ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
11 juillet 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 2, paragraphe 1, sous a) – Article 9, paragraphe 1 – Article 14, paragraphe 2, sous a) – Livraison de biens imposable – Transmission, contre le paiement d’une indemnité, de la propriété d’un terrain agricole en vertu d’une décision de l’autorité publique – Expropriation »
Dans l’affaire C‑182/23 [Makowit] ( i ),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), par décision du 18 janvier 2023, parvenue à la Cour le 22 mars 2023, dans la procédure
Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej
contre
J.S.,
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. N. Piçarra, président de chambre, MM. N. Jääskinen (rapporteur) et M. Gavalec, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej, par MM. B. Kołodziej et T. Wojciechowski,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par M. M. Herold et Mme M. Owsiany-Hornung, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 1, et de l’article 14, paragraphe 2, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant J.S. au Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej (directeur de l’information fiscale nationale, Pologne) (ci-après l’« autorité fiscale ») au sujet d’une demande tendant à l’annulation d’un rescrit fiscal daté du 31 octobre 2017 (ci-après le « rescrit fiscal »).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA, sont soumises à la TVA les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.
4 L’article 9, paragraphe 1, de cette directive dispose :
« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »
5 L’article 14 de ladite directive prévoit :
« 1. Est considérée comme “livraison de biens”, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.
2. Outre l’opération visée au paragraphe 1, sont considérées comme livraison de biens les opérations suivantes :
a) la transmission, avec paiement d’une indemnité, de la propriété d’un bien en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi ;
[...] »
6 L’article 167 de la même directive est libellé comme suit :
« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »
Le droit polonais
7 L’article 7, paragraphe 1, de l’ustawa o podatku od towarów i usług (loi relative à la taxe sur les biens et services), du 11 mars 2004 (Dz. U. de 2022, position 931), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur la TVA »), prévoit :
« La livraison de biens, visée à l’article 5, paragraphe 1, point 1, s’entend du transfert du pouvoir de disposer des biens comme un propriétaire, y compris :
1) le transfert en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou par une entité agissant au nom de cette autorité, ou le transfert, aux termes de la loi, de la propriété de biens avec paiement d’une indemnité ;
[...] »
8 Aux termes de l’article 15, paragraphes 1 et 2, de cette loi :
« 1. Sont considérées comme assujetties les personnes morales, les entités organisationnelles n’ayant pas la personnalité juridique et les personnes physiques qui accomplissent, d’une façon indépendante, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
2. Est considérée comme activité économique toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités des personnes exploitant les ressources naturelles, des agriculteurs et des professions libérales. L’activité économique comprend en particulier les opérations consistant dans l’exploitation de biens corporels ou incorporels de façon continue à des fins lucratives. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
9 J.S. gère une exploitation agricole sur laquelle il exerce une activité d’élevage de vaches laitières et de production de lait depuis l’année 2001. Il est enregistré en tant qu’assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) depuis le mois de janvier 2013. En 2003, puis en 2015, il a acheté des parcelles de terrain destinées à agrandir cette exploitation. Cette acquisition n’avait pas été soumise à la TVA ni n’avait fait l’objet d’une déduction de la TVA.
10 Par décision du voïvode, une autorité de l’administration publique, du 6 mars 2017, la propriété d’une partie des parcelles de terrain sur lesquelles se trouve l’exploitation de J.S. a été transférée au Skarb Państwa (Trésor public, Pologne) aux fins de la réalisation d’investissements destinés à la voirie. Parallèlement, le voïvode a engagé une procédure de détermination de l’indemnité due à J.S. pour le transfert de propriété des parcelles de terrain acquises par le Trésor public.
11 Dans ce contexte, J.S. a déposé, auprès de l’autorité fiscale, une demande de rescrit fiscal visant à déterminer, d’une part, s’il devait être considéré comme étant assujetti à la TVA du fait de la vente des parcelles de terrain acquises par le Trésor public aux fins de la réalisation d’investissements destinés à la voirie et, d’autre part, si l’indemnité perçue à ce titre devait être soumise à la TVA. Selon lui, des réponses négatives devaient être apportées à ces questions.
12 Par le rescrit fiscal, l’autorité fiscale a estimé que le transfert par voie d’expropriation de la propriété de parcelles de terrain au Trésor public, aux fins de la réalisation d’investissements destinés à la voirie, devait être considéré comme une livraison de biens effectuée à titre onéreux par J.S., agissant en tant qu’entité exerçant une activité économique, au sens de l’article 15, paragraphe 2, de la loi sur la TVA, c’est–à–dire en tant qu’assujetti à la TVA.
