales est justifiée par la production de l’un des documents suivants :
[...]
2° Certificat de contrôle médical de l’enfant, délivré par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII)] à l’issue de la procédure d’introduction ou d’admission au séjour au titre du regroupement familial ;
[...]
5° Attestation délivrée par l’autorité préfectorale, précisant que l’enfant est entré en France au plus tard en même temps que l’un de ses parents admis au séjour [...] »
Le litige au principal et la question préjudicielle
12 Le 1er avril 2014, TX, de nationalité arménienne, titulaire d’une carte de séjour « vie privée et familiale » l’autorisant à travailler en France, a demandé auprès de la CAF le bénéfice des prestations familiales au titre de ses trois enfants, dont deux, nés hors du territoire français, sont entrés irrégulièrement sur ce territoire.
13 Pour la détermination de ses droits, la CAF a refusé de prendre en compte ses deux enfants nés à l’étranger, en raison de leur entrée irrégulière sur le territoire français.
14 Ce refus ayant été confirmé par la commission de recours amiable de la CAF, TX a formé un recours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre (France).
15 Par jugement du 21 décembre 2018, ce tribunal a accueilli le recours de TX et dit que ce dernier avait droit aux prestations familiales pour ses deux enfants nés à l’étranger à compter de la date de sa demande.
16 Par arrêt du 14 novembre 2019, la cour d’appel de Versailles (France) a infirmé ce jugement et confirmé la décision de la CAF.
17 Par arrêt du 23 juin 2022, la Cour de cassation (France) a cassé cet arrêt pour « défaut de motifs » et a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée, qui est la juridiction de renvoi.
18 Cette dernière juridiction relève que la régularité du séjour de TX sur le territoire français n’est « pas discutée », puisqu’il est titulaire d’une carte de séjour temporaire l’autorisant à travailler, et que la seule question qui se pose est celle de savoir s’il a droit aux prestations familiales au titre de ses deux enfants nés à l’étranger.
19 Ladite juridiction indique que, par deux arrêts du 3 juin 2011 et par un arrêt du 5 avril 2013, la Cour de cassation a jugé en assemblée plénière que les articles L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale qui subordonnent le versement des prestations familiales à la production d’un document attestant d’une entrée régulière des enfants étrangers en France et, en particulier, pour les enfants entrés au titre du regroupement familial, à celle du certificat médical délivré par l’OFII,
revêtaient un caractère objectif justifié par la nécessité, dans un État démocratique, d’exercer un contrôle des conditions d’accueil des enfants. La Cour de cassation en a déduit que ces articles ne portaient pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale garanti aux articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ni ne méconnaissaient les dispositions de la convention internationale
des droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies, le 20 novembre 1989.
20 Selon la juridiction de renvoi, cette interprétation aurait été confirmée par la Cour européenne des droits de l’homme dans sa décision du 1er octobre 2015, Okitaloshima Okonda Osungu et Selpa Lokongo c. France (ECLI:CE:ECHR:2015:0908DEC007686011).
21 Toutefois, la juridiction de renvoi expose que, dans le litige dont elle est saisie, la question se pose sous un angle différent, qui est celui de la directive 2011/98.
22 Selon cette juridiction, cette directive a vocation à s’appliquer à ce litige dès lors que, d’une part, les prestations en cause au principal relèvent du champ d’application du règlement no 883/2004 et, d’autre part, TX est un ressortissant de pays tiers qui a été admis à travailler en France, puisqu’il est titulaire d’une carte de séjour pluriannuelle l’autorisant à travailler et que, du reste, il dispose d’un contrat de travail.
23 La juridiction de renvoi considère, en outre, que, si, en vertu de l’article 12, paragraphe 2, sous b), de ladite directive, les États membres ont la faculté d’instaurer des limites au droit à l’égalité de traitement en fonction du statut de certains ressortissants de pays tiers, cette disposition ne prévoit aucune faculté de dérogation à ce droit en fonction des conditions dans lesquelles les membres de la famille du bénéficiaire d’un permis unique sont arrivés sur le territoire de l’État membre
d’accueil. Or, en l’occurrence, le refus opposé par la CAF à la demande de TX serait fondé non pas sur le statut de celui-ci, mais sur les conditions de l’entrée et du séjour, sur le sol français, de ses deux enfants nés en Arménie.
24 La juridiction de renvoi nourrit, néanmoins, des doutes en ce qui concerne la portée du considérant 20 et de la dernière phrase du considérant 24 de la directive 2011/98, lesquels font référence, pour la détermination des titulaires des droits garantis dans cette directive, aux membres de la famille du travailleur issus d’un pays tiers qui ont été admis dans un État membre au titre du regroupement familial.
