ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
5 décembre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 183, premier alinéa – Modalités d’exercice du droit à déduction – Report de l’excédent de TVA – Notion de “période suivante” – Remboursement de l’excédent de TVA – Cessation de l’activité économique »
Dans l’affaire C‑680/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Administrativo e Fiscal do Funchal (tribunal administratif et fiscal de Funchal, Portugal), par décision du 13 novembre 2023, parvenue à la Cour le 14 novembre 2023, dans la procédure
Modexel – Consultores e Serviços SA
contre
Autoridade Tributária e Assuntos Fiscais da Região Autónoma da Madeira,
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. S. Rodin, président de chambre, Mme O. Spineanu‑Matei (rapporteure) et M. N. Fenger, juges,
avocat général : Mme T. Ćapeta,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement portugais, par Mmes P. Barros da Costa, C. Bento et A. Rodrigues, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mme J. Jokubauskaitė et M. L. Santiago de Albuquerque, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 183, premier alinéa, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Modexel – Consultores e Serviços SA (ci-après « Modexel ») à l’Autoridade Tributária e Assuntos Fiscais da Região Autónoma da Madeira (autorité fiscale et des affaires fiscales de la Région autonome de Madère, Portugal) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet d’une demande de report, après la reprise d’une activité économique, d’un excédent de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) existant lors de la cessation de la même activité
économique exercée antérieurement.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA prévoit :
« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »
4 Aux termes de l’article 179, premier alinéa, de cette directive :
« La déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période imposable, du montant de la TVA pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé en vertu de l’article 178, au cours de la même période. »
5 L’article 183 de ladite directive est libellé comme suit :
« Lorsque le montant des déductions dépasse celui de la TVA due pour une période imposable, les États membres peuvent soit faire reporter l’excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu’ils fixent.
Toutefois, les États membres peuvent refuser le report ou le remboursement lorsque l’excédent est insignifiant. »
6 L’article 213, paragraphe 1, de la même directive dispose :
« Tout assujetti déclare le commencement, le changement et la cessation de son activité en qualité d’assujetti.
Les États membres autorisent, et peuvent exiger, que la déclaration soit faite, dans les conditions qu’ils déterminent, par voie électronique. »
7 Aux termes de l’article 252 de la directive TVA :
« 1. La déclaration de TVA doit être déposée dans un délai à fixer par les États membres. Ce délai ne peut dépasser de plus de deux mois le terme de chaque période imposable.
2. Les États membres fixent la durée de la période imposable à un, deux ou trois mois.
Les États membres peuvent toutefois fixer des durées différentes pour autant qu'elles n'excèdent pas un an. »
8 L’article 23 du règlement (UE) no 904/2010 du Conseil, du 7 octobre 2010, concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée (JO 2010, L 268, p. 1), énonce :
« Les États membres veillent à ce que le numéro d’identification à la TVA visé à l’article 214 de la [directive TVA] soit signalé comme non valide dans le système électronique visé à l’article 17, au moins dans l’une quelconque des situations suivantes :
a) lorsque les personnes identifiées aux fins de la TVA ont déclaré avoir cessé toute activité économique, au sens de l’article 9 de la [directive TVA], ou lorsque l’administration fiscale compétente considère qu’elles ont cessé cette activité. Une administration fiscale peut présumer en particulier qu’une personne a cessé toute activité économique lorsque, bien que tenue de le faire, cette personne n’a pas déposé de déclaration de TVA et n’a pas déposé d’état récapitulatif pendant un an après
l’expiration du délai de dépôt de la première déclaration manquante ou du premier état récapitulatif manquant. La personne a néanmoins le droit de prouver l’existence d’une activité économique par d’autres moyens.
[...] »
Le droit portugais
9 L’article 183 de la directive TVA a été transposé dans le droit portugais par l’article 22, paragraphes 4 à 6, du Código do Imposto sobre o Valor Acrescentado (code de la taxe sur la valeur ajoutée).
10 L’article 22 du code de la taxe sur la valeur ajoutée, dans sa rédaction résultant de la Lei n.o 10/2009 (loi no 10/2009), du 10 mars 2009 (Diário da República, 1re série, no 48, du 10 mars 2009), dispose :
« [...]
4. Lorsque la déduction fiscale à effectuer excède le montant dû pour les opérations imposables de la période correspondante, l’excédent est déduit dans les périodes d’imposition suivantes.
