ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
28 novembre 2024 ( *1 )
« Pourvoi – Politique commerciale commune – Défense contre les importations qui font l’objet de subventions de la part de pays tiers – Accord sur les subventions et les mesures compensatoires de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – Articles 1er et 2 – Règlement (UE) 2016/1037 – Articles 2 à 4 – Notions de “subvention”, de “pouvoirs publics”, de “spécificité” et d’“avantage” – Contributions financières accordées par des organismes publics chinois à des entreprises de droit égyptien détenues
par des entités chinoises et établies dans la zone de coopération économique et commerciale sino-égyptienne de Suez – Possibilité de qualifier de telles contributions financières de subventions accordées par les pouvoirs publics égyptiens, eu égard au comportement propre de ces derniers – Admissibilité – Conditions – Contribution financière consistant en un abandon de recettes publiques normalement exigibles – Avantage conféré aux entreprises bénéficiaires – Choix de la situation de référence
pertinente pour caractériser l’existence de cette contribution financière et de cet avantage – Articles 5 et 6 – Calcul de l’avantage – Notions de “bénéficiaire” et d’“entreprise” »
Dans les affaires jointes C‑269/23 P et C‑272/23 P,
ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits respectivement les 25 et 27 avril 2023,
Hengshi Egypt Fiberglass Fabrics SAE, établie à Ain Soukhna (Égypte) (C‑269/23 P),
Jushi Egypt for Fiberglass Industry SAE, établie à Ain Soukhna (C‑269/23 P et C‑272/23 P),
parties requérantes,
représentées par Mes V. Crochet et B. Servais, avocats,
les autres parties à la procédure étant :
Commission européenne, représentée par MM. P. Kienapfel, G. Luengo et Mme P. Němečková, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
Tech-Fab Europe eV, établie à Francfort-sur-le-Main (Allemagne),
partie intervenante en première instance (C‑269/23 P),
Association des producteurs de fibres de verre européens (APFE), établie à Ixelles (Belgique),
partie intervenante en première instance (C‑272/23 P),
représentées par Me J. Beck, advocaat, et Me L. Ruessmann, avocat,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. F. Biltgen, président de la première chambre, faisant fonction de président de la deuxième chambre, Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de la cinquième chambre, et M. J. Passer (rapporteur), juge,
avocat général : Mme T. Ćapeta,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 16 mai 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur pourvoi dans l’affaire C‑269/23 P, Hengshi Egypt Fiberglass Fabrics SAE (ci-après « Hengshi ») et Jushi Egypt for Fiberglass Industry SAE (ci-après « Jushi ») demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 1er mars 2023, Hengshi Egypt Fiberglass Fabrics et Jushi Egypt for Fiberglass Industry/Commission (T‑480/20, ci-après l’« arrêt T‑480/20 », EU:T:2023:90), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation, en tant qu’il les concernait, du règlement
d’exécution (UE) 2020/776 de la Commission, du 12 juin 2020, instituant un droit compensateur définitif sur les importations de certains tissus en fibres de verre tissées et/ou cousues originaires de la République populaire de Chine et d’Égypte et modifiant le règlement d’exécution (UE) 2020/492 de la Commission instituant des droits antidumping définitifs sur les importations de certains tissus en fibres de verre tissées et/ou cousues originaires de la République populaire de Chine et d’Égypte
(JO 2020, L 189, p. 1, ci‑après le « règlement litigieux dans l’affaire T‑480/20 »).
2 Par son pourvoi dans l’affaire C‑272/23 P, Jushi demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal du 1er mars 2023, Jushi Egypt for Fiberglass Industry/Commission (T‑540/20, ci-après l’« arrêt T‑540/20 » et, pris ensemble avec l’arrêt T‑480/20, les « arrêts attaqués », EU:T:2023:91), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation, en tant qu’il la concernait, du règlement d’exécution (UE) 2020/870 de la Commission, du 24 juin 2020, instituant un droit compensateur définitif et portant
perception définitive du droit compensateur provisoire sur les importations de produits de fibre de verre à filament continu originaires d’Égypte, et portant perception du droit compensateur définitif sur les importations enregistrées de produits de fibre de verre à filament continu originaires d’Égypte (JO 2020, L 201, p. 10, ci-après le « règlement litigieux dans l’affaire T‑540/20 » et, pris ensemble avec le règlement litigieux dans l’affaire T‑480/20, les « règlements litigieux »).
Le cadre juridique
Le droit international
3 L’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994, a été approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO 1994, L 336, p. 1, ci-après l’« accord instituant l’OMC »). L’annexe 1A de cet accord inclut notamment un accord sur les
subventions et les mesures compensatoires.
4 L’article 1er de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires, qui est intitulé « Définition d’une subvention », stipule :
« 1.1 Aux fins du présent accord, une subvention sera réputée exister :
a) 1) s’il y a une contribution financière des pouvoirs publics ou de tout organisme public du ressort territorial d’un Membre (dénommés dans le présent accord les “pouvoirs publics”), c’est-à-dire dans les cas où :
i) une pratique des pouvoirs publics comporte un transfert direct de fonds (par exemple, sous la forme de dons, prêts et participation au capital social) ou des transferts directs potentiels de fonds ou de passif (par exemple, des garanties de prêt) ;
ii) des recettes publiques normalement exigibles sont abandonnées ou ne sont pas perçues (par exemple, dans le cas des incitations fiscales telles que les crédits d’impôt) [...]
iii) les pouvoirs publics fournissent des biens ou des services autres qu’une infrastructure générale, ou achètent des biens ;
iv) les pouvoirs publics font des versements à un mécanisme de financement, ou chargent un organisme privé d’exécuter une ou plusieurs fonctions des types énumérés aux alinéas i) à iii) qui sont normalement de leur ressort, ou lui ordonnent de le faire, la pratique suivie ne différant pas véritablement de la pratique normale des pouvoirs publics ;
[...]
et
b) si un avantage est ainsi conféré.
[...] »
5 L’article 2 de cet accord, qui est intitulé « Spécificité », dispose :
« 2.1 Pour déterminer si une subvention, telle qu’elle est définie au paragraphe 1 de l’article premier, est spécifique à une entreprise ou à une branche de production ou à un groupe d’entreprises ou de branches de production (dénommés dans le présent accord “certaines entreprises”) relevant de la juridiction de l’autorité qui accorde cette subvention, les principes suivants seront d’application :
a) Dans les cas où l’autorité qui accorde la subvention, ou la législation en vertu de laquelle ladite autorité agit, limite expressément à certaines entreprises la possibilité de bénéficier de la subvention, il y aura spécificité.
b) Dans les cas où l’autorité qui accorde la subvention, ou la législation en vertu de laquelle ladite autorité agit, subordonne à des critères ou conditions objectifs [...] le droit de bénéficier de la subvention et le montant de celle-ci, il n’y aura pas spécificité à condition que le droit de bénéficier de la subvention soit automatique et que lesdits critères ou conditions soient observés strictement. [...]
c) Si, nonobstant toute apparence de non-spécificité résultant de l’application des principes énoncés aux alinéas a) et b), il y a des raisons de croire que la subvention peut en fait être spécifique, d’autres facteurs pourront être pris en considération. [...]
2.2 Une subvention qui est limitée à certaines entreprises situées à l’intérieur d’une région géographique déterminée relevant de la juridiction de l’autorité qui accorde cette subvention sera spécifique. [...]
[...] »
6 L’article 5 dudit accord, qui est intitulé « Effets défavorables », énonce :
« Aucun Membre ne devrait causer, en recourant à l’une quelconque des subventions visées aux paragraphes 1 et 2 de l’article premier, d’effets défavorables pour les intérêts d’autres Membres, [...]
[...] »
7 L’article 11 du même accord, qui est intitulé « Engagement de la procédure et enquête ultérieure », prévoit, à son paragraphe 8 :
« Dans les cas où des produits ne sont pas importés directement du pays d’origine, mais sont exportés à partir d’un pays intermédiaire à destination du Membre importateur, les dispositions du présent accord seront pleinement applicables, et la ou les transactions seront considérées, aux fins du présent accord, comme ayant eu lieu entre le pays d’origine et le Membre importateur. »
Le droit de l’Union
8 La défense contre les importations qui font l’objet de subventions de la part de pays non membres de l’Union européenne a successivement été régie, à partir de l’année 1968 et jusqu’à l’année 1994, par une série de règlements communs à ce domaine et à celui du dumping, puis par une série de règlements spécifiques. Le dernier en date de ces règlements spécifiques est le règlement (UE) 2016/1037 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui
font l’objet de subventions de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 55), tel que modifié par le règlement (UE) 2018/825 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2018 (JO 2018, L 143, p. 1) (ci-après le « règlement 2016/1037 »).
9 Les considérants 2 à 5 du règlement 2016/1037 énoncent :
« (2) L’annexe 1A de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce [...] contient, entre autres, [...] un accord sur les subventions et les mesures compensatoires [...]
(3) Il convient, afin d’assurer une application appropriée et transparente des règles prévues dans l’accord sur les subventions [et les mesures compensatoires], de transposer, dans la mesure du possible, ses dispositions dans le droit de l’Union.
(4) En outre, il convient d’expliquer, sous une forme suffisamment détaillée, les conditions déterminant l’existence d’une subvention, les principes régissant l’applicabilité de droits compensateurs (en particulier si la subvention a été accordée de manière spécifique) et les critères s’appliquant au calcul du montant de la subvention passible de mesures compensatoires.
(5) Il est nécessaire, en déterminant l’existence d’une subvention, de démontrer l’octroi d’une contribution financière par les pouvoirs publics ou tout organisme public, sur le territoire d’un pays, [...], et qu’un avantage a bénéficié à une entreprise. »
10 L’article 1er de ce règlement, qui est intitulé « Principes », énonce :
« 1. Un droit compensateur peut être imposé afin de compenser toute subvention accordée, directement ou indirectement, à la fabrication, à la production, à l’exportation ou au transport de tout produit dont la mise en libre pratique dans l’Union cause un préjudice.
2. Nonobstant le paragraphe 1, lorsque les produits ne sont pas directement importés du pays d’origine, mais sont exportés vers l’Union en transitant par un pays intermédiaire, les dispositions du présent règlement sont intégralement applicables, et la ou les transactions sont, le cas échéant, considérées comme ayant été effectuées entre le pays d’origine et l’Union. »
11 L’article 2 dudit règlement prévoit, notamment, que, aux fins de celui-ci :
« a) est considéré comme faisant l’objet d’une subvention tout produit bénéficiant d’une subvention passible de mesures compensatoires au sens des articles 3 et 4. La subvention peut être accordée soit par les pouvoirs publics du pays d’origine du produit importé, soit par les pouvoirs publics d’un pays intermédiaire en provenance duquel le produit est exporté vers l’Union et qui est désigné, aux fins du présent règlement, sous le nom de “pays d’exportation” ;
b) on entend par “pouvoirs publics”, tout organisme public du ressort territorial du pays d’origine ou d’exportation ».
12 L’article 3 du même règlement, qui est intitulé « Définition d’une subvention », est libellé comme suit :
« Une subvention est réputée exister :
1) a) s’il y a une contribution financière des pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation, c’est-à-dire dans les cas où :
i) une pratique des pouvoirs publics comporte un transfert direct de fonds (par exemple, sous forme de dons, de prêts et de participations au capital social) ou des transferts directs potentiels de fonds ou de passif (par exemple des garanties de prêt) ;
ii) des recettes publiques normalement exigibles sont abandonnées ou ne sont pas perçues (par exemple dans le cas des incitations fiscales telles que les crédits d’impôt). [...]
iii) les pouvoirs publics fournissent des biens ou des services autres qu’une infrastructure générale, ou achètent des biens ;
iv) les pouvoirs publics :
– font des versements à un mécanisme de financement, ou
– chargent un organisme privé d’exécuter une ou plusieurs fonctions des types énumérés aux points i), ii) et iii), qui sont normalement de leur ressort, ou lui ordonnent de le faire, la pratique suivie ne différant pas véritablement de la pratique normale des pouvoirs publics ;
[...]
