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05/12/2024 | CJUE | N°C-3/24

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, « MISTRAL TRANS » SIA contre Valsts ieņēmumu dienests., 05/12/2024, C-3/24


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

5 décembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme – Directive (UE) 2015/849 – Champ d’application – Article 2, paragraphe 1, point 3, sous a) – Entité assujettie – Notion d’“experts‑comptables externes” – Prestations de comptabilité fournies, à titre accessoire, à des sociétés liées au prestataire »

Dans l’affaire C‑3/24,

ayant pour objet une dema

nde de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Augstākā tiesa (Senāts) (Cour suprême, Lettonie), par...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

5 décembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme – Directive (UE) 2015/849 – Champ d’application – Article 2, paragraphe 1, point 3, sous a) – Entité assujettie – Notion d’“experts‑comptables externes” – Prestations de comptabilité fournies, à titre accessoire, à des sociétés liées au prestataire »

Dans l’affaire C‑3/24,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Augstākā tiesa (Senāts) (Cour suprême, Lettonie), par décision du 4 janvier 2024, parvenue à la Cour le 4 janvier 2024, dans la procédure

« MISTRAL TRANS » SIA

contre

Valsts ieņēmumu dienests,

LA COUR (première chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. T. von Danwitz, vice‑président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, M. A. Kumin (rapporteur), Mme I. Ziemele et M. S. Gervasoni, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le gouvernement letton, par M. E. Bārdiņš, Mmes J. Davidoviča et K. Pommere, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme C. Auvret, M. G. von Rintelen et Mme I. Rubene, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), et de l’article 58, paragraphe 1, de la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) no 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du
Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission (JO 2015, L 141, p. 73).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant « MISTRAL TRANS » SIA (ci-après « Mistral Trans ») au Valsts ieņēmumu dienests (administration fiscale nationale, Lettonie) (ci-après le « VID ») au sujet d’une amende infligée à Mistral Trans pour infractions aux dispositions nationales relatives à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Aux termes du considérant 1 de la directive 2015/849 :

« Les flux d’argent illicite peuvent nuire à l’intégrité, à la stabilité et à la réputation du secteur financier et menacer le marché intérieur de l’Union [européenne], ainsi que le développement international. Le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la criminalité organisée demeurent des problèmes majeurs auxquels il convient de trouver une réponse au niveau de l’Union. En plus de continuer à développer l’approche pénale au niveau de l’Union, il est indispensable de s’attacher
à la prévention ciblée et proportionnée de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme, qui peut produire des résultats complémentaires. »

4 L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de cette directive prévoit :

« 1.   La présente directive vise à prévenir l’utilisation du système financier de l’Union aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

2.   Les États membres veillent à ce que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme soient interdits. »

5 L’article 2, paragraphe 1, de ladite directive, dans sa version applicable au litige au principal, dispose :

« La présente directive s’applique aux entités assujetties suivantes :

1) les établissements de crédit ;

2) les établissements financiers ;

3) les personnes physiques ou morales suivantes, agissant dans l’exercice de leur activité professionnelle :

a) les auditeurs, experts-comptables externes et conseillers fiscaux ;

[...] »

6 L’article 58, paragraphe 1, de la directive 2015/849 prévoit :

« Les États membres veillent à ce que les entités assujetties puissent être tenues responsables en cas d’infraction aux dispositions nationales transposant la présente directive, conformément au présent article et aux articles 59 à 61. Toute sanction ou mesure qui en découle est effective, proportionnée et dissuasive. »

Le droit letton

7 Le Noziedzīgi iegūtu līdzekļu legalizācijas un terorisma un proliferācijas finansēšanas novēršanas likums (loi sur la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et de la prolifération), du 17 juillet 2008 (Latvijas Vēstnesis, 2008, no 116), a été modifié afin, notamment, de transposer la directive 2015/849 dans l’ordre juridique letton.

8 Cette loi, dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « loi sur la prévention »), prévoit, à son article 3, paragraphe 1, point 3, que comptent parmi les entités assujetties à celle-ci les experts‑comptables externes.