5. Si, après douze mois à compter de la période au cours de laquelle l’excédent est apparu, il subsiste un crédit en faveur de l’assujetti supérieur à 250 euros, celui‑ci peut en demander le remboursement.
6. Sans préjudice des dispositions du paragraphe précédent, l’assujetti peut demander le remboursement avant la fin de la période de douze mois, en cas de cessation d’activité ou lorsqu’il y a lieu d’appliquer les dispositions de l’article 29, paragraphes 3 et 4, de l’article 54, paragraphe 1, ou de l’article 61, paragraphe 1, pour autant que le montant du remboursement soit égal ou supérieur à 25 euros, ainsi que lorsque le crédit en sa faveur dépasse 3000 euros.
[...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
11 Modexel a présenté une déclaration de cessation d’activité économique avec effet au 28 février 2015 et a fait figurer, dans sa déclaration de TVA au titre du premier trimestre de l’année 2015, un crédit de TVA d’un montant de 12456,20 euros.
12 Le 10 mai 2016, Modexel a repris son activité économique. Dans sa première déclaration de TVA après cette reprise, Modexel a déduit ce crédit de TVA.
13 L’administration fiscale a refusé la déduction dudit crédit de TVA, au motif que Modexel aurait dû demander le remboursement de celui-ci dans les douze mois suivant la date de sa cessation d’activité économique et que, faute pour Modexel d’avoir fait cette demande, le montant en cause était perdu pour celle-ci.
14 Modexel a introduit un recours contre la décision de l’administration fiscale auprès du Tribunal Administrativo e Fiscal do Funchal (tribunal administratif et fiscal de Funchal, Portugal), qui est la juridiction de renvoi.
15 Cette juridiction indique s’interroger sur l’interprétation de la notion de « période suivante », figurant à l’article 183, premier alinéa, de la directive TVA. À cet égard, ladite juridiction précise que, selon l’administration fiscale, cette expression doit être comprise, de manière littérale, comme se référant à la période qui suit immédiatement, dans le calendrier, la période au titre de laquelle le crédit de TVA en cause a été déclaré. En revanche, selon Modexel, il peut exister, en raison
de la cessation de l’activité économique de l’entreprise concernée, un intervalle de temps entre la période au titre de laquelle le crédit de TVA en cause a été déclaré et la période au cours de laquelle la déduction de ce crédit est effectuée, et ce après la reprise de l’activité économique de cette entreprise.
16 Dans ces conditions, le Tribunal Administrativo e Fiscal do Funchal (tribunal administratif et fiscal de Funchal) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’expression “période suivante” figurant à l’article 183 de la directive TVA doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle se réfère littéralement à la période qui suit immédiatement dans le calendrier ?
2) En cas de réponse négative à la première question, lorsqu’une entreprise a cessé son activité et l’a reprise ultérieurement, avec un intervalle d’environ [quinze] mois entre les deux moments, ladite entreprise est-elle autorisée à déduire, dans la première déclaration après la reprise de son activité, le montant qu’elle a déclaré en excès lors de la cessation de son activité ? »
Sur les questions préjudicielles
17 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. Il lui appartient, à cet égard, d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment
de la motivation de la décision de renvoi, les éléments de droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige [arrêt du 30 avril 2024, M.N. (EncroChat), C‑670/22, EU:C:2024:372, point 78 et jurisprudence citée].
18 Il convient d’observer à cet égard que, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, Modexel a, lors de la cessation de son activité économique, déclaré un excédent de TVA qu’elle a voulu déduire de la TVA dont elle était redevable dans la première déclaration effectuée après la reprise de son activité économique. Il ressort également de cette décision que l’administration fiscale a rectifié cette déclaration, estimant qu’il n’y avait pas lieu de reporter cet excédent, en raison du fait que
Modexel aurait dû en demander le remboursement dans un délai de douze mois à compter de la date de cessation de son activité économique.
19 Dans la formulation de la première question, qui concerne le cas du report d’un excédent de TVA, la juridiction de renvoi ne précise pas le fait que l’entreprise concernée a cessé son activité économique puis l’a reprise. Dans la formulation de la seconde question, la juridiction de renvoi ne fait pas référence à la situation telle celle au principal dans laquelle, en vertu d’une réglementation nationale, une entreprise qui a cessé son activité économique ne peut pas reporter un excédent de TVA
après la reprise de cette activité, mais peut en demander le remboursement dans un délai de douze mois à compter de la date de cessation de son activité économique, la rectification de la déclaration de Modexel découlant de l’application de cette réglementation.
