ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
12 décembre 2024 ( *1 )
« Pourvoi – Fonction publique – Statut des fonctionnaires de l’Union européenne et régime applicable aux autres agents de l’Union européenne – Agents temporaires – Résiliation d’un contrat à durée indéterminée – Période de préavis – Maintien de l’obligation de loyauté et de confidentialité – Procédure disciplinaire – Ouverture d’une enquête administrative – Classement sans suite – Comportements illégaux imputables à l’autorité investie du pouvoir de nomination – Préjudice moral – Preuve – Conditions
relatives à la mise en cause de la responsabilité extracontractuelle de l’Union »
Dans l’affaire C‑130/22 P
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 24 février 2022,
DD, représenté par Me N. Lorenz, Rechtsanwältin,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), représentée initialement par M. M. O’Flaherty, puis par Mme S. Rautio, en qualité d’agents, assistés de Me B. Wägenbaur, Rechtsanwalt,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. I. Jarukaitis, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. E. Regan et Z. Csehi (rapporteur), juges,
avocat général : M. P. Pikamäe,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, DD demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 21 décembre 2021, DD/FRA (T‑703/19, ci‑après l’ arrêt attaqué , EU:T:2021:923), par lequel celui-ci a rejeté son recours fondé sur l’article 270 TFUE et tendant, en substance, à la réparation du préjudice moral prétendument subi par le requérant estimé ex æquo et bono à 50000 euros, causé par l’ouverture et par la conduite d’une procédure administrative au sein de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union
européenne (FRA).
Le cadre juridique
Le statut
2 L’article 11, premier alinéa, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») dispose :
« Le fonctionnaire doit s’acquitter de ses fonctions et régler sa conduite en ayant uniquement en vue les intérêts de l’Union [européenne]. Il ne sollicite ni accepte aucune instruction d’aucun gouvernement, autorité, organisation ou personne extérieure à son institution. Il remplit les fonctions qui lui sont confiées de manière objective et impartiale et dans le respect de son devoir de loyauté envers l’Union. »
3 L’article 12 bis, paragraphe 1, du statut prévoit :
« Tout fonctionnaire s’abstient de toute forme de harcèlement moral et sexuel. »
4 Aux termes de l’article 17 du statut :
« 1. Le fonctionnaire s’abstient de toute divulgation non autorisée d’informations portées à sa connaissance dans l’exercice de ses fonctions, à moins que ces informations n’aient déjà été rendues publiques ou ne soient accessibles au public.
2. Le fonctionnaire reste soumis à cette obligation après la cessation de ses fonctions. »
5 L’article 25, deuxième alinéa, du statut prévoit :
« Toute décision individuelle prise en application du présent statut doit être communiquée par écrit, sans délai, au fonctionnaire intéressé. Toute décision faisant grief doit être motivée. »
6 Aux termes de l’article 86 du statut :
« 1. Tout manquement aux obligations auxquelles le fonctionnaire ou l’ancien fonctionnaire est tenu, au titre du présent statut, commis volontairement ou par négligence, l’expose à une sanction disciplinaire.
2. L’autorité investie du pouvoir de nomination [(ci‑après l’« AIPN »)] ou l’Office européen de lutte antifraude [(OLAF)] peuvent ouvrir une enquête administrative, en vue de vérifier l’existence d’un manquement au sens du paragraphe 1, lorsque des éléments de preuve laissant présumer l’existence d’un manquement ont été portés à leur connaissance.
3. Les règles, procédures et sanctions disciplinaires, ainsi que les règles et procédures régissant les enquêtes administratives, sont établies à l’annexe IX. »
7 L’article 1er de l’annexe IX du statut dispose :
« 1. Dès qu’une enquête de l’[OLAF] révèle la possibilité qu’un fonctionnaire ou un ancien fonctionnaire d’une institution est personnellement impliqué dans une affaire, ce dernier en est tenu informé pour autant que cette information ne nuise pas au déroulement de l’enquête. En toute circonstance, des conclusions se rapportant nommément à un fonctionnaire ne peuvent être tirées à l’issue de l’enquête sans que ce dernier ait été en mesure de présenter ses observations sur les faits le
concernant. Les conclusions font état de ces observations.
[...]
3. Si, à la suite d’une enquête de l’OLAF, aucune charge ne peut être retenue contre un fonctionnaire faisant l’objet d’allégations, l’enquête le concernant est classée sans suite par décision du directeur de l’[OLAF], qui en informe par écrit le fonctionnaire et son institution. Le fonctionnaire peut demander que cette décision figure dans son dossier personnel. »
8 L’article 2, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut prévoit :
« Les règles définies à l’article 1er de la présente annexe s’appliquent mutatis mutandis aux autres enquêtes administratives effectuées par l’[AIPN]. »
9 L’article 3 de l’annexe IX du statut énonce :
« Sur la base du rapport d’enquête, après avoir communiqué au fonctionnaire concerné toutes les pièces du dossier et après l’avoir entendu, l’[AIPN] peut :
a) décider qu’aucune charge ne peut être retenue contre le fonctionnaire concerné, auquel cas ce dernier en est alors informé par écrit ; ou
b) décider, même en cas de manquement ou de manquement présumé aux obligations, qu’il convient de n’adopter aucune sanction disciplinaire et, le cas échéant, adresser au fonctionnaire une mise en garde ; ou
c) en cas de manquement aux obligations, conformément à l’article 86 du statut,
i) décider de l’ouverture de la procédure disciplinaire prévue à la section 4 de la présente annexe, ou
ii) décider de l’ouverture d’une procédure disciplinaire devant le conseil de discipline. »
10 L’article 29 de l’annexe IX du statut dispose :
« Si aucune charge n’a été retenue contre l’intéressé en application de l’article 1er, paragraphe 3, et de l’article 22, paragraphe 2, de la présente annexe, ce dernier a droit, sur sa demande, à la réparation du préjudice subi par une publicité adéquate de la décision de l’[AIPN]. »
Le RAA
11 L’article 47 du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA ») est libellé comme suit :
« Indépendamment du cas du décès de l’agent temporaire, l’engagement de ce dernier prend fin : [...]
c) pour les contrats à durée indéterminée :
[...]
i) à l’issue du préavis fixé dans le contrat, le préavis ne pouvant être inférieur à un mois par année de service accompli, avec un minimum de trois mois et un maximum de dix mois. [...]
[...] »
Le règlement (CE) no 45/2001
12 L’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) no 45/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données (JO 2001, L 8, p. 1), prévoyait :
« Les données à caractère personnel doivent être :
a) traitées loyalement et licitement ;
[...] »
Les antécédents du litige
13 Les antécédents du litige sont exposés aux points 1 à 26 de l’arrêt attaqué dans les termes suivants :
« 1 Le requérant, DD, a été recruté le 1er août 2000 par l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC), devenu l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), en qualité d’agent temporaire au sens de l’article 2, sous a), du [RAA]. Engagé initialement sous contrat à durée déterminée, il a bénéficié d’un contrat à durée indéterminée à partir du 16 décembre 2006.
2 Par lettre du 13 juin 2013, le directeur de la FRA a informé le requérant de sa décision de résilier son contrat à durée indéterminée et lui a demandé de ne pas se rendre sur son lieu de travail pendant la période de préavis “commençant [le jour même] et prenant fin le 12 [a]vril 2014”.
3 Le délai de préavis de dix mois prévu à l’article 47, sous c), i), du RAA a expiré le 13 avril 2014. Lors de la période de préavis, le requérant a été déchargé de son obligation de fournir ses services et de se rendre dans les locaux de la FRA.
4 Par courriels du 5 mars et du 9 octobre 2014 (ci-après, pris ensemble, les “courriels litigieux”), le requérant a transmis à A, un ancien fonctionnaire de la FRA, depuis son adresse électronique privée, certaines informations internes à caractère confidentiel de la FRA. Il s’agissait de documents contenant, notamment, une liste de paiements effectués par la FRA à B, son ancien conseiller juridique.
5 Le 20 mars 2015, le directeur de la FRA a ouvert une enquête administrative, au titre de l’article 2 de l’annexe IX du statut [...], portant, en substance, sur les circonstances de la transmission vers l’extérieur des documents internes de la FRA (ci-après [...] l’“enquête administrative”).