13 J.S. a contesté cette interprétation devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie, Pologne), qui a annulé le rescrit fiscal par un arrêt du 15 octobre 2018. Dans les motifs, cette juridiction soulignait que J.S. n’avait entrepris aucune démarche pour vendre les parcelles de terrain en cause et que l’expropriation de celles-ci avait été décidée indépendamment de sa volonté. Ainsi, selon ladite juridiction, cette expropriation était sans
rapport avec l’activité agricole de J.S. et, par conséquent, ce dernier n’avait pas agi en tant qu’assujetti à la TVA lorsque les parcelles de terrain en cause avaient été transférées au Trésor public.
14 L’autorité fiscale a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), la juridiction de renvoi, en faisant valoir notamment que l’acquisition, par voie d’expropriation, des parcelles de terrain en cause était liée à l’exercice professionnel, par J.S., d’une activité économique consistant en l’exploitation desdites parcelles de terrain dans le cadre de son activité agricole. Dès lors, cette acquisition devait, selon elle,
être considérée comme une livraison de biens effectuée à titre onéreux devant être soumise à la TVA.
15 La juridiction de renvoi estime que la solution du litige dont elle est saisie dépend du point de savoir si le transfert de la propriété d’un bien immobilier au moyen d’une expropriation au profit du Trésor public, aux fins de la construction de routes publiques, doit être considéré comme une livraison de biens effectuée par un assujetti exerçant une activité économique, au motif que cet assujetti avait utilisé ledit bien immobilier dans le cadre de son activité économique agricole.
16 En premier lieu, cette juridiction observe que, en l’occurrence, il ne ressort pas de la description des faits ayant donné lieu à ce litige, telle qu’établie par l’autorité fiscale, que les parcelles de terrain en cause aient fait l’objet d’un transfert vers la partie du patrimoine de J.S. qui n’est pas affectée à l’exploitation agricole, ces parcelles ayant toujours constitué un élément de l’actif de l’entreprise de ce dernier.
17 En deuxième lieu, ladite juridiction rappelle qu’il ressort notamment de l’arrêt du 15 septembre 2011, Słaby e.a. (C‑180/10 et C‑181/10, EU:C:2011:589), que, si un opérateur entreprend des démarches actives de commercialisation foncière qui permettraient de le considérer comme un professionnel, les biens vendus doivent alors être soumis à la TVA. Toutefois, elle observe que, en l’occurrence, J.S. n’a entrepris aucune démarche afin de vendre lesdites parcelles. La juridiction de renvoi indique
que, selon la jurisprudence polonaise, le simple fait d’être un assujetti à la TVA ne constitue pas la condition indispensable pour qu’une opération soit soumise à la TVA, mais que, à cette fin, il est nécessaire d’avoir agi en qualité d’assujetti à la TVA dans le cadre de l’opération spécifique relevant de l’activité économique de l’opérateur concerné. Or, elle observe que, en l’occurrence, J.S. n’était pas actif dans le domaine de la commercialisation foncière notamment pour vendre les
parcelles de terrain en cause et qu’il n’exerçait aucune autre activité économique que l’activité agricole pour laquelle il était assujetti à la TVA.
18 En troisième lieu, cette juridiction souligne que la TVA n’a pas été appliquée lors de l’achat de ces parcelles par J.S., de sorte qu’il n’y a pas eu de déduction de TVA à cette occasion.
19 Dans ces conditions, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Convient-il d’interpréter les dispositions combinées de l’article 9, paragraphe 1, et de l’article 14, paragraphe 2, sous a), de la [directive TVA] en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à ce qu’un agriculteur assujetti à la TVA dans le cadre du régime général qui transfère par voie d’expropriation la propriété d’une parcelle de terrain au Trésor public avec paiement d’une indemnité liée à son changement d’affectation à des fins non agricoles soit considéré comme étant redevable de la TVA sur
cette livraison au seul motif que cette parcelle était utilisée pour les besoins d’une activité agricole soumise à la TVA ? »
Sur la question préjudicielle
20 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En outre, la Cour peut être amenée à prendre en
considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (arrêt du 7 septembre 2023, Groenland Poultry, C‑169/22, EU:C:2023:638, point 47 et jurisprudence citée).