20 Dans ces conditions, pour donner à la juridiction de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont elle est saisie, il convient, d’une part, en vue d’interpréter la notion de « période suivante », au sens de l’article 183, premier alinéa, de la directive TVA, que la Cour se fonde sur la prémisse selon laquelle l’entreprise concernée a cessé son activité économique puis a repris une telle activité.
21 D’autre part, il y a lieu d’examiner si cet article 183, premier alinéa, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une réglementation nationale prévoit qu’une entreprise qui a cessé son activité économique ne peut pas reporter un excédent de TVA après la reprise de cette activité, mais peut en demander le remboursement dans un délai de douze mois à compter de la date de cessation de ladite activité.
22 Par conséquent, il y a lieu de considérer que, par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 183, premier alinéa, de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit que, lorsqu’un assujetti cesse son activité économique, cet assujetti ne peut pas reporter sur une période suivante un excédent de TVA déclaré lors de cette cessation d’activité et ne peut
récupérer ce montant qu’en en demandant le remboursement dans un délai de douze mois à compter de la date de ladite cessation d’activité.
23 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence constante, le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation de l’Union (arrêt du 6 octobre 2022, Vittamed technologijos, C‑293/21, EU:C:2022:763, point 38 et jurisprudence citée).
24 Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’assujetti du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (arrêt du 6 octobre 2022, Vittamed technologijos, C‑293/21,
EU:C:2022:763, point 39 et jurisprudence citée).
25 Ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, il en résulte que le droit à déduction fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut en principe être limité. En particulier, ce droit s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (arrêt du 6 octobre 2022, Vittamed technologijos, C‑293/21, EU:C:2022:763, point 40 et jurisprudence citée).
26 En vertu de l’article 179, premier alinéa, de la directive TVA, la déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période imposable, du montant de la TVA pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé au cours de la même période.
27 L’article 183, premier alinéa, de cette directive précise que, lorsque le montant des déductions dépasse celui de la TVA due pour une période imposable, les États membres peuvent soit faire reporter l’excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement.
28 À cet égard, en premier lieu, concernant la notion de « période suivante » figurant à cette disposition, ainsi que l’a relevé la Commission européenne dans ses observations écrites, il ressort de l’utilisation de ces termes au singulier que cette notion doit être comprise comme visant la période imposable qui suit immédiatement la période imposable au cours de laquelle le montant des déductions dépasse celui de la TVA due. En outre, conformément à l’article 252 de la directive TVA, la durée d’une
période imposable est fixée par chaque État membre dans les limites déterminées par le second paragraphe de cet article, sans qu’il ressorte dudit article ou de l’article 183 de cette directive que cette durée, ou la succession des périodes imposables, dépend de l’exercice par un assujetti d’une activité économique pendant tout ou partie d’une période imposable donnée.
29 Cela étant, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le report du remboursement d’un excédent de TVA sur plusieurs périodes d’imposition suivant celle au titre de laquelle cet excédent est apparu n’est pas nécessairement incompatible avec ladite disposition (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 2012, Mednis, C‑525/11, EU:C:2012:652, point 25 et jurisprudence citée, ainsi que du 10 février 2022, Philips Orăştie, C‑487/20, EU:C:2022:92, point 26 et jurisprudence citée).
30 Toutefois, il convient de rappeler que c’est l’existence d’une activité économique qui justifie la qualification d’assujetti, celui-ci se voyant reconnaître, par la directive TVA, le droit à déduction (voir, par analogie, arrêt du 3 mars 2005, Fini H, C‑32/03, EU:C:2005:128, point 19). En effet, pour pouvoir bénéficier de ce droit, il faut, notamment, que l’intéressé soit un « assujetti » au sens de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204,
point 41 et jurisprudence citée).
31 Est considéré comme « assujetti », en vertu de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. En vertu de l’article 213, paragraphe 1, de la directive TVA, l’assujetti doit déclarer la cessation de son activité économique à l’autorité fiscale, laquelle doit alors invalider le numéro d’identification à la TVA attribué à cet assujetti,
conformément à l’article 23, sous a), du règlement no 904/2010.