25 À cet égard, premièrement, cette juridiction observe que les prestations familiales en cause au principal ne sont pas versées aux membres de la famille du demandeur, mais sont accordées à celui-ci en fonction du nombre d’enfants qui sont à sa charge.
26 Deuxièmement, au regard de la jurisprudence issue de l’arrêt du 25 novembre 2020, Istituto nazionale della previdenza sociale (Prestations familiales pour les titulaires d’un permis unique) (C‑302/19, ci-après l’« arrêt INPS, EU:C:2020:957), ladite juridiction s’interroge sur la possibilité de se fonder sur les règles relatives au regroupement familial pour déterminer le droit aux prestations de sécurité sociale du titulaire d’un permis unique.
27 Troisièmement, la même juridiction relève que la Commission européenne a présenté, le 27 avril 2022, la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un État membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État membre (refonte)
[COM(2022) 655 final], laquelle prévoit de mettre le considérant 24 de la directive 2011/98 en conformité avec l’arrêt INPS en supprimant les deux dernières phrases de ce considérant.
28 Dans ces conditions, la cour d’appel de Versailles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« À la suite de [l’arrêt INPS], l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive [2011/98] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, comme la [République française], interdisant, pour la détermination des droits à une prestation de sécurité sociale, de prendre en compte les enfants, nés dans un pays tiers, du titulaire d’un permis unique, au sens de l’article 2, sous c), de [cette] directive, dès lors que ces enfants, dont il a la charge, ne sont
pas entrés sur le territoire de l’État membre au titre du regroupement familial ou que ne sont pas produits les documents permettant de justifier de la régularité de leur entrée sur le territoire de cet État, cette condition n’ayant pas lieu d’être exigée pour les enfants des allocataires nationaux ou ressortissants d’un autre État membre ? »
Sur la question préjudicielle
29 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1 sous e), de la directive 2011/98 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle, aux fins de la détermination des droits aux prestations de sécurité sociale d’un ressortissant de pays tiers, titulaire d’un permis unique, les enfants nés dans un pays tiers qui sont à sa charge ne sont pris en compte qu’à condition de justifier de leur entrée
régulière sur le territoire de cet État membre.
30 Il convient d’emblée de relever que, ainsi que le mentionne le considérant 26 de la directive 2011/98, le droit de l’Union ne limite pas la compétence des États membres d’organiser leurs régimes de sécurité sociale. En l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union, il appartient à chaque État membre de prévoir les conditions dans lesquelles les prestations de sécurité sociale sont accordées, ainsi que le montant de ces prestations et la période pendant laquelle elles sont octroyées. Toutefois,
lorsqu’ils exercent cette compétence, les États membres doivent se conformer au droit de l’Union (voir arrêt INPS, point 23 et jurisprudence citée).
31 Or, il ressort de l’article 12, paragraphe 1 sous e), de la directive 2011/98, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous c), de celle-ci, que les ressortissants de pays tiers qui ont été admis dans un État membre aux fins d’y travailler conformément au droit de l’Union ou au droit national bénéficient de l’égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre où ils résident en ce qui concerne les branches de la sécurité sociale, telles qu’elles sont définies dans le
règlement no 883/2004.
32 Pour pouvoir bénéficier de l’égalité de traitement en vertu de ces dispositions, il est donc nécessaire, d’une part, que le ressortissant de pays tiers ait été admis dans un État membre aux fins d’y travailler conformément au droit de l’Union ou au droit national. Or, tel est le cas d’un ressortissant de pays tiers qui, comme le requérant au principal, est titulaire d’un permis unique, au sens de l’article 2, sous c), de cette directive, puisque, en vertu de cette disposition, ce permis permet à
un tel ressortissant de résider légalement sur le territoire de l’État membre qui l’a délivré, pour y travailler (voir arrêt INPS, point 24 et jurisprudence citée).
33 Il est nécessaire, d’autre part, que les prestations concernées relèvent des branches de la sécurité sociale telles que définies dans le règlement no 883/2004. Or, il est constant, et non contesté par le gouvernement français, que les prestations en cause au principal constituent des prestations de sécurité sociale relevant des prestations familiales visées à l’article 3, paragraphe 1, sous j), de ce règlement.
34 Dans ces conditions, il apparaît qu’une personne placée dans la situation du requérant au principal est en droit, conformément à l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98, de bénéficier de l’égalité de traitement avec les ressortissants français.