[...] et
2) si un avantage est ainsi conféré. »
13 L’article 4 du règlement 2016/1037, intitulé « Subventions passibles de mesures compensatoires », énonce :
« 1. Les subventions ne sont passibles de mesures compensatoires que lorsqu’elles sont spécifiques au sens des paragraphes 2, 3 et 4.
2. Pour déterminer si une subvention est spécifique à une entreprise, à une industrie ou à un groupe d’entreprises ou d’industries (ci-après dénommés “certaines entreprises”) relevant de la juridiction de l’autorité qui accorde la subvention, les principes suivants sont applicables :
a) dans les cas où l’autorité qui accorde la subvention ou la législation applicable limite expressément à certaines entreprises la possibilité de bénéficier de la subvention, il y a spécificité ;
b) dans les cas où l’autorité qui accorde la subvention ou la législation applicable subordonne à des critères ou conditions objectifs le droit de bénéficier de la subvention et le montant de celle-ci, il n’y a pas spécificité, à condition que le droit de bénéficier de la subvention soit automatique et que lesdits critères ou conditions soient strictement observés ;
c) si, nonobstant toute apparence de non-spécificité résultant de l’application des principes énoncés aux points a) et b), il existe des raisons de croire que la subvention peut en fait être spécifique, d’autres facteurs peuvent être pris en considération. Ces facteurs sont les suivants : utilisation d’un programme de subventions par un nombre limité de certaines entreprises ; utilisation dominante par certaines entreprises ; l’octroi à certaines entreprises de montants de subvention
disproportionnés ; la manière dont l’autorité qui accorde la subvention a exercé un pouvoir discrétionnaire dans la décision d'accorder une subvention. [...]
[...]
3. Une subvention qui est limitée à certaines entreprises situées à l’intérieur d’une région géographique déterminée relevant de la juridiction de l’autorité qui accorde la subvention est spécifique. [...]
[...] »
14 Selon l’article 5 de ce règlement, qui est intitulé « Calcul du montant de la subvention passible de mesures compensatoires » :
« Le montant de la subvention passible de mesures compensatoires est calculé en termes d’avantage conféré au bénéficiaire tel que constaté et déterminé pour la période d’enquête. Cette période correspond normalement au dernier exercice comptable du bénéficiaire, mais peut couvrir toute autre période d’une durée minimale de six mois, qui est antérieure à l’ouverture de l’enquête et pour laquelle des données fiables, financières et autres, sont disponibles. »
15 L’article 6 dudit règlement, qui est intitulé « Calcul de l’avantage conféré au bénéficiaire », énonce :
« Le calcul de l’avantage conféré au bénéficiaire est effectué en appliquant les règles suivantes :
a) une prise de participation des pouvoirs publics au capital social d’une entreprise n’est pas considérée comme conférant un avantage, à moins que l’investissement ne puisse être jugé incompatible avec la pratique habituelle concernant les investissements, y compris pour ce qui est de la fourniture de capital-risque, des investisseurs privés sur le territoire du pays d’origine et/ou d’exportation ;
b) un prêt des pouvoirs publics n’est pas considéré comme conférant un avantage, à moins qu’il n’existe une différence entre le montant que l’entreprise bénéficiaire paie sur le prêt des pouvoirs publics et le montant qu’elle paierait sur un prêt commercial comparable qu’elle pourrait effectivement obtenir sur le marché. Dans ce cas, l’avantage correspond à la différence entre ces deux montants ;
c) une garantie de prêt accordée par les pouvoirs publics n’est pas considérée comme conférant un avantage, à moins qu’il n’existe une différence entre le montant que l’entreprise bénéficiaire de la garantie paie sur le prêt garanti par les pouvoirs publics et le montant qu’elle paierait sur un prêt commercial comparable en l’absence de cette garantie. Dans ce cas, l’avantage correspond à la différence entre ces deux montants, ajustée pour tenir compte des différences de commissions ;
d) la fourniture de biens ou de services ou l’achat de biens par les pouvoirs publics ne sont pas considérés comme conférant un avantage, à moins que la fourniture ne s’effectue moyennant une rémunération moins qu’adéquate ou que l’achat ne s’effectue moyennant une rémunération plus qu’adéquate. L’adéquation de la rémunération est déterminée par rapport aux conditions existantes du marché pour le bien ou le service en question dans le pays de fourniture ou d’achat, y compris le prix, la qualité,
la disponibilité, la qualité marchande, le transport et les autres conditions d’achat ou de vente.
[...] »
16 Par ailleurs, diverses dispositions du même règlement, en particulier son article 9, paragraphe 3, son article 10, paragraphes 7 et 13, son article 11, paragraphes 6, 7 et 10, son article 13, paragraphes 1 à 3, son article 18, paragraphe 3, son article 29 bis, paragraphe 1, ainsi que son article 30, paragraphes 1 et 2, prévoient différentes facultés au bénéfice, notamment, du « pays d’origine ou d’exportation », du « gouvernement du pays d’origine et/ou d’exportation », des « pouvoirs publics du
pays d’origine et/ou d’exportation » ainsi que des « pouvoirs publics qui octroient la subvention passible de mesures compensatoires ».
Les antécédents des litiges
17 Les faits à l’origine des litiges, tels que présentés dans les arrêts attaqués, peuvent être résumés de la façon suivante.
18 Hengshi et Jushi sont deux sociétés établies en Égypte et constituées conformément à la législation de ce pays. Chacune d’elles est la filiale d’une société mère établie en Chine. Ces deux sociétés mères sont elles‑mêmes détenues et contrôlées intégralement par une société faîtière également établie en Chine, dénommée « China National Building Materials Co. Ltd ». Cette dernière est une société d’État détenue indirectement et contrôlée intégralement par la Commission de supervision et
d’administration des actifs publics du Conseil des affaires de l’État, cette autorité étant elle-même rattachée audit Conseil des affaires de l’État et contrôlée par celui-ci.
19 Hengshi et Jushi sont actives, à divers titres, dans le secteur de la fabrication, de la commercialisation et de l’exportation, notamment vers l’Union, de produits en fibres de verre utilisés, entre autres, pour créer des matériaux composites légers qui servent dans des domaines tels que l’industrie automobile, l’industrie navale, l’industrie aéronautique, l’énergie éolienne et le bâtiment.
20 Elles sont établies dans une région géographique dénommée « zone de coopération économique et commerciale sino-égyptienne de Suez » (ci-après la « zone CECS »).
21 Conformément à un accord de coopération signé le 21 janvier 2016 entre les pouvoirs publics chinois et les pouvoirs publics égyptiens, à la suite d’une succession d’initiatives communes, la zone CECS fait l’objet d’une administration et d’un développement conjoints. À cette fin, les pouvoirs publics égyptiens accordent certaines exonérations fiscales aux entreprises détenues par des entités chinoises ou sino-égyptiennes qui sont établies dans cette zone et leur fournissent des terrains ainsi que
de la main-d’œuvre, dans les conditions fixées par la réglementation égyptienne applicable. Pour leur part, les pouvoirs publics chinois mettent directement ou indirectement à la disposition de ces entreprises différents moyens financiers, dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet global intitulé « Une ceinture, une route », en lien avec lequel est notamment prévue la possibilité, pour des entreprises chinoises qui vont s’établir dans des pays tiers, de bénéficier de différentes mesures
fiscales et financières prenant la forme, par exemple, de prêts, d’investissements et d’assurances-crédits.
22 Au cours des mois de mai et de juin 2019, la Commission européenne a ouvert, au titre des articles 10 et 11 du règlement 2016/1037, deux procédures d’enquête ayant pour objet de possibles subventions bénéficiant aux importations de certains produits en fibres de verre dans l’Union, à la suite de plaintes introduites, respectivement, par la société Tech-Fab Europe eV (ci-après « Tech-Fab Europe ») et par l’Association des producteurs de fibres de verre européens (APFE).
23 Au terme de ces enquêtes, la Commission a successivement adopté, au cours du mois de juin 2020, le règlement litigieux dans l’affaire T‑480/20 et le règlement litigieux dans l’affaire T‑540/20. Les règlements litigieux instituent tous deux des droits compensateurs sur les produits en fibres de verre visés par lesdites enquêtes qui sont importés dans l’Union, respectivement, par Hengshi et Jushi, s’agissant du premier, et par Jushi, en ce qui concerne le second. Dans ces règlements, la Commission
a considéré que Hengshi et Jushi avaient bénéficié, dans le contexte de la mise en œuvre des différentes initiatives visées au point 21 du présent arrêt, d’un ensemble de subventions accordées par les pouvoirs publics égyptiens. Certaines des mesures qui ont été qualifiées de la sorte sont en substance, selon cette institution, le résultat d’une coopération entre ces pouvoirs publics et les pouvoirs publics chinois.
Les recours devant le Tribunal et les arrêts attaqués
24 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 juillet 2020, Hengshi et Jushi ont introduit un recours tendant à l’annulation du règlement litigieux dans l’affaire T‑480/20. À l’appui de ce recours, elles ont invoqué six moyens tirés de la violation du règlement 2016/1037 et, pour l’un d’entre eux, de la violation de leurs droits de la défense.
25 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 octobre 2020, Tech-Fab Europe a demandé à intervenir au litige, au soutien des conclusions de la Commission.
26 Par ordonnance du 26 janvier 2021, le président de la première chambre du Tribunal a admis cette intervention.
27 Le 1er mars 2023, le Tribunal a adopté l’arrêt T‑480/20, par lequel il a rejeté le recours comme étant non fondé.
28 Parallèlement, par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 août 2020, Jushi a introduit un recours tendant à l’annulation du règlement litigieux dans l’affaire T-540/20. À l’appui de ce recours, elle a invoqué cinq moyens tirés de la violation du règlement 2016/1037 et, pour deux d’entre eux, de la violation de ses droits de la défense ainsi que des droits de la défense des pouvoirs publics égyptiens. Sous réserve de ce dernier aspect, ces moyens sont identiques, dans leur substance, aux
deuxième à sixième moyens invoqués dans l’affaire T‑480/20.
29 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 14 décembre 2020, l’APFE a demandé à intervenir au litige, au soutien des conclusions de la Commission.
30 Par ordonnance du 28 avril 2021, le président de la première chambre du Tribunal a admis cette intervention.
31 Le 1er mars 2023, le Tribunal a adopté l’arrêt T-540/20, par lequel il a rejeté le recours comme étant non fondé.
32 Les moyens de première instance pertinents aux fins des présents pourvois sont les suivants. En premier lieu, par la première branche du deuxième moyen dans l’affaire T‑480/20 ainsi que par la deuxième branche du premier moyen dans l’affaire T‑540/20, les requérantes avaient soutenu, dans des termes identiques, que la Commission avait violé l’article 2, sous a) et b), ainsi que l’article 3, point 1, du règlement 2016/1037 en estimant, en substance, que certaines contributions financières qui leur
avaient été accordées par les pouvoirs publics chinois devaient aussi être regardées comme des subventions ayant été accordées par les pouvoirs publics égyptiens ou pouvant être attribuées ou imputées à ces derniers. À l’appui de cette argumentation, elles avaient avancé trois griefs distincts selon lesquels le raisonnement de la Commission était fondé, premièrement, sur une interprétation erronée des termes de ces dispositions du règlement 2016/1037 ainsi que du contexte dans lequel celles-ci
s’inscrivent, deuxièmement, sur la prise en considération erronée de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires aux fins de l’interprétation de ce règlement et, troisièmement, à supposer que cet accord doive être pris en considération, sur une interprétation erronée de ce dernier à la lumière de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331, ci-après la « convention de Vienne »), ainsi que
de l’article 11 des articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, élaborés par la Commission du droit international de l’Organisation des Nations unies. Le Tribunal a examiné et rejeté l’ensemble de ladite argumentation aux points 71 à 103 de l’arrêt T‑480/20 et aux points 38 à 70 de l’arrêt T‑540/20.
