ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
4 juillet 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune – Financement, gestion et suivi de la politique agricole commune – Prairies permanentes de propriété publique – Conditions d’accès au paiement direct en faveur des agriculteurs – Animaux devant appartenir à la propre exploitation agricole des agriculteurs »
Dans l’affaire C‑708/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), par décision du 21 octobre 2022, parvenue à la Cour le 16 novembre 2022, dans la procédure
Asociación Española de Productores de Vacuno de Carne – Asoprovac
contre
Administración General del Estado,
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. N. Piçarra, président de chambre, MM. N. Jääskinen et M. Gavalec (rapporteur), juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour l’Asociación Española de Productores de Vacuno de Carne – Asoprovac, par Mes M. J. Marcén Castán, J. C. Martín Aranda, abogados, et M. J. M. Rico Maesso, procurador,
– pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par Mmes A. C. Becker, C. Calvo Langdon et E. Sanfrutos Cano, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4 et de l’article 32, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (CE) no 637/2008 du Conseil et le règlement (CE) no 73/2009 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 608), ainsi que de
l’article 60 du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, (CE) no 1200/2005 et no 485/2008 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 549).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Asociación Española de Productores de Vacuno de Carne – Asoprovac, une association espagnole de producteurs de bovins à viande, à l’Administración General del Estado (administration générale de l’État, Espagne) au sujet de la légalité d’un décret royal imposant que les prairies permanentes de propriété publique à usage commun soient pâturées par les animaux de la propre exploitation de l’agriculteur qui demande à bénéficier d’un
soutien financier au titre du régime de paiement direct à la surface.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement no 1306/2013
3 Sous l’intitulé « Protection des intérêts financiers de l’Union », l’article 58 du règlement no 1306/2013, abrogé par le règlement (UE) 2021/2116 du Parlement européen et du Conseil, du 2 décembre 2021, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (UE) no 1306/2013 (JO 2021, L 435, p. 187), mais applicable ratione temporis au litige au principal, disposait, à son paragraphe 1 :
« Les États membres prennent, dans le cadre de la [politique agricole commune (PAC)], toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives, ainsi que toute autre mesure nécessaire pour assurer une protection efficace des intérêts financiers de l’Union, en particulier pour :
a) s’assurer de la légalité et de la régularité des opérations financées par les Fonds ;
b) assurer une prévention efficace de la fraude, en particulier pour les zones à plus haut niveau de risque, qui aura un effet dissuasif, eu égard aux coûts et avantages ainsi qu’à la proportionnalité des mesures ;
c) prévenir, détecter et corriger les irrégularités et les fraudes ;
d) imposer des sanctions efficaces, dissuasives et proportionnées conformément au droit de l’Union ou, à défaut, des États membres, et engager les procédures judiciaires nécessaires à cette fin, le cas échéant ;
e) recouvrer les paiements indus et les intérêts et engager les procédures judiciaires nécessaires à cette fin, le cas échéant. »
4 L’article 60 de ce règlement, intitulé « Clause de contournement », énonçait :
« Sans préjudice de dispositions particulières, aucun des avantages prévus par la législation agricole sectorielle n’est accordé en faveur des personnes physiques ou morales dont il est établi qu’elles ont créé artificiellement les conditions requises en vue de l’obtention de ces avantages, en contradiction avec les objectifs visés par cette législation. »
Le règlement no 1307/2013
5 Sous l’intitulé « Définitions et dispositions connexes », l’article 4 du règlement no 1307/2013, abrogé par le règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil, du 2 décembre 2021, établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (plans stratégiques relevant de la PAC) et financés par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le
développement rural (Feader) et abrogeant les règlements (UE) no 1305/2013 et (UE) no 1307/2013 (JO 2021, L 435, p. 1), mais applicable ratione temporis au litige au principal, disposait :
« 1. Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
b) “exploitation”, l’ensemble des unités utilisées aux fins d’activités agricoles et gérées par un agriculteur qui sont situées sur le territoire d’un même État membre ;
c) “activité agricole” :
i) la production, l’élevage ou la culture de produits agricoles, y compris la récolte, la traite, l’élevage et la détention d’animaux à des fins agricoles,
ii) le maintien d’une surface agricole dans un état qui la rend adaptée au pâturage ou à la culture sans action préparatoire allant au-delà de pratiques agricoles courantes ou du recours à des machines agricoles courantes, sur la base de critères à définir par les États membres en se fondant sur un cadre établi par la Commission [européenne], ou
iii) l’exercice d’une activité minimale, définie par les États membres, sur les surfaces agricoles naturellement conservées dans un état qui les rend adaptées au pâturage ou à la culture ;
[...]
e) “surface agricole”, l’ensemble de la superficie des terres arables, des prairies permanentes et des pâturages permanents ou des cultures permanentes ;
[...]