6 L’enquête [administrative] a été menée sur le fondement de trois décisions (ci-après, prises ensemble, les “décisions afférentes à l’ouverture de l’enquête administrative”), à savoir, premièrement, la décision DIR/003/2015, du 20 mars 2015, portant sur l’ouverture de l’enquête administrative (ci-après la “décision d’ouverture de l’enquête administrative”), deuxièmement, la décision DIR/004/2016, du 3 mars 2016, portant sur l’extension de la portée de l’enquête administrative (ci-après la
“décision d’extension de l’enquête administrative” [...]) et, troisièmement, la décision DIR/005/2016, du 18 mars 2016, portant sur la nomination d’un comité d’enquête.
7 Par un arrêt du 8 octobre 2015, DD/FRA (F‑106/13 et F‑25/14, EU:F:2015:118), le Tribunal de la fonction publique a annulé la décision de résiliation visée au point 2 ci-dessus. Il a, en revanche, rejeté les conclusions indemnitaires du requérant tendant à la réparation de son préjudice moral.
8 Le requérant a introduit un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal de la fonction publique, rejeté par l’arrêt du 19 juillet 2017, DD/FRA (T‑742/15 P, [...], EU:T:2017:528).
9 Le 29 février 2016, la FRA a réintégré le requérant dans ses fonctions, dans le cadre de l’exécution de l’arrêt du 8 octobre 2015, DD/FRA (F‑106/13 et F‑25/14, EU:F:2015:118).
10 Le 30 mars 2016, la FRA a adressé au requérant une note par laquelle elle l’a informé, d’une part, de l’ouverture de l’enquête administrative et, d’autre part, de la tenue d’une audition prévue pour le 5 avril 2016.
11 Par un échange de courriels du même jour, le requérant a demandé à la FRA de lui fournir les éléments de preuve retenus à charge contre lui. En réponse à sa demande, les enquêteurs lui ont communiqué, le jour même, certains documents, dont une copie de son courriel du 9 octobre 2014.
12 Par un courriel du 4 avril 2016, en complément de l’envoi du courriel visé au point 11 ci-dessus, la FRA a transmis au requérant des preuves supplémentaires, dont une copie de son courriel du 5 mars 2014.
13 Le 5 avril 2016, les enquêteurs de la FRA ont auditionné le requérant ainsi que sept autres témoins.
14 Le 10 octobre 2016, le requérant a été informé que le rapport d’enquête [(ci-après le “rapport d’enquête”)] avait été achevé.
15 Le 12 octobre 2016, le requérant a demandé à la FRA de lui transmettre les conclusions du rapport d’enquête, les conclusions de l’enquête ainsi que tout autre document directement lié aux allégations formulées à son égard.
16 Par un courriel du 20 octobre 2016, en réponse [au] courriel visé au point 15 ci-dessus, la FRA a transmis au requérant les conclusions du rapport d’enquête.
17 Le 17 novembre 2016, le requérant a été invité à une audition, au sens de l’article 3 de l’annexe IX du statut, prévue le 6 décembre 2016. À cette occasion, le requérant a également reçu une copie du rapport d’enquête accompagnée de ses annexes.
18 Le 5 décembre 2016, la FRA a informé le requérant que l’audition visée au point 17 ci-dessus avait été reportée à une date ultérieure.
19 L’audition a eu lieu le 12 janvier 2017. Lors de cette audition, le requérant a produit une déclaration écrite dans laquelle il soutenait que le courriel du 9 octobre 2014 avait fait l’objet d’une fuite au sein de la FRA et a demandé l’ouverture d’une enquête interne à ce sujet.
20 Le 13 janvier 2017, le requérant a reçu le procès-verbal de l’audition visée au point 19 ci-dessus.
21 Le 20 janvier 2017, le requérant a transmis au directeur de la FRA ses observations finales sur le rapport d’enquête.
22 Le 28 avril 2017, le directeur de la FRA a décidé de clôturer l’enquête administrative sans suite. Cette décision a été notifiée au requérant le 4 mai 2017.
23 Le 27 août 2018, le requérant a introduit une demande [...] au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut, par laquelle il a sollicité, premièrement, l’accès à certains documents, à savoir les décisions afférentes à l’ouverture de l’enquête administrative, ainsi que la note du chef des ressources humaines de la FRA du 20 mars 2015 adressée au directeur [...], deuxièmement, l’ouverture d’une enquête sur une violation de la confidentialité de l’enquête administrative et, troisièmement, la
réparation du préjudice moral qu’il aurait subi en raison du comportement illégal de la FRA au cours de l’enquête administrative.
24 Le 21 décembre 2018, le directeur de la FRA a partiellement fait droit à la demande du 27 août 2018 en accordant au requérant l’accès à certains documents demandés par lui, visés au point 23 ci-dessus (ci-après la “décision du 21 décembre 2018”). Parmi les documents transmis au requérant figuraient les décisions afférentes à l’ouverture de l’enquête administrative. Ladite demande a été rejetée pour le surplus.
25 Le 5 mars 2019, le requérant a formé une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision du 21 décembre 2018 [...]
26 Par décision du 24 juin 2019, le directeur de la FRA a communiqué au requérant la note du 20 mars 2015 et a rejeté la réclamation visée au point 25 ci–dessus pour le surplus (ci-après la “décision du 24 juin 2019”). »
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
14 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 octobre 2019, le requérant a introduit le recours visé au point 1 du présent arrêt.
15 À l’appui de son premier chef de conclusions, par lequel il demandait au Tribunal de condamner la FRA à réparer le préjudice moral qu’il avait prétendument subi en raison des illégalités commises par cette dernière tant lors de l’ouverture de l’enquête administrative qu’au cours de celle‑ci, le requérant avait invoqué neuf chefs d’illégalité tirés des comportements illégaux de la FRA (ci-après, ensemble, les « comportements illégaux »), découlant :
– le premier, de ce que les enquêteurs ne disposaient pas d’un mandat suffisant pour enquêter, d’une part, sur une violation, par celui-ci, des articles 11 et 17 du statut et, d’autre part, sur le courriel du 5 mars 2014, de sorte que l’enquête administrative aurait été dépourvue de fondement juridique et aurait violé l’article 86, paragraphe 2, du statut ainsi que l’article 2 de la décision 2013/01 du conseil d’administration de la FRA, du 22 mai 2013, sur la conduite des enquêtes
administratives et des procédures disciplinaires (ci-après le « premier chef d’illégalité ») ;
– le deuxième, de ce que la décision d’ouverture de l’enquête administrative n’ait pas été fondée sur l’existence d’un soupçon raisonnable (ci-après le « deuxième chef d’illégalité ») ;
– le troisième, de ce que la FRA ne l’avait pas informé en temps utile de l’ouverture de l’enquête administrative et ne lui avait pas communiqué les décisions afférentes à celle-ci (ci-après le « troisième chef d’illégalité ») ;
– le quatrième, d’un caractère excessif et déraisonnable de la durée de la procédure administrative (ci-après le « quatrième chef d’illégalité ») ;
– le cinquième, de ce que la décision clôturant l’enquête était dépourvue de motivation (ci-après le « cinquième chef d’illégalité ») ;
– le sixième, de ce que le rapport d’enquête était entaché d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation ;
– le septième, d’une violation de la confidentialité de l’enquête administrative par la FRA ;
– le huitième, d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), et de l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement no 45/2001 (ci-après le « huitième chef d’illégalité »), et
– le neuvième, d’une violation du devoir de sollicitude, d’un manque d’objectivité et d’impartialité ainsi que d’un détournement de pouvoir.
16 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que les troisième et quatrième chefs d’illégalité étaient fondés. Il a, toutefois, considéré que les conditions pour l’engagement de la responsabilité d’une institution ou d’un organisme de l’Union n’avaient pas été réunies en l’espèce. En effet, il a considéré que ni la réalité d’un préjudice moral subi par le requérant du fait des comportements illégaux ni le lien de causalité entre ces derniers et ce prétendu préjudice n’avaient été établis par le
requérant.
Les conclusions des parties au pourvoi
17 Le requérant demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– en conséquence de lui accorder la réparation du préjudice immatériel qu’il a subi, estimé ex æquo et bono à 50000 euros, et si nécessaire d’annuler la décision du 21 décembre 2018 ainsi que la décision du 24 juin 2019, et
– de condamner la FRA aux entiers dépens.
18 La FRA demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner le requérant aux entiers dépens.
Sur le pourvoi
19 À l’appui de son pourvoi, le requérant invoque huit moyens, tirés d’erreurs commises par le Tribunal, respectivement dans chacune des huit parties de l’arrêt attaqué, à savoir dans l’exposé des faits, dans l’examen des premier, deuxième et cinquième à neuvième chefs d’illégalité ainsi que dans la partie relative à l’examen de l’existence d’un dommage actuel et d’un lien causal.