33 En deuxième lieu, le Tribunal s’est prononcé sur la seconde branche du deuxième moyen invoqué par Hengshi et Jushi dans l’affaire T‑480/20 ainsi que sur la troisième branche du premier moyen invoqué par Jushi dans l’affaire T‑540/20. Dans ce cadre, les requérantes avaient soutenu, dans des termes identiques, que la Commission avait violé l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement 2016/1037 en estimant que certaines contributions financières qui leur avaient été accordées par les pouvoirs
publics chinois constituaient des subventions spécifiques au sens de ces dispositions. À l’appui de cette argumentation, elles avaient fait valoir, en substance, que, compte tenu de leurs termes et du contexte dans lequel elles s’inscrivent, lesdites dispositions devaient être interprétées en ce sens que, pour pouvoir être qualifiée de spécifique, une subvention doit avoir été accordée, donc donnée, par une autorité déterminée à des entreprises relevant de sa juridiction. En outre, elles avaient
soutenu que, en l’espèce, une telle exigence excluait que des contributions financières accordées par les pouvoirs publics chinois à des entreprises établies en Chine et retransmises par celles-ci à leurs filiales établies en Égypte, ainsi que des contributions financières accordées directement par ces pouvoirs publics à ces filiales, puissent être qualifiées de subventions spécifiques accordées par une autorité égyptienne. Le Tribunal a rejeté ladite argumentation aux points 106 à 109 de l’arrêt
T‑480/20 et aux points 73 à 76 de l’arrêt T‑540/20.
34 En troisième lieu, le Tribunal s’est prononcé sur le quatrième moyen invoqué par Hengshi et Jushi dans l’affaire T‑480/20 ainsi que sur le troisième moyen invoqué par Jushi dans l’affaire T‑540/20. Dans ce cadre, les requérantes avaient soutenu, dans des termes identiques, que la Commission avait violé l’article 3, point 1, sous a), ii), et point 2, ainsi que l’article 5 du règlement 2016/1037 en considérant que les pouvoirs publics égyptiens leur avaient accordé une subvention et, ce faisant,
conféré un avantage, en ne percevant pas certains droits de douane normalement exigibles lors de l’importation en Égypte, par Jushi, de matériaux ayant vocation à être utilisés, en tant qu’intrants, pour fabriquer des produits en fibres de verre destinés à être exportés par Hengshi vers l’Union. Le Tribunal a rejeté cette argumentation aux points 162 à 171 de l’arrêt T‑480/20 et aux points 129 à 138 de l’arrêt T‑540/20.
35 En quatrième lieu, le Tribunal s’est prononcé sur le cinquième moyen invoqué par Hengshi et Jushi dans l’affaire T‑480/20 ainsi que sur le quatrième moyen invoqué par Jushi dans l’affaire T‑540/20. Dans ce cadre, les requérantes avaient soutenu, dans des termes identiques, que la Commission avait violé l’article 3, point 2, et l’article 4, paragraphe 2, sous c), du règlement 2016/1037 en estimant que le traitement fiscal réservé par les pouvoirs publics égyptiens aux pertes de change consécutives
à la dévaluation de la livre égyptienne intervenue au cours de l’année 2016 constituait une subvention conférant de facto un avantage spécifique à un nombre limité d’entreprises tournées vers l’exportation et menant l’essentiel de leurs activités en devises étrangères, parmi lesquelles figuraient Hengshi et Jushi. Le Tribunal a rejeté cette argumentation aux points 175 à 179 de l’arrêt T‑480/20 et aux points 142 à 146 de l’arrêt T‑540/20.
36 En cinquième et dernier lieu, dans l’affaire T‑480/20, le Tribunal s’est prononcé sur la première branche du premier moyen invoqué par Hengshi et Jushi. Dans ce cadre, les requérantes avaient soutenu que la Commission avait violé, notamment, l’article 1er, paragraphe 1, l’article 5 et l’article 6 du règlement 2016/1037 en calculant le montant des subventions passibles de mesures compensatoires accordées à chacune d’entre elles. Le Tribunal a rejeté cette argumentation aux points 32 à 58 de
l’arrêt T‑480/20.
Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
37 Par leur pourvoi dans l’affaire C‑269/23 P, Hengshi et Jushi demandent à la Cour :
– d’annuler l’arrêt T‑480/20 ;
– d’annuler le règlement litigieux dans l’affaire T‑480/20, après avoir évoqué cette affaire, et
– de condamner la Commission et toute partie intervenante aux dépens exposés tant en première instance qu’au stade du pourvoi.
38 Par son pourvoi dans l’affaire C‑272/23 P, Jushi demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt T‑540/20 ;
– d’annuler le règlement litigieux dans l’affaire T‑540/20, après avoir évoqué cette affaire, et
– de condamner la Commission et toute partie intervenante aux dépens exposés tant en première instance qu’au stade du pourvoi.
39 La Commission demande à la Cour de rejeter les deux pourvois et de condamner les requérantes aux dépens.
40 Tech-Fab Europe demande à la Cour de rejeter le pourvoi dans l’affaire C‑269/23 P et de condamner Hengshi et Jushi aux dépens.
41 L’APFE demande à la Cour de rejeter le pourvoi dans l’affaire C‑272/23 P et de condamner Jushi aux dépens.
42 Par décision adoptée par le président de la Cour le 8 décembre 2023, les parties entendues, les deux affaires ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure et de l’arrêt.
Sur le pourvoi
43 À l’appui de leurs conclusions dans l’affaire C‑269/23 P, Hengshi et Jushi invoquent cinq moyens.
44 À l’appui de ses conclusions dans l’affaire C‑272/23 P, Jushi invoque quatre moyens, qui sont identiques, dans leur substance, aux deuxième à quatrième moyens dans l’affaire C‑269/23 P.
Sur le premier moyen commun aux deux affaires
Argumentation des parties
45 Par leur deuxième moyen dans l’affaire C‑269/23 P, tiré, en substance, d’une interprétation et d’une application erronées de l’article 2, sous a) et b), ainsi que de l’article 3, point 1, du règlement 2016/1037, Hengshi et Jushi contestent les appréciations du Tribunal figurant aux points 81 à 103 de l’arrêt T‑480/20. Ce moyen est identique au premier moyen dans l’affaire C‑272/23 P, par lequel Jushi conteste les appréciations du Tribunal figurant aux points 48 à 70 de l’arrêt T‑540/20.
46 Par ce moyen commun aux deux affaires, qui correspond aux moyens de première instance résumés au point 32 du présent arrêt, les requérantes font valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit en estimant que la Commission pouvait considérer que certaines contributions financières qui leur avaient été accordées par les pouvoirs publics chinois, que ce soit directement ou par l’intermédiaire de leurs sociétés mères, devaient aussi être regardées comme des subventions ayant été accordées par
les pouvoirs publics égyptiens ou pouvant être attribuées ou imputées à ces derniers.
47 À cet égard, elles soutiennent, en premier lieu, que cette qualification juridique et l’interprétation qui la sous-tend, telle qu’énoncées aux points 81 à 85 et 92 à 95 de l’arrêt T‑480/20 ainsi qu’aux points 48 à 52 et 59 à 62 de l’arrêt T‑540/20, sont incompatibles avec les termes de l’article 2, sous a) et b), ainsi que de l’article 3, point 1, du règlement 2016/1037, appréhendés à la lumière du contexte dans lequel ces dispositions s’inscrivent et de l’objectif poursuivi par ledit règlement.
48 En effet, tout d’abord, l’article 2, sous a) et b), ainsi que l’article 3, point 1, du règlement 2016/1037 énonceraient de manière claire et précise, dans leurs différentes versions linguistiques, que la notion de « subvention » inclut uniquement des contributions financières qui émanent « des pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation », entendus, en règle générale, comme englobant « tout organisme public du ressort territorial » de ce pays, sous réserve d’une seule exception, tenant à
la situation dans laquelle de tels organismes chargent « un organisme privé » d’exécuter des fonctions qui sont normalement de leur ressort ou lui ordonnent de le faire. Ces dispositions ne permettraient donc pas d’inclure dans cette notion des contributions financières qui émanent des pouvoirs publics d’un autre pays. Par ailleurs, lesdites dispositions se référeraient aux subventions qui sont « accordées par » les pouvoirs publics en cause et non pas à celles qui sont « attribuables » ou
« imputables » à ceux-ci. Ladite notion ne pourrait donc inclure que des subventions qui émanent directement de ces pouvoirs publics, sous réserve de l’exception prévue, de façon expresse et limitative, en présence d’organismes privés agissant pour le compte de ces derniers.
49 Ensuite, cette interprétation serait corroborée par le contexte dans lequel s’inscrivent l’article 2, sous a) et b), ainsi que l’article 3, point 1, du règlement 2016/1037. En particulier, l’article 10, paragraphe 7, et l’article 13, paragraphe 1, de ce règlement accorderaient une série de droits et de facultés au pays d’origine ou d’exportation. En revanche, rien de tel ne serait prévu au bénéfice d’autres pays, dans l’hypothèse où l’interprétation retenue par le Tribunal devrait être admise.
50 Enfin, le considérant 4 du règlement 2016/1037 indiquerait que cet acte a notamment pour objectif d’expliquer, sous une forme suffisamment détaillée, les conditions déterminant l’existence d’une subvention, au nombre desquelles ne figurerait pas celle tenant à la possibilité d’attribuer ou d’imputer une contribution financière émanant des pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation, donc accordées par ceux-ci, aux pouvoirs publics d’un autre pays. De façon plus générale, le législateur de
l’Union n’aurait pas entendu faire relever les investissements étrangers directs de ce règlement.
51 En second lieu, l’interprétation du règlement 2016/1037 retenue par le Tribunal ne pourrait pas davantage être considérée comme étant justifiée au regard de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires.
52 En effet, contrairement à ce que le Tribunal a énoncé aux points 96 à 100 de l’arrêt T‑480/20 et aux points 63 à 67 de l’arrêt T‑540/20, les termes de l’article 2, sous a) et b), ainsi que ceux de l’article 3, point 1, du règlement 2016/1037 seraient partiellement différents de ceux de l’article 1er de cet accord. En particulier, à la différence de ce dernier, qui prévoit que la notion de « pouvoirs publics » englobe de façon générale « tout organisme public du ressort territorial d’un Membre »,
les premiers énonceraient que cette notion inclut uniquement « tout organisme public du ressort territorial du pays d’origine ou d’exportation ». Or, cette différence de rédaction devrait se voir attribuer une signification.
53 En tout état de cause, contrairement à ce que le Tribunal a énoncé aux points 101 et 102 de l’arrêt T‑480/20 ainsi qu’aux points 68 et 69 de l’arrêt T‑540/20, l’article 1er de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires, dont les termes devraient être interprétés conformément aux règles prévues à l’article 31 de la convention de Vienne, ferait apparaître clairement que cet accord ne permet pas, lui non plus, de qualifier une contribution financière émanant des pouvoirs publics d’un
membre de l’OMC de subvention imputable aux pouvoirs publics d’un autre membre de l’OMC. En effet, il ressortirait de cet article 1er que constitue une subvention « faite par les “pouvoirs publics” [d’un] “Membre” » une contribution financière qui « provient » d’un organe exécutif ou d’un organisme public « du ressort territorial » de ce membre. En outre, ledit article ne prévoirait pas la possibilité d’imputer une telle contribution financière aux pouvoirs publics d’un autre membre. Enfin, le
contexte dans lequel ces termes doivent être appréhendés et le but poursuivi par l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires corroboreraient une telle interprétation.
54 La Commission, soutenue par l’APFE et par Tech-Fab Europe, conteste le bien-fondé de l’ensemble de cette argumentation.
Appréciation de la Cour
– Considérations liminaires
55 Dans la mesure où les requérantes font valoir que les arrêts attaqués sont entachés d’erreurs de droit consistant en substance, pour le Tribunal, à avoir contrôlé la légalité des règlements litigieux en se fondant non seulement sur une interprétation erronée du règlement 2016/1037, mais également sur une compréhension erronée de la relation juridique qui existe entre ce règlement et l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires ainsi que sur une interprétation erronée de cet accord,
il est nécessaire de déterminer, à titre liminaire, si et, dans l’affirmative, à quel titre ledit accord doit être pris en considération par la Cour.