2. Les États membres :
a) définissent les critères à remplir par les agriculteurs pour respecter l’obligation de maintien d’une surface agricole dans un état qui la rend adaptée au pâturage ou à la culture, au sens du paragraphe 1, point c), ii) ;
b) le cas échéant dans un État membre, définissent l’activité minimale à exercer sur les surfaces agricoles naturellement conservées dans un état qui les rend adaptées au pâturage ou à la culture, au sens du paragraphe 1, point c), iii) ;
[...]
3. Afin de garantir la sécurité juridique, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués [...] en vue d’établir :
a) le cadre dans lequel les États membres doivent établir les critères à remplir par les agriculteurs pour respecter l’obligation de maintien d’une surface agricole dans un état adapté au pâturage ou à la culture au sens du paragraphe 1, point c), ii) ;
[...] »
6 L’article 32 de ce règlement, intitulé « Activation des droits au paiement », énonçait, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. L’aide au titre du régime de paiement de base est octroyée aux agriculteurs, sur la base d’une déclaration conformément à l’article 33, paragraphe 1, après activation d’un droit au paiement par hectare admissible dans l’État membre où le droit au paiement a été attribué. [...]
2. Aux fins du présent titre, on entend par “hectare admissible” :
a) toute surface agricole de l’exploitation, y compris les surfaces qui n’étaient pas dans de bonnes conditions agricoles le 30 juin 2003 dans les États membres qui ont adhéré à l’Union européenne le 1er mai 2004 et qui ont opté, lors de l’adhésion, pour l’application du régime de paiement unique à la surface, qui est utilisée aux fins d’une activité agricole ou, lorsque la surface est également utilisée aux fins d’activités non agricoles, qui est essentiellement utilisée à des fins agricoles ;
[...]
[...] »
Le règlement délégué (UE) no 639/2014
7 Le considérant 4 du règlement délégué (UE) no 639/2014 de la Commission, du 11 mars 2014, complétant le règlement (UE) no 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil, établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et modifiant l’annexe X dudit règlement (JO 2014, L 181, p. 1), abrogé par le règlement délégué (UE) 2022/2529 de la Commission, du 17 octobre 2022 (JO 2022, L 328, p. 74), mais
applicable ratione temporis au litige au principal, était libellé en ces termes :
« Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, il convient de préciser que les États membres, lorsqu’ils adoptent des mesures de mise en œuvre du droit de l’Union, devraient exercer leur pouvoir discrétionnaire en respectant certains principes, et plus particulièrement le principe de non-discrimination ».
8 L’article 4 de ce règlement délégué, intitulé « Cadre concernant les critères relatifs au maintien de la surface agricole dans un état qui la rend adaptée au pâturage ou à la culture », disposait :
« 1. Aux fins de l’article 4, paragraphe 1, point c), ii), du règlement (UE) no 1307/2013, les critères à remplir par les agriculteurs pour respecter l’obligation de maintien d’une surface agricole dans un état qui la rend adaptée au pâturage ou à la culture sans action préparatoire allant au-delà de pratiques agricoles courantes ou du recours à des machines agricoles courantes, sont définis par les États membres selon l’une des modalités suivantes, ou selon les deux :
a) les États membres exigent que l’agriculteur exerce au moins une activité annuelle. Lorsque des raisons environnementales le justifient, les États membres peuvent décider de reconnaître également les activités qui ne sont exercées que tous les deux ans ;
b) les États membres déterminent les caractéristiques que doit présenter une surface agricole afin d’être considérée comme maintenue dans un état qui la rend adaptée au pâturage ou à la culture.