35 Quant au point de savoir s’il est porté atteinte à ce droit à l’égalité de traitement par une disposition telle que celle en cause au principal, qui, pour la détermination des droits aux prestations familiales du titulaire du permis unique, exclut la prise en compte de ses enfants à charge dont il n’est pas justifié de l’entrée régulière sur le territoire français, il y a lieu de constater, sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, qu’il résulte de
l’article L. 512-1, paragraphe 1, et de l’article L. 512-2, paragraphe 1, du code de la sécurité sociale que bénéficient de plein droit des prestations familiales, dans les conditions fixées par le livre V de ce code, les ressortissants français ainsi que les ressortissants des autres États membres de l’Union, des autres États parties à l’accord sur l’Espace économique européen et de la Confédération suisse qui résident régulièrement en France. En revanche, l’article L. 512-2, paragraphe 2, dudit
code subordonne le droit aux prestations familiales des ressortissants de pays tiers qui résident régulièrement en France à une condition supplémentaire, mentionnée au paragraphe 3 de cet article L. 512-2, consistant dans la justification de l’entrée régulière sur le territoire français des enfants au titre desquels les prestations familiales sont demandées.
36 Il en résulte qu’une telle réglementation nationale réserve aux ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis unique un traitement moins favorable que celui dont bénéficient les ressortissants de l’État membre d’accueil. Par conséquent, une telle réglementation est contraire au droit à l’égalité de traitement consacré à l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98.
37 La juridiction de renvoi a néanmoins des doutes, à la lumière des considérants 20 et 24 de la directive 2011/98, sur la question de savoir si le droit à l’égalité de traitement pourrait être limité aux seuls enfants du titulaire du permis unique qui ont rejoint ce dernier au titre du regroupement familial. Ces doutes découlent du fait que le considérant 20 de cette directive vise, notamment, parmi les bénéficiaires de l’égalité de traitement, les membres de la famille du travailleur issus d’un
pays tiers qui ont été admis dans un État membre au titre du regroupement familial, tandis que la dernière phrase du considérant 24 de ladite directive prévoit que les droits conférés par cette dernière ne devraient être accordés qu’aux membres de la famille qui rejoignent les travailleurs issus d’un pays tiers pour résider dans un État membre au titre du regroupement familial ou qui séjournent légalement dans cet État membre.
38 Toutefois, la Cour a relevé, d’une part, qu’il ressort du libellé du considérant 20 de la directive 2011/98 que celui-ci vise, notamment, la situation dans laquelle les membres de la famille d’un travailleur ressortissant de pays tiers titulaire d’un permis unique bénéficient directement du droit à l’égalité de traitement prévu à l’article 12 de cette directive, ce droit étant conféré à ces personnes en leur propre qualité de travailleurs, bien que leur arrivée dans l’État membre d’accueil ait
été due au fait qu’elles étaient des membres de la famille d’un travailleur ressortissant de pays tiers (voir arrêt INPS, point 30).
39 D’autre part, la Cour a constaté que le contenu du considérant 24 de la directive 2011/98 n’est repris dans aucune des dispositions de cette directive et a rappelé que le préambule d’un acte de l’Union n’a pas de valeur juridique contraignante et ne saurait être invoqué pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte (voir arrêt INPS, points 31 et 32).
40 Par conséquent, il ne saurait découler de ces considérants que la directive 2011/98 devrait être interprétée en ce sens que le titulaire d’un permis unique dont les membres de la famille ne justifient pas de leur entrée régulière sur le territoire de l’État membre concerné au titre du regroupement familial est exclu du droit à l’égalité de traitement prévu par cette directive, alors qu’aucune disposition de ladite directive, notamment l’article 12, paragraphe 1, de celle-ci, ne subordonne le
bénéfice de ce droit à une telle condition.
41 Par ailleurs, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que soutient le gouvernement français dans ses observations écrites, il ne saurait être tiré argument de ce que le législateur de l’Union a lui-même subordonné le droit à l’égalité de traitement dans le domaine des prestations familiales à la régularité du séjour du demandeur sur le territoire d’un État membre.
42 Il est, certes, vrai que l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2011/98 ne reconnaît le droit à l’égalité de traitement qu’au profit des ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres. Cette exigence répond à l’objectif, énoncé au considérant 21 de cette directive, qui est de lier le droit à l’égalité de traitement au séjour légal du ressortissant de pays tiers dans un État membre.