56 À cet égard, en premier lieu, il est de jurisprudence constante que les dispositions d’un accord international auquel l’Union est partie ne peuvent être invoquées à l’appui d’un recours en annulation d’un acte du droit dérivé de l’Union, d’une exception tirée de l’invalidité d’un tel acte ou encore d’un recours en indemnité qu’aux conditions que, d’une part, la nature et l’économie de cet accord international ne s’y opposent pas et, d’autre part, les dispositions dudit accord international qui
sont invoquées apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises (arrêts du 3 juin 2008, Intertanko e.a., C‑308/06, EU:C:2008:312, points 43 et 45 ; du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma, C‑659/13 et C‑34/14, EU:C:2016:74, point 84, ainsi que du 28 septembre 2023, Changmao Biochemical Engineering/Commission, C‑123/21 P, EU:C:2023:708, point 69).
57 Or, la Cour a constamment jugé que, compte tenu de leur nature et de leur économie, l’accord instituant l’OMC et les accords qui figurent aux annexes 1 à 4 de cet accord ne constituent pas, en principe, des normes au regard desquelles la légalité des actes du droit dérivé de l’Union peut être contrôlée (arrêts du 16 juillet 2015, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P, EU:C:2015:494, point 38 et jurisprudence citée ; du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma, C‑659/13 et C‑34/14,
EU:C:2016:74, point 85, ainsi que du 28 septembre 2023, Changmao Biochemical Engineering/Commission, C‑123/21 P, EU:C:2023:708, point 71).
58 Dès lors, l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires, qui figure à l’annexe 1A de l’accord instituant l’OMC, ne constitue pas, en principe, une telle norme.
59 Cela étant, dans deux situations exceptionnelles, attestant de la volonté du législateur de l’Union de limiter sa marge de manœuvre dans l’application des règles de l’OMC, il appartient au juge de l’Union de contrôler la légalité d’un acte du droit dérivé de l’Union ou des actes faisant application de celui-ci au regard de l’accord instituant l’OMC ou des accords qui figurent aux annexes 1 à 4 de cet accord. Il s’agit, premièrement, de l’hypothèse dans laquelle l’Union a entendu donner exécution,
dans cet acte, à une obligation particulière assumée dans le cadre de ces accords et, deuxièmement, du cas dans lequel ledit acte renvoie expressément à des dispositions précises desdits accords (arrêts du 16 juillet 2015, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P, EU:C:2015:494, points 40 et 41 ; du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma, C‑659/13 et C‑34/14, EU:C:2016:74, point 87, ainsi que du 28 septembre 2023, Changmao Biochemical Engineering/Commission, C‑123/21 P, EU:C:2023:708,
points 74 et 75).
60 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, la volonté éventuelle de l’Union de donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre des accords en question se distingue du devoir qui incombe à tout membre de l’OMC de veiller, dans le cadre de son ordre juridique interne et sur l’ensemble de son territoire, au respect des obligations découlant du droit de l’OMC [voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2020, Commission/Hongrie (Enseignement supérieur), C‑66/18, EU:C:2020:792,
point 85]. Cette volonté et l’obligation particulière à laquelle elle se rapporte doivent, par conséquent, ressortir d’une disposition spécifique de l’acte du droit dérivé de l’Union qui est concerné dans un cas donné (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2015, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P, EU:C:2015:494, points 45 et 46, ainsi que du 28 septembre 2023, Changmao Biochemical Engineering/Commission, C‑123/21 P, EU:C:2023:708, point 79).
61 En l’espèce, force est de constater, tout d’abord, qu’aucune des dispositions du règlement 2016/1037 dont se prévalent les requérantes dans le cadre du présent moyen ne fait ressortir une quelconque volonté du législateur de l’Union de donner exécution, dans cet acte, à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires ou, plus largement, de l’accord instituant l’OMC et des accords qui figurent aux annexes 1 à 4 de celui-ci.
62 Ensuite, aucune de ces dispositions ne renvoie expressément à des dispositions précises de ces accords.
63 Enfin, s’il est vrai que le considérant 3 du règlement 2016/1037 indique qu’il convient de « transposer, dans la mesure du possible, [l]es dispositions [de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires] dans le droit de l’Union », cette expression doit être comprise en ce sens que, si le législateur de l’Union a entendu mettre en œuvre les dispositions de cet accord lorsqu’il a adopté ce règlement, il n’a pas pour autant voulu faire dudit accord une norme au regard de laquelle la
légalité des actes du droit dérivé de l’Union pourrait être contrôlée (voir, par analogie, arrêts du 16 juillet 2015, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P, EU:C:2015:494, point 52, ainsi que du 28 septembre 2023, Changmao Biochemical Engineering/Commission, C‑123/21 P, EU:C:2023:708, point 78).
64 C’est, par conséquent, à tort que le Tribunal a jugé, au point 99 de l’arrêt T‑480/20 et au point 66 de l’arrêt T‑540/20, que l’article 3, point 1, sous a), du règlement 2016/1037 visait à donner exécution à une obligation particulière assumée par l’Union dans le cadre de l’OMC. Cela étant, dès lors que cette appréciation, introduite par l’expression « en outre », a été effectuée par le Tribunal à titre surabondant, l’erreur de droit ainsi commise n’est pas susceptible d’entraîner l’annulation de
l’arrêt attaqué.
65 En second lieu, il ne ressort pas moins de la jurisprudence constante de la Cour que la primauté des accords internationaux conclus par l’Union sur les actes du droit dérivé de l’Union commande d’interpréter ces derniers, dans toute la mesure possible, en conformité avec ces accords, en particulier lorsque de tels actes visent à mettre en œuvre de tels accords, pour autant que leurs dispositions soient substantiellement identiques (voir, en ce sens, arrêts du 8 septembre 2015, Philips Lighting
Poland et Philips Lighting/Conseil, C‑511/13 P, EU:C:2015:553, points 60 et 63, ainsi que du 20 janvier 2022, Commission/Hubei Xinyegang Special Tube, C‑891/19 P, EU:C:2022:38, points 30 et 31). En outre, cette interprétation doit être effectuée, dans toute la mesure possible, en conformité avec les règles et les principes pertinents du droit international général, dans le respect duquel l’Union est tenue d’exercer ses compétences lorsqu’elle adopte lesdits actes (voir, en ce sens, arrêts du
3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 291, et du 1er août 2022, Sea Watch, C‑14/21 et C‑15/21, EU:C:2022:604, point 92).
66 En particulier, le principe de droit international général de respect et d’exécution de bonne foi des traités (pacta sunt servanda) consacré à l’article 26 de la convention de Vienne implique que le juge de l’Union doit, aux fins de l’interprétation de l’accord instituant l’OMC et des accords figurant aux annexes 1 à 4 de celui-ci, tenir compte de l’interprétation de ces accords retenue par l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC. En l’absence d’une telle interprétation, il revient à
la Cour d’interpréter seule lesdits accords conformément aux règles coutumières d’interprétation de droit international qui lient l’Union [voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2020, Commission/Hongrie (Enseignement supérieur), C‑66/18, EU:C:2020:792, point 92, et du 20 janvier 2022, Commission/Hubei Xinyegang Special Tube, C‑891/19 P, EU:C:2022:38, point 32].
67 En l’espèce, les termes de l’article 3, point 1, du règlement 2016/1037 sont substantiellement identiques, sur de nombreux aspects, à ceux de l’article 1er de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires, tout en comportant des différences qu’il convient de prendre en considération. Il importe donc de veiller, dans toute la mesure possible, à ce que l’interprétation de cette disposition soit conforme à cet article ou, s’agissant des points sur lesquels ladite disposition comporte
des différences par rapport audit article, à ce qu’elle n’aille pas à l’encontre des obligations de l’Union au titre de l’OMC (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 1988, Fediol/Commission, 188/85, EU:C:1988:400, point 13).
68 Par ailleurs, dès lors que, comme les parties s’accordent pour le reconnaître, l’ORD n’a pas encore précisé le sens et la portée de l’article 1er de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires en présence d’une situation telle que celle visée par les arrêts attaqués et, avant eux, par les règlements litigieux, il revient à la Cour d’interpréter seule cet article, selon les modalités indiquées au point 66 du présent arrêt, dans la mesure nécessaire pour se prononcer sur les moyens
soulevés par les requérantes.
– Sur l’interprétation de l’article 2, sous a) et b), ainsi que de l’article 3, point 1, du règlement 2016/1037
69 Le désaccord qui oppose les parties porte, en substance, sur l’identité des personnes dont une subvention doit émaner pour pouvoir être qualifiée comme telle en vertu du règlement 2016/1037. Il est donc nécessaire de déterminer si et, dans l’affirmative, de quelle manière cette identité est régie par cet acte, étant rappelé que les dispositions dudit acte doivent être interprétées, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, en tenant compte non seulement de leurs termes, mais également
du contexte dans lequel elles s’inscrivent et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elles font partie (arrêts du 7 juin 2005, VEMW e.a., C‑17/03, EU:C:2005:362, point 41, ainsi que du 1er août 2022, Sea Watch, C‑14/21 et C‑15/21, EU:C:2022:604, point 115), ainsi que le Tribunal l’a rappelé, en substance, au point 78 de l’arrêt T‑480/20 et au point 45 de l’arrêt T‑540/20.
70 S’agissant, en premier lieu, des termes des dispositions du règlement 2016/1037, il convient de relever, tout d’abord, que l’article 3, point 1, sous a), de ce règlement définit la notion de « subvention » d’un point de vue à la fois matériel et personnel.
71 D’un point de vue matériel, il ressort, en substance, de cet article 3, point 1, sous a), qu’une subvention est constituée par une contribution financière qui peut être une pratique comportant un transfert direct de fonds, un abandon ou une non-perception de recettes publiques normalement exigibles, une fourniture ou un achat de biens ou de services, ou encore un versement à un mécanisme de financement.
72 D’un point de vue personnel, ledit article 3, point 1, sous a), précise en substance, dans ses différentes versions linguistiques, que, quelles qu’en soient la forme et la nature, cette contribution financière doit émaner, dans tous les cas, « des pouvoirs publics » (ou « du gouvernement ») du (ou dans le) « pays d’origine » ou « pays d’exportation », sous réserve d’une seule exception, tenant à l’hypothèse dans laquelle ces pouvoirs publics chargent un organisme privé de dispenser une
contribution financière pour leur compte ou lui ordonnent de le faire. Il s’ensuit que, sous réserve de cette exception, ne peut être qualifiée de subvention, au sens du règlement 2016/1037, qu’une contribution financière ayant pour dispensateurs les pouvoirs publics du pays d’origine ou du pays d’exportation, donc pour origine un comportement de ces derniers.
73 Ensuite, l’article 2 du règlement 2016/1037 définit, entre autres notions, celle de « pouvoirs publics » et précise la nature du lien qui doit les unir aux différentes formes de contributions financières visées à l’article 3, point 1, sous a), de ce règlement pour que celles-ci puissent être qualifiées de « subventions », pour autant que les autres conditions permettant de retenir une telle qualification soient réunies. En ce qui concerne la notion de « pouvoirs publics », l’article 2, sous b),
dudit règlement précise qu’elle inclut « tout organisme public du ressort territorial » du pays d’origine ou du pays d’exportation, ce dernier correspondant au pays intermédiaire vers lequel un produit a été exporté à partir du pays d’origine, puis à partir duquel il a été importé dans l’Union. Pour ce qui est du lien qui doit unir les pouvoirs publics de l’un ou de l’autre de ces pays à une contribution financière dans un cas donné, l’article 2, sous a), du même règlement énonce qu’il consiste,
pour ces pouvoirs publics, à « accorde[r] » cette contribution financière. Eu égard à la phrase dans le cadre de laquelle il est utilisé, ce terme doit être compris, conformément à son sens usuel, comme renvoyant à un comportement par lequel une personne donne ou alloue une chose à une autre personne, que ce soit en la lui octroyant formellement ou en lui permettant en pratique d’en bénéficier.
74 Enfin, aucune de ces dispositions, ni aucune autre disposition du règlement 2016/1037, ne précise ni n’encadre explicitement, sous un autre angle, les conditions et les modalités juridiques et pratiques dans lesquelles une contribution financière peut ou doit être regardée comme ayant été accordée par les pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation.