21 En l’occurrence, compte tenu des éléments relevés par la juridiction de renvoi, la solution du litige au principal dépend de la question de savoir si une opération d’expropriation de parcelles de terrain agricole, telle que celle en cause au principal, contre le paiement d’une indemnité au propriétaire initial de ce terrain doit être soumise à la TVA.
22 Or, c’est l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA qui prévoit les conditions qu’une livraison de biens doit remplir pour pouvoir être qualifiée d’opération soumise à la TVA.
23 Par ailleurs, la juridiction de renvoi fait également référence, dans sa question, à l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, qui définit les notions d’assujetti et d’activité économique. Néanmoins, il ressort de la décision de renvoi que la question de savoir si J.S. est assujetti à la TVA et s’il exerce une activité économique n’est pas contestée.
24 Partant, il convient de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 1, sous a), et l’article 14, paragraphe 2, sous a), de la directive TVA, lus conjointement, doivent être interprétés en ce sens qu’une opération de transfert, par voie d’expropriation, de la propriété de parcelles de terrain agricole, contre le paiement d’une indemnité au propriétaire de ce terrain doit être soumise à la TVA lorsque ce propriétaire est un
agriculteur, assujetti à la TVA, même s’il n’exerce aucune activité de commercialisation foncière et n’a entrepris aucune démarche visant à un tel transfert.
25 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la directive TVA établit un système commun de TVA fondé, notamment, sur une définition uniforme des opérations taxables (arrêt du 13 juin 2018, Gmina Wrocław, C‑665/16, EU:C:2018:431, point 30 et jurisprudence citée).
26 Conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de cette directive, sont soumises à la TVA les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel. Il convient donc d’examiner si les circonstances décrites au point 24 du présent arrêt correspondent, d’une part, à la notion de « livraison de biens à titre onéreux » et, d’autre part, à celle d’« assujetti agissant en tant que tel ».
27 S’agissant, en premier lieu, de la notion de « livraison de biens », l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA la définit comme étant le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire. L’article 14, paragraphe 2, sous a), de cette directive ajoute que, outre l’opération visée au paragraphe 1 de cet article, est considérée comme étant une livraison de biens la transmission, avec paiement d’une indemnité, de la propriété d’un bien en vertu d’une réquisition faite
par l’autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi.
28 Le paragraphe 2 de cet article constitue, par rapport à la définition générale énoncée au paragraphe 1 de celui-ci, une lex specialis, dont les conditions d’application revêtent un caractère autonome par rapport à celles de ce paragraphe 1 [voir, en ce sens, arrêts du 13 juin 2018, Gmina Wrocław, C‑665/16, EU:C:2018:431, point 36, et du 25 février 2021, Gmina Wrocław (Conversion du droit d’usufruit), C‑604/19, EU:C:2021:132, point 55].
29 Ainsi, la qualification de « livraison de biens », au sens de l’article 14, paragraphe 2, sous a), de la directive TVA, requiert la réunion de trois conditions cumulatives. Tout d’abord, il doit y avoir un transfert du droit de propriété. Ensuite, ce transfert doit être effectué en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi. Enfin, une indemnité doit être payée [arrêts du 13 juin 2018, Gmina Wrocław, C‑665/16, EU:C:2018:431, point 37, et du
25 février 2021, Gmina Wrocław (Conversion du droit d’usufruit), C‑604/19, EU:C:2021:132, point 56].
30 En l’occurrence, s’agissant des deux premières conditions susmentionnées, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi qu’il n’est pas contesté que, d’une part, les parcelles de terrain agricole en cause au principal sont devenues la propriété du Trésor public et que, d’autre part, ce transfert de propriété résulte d’une décision unilatérale du voïvode, une autorité de l’administration publique, adoptée le 6 mars 2017.
31 S’agissant de la troisième condition posée par l’article 14, paragraphe 2, sous a), de la directive TVA, à savoir celle relative au paiement d’une indemnité, la Cour a considéré que, afin de déterminer si cette condition est remplie, il y a lieu uniquement d’établir que l’indemnité en cause est directement liée à la transmission de la propriété et que son versement a été effectif [arrêt du 25 février 2021, Gmina Wrocław (Conversion du droit d’usufruit), C‑604/19, EU:C:2021:132, point 61 et
jurisprudence citée].
32 Or, il ressort de la décision de renvoi que l’indemnité en cause au principal est directement liée au transfert de la propriété des parcelles de terrain agricole en cause au principal au Trésor public. Dès lors que le versement de cette indemnité a été effectif, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, l’opération en cause constitue une « livraison de biens » au sens de l’article 14, paragraphe 2, sous a), de la directive TVA.
