ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)
28 novembre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 2, paragraphe 1, sous c) – Champ d’application – Opérations imposables – Contrat d’entreprise pour la réalisation d’un projet immobilier – Résiliation du contrat par le maître d’ouvrage – Notion de “rémunération” – Qualification – Obligation de payer le montant total convenu déduction faite des frais économisés par le prestataire – Article 73 – Base d’imposition »
Dans l’affaire C‑622/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 25 septembre 2023, parvenue à la Cour le 10 octobre 2023, dans la procédure
rhtb: projekt gmbh
contre
Parkring 14-16 Immobilienverwaltung GmbH,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. F. Biltgen (rapporteur), président de la première chambre, faisant fonction de président de la septième chambre, Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de la cinquième chambre, et M. J. Passer, juge,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour rhtb: projekt gmbh, par Me K. Klema, Rechtsanwalt,
– pour Parkring 14-16 Immobilienverwaltung GmbH, par Me M. Hübner, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, Mme J. Schmoll et M. F. Koppensteiner, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement tchèque, par Mme L. Březinová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. F. Behre et Mme J. Jokubauskaitė, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, sous c), et de l’article 73 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci‑après la « directive TVA »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant deux sociétés établies en Autriche, à savoir, d’une part, rhtb : projekt gmbh (ci-après « rhtb ») et, d’autre part, Parkring 14‑16 Immobilienverwaltung GmbH (ci-après « Parkring »), au sujet de la soumission à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) du montant contractuellement dû à la suite de la résiliation, par le maître d’ouvrage (Parkring), d’un projet immobilier dont la réalisation avait déjà été entamée et que l’entreprise de
construction (rhtb) était disposée à finaliser.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA prévoit que sont soumises à la TVA « les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ».
4 L’article 73 de cette directive dispose :
« Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations. »
Le droit autrichien
5 L’article 1168, paragraphe 1, première phrase, de l’Allgemeines bürgerliches Gesetzbuch (code civil général), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’ABGB »), prévoit :
« En cas de non‑exécution de l’ouvrage, l’entrepreneur a néanmoins droit à la rémunération convenue s’il était disposé à fournir la prestation et en a été empêché par des circonstances imputables au maître d’ouvrage ; il doit toutefois imputer ce qu’il a économisé en raison de la non‑exécution des travaux ou ce qu’il a acquis, ou délibérément omis d’acquérir, par un autre usage. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
6 Au mois de mars 2018, rhtb et Parkring ont conclu un contrat d’entreprise prévoyant que rhtb devait réaliser la construction d’un projet immobilier pour un montant de 5377399,69 euros, comprenant 896233,28 euros de TVA. Après le début des travaux, Parkring a informé rhtb, au mois de juin 2018, qu’elle ne souhaitait plus que cette dernière réalise ce projet pour des raisons non imputables à rhtb.
7 Le 19 décembre 2018, rhtb a, conformément à l’article 1168, paragraphe 1, première phrase, de l’ABGB, demandé à Parkring le paiement du montant convenu, au sens de cette disposition, déduction faite des frais économisés en raison de la résiliation injustifiée du contrat d’entreprise en question.
8 Parkring n’ayant pas procédé à ce paiement, rhtb a introduit une demande devant la juridiction de première instance visant à obtenir le paiement d’un montant de 1540820,10 euros, comprenant la TVA afférente, en faisant valoir que Parkring s’était rétractée de manière injustifiée de ce contrat et que celle-ci était, dès lors, redevable du montant contractuellement convenu. Parkring a contesté le bien-fondé de cette demande en soutenant que rhtb ne pouvait prétendre qu’au paiement du montant
correspondant aux travaux effectués.
9 La juridiction de première instance a fait droit à la demande de rhtb, en relevant que Parkring s’était rétractée de manière injustifiée dudit contrat et en jugeant que le montant dû pour les travaux qui n’avaient pas pu être effectués en raison de la résiliation du même contrat était soumis à la TVA.
10 La juridiction d’appel a réformé la décision de la juridiction de première instance en jugeant qu’aucune TVA n’était due sur le montant dû pour les travaux non effectués dès lors qu’il n’y avait pas eu d’échange de prestations entre les parties au contrat.