9 L’article 77, paragraphe 3, de ladite loi dispose :

« Lorsqu’elle détermine la nature et l’importance des sanctions ou des mesures de surveillance conformément au paragraphe 1 du présent article, l’autorité de surveillance et de contrôle tient compte de l’ensemble des circonstances pertinentes, y compris :

1) la gravité, la durée et le caractère systématique de l’infraction ;

2) le degré de responsabilité de la personne physique ou morale ;

3) la situation financière de la personne physique ou morale (montant des revenus annuels de la personne physique responsable ou chiffre d’affaires annuel total de la personne morale responsable et autres facteurs affectant la situation financière) ;

4) l’avantage tiré de l’infraction par la personne physique ou morale, dans la mesure où il est possible de le calculer ;

5) les pertes subies par des tiers du fait de l’infraction, dans la mesure où il est possible de les déterminer ;

6) le degré de coopération avec l’autorité de surveillance et de contrôle de la personne physique ou morale tenue pour responsable ;

7) les infractions antérieures commises par la personne physique ou morale dans le domaine de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et contre la prolifération ainsi que des sanctions internationales ou nationales. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10 Le 8 octobre 2013, Mistral Trans, une entreprise dont l’activité principale est le transport de marchandises, a notifié au VID qu’elle avait commencé à fournir des services externalisés de comptabilité.

11 Le 10 avril 2018, le VID a effectué une inspection afin d’évaluer le respect, par Mistral Trans, des dispositions en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, à l’issue de laquelle il a formulé des recommandations destinées à remédier aux déficiences constatées.

12 Le 16 mai 2019, le VID a procédé à une nouvelle inspection et a constaté des faiblesses dans le système de contrôle interne de Mistral Trans, concernant, notamment, l’évaluation des risques, les mesures de vigilance à l’égard des clients, l’absence de réexamen périodique des politiques et des procédures ainsi que l’absence de procédure de destruction de documents.

13 En conséquence, par une décision du 12 juin 2019, confirmée par une décision du 15 août 2019, le VID a infligé à Mistral Trans une amende de 5000 euros, en tenant compte de la nature, de l’objet et de la durée des infractions constatées, de la situation financière de la société ainsi que du fait que Mistral Trans n’avait pas tenté de se conformer aux recommandations formulées par le VID à la suite de son inspection du 10 avril 2018.

14 Mistral Trans a saisi l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie) d’un recours contre la décision du VID du 15 août 2019. Dans son recours, elle a notamment fait valoir que les services externalisés de comptabilité n’ont été fournis qu’à trois sociétés liées, étant précisé que Mistral Trans et ces sociétés liées ont des administrateurs, des actionnaires et des bénéficiaires effectifs identiques. Les modalités de tenue de la comptabilité auraient été choisies dans le
seul but d’économiser des ressources et d’éviter l’achat de licences de logiciels comptables distincts pour chaque société. En outre, à la suite de la décision du VID du 12 juin 2019, la comptabilité aurait été réorganisée, de sorte que, depuis le 2 juillet 2019, toutes les sociétés liées feraient l’objet d’une comptabilité indépendante.

15 Par un arrêt du 29 octobre 2020, l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale) a rejeté le recours introduit par Mistral Trans. À cet égard, elle a considéré que, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), de la directive 2015/849, celle-ci s’applique aux experts‑comptables externes, sans que soit pertinente la question de savoir qui sont les destinataires du service externalisé de comptabilité. Le droit letton en matière de lutte contre le blanchiment d’argent ne
prévoirait pas non plus d’assouplissement pour les parties liées. Ainsi, selon cette juridiction, c’est à juste titre que le VID a constaté que Mistral Trans avait enfreint les dispositions relatives au blanchiment d’argent.

16 Par ailleurs, s’agissant de la détermination de la sanction, l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale) a constaté que le VID avait pris en compte les circonstances mentionnées à l’article 77, paragraphe 3, de la loi sur la prévention, en particulier la gravité de l’infraction et sa durée, le degré de responsabilité et la situation financière de Mistral Trans, ainsi que la coopération avec l’autorité de surveillance et de contrôle. L’amende de 5000 euros infligée à Mistral
Trans serait donc fonction de la nature des infractions commises et proportionnée à la situation financière de cette société et à l’atteinte portée aux intérêts économiques nationaux.