Sur le premier moyen, la deuxième branche du troisième moyen et le cinquième moyen
Argumentation des parties
20 Par son premier moyen, par la deuxième branche de son troisième moyen et par son cinquième moyen, qu’il convient d’examiner ensemble, le requérant reproche au Tribunal d’avoir dénaturé les éléments de preuve et commis une erreur de droit en considérant que, en l’espèce, la période de préavis de dix mois devait être considérée comme étant une période de travail normal, qui n’était pas de nature à exonérer le requérant des obligations de loyauté et de confidentialité que lui imposaient
respectivement les articles 11 et 17 du statut.
21 Le requérant fait valoir, en particulier, que, aux points 3 et 78 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve tout en opérant une qualification erronée des faits, en jugeant que, durant la période de préavis, le requérant n’était pas simplement « déchargé de son obligation de fournir ses services », mais qu’il lui a été demandé non seulement de ne pas accomplir ses tâches professionnelles, mais également de ne pas se rendre dans les locaux de la FRA. Par conséquent,
contrairement à ce que le Tribunal a affirmé aux points 77 et 78 de l’arrêt attaqué, la période de préavis ne saurait être considérée comme étant une période de travail normale. Partant, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en considérant que cette période n’était pas de nature à exonérer le requérant des obligations de loyauté et de confidentialité que lui imposaient respectivement les articles 11 et 17 du statut. Le requérant ajoute, dans son mémoire en réplique, que cette dénaturation
des éléments de preuve est la base sur laquelle reposent les conclusions du Tribunal aux points 58, 63, 86, 155, 174, 229, 243 et 245 de l’arrêt attaqué.
22 Le requérant estime également que le Tribunal a commis une erreur de droit aux points 77 à 80 de l’arrêt attaqué en considérant que ces obligations de loyauté et de confidentialité s’appliquaient durant la période de préavis. Or, d’une part, une période de préavis pendant laquelle le requérant, contrairement à tout autre membre du personnel, n’avait pas accès aux locaux de la FRA ne saurait être qualifiée de « période de travail normale ». D’autre part, le Tribunal aurait interprété l’article 17
du statut de manière large, en ce sens que l’intéressé est, durant cette période, un membre du personnel tant qu’il existe une relation contractuelle. En outre, selon le requérant, il ressort des versions en langues allemande et française de cette disposition que, aux fins de l’application de l’article 17 du statut, la seule existence de cette relation pendant la période de préavis n’est pas suffisante. De même, toutes les versions linguistiques de l’article 11 du statut indiqueraient, comme
étant une exigence de son application, l’existence d’un statut actif en tant qu’agent.
23 Enfin, le requérant soutient, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit au point 154 de l’arrêt attaqué, en estimant que le 5 mars 2014, au moment de l’envoi de l’un des courriels litigieux, le requérant était toujours un agent soumis au statut.
24 Selon la FRA, d’une part, en soutenant que la période de préavis de dix mois ne constituait, en l’espèce, pas une « période d’activité salariée normale », le requérant viserait à remettre en question l’appréciation des faits retenue par le Tribunal, ce qui serait irrecevable au stade du pourvoi. En tout état de cause, durant cette période de préavis, le requérant aurait continué à bénéficier de tous ses droits financiers, tout en restant lié par ses obligations de membre du personnel, à
l’exception de l’obligation de fournir ses prestations de travail au cours de la période de préavis.
25 D’autre part, la FRA avance que le requérant, en soutenant que les obligations prévues aux articles 11 et 17 du statut n’étaient pas applicables pendant la période de préavis, se contente de réitérer les arguments qu’il a fait valoir dans sa requête ainsi que dans sa réplique en première instance et qui ont été écartés par le Tribunal. En tout état de cause, il résulterait de la jurisprudence que les obligations statutaires s’imposent lors d’une période de congé pour convenance personnelle, de
telle sorte qu’il en irait de même pour ce qui est de la période de préavis.
Appréciation de la Cour
26 S’agissant, premièrement, de l’argument du requérant relatif à la prétendue dénaturation que le Tribunal aurait commise aux points 3 et 78 de l’arrêt attaqué, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où
l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Il s’ensuit que l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 25 avril 2024, NS/Parlement, C‑218/23 P, EU:C:2024:358, point 58 et jurisprudence citée).
27 Une telle dénaturation existe lorsque, sans avoir recours à de nouveaux éléments de preuve, l’appréciation des éléments de preuve existants apparaît manifestement erronée ou manifestement contraire à leur libellé. Toutefois, cette dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves. Par ailleurs, lorsqu’un requérant allègue une dénaturation d’éléments de preuve, il doit indiquer de façon
précise les éléments qui auraient été dénaturés par le Tribunal et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit celui-ci à cette dénaturation (arrêts du 27 avril 2023, Fondazione Cassa di Risparmio di Pesaro e.a./Commission, C‑549/21 P, EU:C:2023:340, point 73 ainsi que jurisprudence citée, et du 11 janvier 2024, Foz/Conseil, C‑524/22 P, EU:C:2024:23, point 38 ainsi que jurisprudence citée).
28 En l’espèce, il convient de souligner que le Tribunal, aux points 3 et 78 de l’arrêt attaqué, se réfère au courriel du 13 juin 2013 par lequel la FRA a informé le requérant de sa décision de résilier son contrat de travail. Ainsi que le Tribunal l’a constaté au point 2 de l’arrêt attaqué et comme le requérant l’admet lui-même, il ressort expressément de ce courriel que le directeur de la FRA lui a demandé de ne pas se rendre sur son lieu de travail pendant la période de préavis.
29 Le requérant n’avance aucun argument susceptible de mettre en évidence une inexactitude matérielle dans la lecture que le Tribunal a faite de ce courriel. En effet, le requérant n’explique pas, avec la clarté et la précision requise, en quoi le Tribunal aurait dénaturé le contenu dudit courriel en constatant, aux points 3 et 78 de l’arrêt attaqué, que, lors de la période de préavis, le requérant a été déchargé de son obligation de fournir ses services et de se rendre dans les locaux de la FRA.
Cette argumentation doit donc être rejetée comme étant non fondée.
30 Deuxièmement, en ce qui concerne l’argument tiré de la prétendue erreur de droit tirée de ce que ce serait à tort que le Tribunal aurait considéré que la période de préavis devait être qualifiée de « période de travail normale », celui-ci a constaté, aux points 77 à 80 et 154 de l’arrêt attaqué, en substance, que durant la période de préavis de dix mois que le requérant était tenu d’observer, même s’il était dispensé de l’obligation de fournir les prestations découlant de son contrat de travail
et de se rendre dans les locaux de la FRA, celui-ci restait, toutefois, soumis aux droits et aux obligations découlant du statut, notamment aux obligations de loyauté et de confidentialité.
31 À cet égard, il ressort de l’article 47, sous c), i), du RAA que, indépendamment de l’hypothèse du décès de l’agent temporaire, l’engagement de ce dernier prend fin, pour les contrats à durée indéterminée, à l’issue du préavis prévu dans le contrat, ce préavis ne pouvant être inférieur à un mois par année de service accompli avec un minimum de trois mois et un maximum de dix mois.
32 Il en découle que l’agent temporaire ne perd pas sa qualité d’agent de l’Union durant la période de préavis et demeure donc soumis aux obligations qui incombent à tout fonctionnaire de l’Union, sauf dispositions expresses contraires (voir, par analogie, arrêt du 6 mars 2001, Connolly/Commission, C‑274/99 P, EU:C:2001:127, point 69).
33 Dès lors, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, aux points 77, 79 et 154 de l’arrêt attaqué, que, durant la période de préavis précédant la fin de son contrat de travail avec la FRA, le requérant conservait la qualité d’agent de l’Union, soumis aux droits et aux obligations découlant du statut.
34 Plus particulièrement, quant à l’argumentation selon laquelle le Tribunal aurait estimé à tort que les obligations de loyauté et de confidentialité découlant respectivement des articles 11 et 17 du statut s’appliquaient lors la période de préavis, il y a lieu de souligner que, contrairement à ce que prétend le requérant, rien dans l’économie, le contexte et la finalité de ces articles ne permet de considérer que, en l’absence de dispositions spécifiques, ils exigeraient, aux fins de leur
application, que l’agent ou le fonctionnaire de l’Union concerné se trouve dans une position« active », dans laquelle il est tenu d’effectuer ses tâches professionnelles, de sorte que lesdits articles cesseraient de s’appliquer à partir du moment où cette période de préavis commence à courir.