11 Tant rhtb que Parkring ont introduit un recours en Revision contre cette décision devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), qui est la juridiction de renvoi. Celle-ci a jugé, en substance, que, à la suite de la résiliation injustifiée du contrat d’entreprise par Parkring, rhtb avait droit au montant contractuellement convenu. Toutefois, la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant au point de savoir si, eu égard à la jurisprudence de la Cour, le montant ainsi dû doit être
considéré comme constituant une rémunération, au sens de la directive TVA, puisque, rhtb n’étant plus, à compter de la résiliation du contrat d’entreprise par Parkring, obligée de fournir le reste de la prestation convenue, la condition selon laquelle doit exister un lien direct entre la contrepartie reçue et la prestation fournie ne serait pas remplie.
12 Dans ces conditions, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 2, paragraphe 1, sous c), de la [directive TVA], lu en combinaison avec l’article 73 de cette directive, doit-il être interprété en ce sens que le montant dû par le maître d’ouvrage à l’entrepreneur est soumis à la TVA également lorsque l’ouvrage n’a pas (complètement) été exécuté, mais que l’entrepreneur était disposé à l’exécuter et qu’il en a été empêché par des circonstances imputables au maître d’ouvrage (par exemple l’annulation de l’ouvrage) ? »
Sur la question préjudicielle
13 À titre liminaire, il convient de relever que la demande de décision préjudicielle ne contient aucune indication quant aux raisons qui ont amené la juridiction de renvoi à solliciter une interprétation de l’article 73 de la directive TVA. De surcroît, il ne ressort pas de cette demande que l’interprétation de cette disposition soit nécessaire pour la résolution du litige au principal.
14 Par conséquent, il y a lieu de considérer que, par sa question préjudicielle, cette juridiction demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que le montant contractuellement dû à la suite de la résiliation, par le bénéficiaire d’une prestation de services, d’un contrat valablement conclu portant sur la fourniture de cette prestation de services, soumise à la TVA, que le prestataire avait commencé à fournir et qu’il était disposé
à achever, doit être considéré comme constituant la rémunération d’une prestation de services effectuée à titre onéreux, au sens de la directive TVA.
15 À cet égard, il importe de rappeler que, conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, qui définit le champ d’application de la TVA, sont soumises à cette taxe les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.
16 Selon la jurisprudence de la Cour, une prestation de services n’est effectuée « à titre onéreux », au sens de cette disposition, que s’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique dans le cadre duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre‑valeur effective d’un service individualisable fourni au bénéficiaire. Tel est le cas s’il existe un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue
(arrêt du 11 juin 2020, Vodafone Portugal, C‑43/19, EU:C:2020:465, point 31 et jurisprudence citée).
17 Pour ce qui est du lien direct entre le service fourni au bénéficiaire et la contre-valeur effective reçue, la Cour a jugé que la contre-valeur du prix versé lors de la signature d’un contrat relatif à la prestation d’un service est constituée par le droit qu’en tire le client de bénéficier de l’exécution des obligations découlant de ce contrat, indépendamment du fait que le client mette en œuvre ce droit. Ainsi, le prestataire de services réalise cette prestation dès lors qu’il met le client en
mesure de bénéficier de celle-ci, de telle sorte que l’existence du lien direct susmentionné n’est pas affectée par le fait que le client ne fait pas usage dudit droit (arrêt du 11 juin 2020, Vodafone Portugal, C‑43/19, EU:C:2020:465, point 32 et jurisprudence citée).
18 À cet égard, il convient d’ajouter que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, un montant prédéterminé perçu par un opérateur économique en cas de résiliation anticipée par son client, ou pour un motif imputable à ce dernier, d’un contrat de prestation de services devant courir sur une certaine période, lequel montant correspond à la somme que cet opérateur aurait perçue au cours de cette période en l’absence d’une telle résiliation, doit être considéré comme la rémunération d’une
prestation de services effectuée à titre onéreux et soumise en tant que telle à la TVA, alors même que cette résiliation a impliqué, notamment, la désactivation des services prévus par ce contrat avant le terme de la période convenue (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Vodafone Portugal, C‑43/19, EU:C:2020:465, point 33 et jurisprudence citée).
19 La même considération doit valoir, a fortiori, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle le prestataire avait commencé à fournir la prestation de services concernée et était prêt à exécuter celle-ci jusqu’à son terme pour le montant contractuellement prévu.