2. Lors de la définition des critères visés au paragraphe 1, les États membres peuvent établir une distinction entre les différents types de surfaces agricoles. »
Le droit espagnol
9 L’article 11, paragraphes 2 et 3, du Real Decreto 1075/2014, sobre la aplicación a partir de 2015 de los pagos directos a la agricultura y a la ganadería y otros regímenes de ayuda, así como sobre la gestión y control de los pagos directos y de los pagos al desarrollo rural (décret royal 1075/2014, relatif à la mise en œuvre à compter de 2015 des paiements directs à l’agriculture et à l’élevage ainsi que d’autres régimes d’aide, et à la gestion et au contrôle des paiements directs et des paiements
en faveur du développement rural), du 19 décembre 2014 (BOE no 307, du 20 décembre 2014, p. 103644), tel que modifié par le Real Decreto 41/2021, por el que se establecen las disposiciones específicas para la aplicación en los años 2021 y 2022 de los Reales Decretos 1075/2014, 1076/2014, 1077/2014 y 1078/2014, todos ellos de 19 de diciembre, dictados para la aplicación en España de la Política Agrícola Común (décret royal 41/2021, établissant les dispositions spécifiques pour l’application pour
les années 2021 et 2022 des décrets royaux 1075/2014, 1076/2014, 1077/2014 et 1078/2014, du 19 décembre 2014, adoptés aux fins de l’application en Espagne de la politique agricole commune), du 26 janvier 2021 (BOE no 23, du 27 janvier 2021, p. 7955), disposait :
« 2. Pour chaque parcelle ou enclos, le demandeur déclare dans sa demande d’aide la culture ou l’utilisation auxquelles ils sont destinés ou, le cas échéant, indique si l’enclos fait l’objet de travaux de maintien. Il est expressément précisé dans la demande si les enclos de prairie sont destinés à une production basée sur le pâturage ou, dans le cas des pâturages, sur le pâturage ou le fauchage, ou uniquement à un maintien basé sur les activités visées à l’annexe IV.
Dans le cas des prairies permanentes de propriété publique utilisées en commun, seule est autorisée la production basée sur le pâturage au moyen des animaux provenant de la propre exploitation du demandeur, à l’exclusion des animaux des administrations propriétaires desdites prairies, des animaux des gestionnaires chargés de l’intermédiation sur le marché et des animaux des éleveurs n’attestant pas avoir utilisé la prairie, selon le cas, conformément aux conditions auxquelles les bénéficiaires de
ladite prairie se sont vu accorder son usage à titre communal, ou conformément aux conditions, dûment attestées dans le titre correspondant, auxquelles a été subordonné l’usage de ladite prairie en tant que bien relevant du domaine privé ou public. Dans certaines circonstances, les autorités compétentes des communautés autonomes peuvent également autoriser la production sur la base du fauchage des pâturages de propriété publique utilisés en commun, à condition qu’il soit établi que ce fauchage,
aux fins de l’utilisation par le propriétaire de l’exploitation qui demande l’aide, relève de l’activité agricole effectivement exercée par ledit propriétaire. Les activités de maintien énumérées à l’annexe IV ne sont en aucun cas autorisées.
3. Le demandeur indique expressément et avec exactitude dans sa demande que les cultures et utilisations ainsi que les activités de maintien déclarées sont le reflet exact et fidèle de son activité agricole. Si, à la suite d’un contrôle administratif, sur place ou de suivi, effectué par l’autorité compétente, il est constaté que les cultures ou les activités consistant à utiliser ou entretenir les surfaces n’ont pas été réalisées, et que les déclarations sont fausses, inexactes ou faites avec
négligence et que, en outre, cette absence de concordance a eu une incidence sur le respect des exigences relatives à l’activité agricole sur les surfaces concernées, l’autorité compétente pourra considérer qu’il s’agit d’un cas de création de conditions artificielles en vue de bénéficier de l’aide et cette dernière sera soumise au régime de sanctions prévu à l’article 102. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 L’Asoprovac a formé un recours devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) visant à l’annulation du cinquième paragraphe de la première disposition finale du décret royal 41/2021 qui modifie l’article 11, paragraphes 2 et 3, du décret royal 1075/2014.
11 Au soutien de son recours, cette association a notamment fait valoir que l’exigence selon laquelle les animaux paissant sur les prairies permanentes de propriété publique à usage commun doivent provenir de l’exploitation du demandeur d’aide est nouvelle et qu’elle méconnaît le règlement no 1307/2013 ainsi que le règlement no 1306/2013.
12 En premier lieu, l’article 11, paragraphes 2 et 3, du décret royal 1075/2014, tel que modifié par le décret royal 41/2021, violerait les articles 4 et 32 du règlement no 1307/2013 ainsi que l’article 4 du règlement délégué no 639/2014 au motif que l’État espagnol établirait des conditions d’éligibilité aux aides directes à la surface qui viendraient s’ajouter à celles que prévoit la réglementation de l’Union.