35 D’une part, en ce qui concerne l’article 11 du statut, l’obligation de loyauté qu’il prévoit s’impose à tout le moins pendant la période au cours de laquelle l’intéressé a le statut de fonctionnaire ou d’agent, dès lors que cette obligation est destinée principalement à préserver la relation de confiance qui doit exister entre ceux-ci et l’institution de l’Union concernée (voir, en ce sens, arrêt du 6 mars 2001, Connolly/Commission, C‑274/99 P, EU:C:2001:127, point 44).
36 D’autre part, pour ce qui est de l’obligation de confidentialité qui, conformément à l’article 17, alinéa premier, du statut, impose à tout fonctionnaire ou agent de l’Union de s’abstenir de toute divulgation non autorisée d’informations portées à sa connaissance dans l’exercice de ses fonctions, à moins que ces informations n’aient déjà été rendues publiques ou ne soient accessibles au public, il suffit de relever qu’il ressort du second paragraphe de cette disposition qu’un tel fonctionnaire ou
agent reste soumis à cette obligation après la cessation de ses fonctions.
37 Ainsi, ce principe s’applique, à plus forte raison, à la période de préavis qui précède, le cas échéant, la cessation des fonctions d’un fonctionnaire ou d’un agent de l’Union.
38 Ces considérations ne sauraient être infirmées par les arguments avancés par le requérant, tirés de ce que, en l’espèce, durant sa période de préavis, le directeur de la FRA l’a enjoint de ne pas effectuer ses tâches professionnelles et lui a interdit l’accès aux locaux de cet organisme, ce qui aurait eu pour conséquence que son employeur ne l’aurait pas traité, durant cette période, comme un membre du personnel.
39 À cet égard, force est de constater que, si l’article 47, sous c), i), du RAA ne prévoit pas explicitement que les conditions de travail de l’agent dont le contrat est résilié peuvent faire l’objet d’aménagements pendant la période de préavis, de sorte que cette période est présumée constituer une période de travail normale, il n’en demeure pas moins que les institutions, organes et organismes de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de leurs services et dans
l’affectation des membres de leur personnel, pour autant que cette affectation se fasse dans l’intérêt du service et qu’elle respecte l’équivalence des emplois, y compris en ce qui concerne les membres du personnel qui sont en période de préavis.
40 Dès lors, la décision de dispenser l’agent temporaire, dont le contrat de travail est résilié, de son obligation de fournir les prestations découlant de ce contrat et de lui interdire de se rendre dans les locaux de l’institution ou de l’organisme de l’Union auquel il est attaché pendant la période de préavis peut, en principe, constituer une mesure prise dans l’intérêt du service et ne saurait nécessairement exclure, contrairement à ce que soutient en substance le requérant, de qualifier cette
période de préavis de « période de travail normale ».
41 Dans ces conditions, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré, au point 80 de l’arrêt attaqué, que le fait que, pendant la période de préavis, le requérant était libéré de l’obligation de fournir ses prestations professionnelles et ne pouvait pas se rendre dans les locaux de la FRA n’était pas de nature, en l’espèce, à l’exonérer des obligations de loyauté et de confidentialité que lui imposaient respectivement les articles 11 et 17 du statut, de telle sorte que
l’argumentation du requérant à cet égard doit être jugée non fondée.
42 Par conséquent, il y a lieu d’écarter le premier moyen, la deuxième branche du troisième moyen et le cinquième moyen comme étant non fondés.
Sur le deuxième moyen ainsi que sur les première et troisième branches du troisième moyen
Argumentation des parties
43 Par son deuxième moyen ainsi que par les première et troisième branches de son troisième moyen, qu’il convient d’examiner ensemble, le requérant reproche au Tribunal d’avoir commis, aux points 49 à 84 de l’arrêt attaqué, plusieurs erreurs de droit et des erreurs manifestes d’appréciation, ainsi qu’une dénaturation des éléments de preuve, dans le cadre de son appréciation des premier et deuxième chefs d’illégalité, concernant l’ouverture de l’enquête administrative et l’extension de la portée de
celle-ci, et de ne pas avoir fourni une motivation suffisante à cet égard.
44 Premièrement, le Tribunal aurait dénaturé les éléments de preuve et commis des erreurs de droit en constatant que la décision d’ouverture de l’enquête administrative incluait les courriels litigieux, c’est-à-dire également le courriel du 5 mars 2014, alors que seul le courriel du 9 octobre 2014 aurait été visé par cette décision. Le requérant soutient que le Tribunal n’a pas examiné son argumentation tirée de ce que ladite décision portait sur la fuite d’un seul document, à savoir le document
joint au courriel du 9 octobre 2014, et non pas sur le contenu du courriel du 5 mars 2014. À cet égard, il fait valoir que le Tribunal n’a pas tenu compte, d’une part, du libellé de la même décision et, d’autre part, du contexte dans lequel elle s’inscrivait. De même, aux points 52 à 61 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait commis des erreurs de droit dans son interprétation de la portée de la décision d’extension de l’enquête administrative, en ignorant tant sa formulation explicite que le
contexte dans lequel elle s’insérait, notamment les exigences découlant du règlement no 45/2001, et le libellé du dispositif de la décision portant sur la nomination d’un comité d’enquête.
45 Le requérant allègue, deuxièmement, que, dans le cadre de son analyse, le Tribunal n’a pas opéré de distinction suffisante entre l’ouverture de l’enquête administrative et l’extension de la portée de celle-ci. Bien que le requérant admette que, ainsi qu’il ressort du point 66 de l’arrêt attaqué, le deuxième chef d’illégalité se rattache étroitement au premier, il estime que, s’agissant de ce dernier, la décision d’ouverture de l’enquête administrative concernait la fuite d’un seul document,
tandis que la question de droit soulevée dans le cadre du deuxième chef d’illégalité était de savoir si les éléments de preuve dont la FRA avait disposé au moment de l’ouverture de l’enquête administrative remplissaient les conditions pour être considérés comme constituant un commencement de preuve nécessaire aux fins de l’ouverture d’une enquête administrative. Par conséquent, le Tribunal n’aurait pas établi une distinction suffisante entre les courriels litigieux et n’aurait pas indiqué que le
courriel du 9 octobre 2014, seul initialement visé lors de l’ouverture de l’enquête administrative, pouvait être considéré comme étant un tel commencement de preuve.
46 Troisièmement, le Tribunal aurait dénaturé les éléments de preuve, fourni une motivation insuffisante et commis une erreur de droit en constatant, contrairement à ce qu’il ressortirait de la formulation particulièrement large de la décision d’extension de l’enquête administrative, adoptée au mois de mars 2016, que l’argument du requérant selon lequel la FRA avait lancé contre lui une « opération de recherche aléatoire » ou une « pêche aux informations » constituait une simple allégation, laquelle
n’était corroborée par aucun élément concret.
47 La FRA excipe de l’irrecevabilité du deuxième moyen ainsi que des première et troisième branches du troisième moyen, en faisant valoir que le requérant se borne à contester des constatations de faits opérées par le Tribunal et ajoute que, en tout état de cause, l’argumentation du requérant est manifestement non fondée.
Appréciation de la Cour
48 Premièrement, dès lors que le requérant fait valoir que le Tribunal a dénaturé des éléments de preuve en procédant à une lecture erronée des décisions afférentes à l’ouverture de l’enquête administrative, il y a lieu de rappeler que, si une dénaturation des éléments de preuve peut consister en une interprétation d’un document contraire au contenu de celui-ci, il ne suffit pas, en vue d’établir une telle dénaturation, de démontrer que ce document pouvait faire l’objet d’une interprétation
différente de celle retenue par le Tribunal. Il est nécessaire, à cette fin, d’établir que le Tribunal a manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable dudit document, notamment en faisant une lecture de celui-ci contraire à son libellé (arrêt du 23 mars 2023, PV/Commission, C‑640/20 P, EU:C:2023:232, point 134).
49 En l’espèce, il convient d’observer, d’une part, qu’il ressort du libellé même du dispositif de la décision d’ouverture de l’enquête administrative, tel que reproduit au point 50 de l’arrêt attaqué, lequel n’est pas critiqué dans le cadre du présent pourvoi, que cette enquête avait cherché à déterminer les faits et circonstances dans lesquels le requérant avait été mis en possession de documents internes de la FRA alors qu’il n’avait plus accès à de tels documents depuis le 14 juin 2013. D’autre
part, par la décision d’extension de l’enquête administrative, la FRA a décidé, selon les termes de cette décision, tels que reproduits au point 53 de l’arrêt attaqué, qui n’est pas non plus critiqué dans le cadre du présent pourvoi, d’élargir la portée de cette enquête tant sur le plan temporel que personnel, en visant également les acteurs extérieurs et les anciens agents de la FRA, afin de déterminer les personnes impliquées et d’identifier les sources de la fuite.