43 Toutefois, la réglementation en cause au principal est contestée non pas en ce qu’elle subordonne le droit aux prestations familiales à une condition de régularité du séjour du ressortissant de pays tiers, titulaire d’un permis unique, qui demande le bénéfice de ces prestations, mais en ce qu’elle prévoit une condition d’entrée régulière qui concerne les enfants de ce ressortissant, au titre desquels lesdites prestations sont demandées.
44 Le gouvernement français ne saurait non plus objecter que la condition posée par la législation nationale, en ce qu’elle tend à éviter le contournement de la procédure de regroupement familial, ferait partie des sanctions pouvant être adoptées par les États membres en cas de violation des dispositions nationales prises en application de la directive 2003/86 et qu’elle revêtirait un caractère objectif justifié par la nécessité de vérifier les conditions dans lesquelles les membres de la famille du
regroupant seront accueillis.
45 Il convient de relever que la directive 2011/98 prévoit, en faveur de certains ressortissants de pays tiers, un droit à l’égalité de traitement, qui constitue la règle générale, et énumère les dérogations à ce droit que les États membres ont la faculté d’établir, lesquelles doivent être interprétées de manière stricte (arrêt INPS, point 26).
46 Ainsi, conformément à l’article 12, paragraphe 2, sous b), premier alinéa, de la directive 2011/98, les États membres peuvent prévoir des limites au droit à l’égalité de traitement en matière de prestations sociales, sauf à l’égard des travailleurs issus de pays tiers qui occupent un emploi ou qui ont occupé un emploi pendant une période minimale de six mois et qui sont inscrits comme chômeurs. Par ailleurs, en vertu de l’article 12, paragraphe 2, sous b), second alinéa, de cette directive, les
États membres peuvent décider que ce droit ne s’applique pas aux ressortissants de pays tiers qui ont été autorisés à travailler sur le territoire d’un État membre pour une période ne dépassant pas six mois ni aux ressortissants de pays tiers qui ont été admis afin de poursuivre des études ou aux ressortissants de pays tiers qui sont autorisés à travailler sous couvert d’un visa.
47 Il s’ensuit que, en dehors des situations ainsi limitativement énumérées, dans lesquelles les États membres peuvent déroger à l’égalité de traitement entre ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis unique et ressortissants nationaux, une différence de traitement entre ces deux catégories de ressortissants constitue, par elle-même, une violation de l’article 12, paragraphe 1, sous e), de cette directive [voir, par analogie, arrêt du 29 juillet 2024, CU et ND (Assistance sociale –
Discrimination indirecte), C‑112/22 et C‑223/22, EU:C:2024:636, point 55 ainsi que jurisprudence citée].
48 Or, d’une part, il ne ressort d’aucune des dérogations aux droits conférés à l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98 une possibilité pour les États membres d’exclure du droit à l’égalité de traitement le travailleur titulaire d’un permis unique dont les enfants, nés dans un pays tiers, ne justifient pas être entrés régulièrement sur le territoire de l’État membre concerné.
49 D’autre part, même à supposer qu’une telle possibilité ait été reconnue, il ressort de la jurisprudence que les dérogations au droit à l’égalité de traitement ne sauraient être invoquées que si les instances compétentes dans l’État membre concerné pour la mise en œuvre de cette directive ont clairement exprimé qu’elles entendaient se prévaloir de celles-ci (arrêt INPS, point 26 et jurisprudence citée). Or, le gouvernement français, ainsi qu’il le reconnaît lui-même, n’a pas entendu se prévaloir
de la faculté de limiter le droit à l’égalité de traitement en ayant recours aux dérogations prévues à l’article 12, paragraphe 2, sous b), de ladite directive.
50 Il s’ensuit qu’un État membre ne saurait se prévaloir de son obligation de veiller à ce que les violations de la directive 2003/86 soient sanctionnées pour justifier une dérogation au droit à l’égalité de traitement non prévue par le législateur de l’Union dans la directive 2011/98.
51 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle, aux fins de la détermination des droits aux prestations de sécurité sociale d’un ressortissant de pays tiers, titulaire d’un permis unique, les enfants nés dans un pays tiers qui sont à sa charge ne sont pris en compte qu’à
condition de justifier de leur entrée régulière sur le territoire de cet État membre.
Sur les dépens
52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un État membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État membre,
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle, aux fins de la détermination des droits aux prestations de sécurité sociale d’un ressortissant de pays tiers, titulaire d’un permis unique, les enfants nés dans un pays tiers qui sont à sa charge ne sont pris en compte qu’à condition de justifier de leur entrée régulière sur le territoire de cet État membre.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le français.