75 Dans ces conditions, il convient, compte tenu des termes de l’article 2, sous a) et b), et de l’article 3, point 1, sous a), du règlement 2016/1037, de considérer que, pour pouvoir qualifier une contribution financière de « subvention », ces différentes dispositions imposent de démontrer, en tout état de cause, que cette contribution financière a été accordée à une ou à plusieurs personnes déterminées par les pouvoirs publics du pays d’origine ou du pays d’exportation d’un produit donné, en ce
sens qu’un organisme public du ressort territorial de l’un ou de l’autre de ces pays a adopté un comportement consistant soit à octroyer formellement ladite contribution financière à ces personnes, soit à leur permettre en pratique d’en bénéficier. Dans un cas comme dans l’autre, ce comportement doit avoir joué un rôle déterminant dans l’allocation d’une telle contribution financière.
76 En revanche, ni l’article 2, sous a) et b), ni l’article 3, point 1, sous a), du règlement 2016/1037 ne comportent d’indication ou d’indice imposant ou même permettant de considérer que l’existence d’une subvention doit avoir pour origine exclusive un tel comportement.
77 En particulier, d’un point de vue personnel, ces dispositions ne contiennent aucun élément interdisant de retenir la qualification de subvention en présence d’une contribution financière émanant des pouvoirs publics d’un pays autre que le pays d’origine ou d’exportation, pourvu qu’il soit démontré, au vu du comportement des pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation, que ces derniers peuvent être regardés comme ayant accordé cette contribution financière.
78 Au demeurant, d’un point de vue matériel, certains types de contributions financières énumérés à l’article 3, point 1, sous a), du règlement 2016/1037 peuvent être caractérisés par l’existence d’une telle situation, comme ceux consistant, pour les pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation, à permettre, par leur comportement, la fourniture à une ou à plusieurs personnes déterminées de fonds ou de biens émanant des pouvoirs publics d’un autre pays. Il en va de même de certains types de
contributions financières énumérés à l’article 6 de ce règlement, qu’il s’agisse, par exemple, d’une prise de participation, d’un prêt ou encore d’une garantie de prêt.
79 En ce qui concerne, en deuxième lieu, le contexte dans lequel s’inscrivent les articles 2 et 3 du règlement 2016/1037, il convient de relever, d’une part, que l’article 1er de ce règlement énonce, comme cela résulte de son intitulé même, deux principes revêtant une importance transversale aux fins de l’interprétation et de l’application dudit règlement.
80 Ainsi, le paragraphe 1 de cet article 1er dispose qu’un droit compensateur peut être institué afin de compenser « toute subvention accordée, directement ou indirectement », à la fabrication, à la production, à l’exportation ou au transport d’un produit. Cette disposition retient une définition large de la notion de « subvention », attestée par l’emploi non seulement du terme « toute » mais également des termes « directement ou indirectement », qui peuvent se rapporter aussi bien à la manière dont
une subvention est accordée qu’à la personne qui en bénéficie et à la personne qui l’accorde. Ladite disposition corrobore, dans cette mesure, l’idée que le champ d’application de la notion de « subvention » employée par le règlement 2016/1037 est susceptible d’inclure, notamment, la situation dans laquelle les pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation octroient formellement à une ou à plusieurs personnes, ou leur permettent en pratique d’en bénéficier, une contribution financière
émanant à l’origine, en totalité ou en partie, des pouvoirs publics d’un autre pays.
81 Par ailleurs, il ressort de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement 2016/1037 que ce dernier est applicable aussi bien en présence d’une subvention accordée par les pouvoirs publics du pays d’origine d’un produit que par ceux du pays d’exportation de ce produit. Bien que ce principe exclue la possibilité de qualifier de subvention, en tant que telle, une contribution financière émanant d’un autre pays, il permet, en revanche, de retenir une telle qualification si l’exigence décrite au point 77
du présent arrêt est respectée.
82 D’autre part, le considérant 5 du règlement 2016/1037, à la lumière duquel les articles 1er à 3 de ce règlement doivent être interprétés, énonce, lui aussi, que la caractérisation de l’existence d’une subvention nécessite de démontrer, notamment, « l’octroi d’une contribution financière par les pouvoirs publics ou tout organisme public, sur le territoire d’un pays », ce qui peut être fait, entre autres, en prouvant que, par leur comportement, ces pouvoirs publics ont formellement octroyé ou
permis en pratique à une ou à plusieurs personnes de bénéficier d’une contribution financière émanant à l’origine, en totalité ou en partie, des pouvoirs publics d’un autre pays.
83 Pour ce qui est, en troisième et dernier lieu, de l’objectif du règlement 2016/1037, il ressort du point 80 du présent arrêt qu’il consiste à permettre à l’Union de compenser toute subvention accordée, directement ou indirectement, par les pouvoirs publics de pays tiers dont sont originaires ou à partir desquels sont importées des marchandises, dans les conditions prévues par ce règlement.
84 En particulier, il convient de considérer, compte tenu des termes employés aux articles 2 et 6 dudit règlement, qu’une telle subvention peut prendre la forme d’un investissement étranger, effectué par les pouvoirs publics d’un pays tiers donné, dans une ou plusieurs entreprises établies dans un autre pays tiers, pourvu que le comportement de ces derniers permettent de considérer qu’ils ont accordé cette contribution financière à cette ou à ces entreprises, en la leur octroyant formellement ou en
leur permettant en pratique d’en bénéficier.
85 À cet égard, il y a lieu de rappeler que les investissements étrangers, à savoir les investissements de toute nature que des investisseurs établis dans un pays donné effectuent dans des entreprises ou dans des organismes exerçant une activité économique dans d’autres pays, en vue d’établir, de développer ou de maintenir des relations durables avec ces entreprises ou ces organismes, le cas échéant en les contrôlant ou les influençant, relèvent de la compétence exclusive de l’Union, et plus
spécifiquement de la politique commerciale commune, dont relève le règlement 2016/1037, lorsqu’ils sont directs et de la compétence partagée de celle-ci lorsqu’ils sont autres que directs (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Daiichi Sankyo et Sanofi-Aventis Deutschland, C‑414/11, EU:C:2013:520, point 45, ainsi que du 2 septembre 2021, République de Moldavie, C‑741/19, EU:C:2021:655, point 26).
86 Par suite, l’article 2, sous a) et b), ainsi que l’article 3, point 1, sous a), du règlement 2016/1037 doivent être interprétés, compte tenu de leurs termes, du contexte dans lequel ils s’inscrivent et de l’objectif poursuivi par ce règlement, en ce sens qu’ils permettent à la Commission d’appliquer la qualification juridique de « subvention » à une contribution financière émanant à l’origine, en totalité ou en partie, des pouvoirs publics d’un pays tiers autre que le pays d’origine ou
d’exportation d’un produit donné, dans le cas où il est démontré que cette contribution financière peut être considérée comme ayant été accordée par les pouvoirs publics de ce pays d’origine ou d’exportation, au vu de leur comportement propre. Le Tribunal n’a, dès lors, pas commis d’erreur de droit en se prononçant, en substance, en ce sens aux points 81 à 84 et 95 de l’arrêt T‑480/20 ainsi qu’aux points 48 à 51 et 62 de l’arrêt T‑540/20.
87 Cette interprétation n’est pas remise en cause par l’argument que les requérantes tirent de l’article 10, paragraphe 7, et de l’article 13, paragraphe 1, du règlement 2016/1037. En effet, dans toute situation relevant de ce règlement, les pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation qui sont susceptibles d’être considérés comme ayant accordé une subvention peuvent exercer les différentes facultés prévues à ces dispositions, de même, d’ailleurs, que celles prévues aux autres dispositions
énumérées au point 16 du présent arrêt. En outre, il leur est loisible, en vue de ou en lien avec cet exercice, de se concerter avec les pouvoirs publics du pays tiers dont émane, à l’origine, tout ou partie de la contribution financière susceptible d’être qualifiée de « subvention ». Enfin, c’est à eux qu’il incombe d’éliminer ou de limiter cette subvention, par exemple en modifiant leur comportement, ou bien de prendre d’autres mesures relatives à ses effets.
– Sur l’interprétation de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires
88 En vertu de la jurisprudence citée aux points 65 et 66 du présent arrêt, il convient encore, afin de vérifier la conformité de l’interprétation retenue au point 86 de cet arrêt à l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires ainsi qu’aux obligations découlant pour l’Union du droit de l’OMC, de déterminer si cette interprétation est, sinon cohérente, du moins compatible avec cet accord et avec ces obligations. Dès lors que l’Union est partie à cet accord international,
l’interprétation de celui-ci doit, elle-même, être effectuée, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, en ayant recours aux règles pertinentes de droit international coutumier, telles que reflétées à l’article 31 de la convention de Vienne, qui lient les institutions de l’Union et font partie de l’ordre juridique de cette dernière (arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK, C‑266/16, EU:C:2018:118, point 58 et jurisprudence citée).
89 Selon le paragraphe 1 de cet article 31, un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes, dans leur contexte, tel que défini au paragraphe 3 dudit article, ainsi qu’à la lumière de son objet et de son but.
90 À cet égard, il convient, premièrement, de relever, à l’instar, en substance, de ce qui a été énoncé par le Tribunal au point 98 de l’arrêt T‑480/20 et au point 65 de l’arrêt T‑540/20, que l’article 1er, point 1.1, sous a) 1), de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires est libellé dans des termes substantiellement identiques à ceux de l’article 3, point 1, du règlement 2016/1037, sous réserve d’un point particulier. En effet, à la différence de ce règlement, cet article 1er,
point 1.1, sous a) 1), dans sa version en langue française, définit la notion de « subvention » comme correspondant à toute « contribution financière des pouvoirs publics ou de tout organisme public du ressort territorial d’un Membre ». Les versions en langues espagnole et anglaise dudit article, qui font également foi, sont libellées à l’identique. Autrement dit, au vu de ses termes, celui-ci, lu isolément, peut être interprété, à la différence de l’article 3, point 1, du règlement 2016/1037, en
ce sens que toute contribution financière émanant des pouvoirs publics d’un pays membre de l’OMC, quel qu’il soit, peut être qualifiée de subvention, indépendamment de tout lien entre ces pouvoirs publics et le pays dont sont originaires ou à partir duquel sont exportés des produits donnés.
91 S’agissant, deuxièmement, du contexte dans lequel s’inscrit l’article 1er, point 1.1, sous a) 1), de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires, il convient de relever, d’une part, que l’article 2, points 2.1 et 2.2, de cet accord prévoit, dans sa version en langue française, qu’une subvention doit, par ailleurs, être spécifique soit à une entreprise, à un groupe d’entreprises, à une branche de production ou à un groupe de branches de production « relevant de la juridiction de
l’autorité qui accorde cette subvention », soit à « certaines entreprises situées à l’intérieur d’une région géographique déterminée relevant de la juridiction de l’autorité qui accorde cette subvention ». Les versions en langues espagnole et anglaise de cet article 2 utilisent, pour leur part, les termes « dentro de la jurisdicción de la autoridad otorgante » et « within the jurisdiction of the granting authority ». Ledit article 2 établit, ainsi, un lien entre les pouvoirs publics qui accordent
une subvention et l’entreprise ou les entreprises auxquelles une telle subvention est accordée ainsi que, par voie de conséquence, les produits qui sont issus de cette ou de ces entreprises.
92 Appréhendés de manière combinée, l’article 1er, point 1.1, sous a) 1), et l’article 2 de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires paraissent donc, en réalité, limiter le champ d’application de la notion de « subvention » aux contributions financières qui sont accordées par les pouvoirs publics du pays d’origine de ces produits, pour autant que ce pays est membre de l’OMC. L’article 11, paragraphe 8, de cet accord confirme cette interprétation, tout en étendant le champ
d’application de cette notion aux contributions financières qui sont accordées par les pouvoirs publics du pays intermédiaire vers lequel lesdits produits sont exportés à partir du pays d’origine, puis à partir duquel ils sont importés dans le pays de destination, comme le fait le règlement 2016/1037.
93 Cela étant, aucune des trois dispositions visées au point précédent ne contient d’indication ou d’indice justifiant d’exclure du champ d’application de cette notion les contributions financières qui, tout en pouvant être considérées comme étant accordées par de tels pouvoirs publics, compte tenu du comportement propre de ces derniers, n’en émanent pas moins à l’origine, en totalité ou en partie, des pouvoirs publics d’un autre pays membre de l’OMC. Dans cette mesure également, ces dispositions
paraissent cohérentes avec les éléments textuels et contextuels du règlement 2016/1037 qui fondent l’interprétation figurant au point 86 du présent arrêt.