50 Dès lors, le constat effectué par le Tribunal, aux points 51, 55 et 58 de l’arrêt attaqué, selon lequel les décisions afférentes à l’ouverture de l’enquête administrative ont été formulées en des termes suffisamment larges pour pouvoir être considérées comme englobant l’ensemble des éléments se rattachant à la fuite litigieuse, de sorte que cette enquête a nécessairement pu porter sur tout autre document susceptible d’avoir fait l’objet d’une divulgation non autorisée présentant un lien avec les
courriels litigieux, à savoir tant le courriel du 9 octobre 2014 que celui du 5 mars 2014, n’apparaît pas manifestement inexact au regard du libellé et du contexte de ces documents.
51 L’argumentation tirée d’une dénaturation des décisions afférentes à l’ouverture de l’enquête administrative doit donc être écartée comme étant non fondée.
52 S’agissant, deuxièmement, de l’argumentation se rapportant à ce que le Tribunal n’aurait pas opéré, aux points 64 à 85 de l’arrêt attaqué, de distinction suffisante entre l’ouverture de l’enquête administrative et l’extension de la portée de celle-ci, dans la mesure où le courriel du 5 mars 2014 n’aurait pas pu constituer un commencement de preuve permettant l’ouverture de l’enquête administrative, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 26 du présent
arrêt, dans le cadre d’un pourvoi, que la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits.
53 En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis, sous réserve du cas de leur dénaturation (arrêt du 11 janvier 2024, Foz/Conseil, C‑524/22 P, EU:C:2024:23, point 37 et jurisprudence citée).
54 Or, par son argumentation, telle que résumée au point 45 du présent arrêt, le requérant vise, en réalité, à obtenir un réexamen par la Cour des éléments de preuve produits en première instance et analysés dans l’arrêt attaqué, sans invoquer aucune dénaturation de ceux-ci par le Tribunal, ce qui, pour les motifs énoncés au point précédent, excède la compétence de la Cour.
55 Il y a lieu donc d’écarter cette argumentation comme étant irrecevable.
56 En troisième et dernier lieu, le requérant fait grief au Tribunal d’avoir, au point 85 de l’arrêt attaqué, erronément considéré que l’argument selon lequel la FRA avait lancé au mois de mars 2016 une « opération de recherche aléatoire » ou une « pêche aux informations » relevait d’une simple allégation qui n’était corroborée par aucun élément concret.
57 À cet égard, force est de constater que l’argumentation avancée à l’appui de ce grief ne permet pas de démontrer que les constats que le Tribunal a opérés audit point de l’arrêt attaqué reposent sur une dénaturation des éléments de preuve avancés en première instance, cette argumentation visant ainsi, en réalité, à remettre en cause l’appréciation souveraine des faits que le Tribunal a effectuée à cet effet.
58 Conformément à la jurisprudence rappelée au point 26 du présent arrêt, il convient, dès lors, d’écarter cette argumentation comme étant irrecevable.
59 Partant, il y a lieu d’écarter le deuxième moyen ainsi que les première et troisième branches du troisième moyen comme étant, pour partie, irrecevables et, pour partie, non fondés.
Sur le quatrième moyen
Argumentation des parties
60 Par son quatrième moyen, le requérant fait valoir que le Tribunal, aux points 145 à 149 de l’arrêt attaqué, a commis des erreurs de droit, fourni une motivation insuffisante et procédé à un examen incomplet du recours en première instance.
61 Le requérant estime, tout d’abord, que le Tribunal a, à tort, considéré, au point 146 de l’arrêt attaqué, que l’article 25, deuxième alinéa, du statut traitait de l’obligation de motivation, en ce qui concerne notamment les décisions faisant grief à un fonctionnaire de l’Union. Ensuite, il fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant qu’il ne pouvait pas se prévaloir légitimement d’une violation de l’article 3 de l’annexe IX du statut au motif que la décision de clôture
de l’enquête administrative n’était pas motivée. Par ailleurs, le Tribunal n’aurait pas motivé la raison pour laquelle le requérant ne pouvait pas se prévaloir de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
62 Enfin, le Tribunal n’aurait examiné que partiellement le cinquième chef d’illégalité et, au point 149 de l’arrêt attaqué, n’aurait pas motivé à suffisance de droit sa décision selon laquelle il n’y avait pas lieu d’examiner les autres arguments qu’invoquait le requérant à cet égard, notamment en ce qui concerne une prétendue violation du principe de sécurité juridique.
63 Selon le requérant, en clôturant l’enquête administrative sans choisir d’option précise, la FRA a violé le principe de sécurité juridique. En effet, l’exercice du droit à la réparation du préjudice subi par un fonctionnaire ou agent de l’Union à l’égard duquel aucune charge n’a été retenue, tel que prévu à l’article 29 de l’annexe IX du statut, serait subordonné à la circonstance que l’AIPN a décidé d’opter pour la solution visée à l’article 3, sous a), de l’annexe IX du statut. En l’espèce, en
s’étant abstenue d’opter pour l’une des solutions visées à cet article 3, la FRA aurait contourné cette disposition ainsi que l’article 29 de l’annexe IX du statut, et aurait privé substantiellement ces dispositions de sens et de tout effet. La FRA aurait, de ce fait, violé le principe de sécurité juridique, étant donné que le requérant disposait d’un intérêt légitime à bénéficier des droits que lui reconnaît l’article 29 de l’annexe IX du statut, lu en combinaison avec l’article 3 de celui-ci.
64 La FRA excipe de l’irrecevabilité du quatrième moyen et ajoute que, en tout état de cause, il est manifestement non fondé.
65 Elle relève, premièrement, que conformément au point a) de l’article 41, paragraphe 2, de la Charte, le point c) de cette disposition ne s’applique qu’aux décisions faisant grief au destinataire. Or, selon la FRA, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, aux points 145 et 147 de l’arrêt attaqué, qu’une décision de clôture sans suite d’une procédure disciplinaire ne constitue pas un acte faisant grief à la personne concernée et qu’il a fourni une motivation suffisante à cet égard.
66 Deuxièmement, contrairement à ce que soutiendrait le requérant, la décision de clôture sans suite de l’enquête administrative ne violerait pas le principe de sécurité juridique.
67 Troisièmement, elle fait valoir que, en l’espèce, même à supposer que le Tribunal ait commis une erreur de droit en constatant que la décision clôturant l’enquête sans suite aurait dû être motivée, cela ne procurerait aucun bénéfice au requérant. Partant, le requérant ne saurait avoir un intérêt légitime à critiquer, pour défaut de motivation, une décision par laquelle une enquête administrative le concernant a été clôturée sans suite.
Appréciation de la Cour
68 Il convient de rappeler que, conformément à l’article 25, deuxième alinéa, seconde phrase, du statut, toute décision individuelle prise en application du statut « faisant grief » au fonctionnaire intéressé doit être motivée. Cette obligation de motiver un acte faisant grief a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour apprécier si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la légalité et, d’autre part, de
permettre au juge d’exercer son contrôle à cet égard [ordonnance du 23 juillet 2019, UC/Parlement, C‑196/19 P, EU:C:2019:653, point 5 (prise de position de l’avocat général Saugmandsgaard Øe, point 6 et jurisprudence citée)].
69 En l’espèce, le Tribunal a conclu, aux points 147 et 148 de l’arrêt attaqué, sans se prononcer sur les autres arguments avancés par le requérant à cet égard, que celui-ci ne pouvait légitiment invoquer la violation de l’article 3 de l’annexe IX du statut, tirée de ce que la décision clôturant sans suite l’enquête administrative était dépourvue de motivation, au motif qu’une telle décision ne constituait pas, au sens des articles 90 et 91 du statut, un « acte faisant grief ».
70 Dès lors, il convient d’abord d’examiner si ladite décision clôturant l’enquête administrative constitue un acte faisant grief, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut.
71 Conformément à cette disposition, toute personne relevant du champ d’application personnel du statut peut saisir l’AIPN d’une réclamation dirigée contre un acte lui faisant grief. L’article 91, paragraphe 1, du statut précise que la Cour de justice est compétente pour statuer sur tout litige entre l’Union et l’une de ces personnes et portant sur la légalité d’un acte faisant grief à cette dernière, au sens dudit article 90, paragraphe 2. Ces dispositions sont applicables par analogie aux recours
des autres agents en vertu de l’article 117 du RAA (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2022, Picard/Commission, C‑366/21 P, EU:C:2022:984, point 94).