32 Partant, un opérateur qui cesse son activité économique cesse également d’être assujetti à la TVA. La perte de la qualité d’« assujetti » par un opérateur en raison de cette cessation d’activité implique une absence de la continuité des périodes d’imposition qu’exige l’article 183, premier alinéa, de la directive TVA, dès lors qu’il n’existe, pour cet opérateur, ni période suivante, au sens de cette disposition, ni, à supposer que ledit opérateur reprenne une activité économique, de période
précédente, puisque cette dernière activité sera nouvelle.
33 Il s’ensuit que, si l’article 183, premier alinéa, de la directive TVA permet le report d’un excédent de TVA sur plusieurs périodes d’imposition suivant celle au cours de laquelle cet excédent a été généré, la cessation de l’activité économique de l’assujetti concerné a pour conséquence qu’il n’existe pas de période suivante, au sens de l’article 183, premier alinéa, de la directive TVA, sur laquelle ledit excédent peut être reporté.
34 En outre, comme le relève la Commission, le fait de donner à un opérateur économique la possibilité de reporter, après une reprise d’activité économique, un excédent de TVA déclaré lors de la cessation de l’activité antérieure pourrait encourager les abus et la mise en place de montages artificiels par les opérateurs économiques. En effet, un tel opérateur, qui, pour une quelconque raison, n’a pas respecté le délai prévu par la réglementation nationale pour demander le remboursement de l’excédent
de TVA après sa cessation d’activité économique, pourrait prétendre reprendre une activité économique dans le but principal ou exclusif de demander le report de cet excédent. Une telle possibilité de report pourrait aussi aller à l’encontre du principe de sécurité juridique, la Cour ayant déjà précisé que la possibilité d’exercer le droit à déduction de la TVA sans limitation dans le temps irait à l’encontre de ce principe, qui exige que la situation fiscale de l’assujetti, eu égard à ses droits
et à ses obligations à l’égard de l’administration fiscale, ne soit pas indéfiniment susceptible d’être remise en cause (voir, en ce sens, arrêt du 12 avril 2018, Biosafe – Indústria de Reciclagens, C‑8/17, EU:C:2018:249, point 36 et jurisprudence citée).
35 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le fait pour Modexel d’avoir cessé son activité économique a eu pour conséquence qu’elle n’était plus assujettie à la TVA, ce qu’il revient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier, et que l’excédent de TVA ne pouvait pas être reporté sur une période suivante, au sens de l’article 183, premier alinéa, de la directive TVA, en raison d’une absence de continuité entre la période d’imposition correspondant au mois au cours duquel cette
société a cessé son activité, à savoir au mois de février 2015, et la période d’imposition correspondant au mois au cours duquel ladite société a repris son activité, à savoir au mois de mai 2016.
36 En second lieu, comme il a été rappelé au point 27 du présent arrêt, l’article 183, premier alinéa, de la directive TVA prévoit toutefois que les États membres peuvent soit faire reporter l’excédent de TVA sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu’ils fixent.
37 Il ressort de la décision de renvoi que la réglementation portugaise combine en principe ces deux voies de restitution d’un excédent de TVA, mais que, en cas de cessation de toute activité économique d’un opérateur, celui-ci peut demander le remboursement d’un tel excédent avant la fin d’une période de douze mois commençant à compter de la période au cours de laquelle cet excédent est apparu.
38 À cet égard, d’une part, il y a lieu de rappeler que l’article 183 de la directive TVA ne saurait être interprété en ce sens que le remboursement et le report s’excluent mutuellement (arrêt du 12 mai 2011, Enel Maritsa Iztok 3, C‑107/10, EU:C:2011:298, point 47).
39 D’autre part, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, si les États membres disposent d’une liberté certaine dans l’établissement des modalités visées à l’article 183 de la directive TVA, ces modalités ne peuvent pas porter atteinte au principe de neutralité fiscale en faisant supporter à l’assujetti, en tout ou en partie, le poids de cette taxe (arrêt du 12 mai 2021, technoRent International e.a., C‑844/19, EU:C:2021:378, point 37 ainsi que jurisprudence citée).