94 Il en va de même, d’autre part, de l’article 5 de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires, qui énonce qu’aucun membre de l’OMC ne devrait causer, en recourant à une subvention, d’effets défavorables pour les intérêts d’un autre membre de l’OMC. En effet, cet article peut être interprété, lui aussi, en ce sens qu’il est interdit à un tel membre d’agir de la sorte non seulement en accordant, seul, une telle subvention, mais également en adoptant un comportement permettant à une
ou à plusieurs entreprises établies sur son territoire ou relevant de sa juridiction de bénéficier d’une subvention émanant à l’origine, en totalité ou en partie, d’un autre membre de l’OMC. Tel peut être le cas, en particulier, lorsque la mise en place d’une législation, l’adoption d’une décision, l’octroi d’une autorisation ou le recours à toute autre mesure, par un membre de l’OMC, est nécessaire pour permettre à cette entreprise ou à ces entreprises d’obtenir le bénéfice, sur le territoire de
celui-ci, d’une contribution financière émanant de cet autre membre, que cette nécessité soit d’ordre juridique ou qu’elle découle du fait que ledit autre membre a subordonné, en pratique, le bénéfice de cette contribution financière à une telle législation, décision, autorisation ou autre mesure.
95 Au demeurant, certains des types de contributions financières énumérés à l’article 1, point 1.1, sous a) 1), i) à iv), de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires, qui correspondent à ceux énumérés à l’article 3, point 1, sous a), du règlement 2016/1037, peuvent être caractérisés par l’existence d’une telle situation, comme cela a été relevé au point 78 du présent arrêt.
96 Il apparaît donc que la notion de subvention, telle qu’interprétée au point 86 du présent arrêt, ne va pas à l’encontre des obligations de l’Union qui découlent des termes de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires, appréhendés dans leur contexte.
97 Troisièmement, bien que cet accord ne comporte aucune disposition énonçant son objet et son but, d’une part, et qu’il ne soit pas précédé par un préambule susceptible de contenir des indications à cet égard, d’autre part, il ressort du rapport de l’Organe d’appel de l’OMC du 28 novembre 2002, intitulé « États-Unis – Droits compensateurs sur certains produits plats en acier au carbone traité contre la corrosion en provenance d’Allemagne » (WT/DS213/AB/R, paragraphe 73), ainsi que de celui du
11 mars 2011, intitulé « États-Unis – Droits antidumping et droits compensateurs définitifs visant certains produits en provenance de Chine » (WT/DS379/AB/R, paragraphe 543), rapports qui ont été adoptés par l’ORD, respectivement, les 19 décembre 2002 et 25 mars 2001, que l’objet et le but principaux dudit accord sont « d’accroître et d’améliorer les disciplines du GATT relatives à l’utilisation de subventions et de mesures compensatoires », dans les conditions et limitations prévues par ce même
accord.
98 Or, cet objet et ce but de renforcement et d’amélioration de la discipline multilatérale dans le domaine des subventions sont de nature à corroborer l’interprétation textuelle et contextuelle de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires qui figure aux points 90 à 95 du présent arrêt plutôt qu’à la remettre en question. En effet, ils incitent à privilégier une interprétation des termes de cet accord, et plus particulièrement de la notion de « subvention accordée par les pouvoirs
publics », qui tient compte de l’internationalisation accrue des entreprises qui participent au commerce mondial ainsi que du soutien, parfois décisif, dont elles peuvent bénéficier dans ce contexte, sous la forme de contributions financières dont l’octroi résulte du concours ou de l’action des pouvoirs publics de plusieurs pays membres de l’OMC.
99 À tout le moins, ledit objet et ledit but ne vont pas à l’encontre d’une interprétation en ce sens du règlement 2016/1037.
100 C’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal s’est prononcé en ce sens au point 103 de l’arrêt T‑480/20 et au point 70 de l’arrêt T‑540/20.
101 Partant, le présent moyen doit être rejeté comme étant non fondé.
Sur le deuxième moyen commun aux deux affaires
Argumentation des parties
102 Par leur troisième moyen dans l’affaire C‑269/23 P, tiré, en substance, d’une interprétation et d’une application erronées de l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement 2016/1037, Hengshi et Jushi contestent les appréciations du Tribunal figurant aux points 106 à 109 de l’arrêt T‑480/20. Ce moyen est identique au deuxième moyen dans l’affaire C‑272/23 P, par lequel Jushi conteste les appréciations du Tribunal figurant aux points 73 à 76 de l’arrêt T‑540/20.
103 Par ce moyen commun aux deux affaires, qui correspond aux moyens de première instance résumés au point 33 du présent arrêt, les requérantes font valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que la Commission était en droit de considérer que des autorités égyptiennes avaient la qualité d’autorités ayant accordé les subventions litigieuses, puisque celles-ci étaient constituées par des contributions financières qui avaient été allouées aux requérantes par les
pouvoirs publics chinois, directement ou par l’intermédiaire de leurs sociétés mères établies en Chine.
104 En effet, bien que l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement 2016/1037 ait pour objet de préciser le sens non pas de la notion de « subvention » en tant que telle, mais de la condition de « spécificité » qui doit être remplie, entre autres, pour qu’une subvention puisse donner lieu à l’institution de droits compensateurs, ces dispositions n’en feraient pas moins ressortir, elles aussi, qu’une contribution financière accordée par les pouvoirs publics d’un pays donné ne peut pas être qualifiée
de subvention imputable ou attribuable à une autorité relevant des pouvoirs publics d’un autre pays. En particulier, lesdites dispositions se référeraient, dans leurs différentes versions linguistiques, à « l’autorité qui accorde » une telle subvention, donc à celle qui la donne ou l’alloue à une ou à plusieurs personnes. Ce faisant, elles excluraient qu’une autorité puisse être regardée, par imputation ou par attribution, comme ayant accordé une subvention dans une situation où cette subvention
a été allouée ou donnée non pas par cette autorité, mais par une autre autorité, relevant des pouvoirs publics d’un autre pays. Or, en l’espèce, seules des autorités chinoises auraient pu être qualifiées de la sorte, à l’exclusion d’autorités telles que les autorités égyptiennes.
105 La Commission, soutenue par l’APFE et par Tech-Fab Europe, conteste cette argumentation.
Appréciation de la Cour
106 L’article 4 du règlement 2016/1037 énonce, à son paragraphe 1, que les subventions ne sont passibles de mesures compensatoires que lorsqu’elles sont spécifiques au sens des paragraphes 2 à 4 de cette disposition. L’article 4, paragraphes 2 et 3, fixe ainsi les principes et les règles à appliquer pour déterminer si une subvention est spécifique à une entreprise, à une industrie, à un groupe d’entreprises ou d’industries, ou encore à certaines entreprises situées à l’intérieur d’une région
géographique déterminée, en précisant, en substance, que ces différents types de bénéficiaires doivent, en tout état de cause, relever de la juridiction de l’autorité qui accorde la subvention.
107 À cet égard, il y a lieu de relever que, certes, l’article 4 du règlement 2016/1037 emploie le terme « autorité », donc un terme qui diffère de l’expression « pouvoirs publics » figurant à l’article 2, sous a), de ce règlement. Cependant, afin de préciser la nature du lien qui doit unir une contribution financière susceptible d’être qualifiée de « subvention » aux pouvoirs publics ou à une autorité d’un pays tiers donné, ces deux dispositions utilisent le même verbe, à savoir le verbe
« accorder ».
108 Ce verbe doit, dès lors, être compris de la même manière à l’égard de chacune desdites dispositions, comme renvoyant à un comportement par lequel une personne donne ou alloue une chose à une autre personne, que ce soit en la lui octroyant formellement ou en lui permettant en pratique d’en bénéficier, comme il est indiqué au point 73 du présent arrêt.
109 Or, il résulte des points 86 et 94 du présent arrêt que ce terme doit être interprété en ce sens qu’il inclut aussi bien un comportement par lequel les pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation d’un produit donné octroient formellement à une ou à plusieurs personnes déterminées une contribution financière émanant à l’origine, en totalité ou en partie, des pouvoirs publics d’un autre pays tiers qu’un comportement par lequel les pouvoirs publics de ce pays d’origine ou d’exportation
permettent en pratique à ces personnes de bénéficier de cette contribution financière, comme la mise en place d’une législation, l’adoption d’une décision, l’octroi d’une autorisation ou le recours à toute autre mesure nécessaire à cet effet.
110 Ledit terme s’applique donc aussi à l’autorité spécifique, au sein des pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation concerné, qui est l’auteur du comportement en cause.
111 Dès lors, en considérant, aux points 107 et 108 de l’arrêt T‑480/20 ainsi qu’aux points 74 et 75 de l’arrêt T‑540/20, que des autorités telles que, en l’espèce, les autorités égyptiennes pouvaient être qualifiées, par la Commission, d’autorités ayant accordé les subventions litigieuses, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit.
112 Partant, le présent moyen doit être rejeté comme étant non fondé.
Sur le troisième moyen commun aux deux affaires
Argumentation des parties
113 Par leur quatrième moyen dans l’affaire C‑269/23 P, tiré, en substance, d’une interprétation et d’une application erronées de l’article 3, point 1, sous a), ii), de l’article 3, point 2, et de l’article 5 du règlement 2016/1037, Hengshi et Jushi contestent les appréciations du Tribunal figurant aux points 167 à 169 de l’arrêt T‑480/20. Ce moyen est identique au troisième moyen dans l’affaire C‑272/23 P, par lequel Jushi conteste les appréciations du Tribunal figurant aux points 134 à 136 de
l’arrêt T‑540/20.
114 Par ce moyen commun aux deux affaires, qui correspond partiellement aux moyens de première instance résumés au point 34 du présent arrêt, les requérantes font valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la Commission pouvait considérer que les pouvoirs publics égyptiens leur avaient accordé une subvention et, ce faisant, conféré un avantage, en ne percevant pas certains droits de douane normalement exigibles lors de l’importation en Égypte, par Jushi, de
matériaux ayant vocation à être utilisés, en tant qu’intrants, pour fabriquer des produits en fibres de verre destinés à être exportés par Hengshi vers l’Union.
115 En effet, comme le Tribunal l’aurait rappelé à bon droit au point 164 de l’arrêt T‑480/20 et au point 131 de l’arrêt T‑540/20, les dispositions de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires qui correspondent à l’article 3, point 1, sous a), ii), et à l’article 3, point 2, du règlement 2016/1037 seraient interprétées par l’Organe d’appel de l’OMC en ce sens que, pour déterminer si des recettes publiques « normalement exigibles » ont été abandonnées ou non perçues et si cet abandon
ou cette non-perception a conféré un « avantage » à certaines entreprises, il est nécessaire de comparer la situation de ces entreprises et celle de contribuables qui se trouvent dans une situation comparable. De façon cohérente, il y aurait lieu de considérer, eu égard au libellé de l’article 5 du règlement 2016/1037, que c’est en prenant pour point de référence la situation desdites entreprises qu’il convient de calculer le montant de cet avantage. Or, en l’espèce, contrairement à ce qui a été
retenu par le Tribunal, la Commission aurait raisonné par rapport à une situation de référence qui devrait être regardée comme étant inadéquate compte tenu, premièrement, de la nature des opérations ayant donné lieu, selon elle, à une non-perception de droits de douane, deuxièmement, de la situation juridique et économique des entreprises ayant prétendument bénéficié de cette non-perception, troisièmement, de la réglementation égyptienne pertinente et, quatrièmement, de la pratique
administrative correspondante, à savoir celle d’une entreprise établie dans la zone CECS au lieu de celle d’une entreprise établie en dehors de cette zone.
116 La Commission, soutenue par l’APFE et par Tech-Fab Europe, conteste la recevabilité d’une partie de cette argumentation ainsi que le bien-fondé de l’ensemble de celle-ci.
