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07/11/2024 | CJUE | N°C-594/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Skatteministeriet contre Lomoco Development ApS e.a., 07/11/2024, C-594/23


 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

7 novembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Livraison de terrains comportant exclusivement des fondations de constructions à usage d’habitation – Qualification – Article 12 – Notions de “terrain à bâtir” et de “bâtiment ou fraction de bâtiment” – Critère de la “première occupation” d’un bâtiment »

Dans l’affaire C‑594/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle a

u titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Vestre Landsret (cour d’appel de la région Ouest, Danemark), par décision du 20 septem...

 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

7 novembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Livraison de terrains comportant exclusivement des fondations de constructions à usage d’habitation – Qualification – Article 12 – Notions de “terrain à bâtir” et de “bâtiment ou fraction de bâtiment” – Critère de la “première occupation” d’un bâtiment »

Dans l’affaire C‑594/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Vestre Landsret (cour d’appel de la région Ouest, Danemark), par décision du 20 septembre 2023, parvenue à la Cour le 26 septembre 2023, dans la procédure

Skatteministeriet

contre

Lomoco Development ApS,

Holm Invest Aalborg A/S,

I/S Nordre Strandvej Sæby,

Strandkanten Sæby ApS,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de la première chambre, faisant fonction de président de la septième chambre, Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), présidente de la cinquième chambre, et M. J Passer, juge,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Lomoco Development ApS, Holm Invest Aalborg A/S, I/S Nordre Strandvej Sæby et Strandkanten Sæby ApS, par Me C. Bachmann, advokat,

– pour le gouvernement danois, par Mme C. Maertens, en qualité d’agent, assisté de Me S. Horsbøl Jensen, advokat,

– pour le gouvernement tchèque, par Mme L. Březinová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme J. Jokubauskaitė et M. U. Nielsen, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et b), ainsi que de l’article 135, paragraphe 1, sous j) et k), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Skatteministeriet (ministère des Impôts, Danemark) à Lomoco Development ApS, à Holm Invest Aalborg A/S, à I/S Nordre Strandvej Sæby (ci-après « NSS ») et à Strandkanten Sæby ApS au sujet de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à acquitter pour la livraison de terrains pourvus de fondations de constructions à usage d’habitation.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA prévoit :

« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

a) les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ».

4 L’article 9, paragraphe 1, de cette directive énonce :

« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »

5 L’article 12 de ladite directive dispose :

« 1.   Les États membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, et notamment une seule des opérations suivantes :

a) la livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation ;

b) la livraison d’un terrain à bâtir.

2.   Aux fins du paragraphe 1, point a), est considérée comme “bâtiment” toute construction incorporée au sol.

Les États membres peuvent définir les modalités d’application du critère visé au paragraphe 1, point a), aux transformations d’immeubles, ainsi que la notion de sol y attenant.

Les États membres peuvent appliquer d’autres critères que celui de la première occupation, tels que celui du délai écoulé entre la date d’achèvement de l’immeuble et celle de la première livraison, ou celui du délai écoulé entre la date de la première occupation et celle de la livraison ultérieure, pour autant que ces délais ne dépassent pas respectivement cinq et deux ans.

3.   Aux fins du paragraphe 1, point b), sont considérés comme “terrains à bâtir” les terrains nus ou aménagés, définis comme tels par les États membres. »

6 L’article 135 de la même directive prévoit :

« 1.   Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

[...]

j) les livraisons de bâtiments ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant autres que ceux visés à l’article 12, paragraphe 1, point a) ;

k) les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l’article 12, paragraphe 1, point b) ;

[...] »

7 Aux termes de l’article 371 de la directive TVA :

« Les États membres qui, au 1er janvier 1978, exonéraient les opérations dont la liste figure à l’annexe X, partie B, peuvent continuer à les exonérer, dans les conditions qui existaient dans chaque État membre concerné à cette même date. »

8 Au nombre des opérations visées dans cette liste figurent, au point 9, « les livraisons de bâtiments ou de fractions de bâtiments et du sol y attenant, effectuées avant leur première occupation ainsi que les livraisons de terrains à bâtir visés à l’article 12 ».