13 En deuxième lieu, cette réglementation nationale violerait l’article 60 du règlement no 1306/2013, ainsi que la jurisprudence de la Cour relative à la création artificielle de conditions d’accès aux aides, dès lors qu’elle instaurerait une présomption irréfragable de fraude et exclurait les éleveurs pratiquant l’élevage intensif de bovins du bénéfice de ces aides.
14 En troisième lieu, ladite réglementation nationale établirait un traitement discriminatoire entre les éleveurs pratiquant l’élevage intensif de bovins à un double titre. D’une part, une première discrimination existerait entre les éleveurs espagnols et ceux qui sont ressortissants d’un autre État membre de l’Union. D’autre part, il y aurait une seconde discrimination au sein des éleveurs espagnols eux-mêmes, selon qu’ils font paître leurs bovins sur des prairies permanentes de propriété publique
à usage commun ou sur des prairies privées.
15 Dans ces conditions, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 4 et l’article 32, paragraphe 2, du [règlement no 1307/2013] ainsi que l’article 60 du [règlement no 1306/2013] doivent–ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale telle que le décret royal 41/2021 qui, afin d’éviter la création de conditions artificielles lors de la concession de prairies permanentes de propriété publique à usage commun à des bénéficiaires qui ne les utilisent pas, prévoit que l’activité de pâturage ne sera éligible que si elle
est réalisée avec des animaux de leur propre exploitation ?
2) L’article 60 du [règlement no 1306/2013] relatif à la création de conditions artificielles en vue d’obtenir des aides doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que le décret royal 41/2021 qui établit une présomption de création artificielle de conditions d’accès aux aides dans les cas où l’activité agricole de pâturage sur des prairies permanentes de propriété publique à usage commun est exercée avec des animaux qui n’appartiennent pas à la propre
exploitation du demandeur de l’aide ?
3) L’article 4, paragraphe 1, sous c), du [règlement no 1307/2013] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que le décret royal 1075/2014 [...] en vertu duquel le pâturage de surfaces agricoles ne saurait être qualifié d’activité de maintien de ces surfaces dans un état qui les rend adaptées au pâturage ?
4) L’article 4, paragraphe 1, sous c), du [règlement no 1307/2013] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que le décret royal 1075/2014 [...] en vertu duquel les personnes qui sont uniquement titulaires d’un droit de pâturage non exclusif sur des terrains dont elles ne sont pas propriétaires et qui cèdent ce droit à un tiers afin que ce dernier puisse utiliser les prairies pour nourrir son bétail, n’exercent pas une activité agricole relevant de
celles visées au point i), de l’article 4, paragraphe 1, sous c), précité ?
5) L’article 4, paragraphe 1, sous b) et c), du [règlement no 1307/2013] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que le décret royal 1075/2014 [...] en vertu duquel les personnes qui sont uniquement titulaires d’un droit de pâturage non exclusif sur des terrains à usage commun dont elles ne sont pas propriétaires ne peuvent pas être considérées comme des gestionnaires des prairies sur lesquelles porte ce droit de pâturage aux fins de l’exercice des
activités de maintien de ces surfaces agricoles dans un état qui les rend adaptées au pâturage ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
16 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4 et l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui, afin d’éviter que soient créées artificiellement les conditions requises pour l’obtention d’une aide lors de la concession de prairies permanentes de propriété publique à usage commun à des agriculteurs qui ne les utilisent pas, exige que l’activité de pâturage sur
ces prairies soit exercée au moyen des animaux appartenant à la propre exploitation de l’agriculteur demandeur d’aide.
17 Conformément à l’article 32, paragraphe 1, du règlement no 1307/2013, l’aide au titre du régime de paiement de base est octroyée aux agriculteurs, sur la base d’une déclaration, conformément à l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement, après activation d’un droit au paiement par « hectare admissible » dans l’État membre où le droit au paiement a été attribué.
18 La notion d’« hectare admissible », définie à l’article 32, paragraphe 2, dudit règlement, couvre, en substance, toute surface agricole de l’exploitation qui est utilisée aux fins d’une activité agricole. Il en découle que, pour pouvoir être présenté à l’appui d’une demande visant à bénéficier d’un soutien financier au titre du régime de paiement direct prévu par le droit de l’Union, un hectare doit répondre à trois conditions, à savoir constituer une surface agricole sur laquelle est exercée une
activité agricole, qui est rattachée à une exploitation.