33 En ce qui concerne la condition tenant à ce que cette livraison soit faite « à titre onéreux », figurant à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA, la simple perception, par l’assujetti, d’une indemnité au sens de l’article 14, paragraphe 2, sous a), de cette directive, suffit pour qu’il soit satisfait à la condition d’opération à titre onéreux en vue de l’application de cette dernière disposition (voir, en ce sens, arrêt du 13 juin 2018, Gmina Wrocław, C‑665/16, EU:C:2018:431,
point 44).
34 En second lieu, s’agissant de la notion d’« assujetti agissant en tant que tel », figurant à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA, si J.S. est enregistré en tant qu’assujetti à la TVA, la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant au fait qu’il ait agi en cette qualité lors du transfert de la propriété des parcelles de terrain agricole en cause. Dans ce contexte, elle souligne qu’il n’exerce aucune activité économique de commercialisation foncière ni n’a entrepris de
démarche afin de vendre ces parcelles.
35 À cet égard, il importe de relever qu’un assujetti, au sens de l’article 9, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive TVA, n’agit, en principe, en cette qualité que s’il le fait dans le cadre de son activité économique (arrêt du 13 juin 2018, Polfarmex, C‑421/17, EU:C:2018:432, point 37 et jurisprudence citée). Ce dernier critère est rempli lorsqu’un assujetti transfère la propriété de biens immeubles affectés à cette activité économique au sens large (voir, en ce sens, arrêt du 13 juin 2018,
Polfarmex, C‑421/17, EU:C:2018:432, point 42).
36 En revanche, un assujetti qui effectue une opération à titre privé n’agit pas en tant qu’assujetti. Par conséquent, une opération effectuée par un assujetti à titre privé ne tombe pas sous le coup de la TVA (arrêts du 4 octobre 1995, Armbrecht, C‑291/92, EU:C:1995:304, points 17 et 18, ainsi que du 8 mars 2001, Bakcsi, C‑415/98, EU:C:2001:136, point 24).
37 En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, selon l’autorité fiscale, les parcelles de terrain agricole en cause étaient un élément de l’actif de l’entreprise de J.S. à la date du transfert de leur propriété au Trésor public.
38 Il s’ensuit que J.S., qui est assujetti à la TVA en raison de son activité agricole, aurait agi en tant qu’assujetti en transférant la propriété de parcelles de terrain agricole, affectées à son activité économique, même s’il n’exerce aucune activité de commercialisation foncière et qu’il n’a entrepris aucune démarche à cette fin.
39 À ce dernier égard, il convient d’ajouter qu’une condition visant à exiger une démarche active de la part de l’assujetti ne serait pas non plus compatible avec l’effet utile de l’article 14, paragraphe 2, sous a), de la directive TVA, qui, par définition, se réfère à la transmission de la propriété d’un bien intervenant à la suite d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi [voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Gmina Wrocław (Conversion du droit
d’usufruit), C‑604/19, EU:C:2021:132, point 75].
40 Dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi constaterait que l’opération en cause au principal a été réalisée par J.S. dans le cadre de la gestion de la partie de son patrimoine qui n’est pas affectée à l’exploitation agricole, il conviendrait de considérer que celui-ci n’aurait pas agi en tant qu’assujetti et que ladite opération ne serait pas soumise à la TVA.
41 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que l’article 2, paragraphe 1, sous a), et l’article 14, paragraphe 2, sous a), de la directive TVA, lus conjointement, doivent être interprétés en ce sens qu’une opération de transfert, par voie d’expropriation, de la propriété de parcelles de terrain agricole contre le versement d’une indemnité au propriétaire de ce terrain doit être soumise à la TVA lorsque ce propriétaire est un agriculteur
assujetti à la TVA et agissant en tant que tel, même s’il n’exerce aucune activité de commercialisation foncière et n’a entrepris aucune démarche visant à un tel transfert.
Sur les dépens
42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :
L’article 2, paragraphe 1, sous a), et l’article 14, paragraphe 2, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, lus conjointement,
doivent être interprétés en ce sens que :
une opération de transfert, par voie d’expropriation, de la propriété de parcelles de terrain agricole contre le paiement d’une indemnité au propriétaire de ce terrain doit être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) lorsque ce propriétaire est un agriculteur assujetti à la TVA et agissant en tant que tel, même s’il n’exerce aucune activité de commercialisation foncière et n’a entrepris aucune démarche visant à un tel transfert.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.
( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.