20 En effet, d’une part, la contre-valeur du montant à payer par le bénéficiaire de la prestation de services est constituée du droit, pour celui-ci, de bénéficier de l’exécution, par le prestataire, des obligations découlant du contrat de prestation de services, même si le bénéficiaire ne souhaite plus mettre en œuvre ce droit pour un motif qui lui est imputable (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Vodafone Portugal, C‑43/19, EU:C:2020:465, point 35).
21 Dans une situation telle que celle en cause au principal, le prestataire de services a non seulement mis le bénéficiaire en mesure de bénéficier de la prestation de services, au sens de la jurisprudence citée au point 17 du présent arrêt, mais a, dès lors qu’il avait déjà entamé les travaux convenus, effectivement fourni une partie de cette prestation, étant relevé qu’il était disposé à exécuter celle-ci jusqu’à son terme.
22 D’autre part, il convient, pour l’application du système commun de TVA, également de tenir compte de la réalité économique et commerciale de l’opération en cause (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Vodafone Portugal, C‑43/19, EU:C:2020:465, point 40 et jurisprudence citée). Or, force est de constater que, dans le cadre d’une approche économique, le montant dû en application de l’article 1168, paragraphe 1, de l’ABGB reflète non seulement la rémunération contractuellement convenue pour les
services en question, déduction faite des montants épargnés, de sorte qu’il existe un lien direct entre le montant en cause au principal et le service rendu, mais assure de surcroît au prestataire de services une rémunération contractuelle minimale.
23 L’interprétation figurant au point 18 du présent arrêt n’est pas infirmée par l’argument selon lequel, à l’instar de ce que la Cour a jugé dans l’arrêt du 18 juillet 2007, Société thermale d’Eugénie-les-Bains (C‑277/05, EU:C:2007:440), au sujet d’arrhes visant à compenser le préjudice subi par un prestataire du fait de l’annulation d’une réservation par un client, il y aurait, en l’occurrence, lieu de conclure que le montant contractuellement prévu constitue une indemnité forfaitaire du préjudice
subi par le prestataire de services du fait de la résiliation du contrat par le bénéficiaire de la prestation de services.
24 En effet, la situation qu’a eu à connaître la Cour dans l’arrêt du 18 juillet 2007, Société thermale d’Eugénie-les-Bains (C‑277/05, EU:C:2007:440), ne portait pas sur une situation analogue ou comparable à celle en cause dans l’affaire au principal. Dans cet arrêt, la Cour a, en particulier, considéré qu’il n’y avait pas de lien direct entre le service rendu et la contrepartie reçue, la réservation de la chambre ne constituant pas une prestation de services autonome et individualisable. Elle a en
outre jugé que les arrhes constituaient, dans une situation telle que celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, une indemnité forfaitaire servant à indemniser le prestataire de services à la suite du désistement d’un client et qu’elles ne constituaient donc pas la rétribution d’une telle prestation.
25 En revanche, en l’occurrence, il existe bien une prestation de services individualisable et le prestataire avait d’ailleurs commencé les travaux convenus qu’il était disposé à exécuter dans leur totalité pour mener ainsi le contrat à bonne fin. Si tel n’a pas été le cas, c’est au motif que le bénéficiaire ne souhaitait plus recourir aux services de ce prestataire pour des raisons non imputables à celui-ci. De plus, le montant dû audit prestataire de services correspond à celui contractuellement
prévu pour l’exécution complète de la prestation de services, déduction faite des montants épargnés en raison de la non-réalisation de l’ouvrage. Ce montant ne saurait donc être considéré comme constituant une indemnité forfaitaire visant à réparer un préjudice subi.
26 Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que le montant contractuellement dû à la suite de la résiliation, par le bénéficiaire d’une prestation de services, d’un contrat valablement conclu portant sur la fourniture de cette prestation de services, soumise à la TVA, que le prestataire avait commencé à fournir et qu’il était disposé à achever, doit être
considéré comme constituant la rémunération d’une prestation de services effectuée à titre onéreux, au sens de la directive TVA.
Sur les dépens
27 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :
L’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée,
doit être interprété en ce sens que :
le montant contractuellement dû à la suite de la résiliation, par le bénéficiaire d’une prestation de services, d’un contrat valablement conclu portant sur la fourniture de cette prestation de services, soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, que le prestataire avait commencé à fournir et qu’il était disposé à achever, doit être considéré comme constituant la rémunération d’une prestation de services effectuée à titre onéreux, au sens de la directive 2006/112.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.