19 À cet égard, il y a lieu de relever tout d’abord que la notion de « surface agricole » est définie à l’article 4, paragraphe 1, sous e), du même règlement comme étant l’ensemble de la superficie des terres arables, des prairies permanentes et des pâturages permanents ou des cultures permanentes.
20 Ensuite, l’article 4, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1307/2013 définit la notion d’« activité agricole » comme couvrant, en substance, trois types d’activités à savoir, premièrement, la production, l’élevage ou la culture de produits agricoles, y compris la récolte, la traite, l’élevage et la détention d’animaux à des fins agricoles, deuxièmement, le maintien d’une surface agricole dans un état qui la rend adaptée au pâturage ou à la culture sans action préparatoire allant au-delà de
pratiques agricoles courantes sur la base de critères à définir par les États membres et, troisièmement, l’exercice d’une activité minimale sur les surfaces agricoles naturellement conservées dans un état qui les rend adaptées au pâturage.
21 Ainsi, lorsque l’agriculteur n’exerce aucune des trois activités mentionnées à l’article 4, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1307/2013 sur la surface agricole déclarée, ou qu’il n’exerce qu’une activité négligeable sur celle-ci, il ne saurait être considéré comme y exerçant une activité agricole.
22 Pour autant, cette disposition demeure silencieuse quant au point de savoir si cette activité agricole doit être effectuée par l’agriculteur demandeur d’aide lui-même ou si cette activité peut être effectuée par un tiers dans le cadre d’une cession d’un droit non exclusif de pâturage sur une prairie permanente de propriété publique et à usage commun.
23 Enfin, la notion d’« exploitation » est définie à l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1307/2013 comme étant constituée de l’ensemble des unités utilisées aux fins d’activités agricoles et gérées par un agriculteur qui sont situées sur le territoire d’un même État membre.
24 La Cour a ainsi jugé que les unités de production gérées par un agriculteur incluent non seulement les superficies agricoles mais également les animaux qui sont utilisés pour le pâturage, pour autant que cet agriculteur détienne sur ces animaux un pouvoir de disposition suffisant aux fins de l’exercice de son activité agricole, ce qu’il appartient à la juridiction nationale compétente d’apprécier, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022,
Avio Lucos, C‑176/20, EU:C:2022:274, point 36).
25 La notion de gestion n’implique pas l’existence au profit de l’agriculteur d’un pouvoir de disposition illimité sur la superficie concernée ou sur les animaux concernés dans le cadre de l’utilisation de ceux-ci à des fins agricoles mais suppose l’existence d’une autonomie suffisante de cet agriculteur aux fins de l’exercice de son activité agricole (voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 2010, Landkreis Bad Dürkheim, C‑61/09, EU:C:2010:606, points 61 et 62, ainsi que du 7 avril 2022, Avio Lucos,
C‑116/20, EU:C:2022:273, point 49).
26 Ainsi, l’agriculteur doit être en mesure d’exercer un certain pouvoir de décision dans le cadre de l’utilisation de la superficie concernée aux fins de l’exercice, par celui-ci, sur cette superficie, de son activité agricole (arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑116/20, EU:C:2022:273, point 50 et jurisprudence citée).
27 Dès lors, pour être éligible au régime de paiement direct prévu à l’article 32 du règlement no 1307/2013, il importe que l’agriculteur exerce sur la surface agricole qu’il déclare à l’appui de sa demande un certain pouvoir de décision quant à l’utilisation de la superficie concernée aux fins de l’exercice de son activité agricole. Dans ce contexte, la simple cession à un éleveur tiers d’un droit au pâturage non exclusif sur des prairies permanentes de propriété publique et à usage commun, sans
aucun maintien d’un pouvoir de décision de l’agriculteur demandeur d’aide sur l’activité exercée sur ces prairies par les animaux d’un éleveur tiers, ne saurait être considérée, en tant que telle, comme une « activité agricole » au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous c), de ce règlement.
28 En l’occurrence, il ressort de l’article 11, paragraphe 2, premier alinéa, du décret royal 1075/2014, tel que modifié par le décret royal 41/2021, que, dans sa demande d’aide, le demandeur déclare l’utilisation qu’il destine à l’enclos ou à la parcelle déclarée, à savoir plus précisément, pour le cas des prairies, une utilisation de pâturage. Le second alinéa de cette disposition prévoit, en substance, que, dans le cas des prairies permanentes de propriété publique à usage commun, seule est
autorisée, en principe, l’activité de production basée sur le pâturage au moyen des animaux de la propre exploitation du demandeur.