40 En particulier, lesdites modalités doivent permettre à l’assujetti de récupérer, dans des conditions adéquates, la totalité de la créance résultant de cet excédent de TVA, cela impliquant que le remboursement soit effectué, dans un délai raisonnable, par un paiement en liquidités ou d’une manière équivalente, et que, en tout état de cause, le mode de remboursement adopté ne doit faire courir aucun risque financier à l’assujetti (arrêt du 12 mai 2021, technoRent International e.a., C‑844/19,
EU:C:2021:378, point 38 ainsi que jurisprudence citée).
41 En outre, l’autonomie procédurale des États membres dans la mise en œuvre du droit au remboursement de l’excédent de TVA prévue à l’article 183 de la directive TVA est encadrée par les principes d’équivalence et d’effectivité (voir, en ce sens, arrêt du 10 février 2022, Philips Orăştie, C‑487/20, EU:C:2022:92, point 24).
42 Ainsi, un délai de forclusion dont l’échéance a pour conséquence de sanctionner le contribuable insuffisamment diligent, qui a omis de réclamer le remboursement de la TVA, en lui faisant perdre le droit à ce remboursement, ne saurait être considéré comme incompatible avec le régime établi par la directive TVA pour autant, d’une part, que ce délai s’applique de la même manière aux droits analogues en matière fiscale fondés sur le droit interne et à ceux fondés sur le droit de l’Union (principe
d’équivalence) et, d’autre part, qu’il ne rend pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à remboursement de la TVA (principe d’effectivité) (voir, par analogie, arrêt du 12 septembre 2024, NARE-BG, C‑429/23, EU:C:2024:742, point 52).
43 S’il appartient au juge national d’apprécier la compatibilité des mesures nationales avec le droit de l’Union, la Cour peut néanmoins lui fournir toute indication utile afin de résoudre le litige qui lui est soumis (arrêt du 14 février 2019, Nestrade, C‑562/17, EU:C:2019:115, point 36 et jurisprudence citée).
44 S’agissant du principe d’équivalence, il y a lieu de relever que la Cour ne dispose d’aucun élément de nature à susciter un doute quant à la conformité avec celui-ci de la réglementation en cause dans l’affaire au principal.
45 S’agissant du principe d’effectivité, il ressort de la décision de renvoi que, selon l’administration fiscale, Modexel aurait dû demander le remboursement de l’excédent de TVA dans les douze mois suivant la date de sa cessation d’activité économique.
46 À cet égard, il revient à la juridiction de renvoi de vérifier le délai dans lequel Modexel devait demander le remboursement de l’excédent de TVA déclaré lors de sa cessation d’activité, le gouvernement portugais ayant indiqué dans ses observations écrites que le délai applicable en l’occurrence était de quatre ans. Un délai de forclusion de douze mois à compter de la période au cours de laquelle l’excédent de TVA est apparu, tel qu’il est indiqué dans la décision de renvoi, ne paraît pas
susceptible de rendre en pratique impossible ou excessivement difficile pour un assujetti ou un ancien assujetti de faire valoir son droit à remboursement de l’excédent de TVA. La même conclusion s’impose à plus forte raison s’agissant d’un délai de forclusion de quatre ans.
47 En l’occurrence, il ne ressort aucunement de la décision de renvoi que Modexel aurait cherché à faire valoir son droit à remboursement de l’excédent de TVA, déclaré lors de la cessation de son activité économique, avant la fin de cette période de douze mois, et aurait rencontré des difficultés à cet égard. Dans ces conditions, il convient de constater que, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, l’exercice par Modexel de son droit au remboursement de la TVA n’a pas été rendu
en pratique impossible ou excessivement difficile.
48 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 183, premier alinéa, de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit que, lorsqu’un assujetti cesse son activité économique, cet assujetti ne peut pas reporter sur une période suivante un excédent de TVA déclaré lors de cette cessation d’activité et ne peut récupérer ce montant qu’en en demandant le remboursement dans un délai
de douze mois à compter de la date de ladite cessation d’activité, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité sont respectés.
Sur les dépens
49 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :
L’article 183, premier alinéa, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée,
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit que, lorsqu’un assujetti cesse son activité économique, cet assujetti ne peut pas reporter sur une période suivante un excédent de taxe sur la valeur ajoutée déclaré lors de cette cessation d’activité et ne peut récupérer ce montant qu’en en demandant le remboursement dans un délai de douze mois à compter de la date de ladite cessation d’activité, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité sont respectés.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le portugais.