Appréciation de la Cour
117 Par le présent moyen, les requérantes contestent, en substance, l’un des éléments sur lesquels le Tribunal s’est fondé dans les arrêts attaqués, à l’instar de la Commission dans les règlements litigieux, pour examiner s’il existait, en l’espèce, une subvention prenant la forme d’un abandon de recettes publiques, tel qu’envisagé à l’article 3, point 1, sous a), ii), du règlement 2016/1037. Cet élément est la situation de référence à retenir aux fins d’un tel examen.
118 À cet égard, il résulte de l’article 3, points 1 et 2, du règlement 2016/1037 que, pour pouvoir retenir la qualification de « subvention », il est nécessaire de démontrer non seulement qu’il existe une contribution financière des pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation, mais également qu’un avantage est ainsi conféré.
119 S’agissant de la première de ces deux conditions, l’article 3, point 1, sous a), ii), de ce règlement prévoit qu’une telle contribution financière peut notamment consister, pour ces pouvoirs publics, à abandonner ou à ne pas percevoir des recettes publiques normalement exigibles.
120 Cette disposition étant libellée dans des termes identiques à ceux de l’article 1er, point 1.1, sous a) 1), ii), de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires, il convient de l’interpréter, dans toute la mesure possible, d’une manière qui assure sa conformité à cet accord et en tenant compte de la façon dont celui-ci a pu être interprété par l’ORD, conformément à la jurisprudence citée aux points 65 et 66 du présent arrêt.
121 Comme le Tribunal l’a relevé à bon droit au point 164 de l’arrêt T‑480/20 et au point 131 de l’arrêt T‑540/20, il ressort, en particulier, des rapports de l’Organe d’appel de l’OMC des 12 mars 2012 et 28 mars 2019, intitulés « États-Unis – Mesures affectant le commerce des aéronefs civils gros porteurs (deuxième plainte) » (WT/DS353/AB/R, paragraphes 806 à 809 et 812, ainsi que WT/DS353/AB/RW, paragraphes 5.146 et 5.147), dans lesquels cet organe a récapitulé et précisé sa pratique décisionnelle
à ce sujet, et qui ont été adoptés par l’ORD, respectivement, les 23 mars 2012 et11 avril 2019, que, pour déterminer si des recettes publiques normalement exigibles ont été abandonnées ou non perçues, il est nécessaire, en règle générale, d’effectuer une comparaison entre le traitement fiscal applicable aux bénéficiaires allégués d’une telle mesure et le traitement fiscal de revenus comparables de contribuables se trouvant dans une situation comparable. Ledit organe a également énoncé, en
substance, que, même si l’identification de la situation de référence à retenir aux fins d’une telle comparaison peut revêtir un caractère complexe, eu égard, en particulier, à la réglementation nationale applicable, aux éventuelles pratiques administratives ou fiscales pertinentes ainsi qu’au comportement concret des autorités compétentes, le caractère légitime et rationnel de la situation de référence qui est retenue dans un cas d’espèce donné n’en doit pas moins être contrôlé.
122 En outre, ainsi que les requérantes le rappellent à juste titre, cette pratique décisionnelle de l’Organe d’appel de l’OMC a été appliquée, par analogie, aux mesures consistant en une non-perception alléguée de droits de douane, dont l’examen implique d’effectuer une comparaison entre les recettes effectivement perçues à l’occasion d’une opération telle que l’importation de produits donnés et les recettes normalement exigibles dans une situation comparable, comme cela résulte, notamment, du
rapport du groupe spécial de l’OMC du 31 octobre 2019, intitulé « Inde – Mesures liées aux exportations » (WT/DS541/R, paragraphes 7.297 à 7.302, 7.317 et 7.333).
123 Compte tenu de ladite pratique décisionnelle, il convient de considérer que, pour déterminer s’il existe une contribution financière consistant, pour les pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation, à abandonner ou à ne pas percevoir des « recettes publiques normalement exigibles », au sens de l’article 3, point 1, sous a), ii), du règlement 2016/1037, il est nécessaire, en règle générale, d’effectuer une comparaison entre, d’une part, le traitement applicable aux bénéficiaires allégués
d’une telle mesure ainsi que les recettes effectivement perçues par les pouvoirs publics auprès de ceux-ci et, d’autre part, le traitement de revenus ou d’opérations comparables ainsi que les recettes normalement exigibles en présence de ces revenus ou opérations comparables. Cette comparaison doit être effectuée au vu de l’ensemble des éléments pertinents qui sont disponibles.
124 Cela étant, l’identification de la situation de référence à retenir aux fins d’une telle comparaison pouvant revêtir un caractère complexe, en ce qu’elle est susceptible de dépendre non seulement de la réglementation nationale applicable mais également des éventuelles pratiques administratives, fiscales ou douanières pertinentes et du comportement concret des autorités compétentes, donc de plusieurs aspects du système juridique et institutionnel d’un pays tiers, cette opération doit faire
l’objet d’un contrôle juridictionnel tenant compte de cette complexité.
125 À cet égard, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que, dans le domaine de la politique commerciale commune et en particulier des mesures de défense commerciale, les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation en raison de la complexité des situations économiques et politiques qu’elles doivent examiner, de telle sorte que le contrôle juridictionnel de ce large pouvoir d’appréciation doit être limité à la vérification du respect des règles de procédure, de
l’exactitude matérielle des faits retenus, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation de ces faits, de l’absence d’erreur dans la qualification juridique des faits ainsi que de l’absence de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2022, Commission/Hansol Paper, C‑260/20 P, EU:C:2022:370, point 58 et jurisprudence citée).
126 S’agissant, plus particulièrement, du contrôle de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation des faits, les juridictions de l’Union doivent non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité ainsi que leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à fonder les conclusions qui en sont tirées (arrêt
du 12 mai 2022, Commission/Hansol Paper, C‑260/20 P, EU:C:2022:370, point 59 et jurisprudence citée).
127 En ce qui concerne la seconde condition visée au point 118 du présent arrêt, bien que l’article 3, point 1, sous b), du règlement 2016/1037 se limite à préciser que, pour pouvoir être qualifiée de « subvention », une contribution financière doit conférer un avantage, il découle de l’article 5 de ce règlement que l’avantage qui doit être caractérisé est celui que cette mesure a pu conférer à l’entreprise ou aux entreprises bénéficiaires de cette mesure. Par ailleurs, l’article 6 dudit règlement
énumère un ensemble de règles à appliquer pour calculer le montant de cet avantage en présence de différents types de contributions financières, parmi lesquels ne figure pas, toutefois, celle consistant, pour les pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation, à abandonner ou à ne pas percevoir des recettes publiques normalement exigibles.
128 Cela étant, il ressort de la pratique décisionnelle de l’ORD, telle qu’elle est rappelée, en particulier, dans le rapport du groupe spécial de l’OMC du 31 octobre 2019, intitulé « Inde – Mesures liées aux exportations » (WT/DS541/R, paragraphes 7.445 et 7.446), que, en présence d’une telle mesure, l’avantage conféré par celle-ci peut être caractérisé à partir du moment où il a été constaté que des recettes publiques normalement exigibles avaient été abandonnées ou non perçues, et donc qu’il
existait une contribution financière au sens de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires. En effet, même si les notions de « contribution financière » et d’« avantage » sont distinctes, leur existence respective peut être démontrée, dans un cas donné, au regard d’éléments factuels identiques ou liés, dans la mesure où le montant de l’avantage conféré par une contribution financière prenant la forme d’un abandon ou d’une non-perception de recettes publiques correspond, en règle
générale, à la différence entre les recettes publiques qui seraient normalement exigibles dans la situation de référence retenue et celles qui ont été perçues, le cas échéant, auprès de l’entreprise ou des entreprises concernées.
129 En l’espèce, eu égard à ce qui vient d’être rappelé, il convient de constater, premièrement, que, aux points 167 à 169 de l’arrêt T‑480/20 et aux points 134 à 136 de l’arrêt T‑540/20, le Tribunal a correctement interprété le sens et la portée de l’article 3, point 1, sous a), ii), de l’article 3, point 2, et de l’article 5 du règlement 2016/1037, en rappelant, en substance, que, pour déterminer si la Commission avait retenu à juste titre que les pouvoirs publics égyptiens avaient renoncé à
percevoir certains droits de douane normalement exigibles lors de l’importation en Égypte, par Jushi, de matériaux ayant vocation à être utilisés, en tant qu’intrants, pour fabriquer des produits en fibres de verre destinés à être exportés par Hengshi vers l’Union, et si un avantage avait été ainsi conféré, il était nécessaire d’identifier la situation de référence idoine.
130 Deuxièmement, la situation de référence qui a été retenue en l’espèce par la Commission, au vu de l’ensemble des éléments pertinents disponibles, constitue un élément de fait. Le choix de retenir cette situation plutôt qu’une autre relève, quant à lui, de l’appréciation des faits. Comme tels, ces deux éléments doivent faire l’objet, de la part du Tribunal, d’un contrôle répondant aux exigences rappelées aux points 125 et 126 du présent arrêt et impliquant donc, notamment, que cette juridiction
vérifie que la Commission n’a pas commis d’erreur matérielle ou d’erreur manifeste d’appréciation.
131 En outre, il résulte de l’article 256 TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulte des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits ainsi que les éléments de preuve correspondants. L’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue donc
pas, sous réserve de leur dénaturation, une question de droit pouvant être soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 12 mai 2022, Commission/Hansol Paper, C‑260/20 P, EU:C:2022:370, point 132 et jurisprudence citée).
132 Il s’ensuit que les requérantes, qui n’invoquent pas l’existence d’une dénaturation des faits ou des éléments de preuve soumis au Tribunal, sont irrecevables à contester les appréciations de cette juridiction relatives à la situation de référence retenue par la Commission en l’espèce, à savoir celle d’une entreprise qui est établie dans la zone CECS.
133 Troisièmement, dès lors que les arguments des requérantes se rapportent exclusivement à ces appréciations, ils ne sont pas susceptibles de remettre en cause la conclusion du Tribunal selon laquelle, en substance, la Commission n’a pas commis d’erreur de qualification juridique des faits en considérant qu’il existait une subvention, au sens de l’article 3, point 1, sous a), ii), et de l’article 3, point 2, du règlement 2016/1037, lus en combinaison avec l’article 5 de ce règlement.
134 Partant, le présent moyen doit être rejeté comme étant partiellement irrecevable et partiellement non fondé.
Sur le quatrième moyen commun aux deux affaires
Argumentation des parties
135 Par leur cinquième moyen dans l’affaire C‑269/23 P, tiré, en substance, d’une interprétation et d’une application erronées de l’article 3, point 2, et de l’article 4, paragraphe 2, sous c), du règlement 2016/1037, Hengshi et Jushi contestent les appréciations du Tribunal figurant aux points 176 à 179 de l’arrêt T‑480/20. Ce moyen est identique au quatrième moyen dans l’affaire C‑272/23 P, par lequel Jushi conteste les appréciations du Tribunal figurant aux points 143 à 146 de l’arrêt T‑540/20.
136 Par ce moyen commun aux deux affaires, qui correspond partiellement aux moyens de première instance résumés au point 35 du présent arrêt, les requérantes critiquent les appréciations sur lesquelles le Tribunal s’est fondé pour estimer que la Commission pouvait considérer, sans violer l’article 3, point 2, et l’article 4, paragraphe 2, sous c), du règlement 2016/1037, que le traitement fiscal réservé par les pouvoirs publics égyptiens aux pertes de change consécutives à la dévaluation de la livre
égyptienne intervenue au cours de l’année 2016 constituait une subvention conférant de facto un avantage spécifique à un nombre limité d’entreprises tournées vers l’exportation et menant l’essentiel de leurs activités en devises étrangères, parmi lesquelles figuraient Hengshi et Jushi.
137 À cet égard, elles font valoir, en premier lieu, que le Tribunal a, en substance, dénaturé les règlements litigieux en considérant que la Commission avait qualifié de subvention non pas les normes fiscales et comptables adoptées par les pouvoirs publics égyptiens en vue de permettre aux entreprises ayant des passifs en devises étrangères de limiter les pertes de change consécutives à la dévaluation de la livre égyptienne intervenue au cours de l’année 2016, prises en tant que telles, mais
l’avantage accordé de facto par ces pouvoirs publics, sur la base de ces normes, à une catégorie spécifique d’entreprises. En effet, il résulterait, à l’évidence, de ces règlements que la Commission n’a pas procédé de la sorte. Ce faisant, le Tribunal aurait, en outre, substitué sa propre motivation à celle de la Commission.