29 En exigeant que l’activité de pâturage soit exercée au moyen des animaux appartenant à la propre exploitation du demandeur, il n’apparaît pas que les autorités espagnoles aient établi des conditions supplémentaires d’éligibilité par rapport à celles prévues à l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013, tel qu’énoncé au point 18 du présent arrêt. Au contraire, cette exigence semble s’inscrire dans le cadre de la définition de l’exploitation, dès lors que cette réglementation nationale
se limite à rappeler que le demandeur doit disposer d’un pouvoir de disposition suffisant sur ces animaux aux fins de l’exercice de son activité agricole, sans pour autant imposer la détention d’un droit de propriété sur ces derniers.
30 Cela étant, il convient d’observer que, compte tenu de la marge d’appréciation dont ils disposent dans le cadre de régimes de soutien relevant de la PAC, les États membres doivent, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, exercer cette marge d’appréciation en respectant les objectifs poursuivis par la réglementation de l’Union et les principes généraux du droit de l’Union, en particulier le principe de proportionnalité, qui exige que les moyens mis en œuvre par une disposition soient
aptes à réaliser l’objectif visé et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑176/20, EU:C:2022:274, points 40 et 42).
31 À cet égard, et bien qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si ce principe a été respecté dans le cadre de la réglementation nationale en cause au principal, il importe de relever que, ainsi que cela ressort tant des indications de la juridiction de renvoi que des observations du gouvernement espagnol et de la Commission, cette exigence a été imposée afin, d’une part, de lutter contre les pratiques abusives et les fraudes et, d’autre part, d’assurer un niveau de vie équitable à la
population agricole. En effet, compte tenu de la nature même des prairies en cause, à savoir des zones souvent montagneuses sur lesquelles peuvent paître des animaux appartenant à différentes exploitations et sur lesquelles ces derniers peuvent se déplacer librement, il serait particulièrement difficile de s’assurer non seulement de l’effectivité du pâturage mais surtout de vérifier quels agriculteurs exercent effectivement une activité agricole de pâturage sur ces prairies permanentes de
propriété publique à usage commun.
32 En l’occurrence, ces deux objectifs correspondent à ceux poursuivis par la réglementation de l’Union. D’une part, l’article 39, paragraphe 1, sous b), TFUE énonce que les régimes de soutien relevant de la PAC fournissent une aide directe au revenu, qui a pour but d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture.
33 D’autre part, ainsi que l’ont relevé le gouvernement espagnol et la Commission dans leurs observations écrites, cette réglementation nationale a été adoptée en vue de mettre en œuvre l’article 58, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, qui autorise les États membres à prendre les mesures législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour assurer la protection efficace des intérêts financiers de l’Union et, plus particulièrement, pour s’assurer de la légalité et de la régularité
des opérations financées par les Fonds de l’Union ainsi que pour assurer une prévention efficace de la fraude, notamment dans les zones à plus haut niveau de risque.
34 S’agissant de l’aptitude de la réglementation nationale en cause au principal à atteindre de tels objectifs, il suffit de constater, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, que celle-ci paraît apte à les réaliser, dès lors qu’elle vise, ainsi qu’il ressort du point 31 du présent arrêt, à s’assurer de l’exercice effectif d’une activité agricole de pâturage sur ces prairies permanentes de propriété publique à usage commun.
35 L’exigence visée au point 29 du présent arrêt ne semble pas non plus aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier, dès lors qu’elle se limite à exiger que l’activité agricole de pâturage sur ces prairies permanentes de propriété publique à usage commun soit effectuée au moyen des animaux de la propre exploitation du demandeur, sans pour autant exiger que ce dernier détienne un droit de propriété sur ces animaux.
36 Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 4 et l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, afin d’éviter que soient créées artificiellement les conditions requises pour l’obtention d’une aide lors de la concession de prairies permanentes de propriété publique à usage commun à des agriculteurs qui ne les utilisent pas, exige que l’activité
de pâturage sur ces prairies soit exercée au moyen des animaux appartenant à la propre exploitation de l’agriculteur demandeur d’aide.