72 Selon la jurisprudence de la Cour, seuls font grief, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, les actes ou les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts du requérant en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de celui-ci (arrêt du 15 décembre 2022, Picard/Commission, C‑366/21 P, EU:C:2022:984, point 95 et jurisprudence citée).
73 Pour déterminer si un acte produit de tels effets, il y a lieu de s’attacher à la substance de cet acte et d’apprécier ses effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu dudit acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur (arrêt du 15 décembre 2022, Picard/Commission, C‑366/21 P, EU:C:2022:984, point 96 et jurisprudence citée).
74 En effet, la notion d’« acte faisant grief », au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, doit faire l’objet d’une interprétation large et être entendue comme étant tout acte susceptible d’affecter directement une situation juridique déterminée (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2023, Scuola europea di Varese, C‑431/22, EU:C:2023:1021, point 64).
75 L’article 3 de l’annexe IX du statut, qui vise à régir l’action de l’AIPN au terme de la phase d’enquête administrative, clôturée sans suite dans la présente affaire, énumère, de manière limitative, les trois options dont dispose cette autorité sur la base du rapport d’enquête administrative. En effet, il ressort du libellé clair et non équivoque de cet article que, après avoir communiqué au fonctionnaire de l’Union concerné toutes les pièces du dossier et après l’avoir entendu, l’AIPN peut,
premièrement, décider qu’aucune charge ne peut être retenue contre ce fonctionnaire, auquel cas elle doit l’en informer par écrit. Deuxièmement, même en cas de manquement ou de manquement présumé aux obligations dont il s’agit, l’AIPN peut décider qu’il convient de n’adopter aucune sanction disciplinaire et, le cas échéant, elle peut adresser audit fonctionnaire une mise en garde uniquement. Troisièmement, en cas de manquement aux obligations auxquelles le fonctionnaire ou l’ancien fonctionnaire
est tenu, au titre du statut, commis volontairement ou par négligence, l’AIPN peut décider d’ouvrir une procédure disciplinaire et, le cas échéant, de saisir, à cet effet, le conseil de discipline (arrêt de ce jour, C‑587/21 P, DD/FRA, point 36).
76 Or, pour autant qu’une décision de classement sans suite soit susceptible de constituer une décision selon laquelle l’APIN considère qu’aucune charge ne peut être retenue contre l’intéressé, au sens de l’article 3, sous a), de l’annexe IX du statut, il convient de relever qu’une telle décision implique une modification de la situation juridique de ce dernier en lui conférant certains droits.
77 D’une part, ainsi qu’il ressort de l’article 29 de l’annexe IX du statut, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 3, et l’article 2, paragraphe 1, de cette annexe, si aucune charge n’a été retenue contre l’intéressé, ce dernier pourrait avoir droit, le cas échéant, à la réparation du préjudice subi par une publicité adéquate de la décision de l’AIPN.
78 D’autre part, en vertu de l’article 1er, paragraphe 3, de l’annexe IX du statut, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, de cette annexe, si aucune charge ne peut être retenue contre un fonctionnaire faisant l’objet d’allégations, l’enquête le concernant est classée sans suite par décision de l’AIPN, notifiée par écrit au fonctionnaire, qui dispose du droit de demander à ce que cette décision figure dans son dossier personnel.
79 Dès lors, une décision de clôturer sans suite l’enquête administrative dont un fonctionnaire ou un agent de l’Union faisait l’objet doit être considérée comme constituant un acte susceptible d’affecter directement la situation juridique de ce dernier et, partant, comme étant un « acte lui faisant grief », au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, a fortiori lorsque la formulation de cet acte et le contexte dans lequel il s’inscrit ne permettent pas, comme en l’espèce, de constater, avec
la certitude suffisante, qu’aucune charge ne pouvait être retenue contre ce fonctionnaire ou cet agent, au sens de l’article 3 de l’annexe IX du statut. Or, sauf à priver le requérant de la protection juridictionnelle effective lui permettant de faire valoir les droits qu’il tire du statut, celui-ci doit pouvoir connaître avec précision les motifs exacts pour lesquels il est mis fin à la procédure administrative le concernant.
80 Au vu de ces éléments, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 147 et 148 de l’arrêt attaqué, que la décision de la FRA de clôturer sans suite la procédure administrative à l’égard du requérant ne constituait pas un acte lui faisant grief, si bien que ce dernier ne pouvait légitimement invoquer la violation de l’article 3 de l’annexe IX du statut, au motif que ladite décision était dépourvue de motivation.
81 Il y a lieu, par conséquent, d’accueillir le quatrième moyen et d’annuler l’arrêt attaqué, en tant que le Tribunal a rejeté le cinquième chef d’illégalité présenté par le requérant.
Sur le sixième moyen
Argumentation des parties
82 Par son sixième moyen, le requérant reproche, en substance, au Tribunal d’avoir commis, aux points 169 à 173 de l’arrêt attaqué, plusieurs erreurs de droit et procédé à un examen incomplet de ses arguments à l’appui du huitième chef d’illégalité. En outre, le Tribunal n’aurait pas satisfait à son obligation de motivation à cet égard.
83 Par la première branche de son sixième moyen, le requérant fait valoir que les erreurs commises par le Tribunal dans le cadre de son appréciation des premier et deuxième chefs d’illégalité ont des répercussions sur celle à laquelle il s’est livré à l’égard du huitième chef d’illégalité, de sorte que son argumentation recoupe partiellement celle invoquée à l’appui de ses deux premiers moyens. Dans ce contexte, le requérant soutient, en substance, que le Tribunal n’a pas motivé à suffisance de
droit sa décision selon laquelle l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement no 45/2001 n’avait pas été violé en l’espèce. Or, selon le requérant, le Tribunal était également tenu d’examiner si l’enquête administrative respectait les exigences en matière de protection des données personnelles.
84 Par la deuxième branche de son sixième moyen, le requérant soutient que Tribunal a considéré à tort que, au regard du fait que l’enquête administrative avait été ouverte sur la base d’un indice suffisant, le requérant ne pouvait valablement se prévaloir d’une violation du règlement no 45/2001. Or, selon le requérant, l’ouverture et la conduite de l’enquête administrative ainsi que tous les actes ultérieurs résultant de l’enquête administrative ont été contraires au règlement no 45/2001. En effet,
la FRA aurait eu possession des données à caractère personnel concernant le requérant contenues dans les courriels litigieux, en tant que pièces jointes d’une demande d’accès à des documents d’une tierce personne, et aurait décidé de traiter ultérieurement ces données de manière incompatible avec cette finalité. Il reproche, à cet égard, au Tribunal d’avoir omis de statuer sur ces arguments, soumis dans le cadre de ses observations du 15 février 2021 sur les réponses de la FRA aux questions du
Tribunal.
85 La FRA excipe de l’irrecevabilité manifeste du sixième moyen. En tout état de cause, ce moyen serait non fondé. Elle relève, en substance, que le requérant se borne à réitérer les affirmations qu’il a soutenues en première instance.
Appréciation de la Cour
86 Conformément à la jurisprudence citée au point 26 du présent arrêt, il y a lieu d’écarter d’emblée comme étant irrecevables les arguments développés dans la première branche du sixième moyen par lesquels, en substance, le requérant, en alléguant qu’aucune base juridique n’aurait justifié l’inclusion du courriel du 9 octobre 2014 dans l’enquête administrative et, partant, l’existence d’un « commencement de preuve » aux fins de l’ouverture de cette enquête, conteste l’appréciation des faits
effectuée par le Tribunal sans faire valoir la moindre dénaturation de ceux-ci.
87 S’agissant du prétendu défaut de motivation de l’arrêt attaqué à cet égard, il importe de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que l’obligation de motivation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige, la motivation du Tribunal pouvant ainsi être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas
fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (arrêt du 9 novembre 2023, XC/Commission, C‑527/21 P, EU:C:2023:850, point 99 et jurisprudence citée).
88 En l’espèce, après avoir constaté, au point 170 de l’arrêt attaqué, que les arguments avancés par le requérant, portant sur la prétendue violation, par la FRA, de l’article 4, paragraphe 1, sous a), et de l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement no 45/2001 lors de l’ouverture de l’enquête administrative, étaient étroitement liés aux arguments qu’il avançait à l’appui de l’existence du deuxième chef d’illégalité, le Tribunal a jugé, aux points 171 à 173 de cet arrêt, qu’il découlait de
l’analyse effectuée dans le cadre de ce deuxième chef d’illégalité que l’enquête administrative à l’égard du requérant avait été ouverte sur la base d’un indice suffisant de l’existence d’un manquement aux obligations statutaires, conformément à l’article 86, paragraphe 2, du statut. Dans ces circonstances, le Tribunal a estimé, en substance, que les arguments du requérant par lesquels il faisait grief à la FRA d’avoir violé les dispositions du règlement no 45/2001 devait être écartés au motif
qu’ils reposaient sur une prémisse erronée.