Le droit danois

La loi relative à la TVA

9 En vertu de l’article 13, paragraphe 1, point 9, du lovbekendtgørelse nr. 966 med senere ændringer (loi de consolidation no 966, telle que modifiée), du 14 octobre 2005, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2010 (ci-après la « loi relative à la TVA »), la livraison d’un bien immeuble était, sans exception, exonérée de la TVA. L’article 13, paragraphe 1, point 9, de la loi relative à la TVA était fondé sur la clause dite de « standstill », prévue à l’article 371 de la directive TVA.

10 À compter du 1er janvier 2011, cette exonération a été en partie abrogée, l’article 13, paragraphe 1, point 9, de la loi relative à la TVA, telle que modifiée par le lov nr. 520 (loi no 520), du 12 juin 2009 (ci-après la « loi relative à la TVA modifiée »), se lisant comme suit :

« Les biens et services suivants sont exonérés de la taxe :

[...]

9) la livraison d’un bien immeuble. Sont toutefois exclues de l’exonération :

a) la livraison d’un nouveau bâtiment ou d’un nouveau bâtiment et du sol y attenant ;

b) la livraison d’un terrain à bâtir, qu’il soit aménagé ou non, et, en particulier, la livraison d’un terrain bâti. »

11 L’article 13, paragraphe 3, de la loi relative à la TVA modifiée dispose :

« Le [Skatteministeren (ministre des Impôts, Danemark)] peut établir des règles détaillées en ce qui concerne la délimitation de la notion de bien immeuble au sens du paragraphe 1, point 9. »

12 Aux termes de la section 2.1.1 de l’exposé des motifs du projet de loi no L 203 du 22 avril 2009, adopté ensuite en tant que loi no 520, du 12 juin 2009 :

« Il n’est pas envisagé de régime transitoire pour les nouveaux biens immeubles, car la loi [no 520, du 12 juin 2009,] ne s’applique aux nouveaux biens immeubles que dans l’hypothèse où la construction ou l’extension/transformation a commencé après l’entrée en vigueur de la loi. Le moment auquel une nouvelle construction est réputée commencer est celui où les fondations commencent à être coulées. »

L’arrêté sur la TVA

13 Le ministre des Impôts a fait usage de la faculté conférée par l’article 13, paragraphe 3, de la loi relative à la TVA modifiée afin de délimiter les opérations soumises à la TVA par rapport à celles qui en sont exonérées au moyen du bekendtgørelse nr. 1370 om ændring af bekendtgørelse om merværdiafgiftsloven (arrêté no 1370, modifiant l’arrêté sur la taxe sur la valeur ajoutée), du 2 décembre 2010, tel que modifié par le bekendtgørelse nr. 808 om merværdiafgift (arrêté no 808, sur la taxe sur la
valeur ajoutée), du 30 juin 2015 (ci-après l’« arrêté sur la TVA »).

14 L’article 54, paragraphes 1 et 2, de l’arrêté sur la TVA dispose :

« [1.]   La notion de bâtiment visée à l’article 13, paragraphe 1, point 9, sous a), de la loi [relative à la TVA modifiée] s’entend des constructions incorporées au sol qui sont achevées pour l’usage auquel elles sont destinées. La livraison de fractions d’un tel bâtiment est également réputée être une livraison d’un bâtiment.

2.   Un bâtiment, au sens du paragraphe 1, est neuf avant sa première occupation. Un bâtiment est également neuf à la date de la première livraison après occupation si la livraison a lieu moins de cinq ans après la date d’achèvement du bâtiment. Pour la deuxième livraison et les livraisons suivantes qui ont lieu dans les cinq ans suivant l’achèvement du bâtiment, le bâtiment est également neuf si la livraison a lieu avant que le bâtiment n’ait été utilisé par voie d’occupation pendant une période
de deux ans et que la première livraison relève de l’article 29 de la loi relative à la TVA [modifiée]. »

15 L’article 134, paragraphes 3 et 4, de cet arrêté énonce :

« 3.   L’article 13, paragraphe 1, point 9, sous a), de la loi relative à la TVA [modifiée] s’applique aux bâtiments neufs et aux bâtiments neufs avec sol y attenant, visés à l’article 54 du présent arrêté, si la construction a commencé au 1er janvier 2011 ou postérieurement [...]