17 Mistral Trans s’est pourvue en cassation contre cet arrêt devant l’Augstākā tiesa (Senāts) (Cour suprême, Lettonie), qui est la juridiction de renvoi, en faisant valoir que l’amende infligée était disproportionnée.

18 La juridiction de renvoi indique que, en premier lieu, il importe de déterminer si l’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), de la directive 2015/849 s’applique également aux cas où les services de comptabilité sont fournis exclusivement à des sociétés liées au prestataire.

19 À cet égard, cette juridiction considère que, d’une manière générale, les experts-comptables externes doivent être considérés comme étant des personnes dont les activités sont exposées à un risque relativement élevé de blanchiment d’argent. En outre, elle déduit d’une interprétation littérale du terme « expert‑comptable externe », figurant à l’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), de la directive 2015/849, que cette dernière n’est pas applicable à n’importe quel comptable, mais seulement à
ceux dont les activités professionnelles sont organisées à l’extérieur de l’entreprise à laquelle les services de comptabilité sont fournis.

20 En l’occurrence, le VID aurait considéré comme étant dénuée de pertinence la circonstance que l’activité principale de Mistral Trans n’a jamais été liée à la prestation de services de comptabilité et que les modalités en cause de tenue de la comptabilité entre parties liées auraient été conçues pour économiser des ressources. Or, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant au bien-fondé de cette position du VID.

21 En effet, tant en droit de la concurrence qu’en droit des aides d’État, des entreprises liées pourraient être considérées comme étant une entreprise unique. Il semblerait douteux que la prestation de services de comptabilité au sein de telles entreprises liées soit exposée à un plus grand risque de blanchiment d’argent que celle organisée en interne au sein d’une entreprise qui a recours à des comptables salariés.

22 De même, l’applicabilité de la directive 2015/849 à la présente situation serait également discutable en raison de considérations relatives à l’effet utile de cette directive, puisque tant Mistral Trans que les sociétés auxquelles elle fournissait des services de comptabilité sont toutes contrôlées par les mêmes personnes. Dans ces conditions, la possibilité pour un prestataire de services de comptabilité de se conformer de manière indépendante et complète aux obligations qui lui sont imposées
et, par conséquent, la possibilité même d’atteindre les objectifs de ladite directive apparaîtraient douteuses.

23 En second lieu, dans l’hypothèse où l’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), de la directive 2015/849 s’appliquerait y compris dans les cas où les services de comptabilité sont fournis à des parties liées au prestataire, la juridiction de renvoi rappelle que, conformément à l’article 58, paragraphe 1, de cette directive, les États membres doivent veiller à ce que les entités assujetties puissent être tenues pour responsables en cas d’infraction aux dispositions transposant ladite directive,
toute sanction ou mesure qui en découle devant être effective, proportionnée et dissuasive. À cet égard, il conviendrait de clarifier si le fait que le service de comptabilité n’est fourni qu’à des parties liées doit être pris en compte pour déterminer la sanction appropriée.

24 Dans ces conditions, l’Augstākā tiesa (Senāts) (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Le terme “expert-comptable externe” figurant à l’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), de la directive [2015/849] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’applique également aux cas dans lesquels les services de comptabilité ne sont fournis qu’à des parties liées à l’expert-comptable externe ?

2) Si la première question appelle une réponse affirmative, l’article 58, paragraphe 1, de la directive [2015/849] doit-il être interprété en ce sens que, pour apprécier la proportionnalité de la sanction infligée, il convient de tenir compte de ce que :

a) le service de comptabilité n’est fourni qu’[à des] parties liées du prestataire ;

b) le choix de confier la tenue de la comptabilité à un expert‑comptable externe est dicté par des considérations d’opportunité au sein d’un groupe d’entreprises liées et non par des critères découlant de la réglementation ou fondés sur la réalité économique ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

25 À titre liminaire, il convient de rappeler que la directive 2015/849 a pour objectif principal, ainsi qu’il ressort de son intitulé et de son article 1er, paragraphes 1 et 2, la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (arrêt du 18 avril 2024, Citadeles nekustamie īpašumi, C‑22/23, EU:C:2024:327, point 31 et jurisprudence citée).