Sur la deuxième question
37 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 60 du règlement no 1306/2013 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui, afin d’éviter que soient créées artificiellement les conditions requises pour l’obtention d’une aide lors de la concession de prairies permanentes de propriété publique à usage commun à des agriculteurs qui ne les utilisent pas, exige que l’activité de pâturage sur ces prairies soit exercée au moyen
des animaux appartenant à la propre exploitation de l’agriculteur demandeur d’aide.
38 Aux termes de l’article 60 de ce règlement, sans préjudice de dispositions particulières, aucun des avantages prévus par la législation agricole sectorielle n’est accordé en faveur des personnes physiques ou morales dont il est établi qu’elles ont créé artificiellement les conditions requises en vue de l’obtention de ces avantages, en contradiction avec les objectifs visés par cette législation.
39 Au regard de ces termes, l’article 60 dudit règlement constitue, en substance, une réitération de dispositions antérieures, opérant la codification d’une jurisprudence existante selon laquelle les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑176/20, EU:C:2022:274, point 68, ainsi que du 9 février 2023, Druvnieks, C‑668/21, EU:C:2023:82, point 31).
40 Il est en effet de jurisprudence constante que l’application des règlements de l’Union ne saurait être étendue jusqu’à couvrir des pratiques abusives d’opérateurs économiques (arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑176/20, EU:C:2022:274, point 69 et jurisprudence citée).
41 Or, la Cour a jugé que la preuve d’une pratique abusive dans le chef du bénéficiaire potentiel d’une aide nécessite, d’une part, un ensemble de circonstances objectives d’où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation pertinente, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint et, d’autre part, un élément subjectif consistant dans la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union en créant artificiellement les
conditions requises pour son obtention (arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑176/20, EU:C:2022:274, point 70 et jurisprudence citée).
42 Au demeurant, la Cour a précisé qu’il incombe à la juridiction nationale d’établir l’existence de ces deux éléments, dont la preuve doit être rapportée conformément aux règles du droit national, pour autant qu’il ne soit pas porté atteinte à l’efficacité du droit de l’Union (arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑176/20, EU:C:2022:274, point 71 et jurisprudence citée).
43 Il en découle que serait contraire à l’article 60 du règlement no 1306/2013 une réglementation nationale qui établirait, de façon générale et hors de toute appréciation des circonstances concrètes, une présomption de création artificielle de conditions d’accès aux aides au cas où l’activité agricole de pâturage sur des prairies permanentes de propriété publique à usage commun est exercée avec des animaux qui n’appartiennent pas à la propre exploitation du demandeur d’aide.
44 Or, en l’occurrence, sous réserve de vérifications par la juridiction de renvoi, la réglementation nationale en cause au principal n’établit pas une présomption de création artificielle de conditions d’accès aux aides visée à cet article 60.
45 En effet, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, l’article 11, paragraphe 2, premier alinéa, du décret royal 1075/2014, tel que modifié par le décret royal 41/2021, prévoit, en substance, que le demandeur déclare dans sa demande d’aide l’utilisation à laquelle il destine l’enclos ou la parcelle déclarée à savoir, plus précisément, pour le cas des prairies, une utilisation de pâturage. L’article 11, paragraphe 2, second alinéa, de ce décret royal, prévoit, en substance, que, dans le cas des
prairies permanentes de propriété publique à usage commun, seule est autorisée, en principe, l’activité de production basée sur le pâturage au moyen des animaux de la propre exploitation du demandeur. Le même article 11, à son paragraphe 3, laisse à l’autorité administrative compétente le soin d’apprécier, dans des circonstances concrètes, si une déclaration est fausse, inexacte ou faite avec négligence, et si cette absence de concordance a eu une incidence sur le respect des exigences relatives
à l’activité agricole sur les surfaces concernées de telle sorte qu’elle pourra considérer qu’il s’agit d’un cas de création artificielle de conditions d’accès à l’aide.
46 Ainsi qu’il a été rappelé au point 33 du présent arrêt, cette réglementation a été adoptée dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 58 paragraphe 1, de ce règlement, lequel autorise les États membres à prendre, dans le cadre de la PAC, les mesures législatives, réglementaires ou administratives nécessaires pour assurer une protection efficace des intérêts financiers de l’Union et, plus particulièrement, pour s’assurer de la légalité et de la régularité des opérations financées par les Fonds
ainsi que pour assurer une prévention efficace de la fraude, notamment dans les zones à plus haut niveau de risque.