4.   La date de commencement de la construction de nouveaux bâtiments et de l’extension de bâtiments existants correspond au début du coulage des fondations [...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

16 Au cours de l’année 2006, NSS a acquis un bien immobilier utilisé jusqu’alors comme camping. Au cours de l’année 2008, NSS a divisé ce bien immobilier en plusieurs parcelles et, au cours du mois de janvier 2009, des raccordements pour l’électricité, l’eau, le chauffage et les égouts ont été installés sur certaines de ces parcelles.

17 À l’automne de l’année 2010, sur la base de permis de construire que NSS avait obtenus auprès de l’administration compétente, la réalisation de fondations a commencé sur certaines desdites parcelles. Ces travaux de fondation ont été achevés avant le 1er janvier 2011.

18 Le 1er janvier 2015, NSS a transféré la propriété de seize parcelles pourvues de fondations à une société de droit danois. Ces parcelles ont ensuite été vendues à des particuliers.

19 Pour cinq desdites parcelles, une construction à usage d’habitation a par la suite été érigée sur les fondations réalisées au cours de l’année 2010. Pour huit autres parcelles, une construction à usage d’habitation a été érigée, mais pas sur les fondations coulées au cours de l’année 2010. Pour les trois parcelles restantes, les fondations réalisées au cours de l’année 2010 sont toujours présentes, mais aucune construction n’y a été érigée.

20 Par une décision du 28 septembre 2017, le SKAT (administration fiscale, Danemark) a enjoint à NSS de payer la TVA sur la livraison des seize parcelles pourvues de fondations, en considérant que celle-ci constituait une livraison de « terrains à bâtir » soumise à la TVA en application de l’article 13, paragraphe 1, point 9, sous b), de la loi relative à la TVA modifiée.

21 NSS a contesté cette décision devant le Landsskatteretten (commission fiscale nationale, Danemark) qui a estimé, par une décision du 1er septembre 2021, que la livraison de ces seize parcelles constituait non pas une opération soumise à la TVA en application de l’article 13, paragraphe 1, point 9, sous b), de la loi relative à la TVA modifiée, mais une opération exonérée de la TVA conformément à l’article 13, paragraphe 1, point 9, de la loi relative à la TVA, qui exonérait de la TVA toutes les
livraisons de biens immeubles. À cet égard, la commission fiscale nationale a notamment constaté que NSS avait commencé à réaliser les fondations sur lesdites seize parcelles avant le 1er janvier 2011 et que les mêmes parcelles avaient été acquises par celle-ci avant la présentation du projet de loi devenu la loi no 520, du 12 juin 2009.

22 Le 1er décembre 2021, le ministère des Impôts a formé un recours contre la décision de la commission fiscale nationale devant le Retten i Aalborg (tribunal d’Aalborg, Danemark), lequel a renvoyé l’affaire devant le Vestre Landsret (cour d’appel de la région Ouest, Danemark), qui est la juridiction de renvoi, en raison des questions de principe qu’elle soulève.

23 La juridiction de renvoi relève que, selon le ministère des Impôts, pour déterminer ce qui constitue un « bâtiment » aux fins de la TVA, il convient de se fonder sur le libellé de l’article 12, paragraphe 2, de la directive TVA, qui énonce qu’un bâtiment désigne « toute construction incorporée au sol ». Dans le langage courant, une « construction » prenant la forme d’un « bâtiment » serait caractérisée par le fait qu’elle est composée de plusieurs fractions qui forment un ensemble destiné à un
usage précis.

24 Eu égard à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA, qui vise « la livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation », un bâtiment (ou une fraction de bâtiment) se caractériserait par le fait qu’il peut faire l’objet d’une occupation et donc être utilisé pour les fins auxquelles il est destiné. Or, selon ce ministère, un bâtiment (ou une fraction de bâtiment) ne pourrait pas être utilisé à moins d’être achevé dans
une mesure suffisante pour qu’une mise en service, le cas échéant partielle, soit possible.

25 L’article 12, paragraphe 2, troisième alinéa, de cette directive permettrait d’utiliser des critères autres que celui de la première occupation pour définir la notion de « bâtiment », notamment celui du délai écoulé entre la date d’achèvement de l’immeuble et celle de la première livraison. Cette disposition impliquerait qu’une construction inachevée ne peut pas être considérée comme étant un bâtiment.