26 Plus spécifiquement, les dispositions de la directive 2015/849, qui présentent un caractère préventif, visent à établir, selon une approche fondée sur le risque, un ensemble de mesures préventives et dissuasives permettant de lutter efficacement contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, afin d’éviter, comme il ressort du considérant 1 de cette directive, que des flux d’argent illicite puissent nuire à l’intégrité, à la stabilité et à la réputation du secteur financier de
l’Union, et menacer son marché intérieur ainsi que le développement international (arrêt du 18 avril 2024, Citadeles nekustamie īpašumi, C‑22/23, EU:C:2024:327, point 32 et jurisprudence citée).

27 À cet égard, l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2015/849 énumère les entités auxquelles, en raison de leur participation à l’exécution d’une transaction ou d’une activité de nature financière, cette directive s’applique. Figurent au nombre de ces entités, ainsi que le prévoit le point 3, sous a), de cette disposition, les experts-comptables externes agissant dans l’exercice de leur activité professionnelle.

28 En outre, l’article 58, paragraphe 1, de la directive 2015/849 prévoit que les États membres veillent à ce que les entités assujetties puissent être tenues pour responsables en cas d’infraction aux dispositions nationales transposant cette directive.

29 En l’occurrence, le litige au principal porte sur la vérification de l’existence d’une violation par Mistral Trans des dispositions de la loi sur la prévention, susceptible de donner lieu à l’imposition d’une sanction.

30 Dans ces conditions, il convient de comprendre la première question comme visant à savoir si une société telle que Mistral Trans doit, compte tenu de la nature de ses activités, être considérée comme étant une « entité assujettie » et, plus particulièrement, comme relevant de la notion d’« experts-comptables externes », au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), de la directive 2015/849.

31 La notion d’« experts-comptables externes » n’étant pas définie dans la directive 2015/849, la détermination de sa signification et de sa portée doit être établie conformément à son sens habituel dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel elle est utilisée et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, par analogie, arrêt du 1er octobre 2020, Entoma, C‑526/19, EU:C:2020:769, point 29 et jurisprudence citée).

32 S’agissant, d’une part, de l’expression « experts-comptables », il apparaît que, dans certaines versions linguistiques de l’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), de la directive 2015/849, telles que les versions allemande (« Buchprüfer »), française (« experts‑comptables »), roumaine (« experți contabili ») ou suédoise (« revisorer »), les termes utilisés se réfèrent à des personnes appartenant à une profession réglementée dont l’activité consiste, notamment, à organiser, à vérifier, à
apprécier ou à redresser les comptabilités. En revanche, la portée des termes employés dans d’autres versions linguistiques, telles que les versions lettone (« grāmatveži »), espagnole (« contables »), anglaise (« accountants ») ou néerlandaise (« accountants »), est plus large, puisqu’ils se réfèrent plus généralement aux personnes ayant pour activité l’établissement, la tenue et le contrôle des comptes, notamment des comptes d’entreprises.

33 En ce qui concerne, d’autre part, l’emploi du terme « externes » à l’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), de la directive 2015/849, il y a lieu de considérer que celui-ci vise à exclure de manière explicite des obligations prévues par cette directive les experts-comptables « internes », autrement dit les personnes, telles que les comptables salariés, qui ne fournissent pas des services de comptabilité à des tiers de manière indépendante. D’après les indications fournies par la juridiction
de renvoi, la signification du terme utilisé dans la version lettone de cet article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), (« ārštata ») reflète en substance cette interprétation.

34 Il s’ensuit que la notion d’« experts-comptables externes », au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), de la directive 2015/849, vise les personnes physiques ou morales dont l’activité professionnelle consiste à fournir à des tiers, de manière indépendante, des services de comptabilité, tels que l’établissement, la tenue ou le contrôle des comptes.

35 Cette interprétation est corroborée par le contexte dans lequel s’inscrit cette disposition. En effet, comme il a été rappelé au point 27 du présent arrêt, l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2015/849 énumère, à ses points 1 à 3, les entités auxquelles celle-ci s’applique, dénommées « entités assujetties ». Ces entités sont, selon le point 1, les établissements de crédit, selon le point 2, les établissements financiers et, selon le point 3, les personnes physiques ou morales visées à ce
point, agissant dans l’exercice de leur activité professionnelle.