89 Or, cette motivation est suffisante pour permettre au requérant de comprendre les raisons pour lesquelles son argumentation a été écartée et à la Cour d’exercer son contrôle. L’insuffisance de motivation invoquée par le requérant doit donc être rejetée comme étant non fondée.
90 Il s’ensuit que la première branche du sixième moyen doit être rejetée.
91 S’agissant de la seconde branche du sixième moyen, il suffit de relever, en premier lieu, que, dans la mesure où les arguments à l’appui de ladite branche doivent être compris comme étant tirés de ce que le Tribunal n’aurait pas examiné l’argumentation du requérant constituant une ampliation de celle qu’il avançait à l’appui du huitième chef d’illégalité, tiré d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement no 45/2001, à laquelle le requérant aurait procédé dans le cadre de
ses observations du 15 février 2021, il ressort du point 88 du présent arrêt que le Tribunal, en jugeant, aux points 172 et 173 de l’arrêt attaqué, que la FRA avait ouvert l’enquête administrative de manière régulière, a considéré implicitement, mais nécessairement, que les données personnelles du requérant figurant dans les courriels litigieux avaient été traitées de façon licite, conformément à cette disposition. Partant, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir violé l’obligation de
motivation à cet égard.
92 En second lieu, quant à la prétendue erreur de droit tirée d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement no 45/2001 au motif que le Tribunal aurait méconnu le fait que les courriels litigieux contenant des données à caractère personnel concernant le requérant avaient été reçus par la FRA par erreur et, dès lors, n’avaient pas été obtenus légalement, il suffit de rappeler que le principe prévalant en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves, de sorte
que les parties ont, en principe, la faculté de se prévaloir, pour prouver un fait donné, de moyens de preuve de toute nature (arrêt du 10 septembre 2020, Hamas/Conseil, C‑386/19 P, EU:C:2020:691, point 73).
93 Il importe de rappeler, à cet égard, que l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement no 45/2001 dispose que les données à caractère personnel doivent être traitées loyalement et licitement. Toutefois, il ne saurait être déduit de cette disposition, contrairement à ce que soutient le requérant, qu’elle constituerait l’expression d’une règle plus générale, qui, en l’espèce, aurait dû empêcher la FRA d’utiliser, dans le cadre de l’enquête administrative, des informations transmises à cet
organisme par un tiers, au seul motif que ces informations avaient été obtenues à d’autres fins et que leur transmission audit organisme l’a été par erreur.
94 Dans ces conditions, la seconde branche du sixième moyen doit être considérée comme étant non fondée.
95 Par conséquent, il convient de rejeter le sixième moyen dans son intégralité.
Sur le septième moyen
Argumentation des parties
96 Par son septième moyen, le requérant fait valoir, en substance, que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans son analyse figurant aux points 223 à 229 de l’arrêt attaqué, en rejetant ses affirmations concernant un prétendu harcèlement psychologique comme étant formulées en des termes vagues. Il soutient, en substance, que les troisième et quatrième chefs d’illégalité, que le Tribunal a considéré comme étant établis dans le chef de la FRA aux points 98, 111 et 139 de l’arrêt attaqué, sont en
rapport avec l’enquête administrative et répondent aux critères, découlant de la jurisprudence, que doit présenter un comportement inapproprié pour être qualifié de harcèlement. Partant, contrairement à ce qui ressortirait du point 227 de l’arrêt attaqué, ils ne sauraient être considérés comme s’inscrivant dans le déroulement normal d’une enquête administrative.
97 La FRA conteste l’argumentation du requérant. Elle soutient, en substance, que le septième moyen est manifestement irrecevable et, en tout état de cause, non fondé, dès lors que le requérant se borne à contester l’appréciation par le Tribunal des éléments de preuve invoqués en première instance.
Appréciation de la Cour
98 Par le septième moyen, qui est dirigé contre les points 223 à 229 de l’arrêt attaqué, le requérant soutient, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que, nonobstant le fait qu’il ait considéré, aux points 98, 111 et 139 de l’arrêt attaqué, que les troisième et quatrième chefs d’illégalité pouvaient effectivement être reprochés à la FRA, cela ne suffisait pas pour autant à établir l’existence d’un harcèlement moral, dont le requérant aurait été victime dans le cadre
de l’enquête administrative.
99 À cet égard, il convient de relever que cette considération du Tribunal est fondée sur son appréciation souveraine des faits et des éléments de preuve, concernant la gravité des troisième et quatrième chefs d’illégalité, reconnus comme étant établis dans le chef de la FRA. Ainsi, le Tribunal a jugé, aux points 227 à 229 de l’arrêt attaqué, que ces chefs d’illégalité n’étaient pas de nature, même pris dans leur ensemble, et en l’absence d’autres éléments avancés par le requérant, à caractériser un
harcèlement moral, au sens de l’article 12 bis du statut.
100 Devant la Cour, le requérant ne présente aucune argumentation juridique spécifique susceptible de démontrer en quoi, notamment, au point 228 de l’arrêt attaqué, le Tribunal, en méconnaissant la jurisprudence citée aux points 223 à 225 de l’arrêt attaqué, relative à la notion de « harcèlement moral » au sens de l’article 12 bis du statut, aurait procédé à une qualification juridique erronée des faits.
101 Ainsi, il apparaît que, sous couvert d’une prétendue erreur de droit, le requérant cherche, en réalité, à obtenir de la Cour un simple réexamen des éléments de fait qu’il avançait à l’appui de son recours en première instance, sans qu’une dénaturation de ces éléments par le Tribunal soit invoquée, ce qui échappe, conformément à la jurisprudence citée au point 26 du présent arrêt, à la compétence de la Cour.
102 Eu égard à ces considérations, il convient d’écarter le septième moyen comme étant irrecevable.
Sur le huitième moyen
Argumentation des parties
103 Par son huitième moyen, le requérant reproche au Tribunal d’avoir procédé, aux points 237 et 240 à 242 de l’arrêt attaqué, à une lecture erronée de la jurisprudence applicable en matière de responsabilité extracontractuelle de l’Union, en ce qui concerne, plus précisément, les preuves qui doivent être apportées pour établir l’existence d’un préjudice moral. Il fait valoir, en se référant à la jurisprudence du Tribunal, que la présentation d’une offre de preuve n’est pas nécessairement considérée
comme étant une condition de la reconnaissance d’un préjudice immatériel et qu’il suffit à la partie requérante d’établir que le comportement reproché à l’institution ou à l’organisme de l’Union concerné était de nature à lui causer un tel préjudice. En outre, le requérant soutient qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que l’existence d’un préjudice et d’un lien de causalité n’a pas à être établie de manière précise en cas de préjudice immatériel, ces derniers pouvant également être
déduits de la nature de la faute et des circonstances.
104 Par ailleurs, le requérant fait valoir que l’arrêt attaqué ne contient aucune motivation quant aux raisons pour lesquelles l’absence de communication, par la FRA, de tous les documents demandés et le refus de celle-ci de reconnaître ses comportements illégaux durant la procédure précontentieuse n’étaient pas susceptibles de lui causer du stress, de l’anxiété et un sentiment d’injustice.
105 Enfin, le requérant allègue une violation de l’article 47 de la Charte consacrant le droit à une protection juridictionnelle effective au motif que le Tribunal ne lui a pas accordé une indemnité pour le préjudice moral qu’il aurait subi, malgré la reconnaissance des illégalités commises par la FRA lors de l’enquête administrative. Selon le requérant, le raisonnement du Tribunal le prive d’un recours effectif permettant de réparer le préjudice lié à ce type d’illégalités.
106 La FRA estime que les arguments par lesquels le requérant critique le point 242 de l’arrêt attaqué sont, d’une part, manifestement non fondés, dans la mesure où le requérant se borne ainsi à réitérer les arguments développés au point 134 de sa requête en première instance et, d’autre part, dans la mesure où il allègue avoir subi un préjudice non financier, manifestement irrecevables.