26 Ainsi, selon le ministère des Impôts, une construction à usage d’habitation ne peut pas être considérée comme étant achevée et comme pouvant faire l’objet d’une occupation si seules les fondations du bâtiment ont été réalisées. De telles fondations ne pourraient pas non plus constituer une « fraction de bâtiment », au sens de l’article 12 de la directive TVA, dès lors qu’il n’y aurait de livraison d’une fraction de bâtiment que si la fraction livrée peut faire l’objet d’une occupation. Tel serait
le cas lorsque la livraison s’effectue par étapes, par exemple, en cas de livraison d’appartements au sein d’une construction à usage d’habitation.

27 La juridiction de renvoi indique que, selon NSS, lorsque la réalisation des fondations sur les seize parcelles a commencé, celles-ci sont passées du statut de « terrain à bâtir » à celui de « bâtiment ou fraction de bâtiment avec le sol y attenant ». Il serait constant que les fondations sur ces parcelles étaient pleinement utilisables au moment de la livraison desdites parcelles au cours de l’année 2015.

28 Les fondations seraient incluses dans la notion très large de « bâtiment », au sens de l’article 12 de la directive TVA, définie comme étant « toute construction incorporée au sol ». De l’avis de NSS, l’article 54 de l’arrêté sur la TVA, qui ajoute la condition selon laquelle les constructions doivent être « achevées pour l’usage auquel elles sont destinées », limiterait cette notion en méconnaissance de la directive TVA.

29 Enfin, NSS soutient que le critère de la première occupation et les critères alternatifs à celui-ci prévus à l’article 12, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive TVA visent à déterminer le moment où les livraisons de bâtiments et de terrains peuvent être soumises à la TVA, et non le moment où une construction devient un « bâtiment ».

30 La juridiction de renvoi estime que la jurisprudence de la Cour ne permet pas de déterminer si un terrain pourvu de fondations en vue de la réalisation d’une construction à usage d’habitation doit être considéré, aux fins de la TVA, comme étant un terrain à bâtir ou comme étant un bâtiment ou une fraction de bâtiment avec le sol y attenant.

31 Dans ces conditions, le Vestre Landsret (cour d’appel de la région Ouest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Est-il compatible avec les dispositions combinées de l’article 135, paragraphe 1, sous j), et de l’article 12, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, de la [directive TVA], lues conjointement avec les dispositions combinées de l’article 135, paragraphe 1, sous k), et de l’article 12, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 3, de [cette] directive, qu’un État membre considère, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, la livraison d’un bien immeuble comprenant au moment
de la livraison des fondations déjà réalisées et sur lequel une construction à usage d’habitation n’est érigée que plus tard par d’autres propriétaires, comme étant une vente de terrain à bâtir soumise à la TVA ? »

Sur la question préjudicielle

32 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’une opération de livraison d’un terrain pourvu, à la date de cette livraison, exclusivement de fondations de constructions à usage d’habitation constitue une livraison d’un « terrain à bâtir », au sens de cet article.

33 Il convient d’emblée de rappeler que la directive TVA établit un système commun de TVA fondé, notamment, sur une définition uniforme des opérations taxables (arrêt du 16 novembre 2017, Kozuba Premium Selection, C‑308/16, EU:C:2017:869, point 24 et jurisprudence citée).

34 Selon l’article 2, paragraphe 1, sous a), de cette directive, sont soumises à la TVA les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.

35 En vertu de l’article 9, paragraphe 1, de ladite directive, est considéré comme étant un « assujetti » quiconque exerce, de façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. Est en particulier considérée comme étant une « activité économique » l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence.

36 La directive TVA tient ainsi compte du caractère professionnel et habituel de l’exercice d’activités économiques comme critères généraux pour attribuer aux personnes exerçant ces activités la qualité d’assujetti à la TVA. Toutefois, ces critères sont aménagés en ce qui concerne les opérations immobilières, car, conformément à son article 12, paragraphe 1, cette directive autorise les États membres à considérer également comme étant un assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, la
livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation [article 12, paragraphe 1, sous a)], ou la livraison d’un terrain à bâtir [article 12, paragraphe 1, sous b)] (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2017, Kozuba Premium Selection, C‑308/16, EU:C:2017:869, point 27).