36 Plus spécifiquement, conformément à l’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), de la directive 2015/849, celle-ci s’applique aux auditeurs, aux experts-comptables externes et aux conseillers fiscaux.

37 L’extension du champ d’application des dispositions en matière de lutte contre le blanchiment d’argent à ces dernières personnes remonte à la directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 décembre 2001, modifiant la directive 91/308/CEE du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (JO 2001, L 344, p. 76), dont le considérant 15 énonce qu’« [i]l convient que les obligations [...] en matière d’identification des
clients, de conservation des enregistrements et de déclaration des transactions suspectes soient étendues à un nombre limité d’activités et de professions qui se sont avérées particulièrement susceptibles d’être utilisées à des fins de blanchiment de capitaux ».

38 Or, le fait que l’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), de la directive 2015/849 vise, outre les experts-comptables externes, les auditeurs et les conseillers fiscaux suggère que cette disposition concerne les membres de professions spécifiques, c’est-à-dire des personnes dont l’activité professionnelle consiste à fournir à des tiers, de manière indépendante, des services respectivement de comptabilité, d’audit et de conseil juridique en matière fiscale.

39 À la lumière de ces considérations, la notion d’« experts-comptables externes », au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), de la directive 2015/849, renvoie aux personnes physiques ou morales dont l’activité professionnelle consiste à fournir à des tiers, de manière indépendante, des services de comptabilité, tels que l’établissement, la tenue ou le contrôle des comptes. En revanche, ne relève pas de cette notion une personne morale qui assure la tenue de la comptabilité de sociétés
qui lui sont liées, dans une perspective de mutualisation des ressources.

40 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que Mistral Trans, qui exerce une activité de transport de marchandises, a fourni des services de comptabilité à des sociétés liées ayant des administrateurs, des actionnaires et des bénéficiaires effectifs identiques aux siens, et ce dans le seul but d’économiser des ressources et d’éviter l’achat de licences de logiciels comptables pour chaque société. Compte tenu de l’interprétation exposée au point 39 du présent arrêt, et sous réserve des
vérifications qui incombent à la juridiction de renvoi, une telle entreprise ne semble pas relever de la qualification d’« expert‑comptable externe », au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), de la directive 2015/849.

41 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), de la directive 2015/849 doit être interprété en ce sens que la notion d’« experts-comptables externes », au sens de cette disposition, vise les personnes physiques ou morales dont l’activité professionnelle consiste à fournir à des tiers, de manière indépendante, des services de comptabilité, tels que l’établissement, la tenue ou le contrôle des
comptes. En revanche, ne relève pas de cette notion une personne morale qui assure, dans une perspective de mutualisation des ressources, la tenue de la comptabilité de sociétés qui lui sont liées.

Sur la seconde question

42 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu d’aborder la seconde question.

Sur les dépens

43 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  L’article 2, paragraphe 1, point 3, sous a), de la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) no 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission,

  doit être interprété en ce sens que :

  la notion d’« experts-comptables externes », au sens de cette disposition, vise les personnes physiques ou morales dont l’activité professionnelle consiste à fournir à des tiers, de manière indépendante, des services de comptabilité, tels que l’établissement, la tenue ou le contrôle des comptes. En revanche, ne relève pas de cette notion une personne morale qui assure, dans une perspective de mutualisation des ressources, la tenue de la comptabilité de sociétés qui lui sont liées.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le letton.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-3/24
Date de la décision : 05/12/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Augstākā tiesa (Senāts).

Renvoi préjudiciel – Prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme – Directive (UE) 2015/849 – Champ d’application – Article 2, paragraphe 1, point 3, sous a) – Entité assujettie – Notion d’“experts‑comptables externes” – Prestations de comptabilité fournies, à titre accessoire, à des sociétés liées au prestataire.

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : « MISTRAL TRANS » SIA
Défendeurs : Valsts ieņēmumu dienests.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar
Rapporteur ?: Kumin

Origine de la décision
Date de l'import : 07/12/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:999

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