107 En ce qui concerne l’argument du requérant tiré de la prétendue violation de l’article 47 de la Charte, cet organisme fait valoir que le droit à un recours effectif concerne l’accès à la justice, mais n’offre aucune garantie de succès. En outre, la FRA soutient que le droit de l’Union ne décharge pas le requérant de son obligation de preuve et ne permet pas qu’une demande de réparation d’un prétendu préjudice non financier soit accueillie lorsqu’elle est fondée sur une pure spéculation.
Appréciation de la Cour
108 Selon la jurisprudence de la Cour, toute institution ou tout organisme de l’Union peut engager sa responsabilité du fait de son comportement, pour autant que soient remplies les conditions tenant à l’illégalité de ce comportement, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ledit comportement et le préjudice invoqué (arrêts du 4 juin 2020, Schokker/AESA, C‑310/19 P, EU:C:2020:435, point 54, et du 2 juin 2022, EM/Parlement, C‑299/21 P, EU:C:2022:429, point 122).
109 S’agissant des conditions relatives à la réalité du dommage et à l’existence d’un lien causal, cette responsabilité ne saurait être engagée que si la partie requérante a effectivement subi un préjudice réel et certain et que le préjudice découle de façon suffisamment directe de l’illégalité alléguée du comportement concerné. Ainsi, il incombe à la partie requérante d’apporter des éléments de preuve au juge de l’Union afin d’établir l’existence et l’étendue du préjudice qu’elle invoque ainsi que
l’existence d’un lien suffisamment direct de cause à effet entre cet illégalité et le dommage allégué (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2024, Kočner/Europol, C‑755/21 P, EU:C:2024:202, point 135 ainsi que jurisprudence citée).
110 À cet égard, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que la présentation d’une offre de preuve n’est pas nécessairement considérée comme étant une condition de la reconnaissance d’un préjudice moral. Il incombe, toutefois, à la partie requérante d’établir, à tout le moins, que le comportement reproché à l’institution concernée était de nature à lui causer un tel préjudice (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2009, SELEX Sistemi Integrati/Commission, C‑481/07 P, EU:C:2009:461,
point 38).
111 Il en découle que, même en l’absence d’éléments de preuve de nature à démontrer l’existence et l’étendue d’un préjudice moral, la condition relative à l’existence d’un tel préjudice peut être satisfaite si le requérant établit qu’un dommage moral découlait nécessairement du comportement reproché.
112 En l’espèce, en ce qui concerne l’existence du préjudice moral fondé sur le quatrième chef d’illégalité, tiré de la durée excessive de la procédure administrative, il y a lieu de constater que le Tribunal ayant considéré, dans le cadre de son appréciation souveraine des faits, que l’existence de ce préjudice ne saurait être présumée, dès lors que, avant d’avoir été informé de cette enquête, le requérant ne pouvait être exposé à un risque de stress ou d’anxiété, tandis que, après en avoir été
informé, la procédure s’est déroulée dans un délai raisonnable, il a pu juger à bon droit, aux points 234 à 236 de l’arrêt attaqué, qu’il incombait à ce dernier, conformément à la jurisprudence visée au point 110 du présent arrêt, d’apporter des éléments de preuve démontrant un niveau de stress et d’anxiété allant au-delà de ce qui serait acceptable dans le cadre d’une procédure administrative, ce qu’il était demeuré en défaut de faire.
113 En revanche, s’agissant des deux autres comportements illégaux, retenus, aux points 89 à 111 de l’arrêt attaqué, comme étant fondés par le Tribunal dans le cadre de l’examen du troisième chef d’illégalité, à savoir, d’une part, la violation de l’obligation d’avoir informé le requérant, en temps utile, de l’existence d’une enquête administrative à son égard et, d’autre part, de l’absence de communication des documents en rapport direct avec les allégations formulées contre lui, le Tribunal a
considéré, aux points 237 et 238 de cet arrêt, que le seul fait que le requérant se prévale de comportements illégaux imputables à la FRA au cours de l’enquête administrative portant atteinte à sa dignité et à son intégrité, et de leur caractère particulièrement préjudiciable en ce qu’ils l’ont profondément blessé sur le plan psychologique, était insuffisant en vue de démontrer le caractère réel et certain du préjudice moral qu’il prétendait avoir subi de ce fait, dans la mesure où il
n’apportait pas le moindre élément de preuve à l’appui de ses allégations.
114 Toutefois, par ces motifs, le Tribunal n’a pas établi, en méconnaissance de la jurisprudence rappelée au point 110 du présent arrêt, que la violation de l’obligation d’information, en temps utile, de l’existence d’une enquête administrative et l’absence de communication des documents en rapport direct avec les allégations formulées contre le requérant n’étaient pas, en soi, de nature à lui causer le préjudice allégué, à savoir le stress, l’anxiété et le sentiment d’injustice.
115 Il résulte de ce qui précède que, aux points 237 et 238 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que le requérant ne saurait être considéré comme ayant démontré le caractère réel et certain du préjudice moral qu’il prétend avoir subi au titre de la violation de l’obligation d’information de l’existence d’une enquête administrative en temps utile et de l’absence de communication des documents en rapport direct avec les allégations formulées contre lui, au seul
motif que celui-ci n’a pas présenté les éléments de preuve à l’appui de sa demande indemnitaire.
116 Partant, il y a lieu d’accueillir le huitième moyen du pourvoi et d’annuler l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal a rejeté les conclusions indemnitaires du recours, dans la mesure où celles-ci tendaient à la réparation du préjudice que le requérant déclare avoir subi du fait des comportements illégaux évoqués dans le cadre du troisième chef d’illégalité.
Sur le renvoi de l’affaire au Tribunal
117 Conformément à l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.
118 En l’espèce, il ressort des points 230 et 231 de l’arrêt attaqué que, dès lors que le Tribunal a accueilli les moyens du recours en première instance concernant les troisième et quatrième chefs d’illégalité, il n’a statué, aux points 232 à 243 de cet arrêt, que sur les préjudices allégués découlant des comportements illégaux couverts par ces chefs d’illégalité, à savoir, d’une part, du caractère déraisonnable de la durée de la procédure administrative ainsi que de la violation de l’obligation
d’information, en temps utile, de l’existence d’une enquête administrative et, d’autre part, de l’absence de communication des documents en rapport direct avec les allégations formulées à l’égard du requérant.
119 Or, ainsi qu’il a été constaté au point 80 du présent arrêt, le Tribunal a commis une erreur de droit, aux points 147 à 148 de l’arrêt attaqué, en jugeant, en substance, que la décision de la FRA de clôturer sans suite la procédure administrative à l’égard du requérant n’était pas un acte susceptible de lui faire grief, de telle sorte qu’il n’y avait pas lieu d’examiner sur le fond son argumentation relative au cinquième chef d’illégalité, tirée d’un défaut de motivation de cette décision ni de
vérifier si les autres conditions qui sont cumulativement nécessaires afin d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union étaient réunies en l’espèce.
120 Dans ces conditions, la Cour considère que le présent litige concernant la demande de réparation du préjudice moral prétendument subi par le requérant du fait du comportement illégal qu’il a fait valoir à l’appui du cinquième chef d’illégalité de son recours en première instance n’est pas en état d’être jugé et qu’il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, afin qu’il puisse procéder à un examen, sur le fond, de ce chef d’illégalité.
121 De même, il incombera au Tribunal d’examiner si les comportements illégaux qu’il a jugé établis dans le cadre du troisième chef d’illégalité du recours en première instance étaient de nature à causer le préjudice moral allégué par le requérant.
Sur les dépens
122 L’affaire étant renvoyée au Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :
1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 21 décembre 2021, DD/FRA (T‑703/19, EU:T:2021:923), est annulé en ce que, d’une part, il a rejeté le cinquième chef d’illégalité soulevé par DD et, d’autre part, il a écarté comme étant non fondées les conclusions indemnitaires du recours relatives au troisième chef d’illégalité, dans la mesure où celles-ci tendaient à la réparation du préjudice subi par le requérant du fait de la violation, par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne
(FRA), de l’obligation de l’informer en temps utile de l’existence d’une enquête administrative à son égard et de l’absence de communication des documents en rapport direct avec les allégations formulées contre lui.
2) Le pourvoi est rejeté pour le surplus.
3) L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne afin que celui-ci statue sur le recours en première instance en ce qui concerne, d’une part, le cinquième chef d’illégalité invoqué par DD à l’appui de ce recours et, d’autre part, la réalité du dommage moral invoqué par DD dans le cadre du troisième chef d’illégalité du fait de la violation, par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), de l’obligation de l’informer en temps utile de l’existence d’une enquête
administrative à son égard ainsi que de l’absence de communication des documents en rapport direct avec les allégations formulées contre lui.
4) Les dépens sont réservés.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.