37 Conformément à l’article 12, paragraphe 3, de ladite directive, sont considérés comme étant des « terrains à bâtir », aux fins du paragraphe 1, sous b), de cet article 12, les terrains, nus ou aménagés, définis comme tels par les États membres.

38 Cependant, la directive TVA limite la marge d’appréciation de ces derniers quant à la portée de la notion de « terrains à bâtir ». Dans ce cadre, les États membres doivent respecter l’objectif poursuivi par l’article 135, paragraphe 1, sous k), de cette directive, qui vise à n’exonérer de la TVA que les seules livraisons de terrains non bâtis qui ne sont pas destinés à supporter un édifice (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2021, Icade Promotion, C‑299/20, EU:C:2021:783, points 34 et 50
ainsi que jurisprudence citée).

39 Par ailleurs, la définition de la notion de « terrains à bâtir » est également limitée par la portée de la notion de « bâtiment », définie de manière très large par le législateur de l’Union à l’article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive TVA comme incluant « toute construction incorporée au sol » (arrêts du 4 septembre 2019, KPC Herning, C‑71/18, EU:C:2019:660, point 54, et du 30 septembre 2021, Icade Promotion, C‑299/20, EU:C:2021:783, point 51).

40 Il s’ensuit qu’un terrain comportant une construction devant être qualifiée de « bâtiment », au sens de cette disposition, ne saurait être qualifié de « terrain à bâtir ».

41 En l’occurrence, il est constant que les terrains en cause au principal ne comportaient, à la date de leur livraison, que les fondations de constructions à usage d’habitation. Dès lors, il convient de déterminer si ces fondations constituent, en tant que telles, un « bâtiment » ou une « fraction de bâtiment », au sens de l’article 12 de la directive TVA, auquel cas ces terrains ne pourraient plus être considérés comme étant des « terrains à bâtir ».

42 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que cette clarification s’impose dès lors que la livraison d’un terrain à bâtir est soumise à la TVA. En revanche, bien que, en principe, la livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment soit également soumise à la TVA, il s’avère que, d’une part, jusqu’au 31 décembre 2010, le Royaume de Danemark appliquait, en vertu de l’article 371 de la directive TVA, une exonération de la TVA pour toutes les livraisons de biens immeubles et, d’autre
part, conformément à la réglementation nationale applicable, les livraisons de bâtiments dont la construction avait débuté à cette date continuent à bénéficier de cette exonération. Les fondations construites sur les terrains en cause au principal ayant été coulées au cours de l’année 2010, NSS estime que la livraison de ces terrains est exonérée de la TVA.

43 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé que l’article 12, paragraphe 3, de la directive TVA prévoit clairement que même les terrains aménagés relèvent de la notion de « terrains à bâtir » dans la mesure où ils sont définis comme tels par les États membres. En d’autres termes, l’aménagement des terrains, tels que le raccordement aux réseaux d’électricité, de gaz, d’eau, ne saurait avoir pour conséquence le changement de leur qualification juridique en « bâtiment », en tant que
construction fixée au sol au moyen, notamment, de fondations (arrêt du 30 septembre 2021, Icade Promotion, C‑299/20, EU:C:2021:783, point 57).

44 Par ailleurs, si l’article 12, paragraphe 2, de la directive TVA définit un bâtiment de manière très large comme étant « toute construction incorporée au sol », il n’en demeure pas moins que cette disposition renvoie à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de cette directive, qui se réfère à « la livraison de bâtiments ou de fractions de bâtiments avant leur première occupation ». Ainsi, il ne saurait être conclu que de simples ouvrages de raccordement aux réseaux peuvent être inclus dans la
notion de « bâtiment » (arrêt du 30 septembre 2021, Icade Promotion, C‑299/20, EU:C:2021:783, point 58).

45 La Cour a ainsi mis en exergue, dans le cadre de la définition très large de la notion de « bâtiment », au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive TVA, l’importance du renvoi à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de cette directive, qui vise le critère de la « première occupation » d’un bâtiment.