138 En second lieu, cette démarche aurait conduit le Tribunal à rejeter à tort les arguments des requérantes relatifs aux appréciations de la Commission à ce sujet ainsi qu’aux qualifications juridiques retenues au vu de ces appréciations.
139 La Commission, soutenue par l’APFE et par Tech-Fab Europe, conteste la recevabilité et le bien-fondé de cette argumentation.
Appréciation de la Cour
140 S’agissant, en premier lieu, des arguments des requérantes relatifs à l’identification, par le Tribunal, de la mesure qui a été qualifiée de « subvention » par la Commission dans les règlements litigieux, il convient de constater que la lecture de ces règlements fait apparaître, à l’évidence, que le Tribunal n’a ni dénaturé le contenu de ceux-ci dans les arrêts attaqués ni substitué sa propre motivation et ses propres appréciations à celles de la Commission.
141 En effet, s’il est exact, comme le font valoir les requérantes, que la Commission a commencé son examen de cette mesure en mentionnant l’existence de deux normes de droit égyptien, l’une d’ordre fiscal et l’autre d’ordre comptable, il est également manifeste que cette institution a, immédiatement ensuite, précisé que cet examen portait sur la manière dont ces normes avaient été appliquées, dans le contexte concret qui a entraîné leur adoption, lequel est caractérisé, au premier chef, par la
dévaluation de la livre égyptienne intervenue au cours de l’année 2016. En outre, il est manifeste que ladite institution a conclu, au terme dudit examen, que l’application desdites normes, dans ce contexte concret, avait conféré un avantage à certaines entreprises et revêtu, comme tel, un caractère de facto spécifique. Enfin, il est tout aussi manifeste que ces entreprises, parmi lesquelles figurent Hengshi et Jushi, ont été identifiées par la Commission comme étant celles qui sont tournées
vers l’exportation et qui mènent l’essentiel de leurs activités en devises étrangères.
142 En ce qui concerne, en second lieu, les arguments des requérantes relatifs aux appréciations de la Commission à ce sujet, d’une part, et aux qualifications juridiques retenues au vu de ces appréciations, d’autre part, il doit être rappelé, premièrement, que, comme il résulte du point 131 du présent arrêt, les requérantes sont irrecevables à contester des appréciations factuelles dans le cadre de leurs pourvois.
143 Deuxièmement, c’est à bon droit que, au vu de ces appréciations, le Tribunal a retenu, à la suite de la Commission, l’existence d’une subvention présentant un caractère spécifique et conférant un avantage à Hengshi ainsi qu’à Jushi, conformément à l’article 3, point 2, et à l’article 4, paragraphe 2, sous c), du règlement 2016/1037.
144 À cet égard, il doit être relevé, en particulier, que l’article 4, paragraphe 2, sous c), du règlement 2016/1037 vise précisément à permettre à la Commission d’établir le caractère spécifique de mesures constitutives de subventions, en particulier d’ordre réglementaire, fiscal ou comptable, dans le cas où ces mesures, tout en présentant une apparence générale ou non spécifique, pourraient s’avérer être, en fait, spécifiques. À cette fin, cette disposition énonce un certain nombre de facteurs
destinés à guider l’examen de la Commission en présence de telles mesures. Ces facteurs, dont la pertinence individuelle ou conjuguée est susceptible de varier dans chaque cas d’espèce en fonction, notamment, de la mesure qui est en cause, du contexte dans lequel celle-ci a été mise en place et mise en œuvre ainsi que du comportement des autorités dont elle émane, comprennent, entre autres, « l’utilisation d’un programme de subventions par un nombre limité de certaines entreprises » et
« l’octroi à certaines entreprises de montants de subvention disproportionnés ».
145 En l’espèce, c’est sur le premier de ces deux facteurs que le Tribunal s’est appuyé, à la suite de la Commission, pour retenir le caractère de facto spécifique de la mesure en cause. Cette démarche est exempte de toute erreur de droit.
146 Partant, le présent moyen doit être rejeté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.
Sur le premier moyen dans l’affaire C‑269/23 P
Argumentation des parties
147 Par leur premier moyen dans l’affaire C‑269/23 P, tiré d’une interprétation et d’une application erronées de l’article 1er, paragraphe 1, de l’article 5 et de l’article 6 du règlement 2016/1037, Hengshi et Jushi contestent les appréciations du Tribunal figurant aux points 32, 37, 42 et 43, 46 à 48, 51 à 55 et 58 de l’arrêt T‑480/20.
148 Par ce moyen, qui correspond au moyen de première instance résumé au point 36 du présent arrêt, les requérantes font valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en approuvant la méthode retenue, selon lui, par la Commission en vue de calculer le montant des subventions passibles de mesures compensatoires qui avaient été accordées à chacune d’entre elles au titre des différentes mesures visées par le règlement litigieux dans l’affaire T‑480/20.
149 À cet égard, les requérantes soutiennent, en premier lieu, que le Tribunal a dénaturé leur moyen de première instance en considérant, à tort, qu’elles reprochaient à la Commission, en réalité, d’avoir violé l’article 7 du règlement 2016/1037 en utilisant leur chiffre d’affaires cumulé, tous produits confondus, comme dénominateur pour calculer le montant de ces subventions. En effet, ce moyen de première instance, qui était exclusivement tiré de la violation des articles 5 et 6 de ce règlement,
lus en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 1, dudit règlement, aurait consisté à dire que la Commission aurait dû se fonder, dans un premier temps, sur le chiffre d’affaires individuel de chacune d’entre elles, tous produits confondus, pour calculer le montant de leurs subventions respectives.
150 En second lieu, les requérantes font valoir que, indépendamment de cette dénaturation, ledit moyen de première instance ne peut pas être rejeté au motif, retenu par ailleurs par le Tribunal dans l’arrêt T‑480/20, qu’elles constituent des entreprises liées ou appartenant à un même groupe. En effet, il résulterait clairement des articles 5 et 6 du règlement 2016/1037, lus en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement, que le montant de subventions à calculer doit l’être « en
termes d’avantage conféré au bénéficiaire » et donc, dans une situation telle que celle en l’espèce, à chacune des entreprises « bénéficiaires » de telles subventions, même si ces entreprises sont liées ou appartiennent à un même groupe.
151 La Commission, soutenue par Tech-Fab Europe, conteste cette argumentation.
Appréciation de la Cour
152 Il résulte de l’article 5 du règlement 2016/1037 que le montant d’une subvention passible de mesures compensatoires doit être calculé en termes d’avantage conféré au bénéficiaire de cette subvention. En outre, il résulte de l’article 6 de ce règlement que le calcul de cet avantage doit être effectué en appliquant certaines règles, qui diffèrent selon le type de subvention qui est en cause dans un cas donné mais qui font toutes référence, selon le cas, au « bénéficiaire » de cette subvention, à
l’« entreprise bénéficiaire » de celle-ci ou encore à l’« entreprise ».
153 En revanche, ledit règlement ne définit ni la notion de « bénéficiaire » ni celle d’« entreprise ». Ces notions doivent, dès lors, être appréhendées en tenant compte du contexte dans lequel elles s’inscrivent ainsi que de l’objectif poursuivi par les dispositions qui les emploient et, plus globalement, par le règlement 2016/1037, lequel doit, par ailleurs, être interprété, dans toute la mesure possible, en conformité avec l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires.
154 À cet égard, en premier lieu, le Tribunal a rappelé, au point 47 de l’arrêt T‑480/20, que, bien que cet accord ne contienne pas, lui non plus, de définition des personnes qui peuvent bénéficier d’une subvention et se voir, par conséquent, conférer un avantage, dont le montant doit servir de base au calcul de cette subvention, cette question a été analysée de façon approfondie et clarifiée par l’Organe d’appel de l’OMC dans son rapport du 9 décembre 2002, intitulé « États-Unis – Mesures
compensatoires concernant certains produits en provenance des Communautés européennes » (WT/DS212/AB/R, points 108 à 119), qui a été adopté par l’ORD le 8 janvier 2003.
155 Il ressort de ce rapport de l’Organe d’appel de l’OMC, en substance, que l’identification de la personne ou des personnes bénéficiaires d’une subvention dépend des circonstances propres à chaque cas d’espèce et que, compte tenu des différentes dispositions pertinentes dudit accord, de son économie ainsi que de son objectif, il convient de considérer que celui-ci n’exclut pas de retenir, en fonction des circonstances, que le bénéficiaire d’une subvention est une personne physique, une personne
morale, un groupe de personnes physiques, un groupe de personnes morales ou encore un ensemble regroupant une ou plusieurs personnes physiques et une ou plusieurs personnes morales, par exemple des sociétés et leurs propriétaires. En effet, la circonstance que ces personnes soient juridiquement distinctes n’est pas pertinente aux fins de l’identification du bénéficiaire d’une subvention, qui correspond à l’entité économique dont les produits sont artificiellement aidés par cette subvention.
156 En cohérence avec la pratique décisionnelle de l’ORD, avec les termes employés par le législateur de l’Union dans le règlement 2016/1037 et avec le contexte dans lequel ceux-ci s’inscrivent, il convient d’interpréter la notion de « bénéficiaire », visée aux articles 5 et 6 dudit règlement, en ce sens qu’elle renvoie, dans un cas d’espèce donné, à chacune des entreprises auxquelles sont accordées des subventions. Comme Mme l’avocate générale l’a fait observer au point 90 de ses conclusions, la
notion d’« entreprise » correspond elle-même à l’unité économique, regroupant éventuellement plusieurs personnes morales juridiquement distinctes, qui exerce l’activité économique de fabrication, de commercialisation, de transport ou d’exportation de produits à laquelle cette subvention confère un avantage, indépendamment du statut juridique de cette unité économique ainsi que de son mode de financement (voir, par analogie, arrêts du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323/82,
EU:C:1984:345, point 11, ainsi que du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:87, point 103).
157 En deuxième lieu, le Tribunal s’est fondé à juste titre sur cette définition des notions de « bénéficiaire » et d’« entreprises », aux points 48 et 51 de l’arrêt T‑480/20, pour approuver la méthode de calcul appliquée par la Commission, au vu de la circonstance que Henghsi et Jushi appartenaient à un même groupe, afin de calculer le montant des mesures compensatoires pouvant être imposées en l’espèce.
158 En troisième et dernier lieu, les requérantes sont irrecevables à contester, sur pourvoi, les appréciations formulées par le Tribunal au sujet de cette circonstance, compte tenu des considérations figurant dans le règlement litigieux et des arguments de fait ainsi que des éléments de preuve figurant au dossier de première instance.
159 Partant, le présent moyen doit être rejeté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la référence faite par le Tribunal, à titre surabondant, à l’article 7 du règlement 2016/1037.
160 Par voie de conséquence, les pourvois doivent être rejetés.
Sur les dépens
161 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.
162 Hengshi et Jushi ayant succombé dans l’affaire C‑269/23 P, et Jushi ayant succombé dans l’affaire C‑272/23 P, il y a lieu de les condamner aux dépens respectifs dans ces affaires, conformément aux conclusions de la Commission, de Tech-Fab Europe et de l’APFE.
163 L’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure prévoit que, lorsqu’elle n’a pas, elle-même, formé le pourvoi, une partie intervenante en première instance ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Lorsqu’une telle partie participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supportera ses propres dépens.
164 En l’espèce, Tech-Fab Europe et l’APFE, parties intervenantes en première instance ayant participé à la procédure devant la Cour, supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :
1) Les pourvois sont rejetés.
2) Hengshi Egypt Fiberglass Fabrics SAE et Jushi Egypt for Fiberglass Industry SAE sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne dans l’affaire C‑269/23 P.
3) Jushi Egypt for Fiberglass Industry SAE est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne dans l’affaire C‑272/23 P.
4) Tech-Fab Europe eV supporte ses propres dépens dans l’affaire C-269/23 P.
5) L’Association des producteurs de fibres de verre européens (APFE) supporte ses propres dépens dans l’affaire C-272/23 P.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.