46 Pour sa part, l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA prévoit une exonération de TVA au bénéfice des livraisons de bâtiments autres que ceux visés à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de celle-ci. Ainsi, ces dispositions opèrent en pratique une distinction entre les bâtiments anciens, dont la vente n’est en principe pas soumise à la TVA, et les bâtiments nouveaux, dont la vente est soumise à cette taxe, qu’elle soit effectuée dans le cadre d’une activité économique permanente
ou bien à titre occasionnel (arrêt du 9 mars 2023, État belge et Promo 54, C‑239/22, EU:C:2023:181, point 20 ainsi que jurisprudence citée).

47 La ratio legis desdites dispositions est l’absence relative de valeur ajoutée générée par la vente d’un bâtiment ancien (arrêt du 9 mars 2023, État belge et Promo 54, C‑239/22, EU:C:2023:181, point 21 ainsi que jurisprudence citée), contrairement à la vente d’un bâtiment nouveau, dont la valeur ajoutée est issue d’un travail de construction qui entraîne une modification substantielle de la réalité matérielle, du fait du passage d’un bien immeuble non bâti, voire d’un sol non viabilisé, à un
bâtiment habitable (arrêt du 16 novembre 2017, Kozuba Premium Selection, C‑308/16, EU:C:2017:869, point 55).

48 Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), lesquels demeurent pertinents aux fins de l’interprétation de la directive TVA, dans le contexte des exonérations prévues à l’article 135, paragraphe 1, sous j), de celle-ci, le critère de la
« première occupation » d’un bâtiment doit être compris comme correspondant à celui de la première utilisation du bien par son propriétaire ou par son locataire. Il est précisé dans ces travaux préparatoires que ce critère a été retenu comme déterminant le moment où le produit est susceptible de sortir de la chaîne de production pour entrer dans le secteur de la consommation (arrêt du 16 novembre 2017, Kozuba Premium Selection, C‑308/16, EU:C:2017:869, point 41).

49 Compte tenu de la jurisprudence visée aux points 43 à 48 du présent arrêt, il y a lieu de constater que des fondations de constructions à usage d’habitation ne peuvent pas être qualifiées de « bâtiment » ou de « fraction de bâtiment », au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA.

50 Certes, les fondations d’un bâtiment sont l’un des éléments qui composent celui-ci et peuvent dès lors constituer, dans le langage courant, une « fraction de bâtiment ».

51 En outre, l’article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de cette directive définit un bâtiment de manière très large comme étant « toute construction incorporée au sol ». Ainsi, il ne saurait être exclu qu’une telle définition, prise isolément, puisse être interprétée comme couvrant des fondations.

52 Toutefois, comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt du 30 septembre 2021, Icade Promotion (C‑299/20, EU:C:2021:783, point 58), il n’en demeure pas moins que cette disposition renvoie à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de ladite directive, qui se réfère au critère de la « première occupation ».

53 Ainsi qu’il est rappelé au point 48 du présent arrêt, ce critère doit être compris comme correspondant à celui de la première utilisation du bien par son propriétaire ou par son locataire, étant entendu qu’il a été retenu par le législateur de l’Union comme déterminant le moment où un produit est susceptible de sortir de la chaîne de production pour entrer dans le secteur de la consommation.

54 Or, de simples fondations de constructions à usage d’habitation ne sauraient être susceptibles de faire l’objet d’une « occupation » ainsi définie. En outre, et en tout état de cause, la réalisation de telles fondations ne marque pas la fin du processus de construction du bâtiment et l’entrée de celui-ci dans le secteur de la consommation.

55 En effet, au regard de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA, même une « fraction de bâtiment » doit pouvoir faire l’objet d’une occupation et, dès lors, doit être sortie de la chaîne de production, ce qui peut par exemple être le cas lorsqu’un bâtiment composé de plusieurs parties ou unités, telles que des appartements, est construit par étapes, si bien que certaines de ces parties ou unités peuvent faire l’objet d’une occupation alors que d’autres parties sont encore en
construction. À cet égard, la Cour a déjà souligné qu’il convient de tenir compte de l’usage effectif dont fait l’objet un bien immobilier au moment de la livraison (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2019, KPC Herning, C‑71/18, EU:C:2019:660, points 43, 45 et 48 ainsi que jurisprudence citée).

56 De surcroît, conformément à l’article 12, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive TVA, les États membres peuvent appliquer d’autres critères que celui de la première occupation, tels que celui du délai écoulé entre la date d’achèvement de l’immeuble et celle de la première livraison, ou celui du délai écoulé entre la date de la première occupation et celle de la livraison ultérieure.

57 À l’instar du critère de la première occupation, ces critères alternatifs visent, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence citée au point 46 du présent arrêt, à distinguer les bâtiments nouveaux, soumis en principe à la TVA, des bâtiments anciens, exonérés de la TVA conformément à l’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA.

58 Or, le premier de ces critères alternatifs fait référence à l’« achèvement de l’immeuble », à savoir un événement qui se situe bien au-delà de l’étape initiale de la coulée des fondations. Le second desdits critères emploie, quant à lui, la même notion que le critère par défaut visé à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA, à savoir la « première occupation », et doit donc être interprété de la même manière que ce dernier critère.

59 Il importe encore de relever que NSS et les trois autres sociétés défenderesses au principal invoquent, dans leurs observations écrites, plusieurs arrêts de la Cour afin de soutenir leur interprétation selon laquelle des fondations constituent un bâtiment, au sens de l’article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive TVA. Cependant, aucun de ces arrêts ne saurait remettre en cause l’interprétation visée au point 49 du présent arrêt.

60 En effet, tout d’abord, dans l’arrêt du 30 septembre 2021, Icade Promotion (C‑299/20, EU:C:2021:783, point 57), la Cour a jugé que l’aménagement de terrains, tel que le raccordement aux réseaux d’électricité, de gaz, d’eau, etc., ne saurait avoir pour conséquence le changement de la qualification juridique de ces terrains en « bâtiment », en tant que construction fixée au sol au moyen, notamment, de fondations. Ce faisant, elle a simplement affirmé que les fondations sont un moyen de fixation
d’une construction au sol, et non pas que celles-ci constituent, en tant que telles, un bâtiment.

61 Ensuite, il est vrai que, dans l’arrêt du 8 juin 2000, Breitsohl (C‑400/98, EU:C:2000:304, points 46 et 54), la Cour a affirmé, concernant une construction comprenant des fondations achevées et une dalle en partie terminée, qu’il s’agissait d’une livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant effectuée avant sa première occupation. Cependant, et ainsi que le reconnaissent NSS et les trois autres sociétés défenderesses au principal dans leurs observations écrites, cette
affaire ne concernait pas l’interprétation de la notion de « bâtiment » ou de « fraction de bâtiment », au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, de la sixième directive 77/388, qui était la disposition équivalente, dans cette directive, à l’article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive TVA, de sorte que cette affirmation incidente de la Cour ne saurait suffire pour invalider les constats issus de l’interprétation de cette dernière disposition figurant, en particulier, aux
points 52 à 55 du présent arrêt.

62 Enfin, dans l’arrêt du 16 janvier 2003, Maierhofer (C‑315/00, EU:C:2003:23, points 32 et 33), la Cour a jugé que des bâtiments d’un ou de deux étages reposant sur des socles en béton édifiés sur une semelle de béton coulée dans le sol constituaient, quand bien même ils étaient démontables et déplaçables, des « biens immeubles ». Ainsi, l’appréciation de la Cour dans cet arrêt a porté sur des bâtiments achevés, et non sur les fondations de ceux-ci.

63 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 12 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’une opération de livraison d’un terrain pourvu, à la date de cette livraison, exclusivement de fondations de constructions à usage d’habitation constitue une livraison d’un « terrain à bâtir », au sens de cet article.

Sur les dépens

64 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

  L’article 12 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée,

  doit être interprété en ce sens que :

  une opération de livraison d’un terrain pourvu, à la date de cette livraison, exclusivement de fondations de constructions à usage d’habitation constitue une livraison d’un « terrain à bâtir », au sens de cet article.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le danois.


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-594/23
Date de la décision : 07/11/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Vestre Landsret.

Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Livraison de terrains comportant exclusivement des fondations de constructions à usage d’habitation – Qualification – Article 12 – Notions de “terrain à bâtir” et de “bâtiment ou fraction de bâtiment” – Critère de la “première occupation” d’un bâtiment.

Fiscalité

Taxe sur la valeur ajoutée


Parties
Demandeurs : Skatteministeriet
Défendeurs : Lomoco Development ApS e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Ćapeta
Rapporteur ?: Arastey Sahún

Origine de la décision
Date de l'import : 09/11/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:942

Source

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