47 Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 60 du règlement no 1306/2013 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, afin d’éviter que soient créées artificiellement les conditions requises pour l’obtention d’une aide lors de la concession de prairies permanentes de propriété publique à usage commun à des agriculteurs qui ne les utilisent pas, exige que l’activité de pâturage sur ces prairies soit
exercée au moyen des animaux appartenant à la propre exploitation de l’agriculteur demandeur d’aide.
Sur la troisième question
48 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1307/2013 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut que l’activité de pâturage sur une prairie permanente de propriété publique à usage commun puisse être qualifiée d’activité de maintien de ces surfaces dans un état qui les rend adaptées au pâturage.
49 À cet égard, il convient de relever que la juridiction de renvoi s’interroge au regard du point ii) de cette disposition qui prévoit, en substance, que la notion d’« activité agricole » couvre le maintien d’une surface agricole dans un état qui la rend adaptée au pâturage sans action préparatoire allant au-delà de pratiques agricoles courantes sur la base de critères à définir par les États membres en se fondant sur un cadre établi par la Commission.
50 L’article 4, paragraphe 1, sous c), ii), du règlement no 1307/2013 doit se lire en combinaison avec l’article 4, paragraphe 2, sous a), de ce règlement qui énonce que les États membres définissent les critères à remplir par les agriculteurs pour respecter l’obligation de maintien d’une surface agricole dans un état qui la rend adaptée au pâturage ou à la culture.
51 Dès lors que l’activité de maintien n’est pas définie à ces dispositions ni à aucune autre disposition de ce règlement, les États membres disposent d’une marge d’appréciation pour fixer les critères relatifs au maintien d’une surface agricole dans un état qui la rend adaptée au pâturage.
52 Quant à la question de savoir si cette marge d’appréciation inclut la possibilité, pour un État membre, d’exclure, dans sa réglementation nationale, l’activité de pâturage de surfaces agricoles comme une activité de maintien de ces surfaces dans un état qui les rend adaptées au pâturage, il convient encore de relever que l’article 4, paragraphe 3, sous a), du règlement no 1307/2013 dispose que, afin de garantir la sécurité juridique, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués en vue
d’établir le cadre dans lequel les États membres doivent établir les critères à remplir par les agriculteurs pour respecter l’obligation de maintien d’une surface agricole dans un état adapté au pâturage.
53 Or, le règlement délégué no 639/2014, adopté à cet effet, tout en énonçant à son considérant 4 que les États membres, lorsqu’ils adoptent des mesures de mise en œuvre du droit de l’Union, devraient exercer leur pouvoir discrétionnaire en respectant notamment le principe de non-discrimination, se limite à prévoir, à son article 4, paragraphe 1, que les États membres définissent les critères à remplir par les agriculteurs pour respecter l’obligation de maintien d’une surface agricole dans un état
qui la rend adaptée au pâturage ou à la culture, sans action préparatoire allant au-delà de pratiques agricoles courantes ou du recours à des machines agricoles courantes, selon l’une des modalités suivantes, ou selon les deux, à savoir, en substance, en exigeant que l’agriculteur exerce au moins une activité annuelle et/ou en déterminant les caractéristiques que doit présenter une surface agricole afin d’être considérée comme maintenue dans un état qui la rend adaptée au pâturage ou à la
culture. Le paragraphe 2 de cet article prévoit que, lors de la définition de ces critères, les États membres peuvent établir une distinction entre les différents types de surfaces agricoles.
54 Il s’ensuit que, si l’activité de maintien doit, en principe, être exercée par l’agriculteur sur une surface agricole donnée au moins une fois par année, l’article 4 du règlement délégué no 639/2014 n’interdit pas à un État membre d’exclure que l’activité de pâturage sur une prairie permanente de propriété publique à usage commun puisse être qualifiée d’activité de maintien de ces surfaces dans un état qui les rend adaptées au pâturage.
55 Cette interprétation est cohérente avec l’objectif rappelé au point 33 du présent arrêt consistant à protéger les intérêts financiers de l’Union en luttant contre les irrégularités et les fraudes. En effet, compte tenu de la nature même des prairies en cause, mentionnée au point 31 du présent arrêt, à savoir des zones souvent montagneuses sur lesquelles peuvent paître des animaux de différentes exploitations et sur lesquelles ces derniers peuvent se déplacer librement, il serait particulièrement
difficile, si ce n’est impossible, de vérifier sur une même prairie permanente de propriété publique à usage commun quels agriculteurs exercent effectivement une activité de pâturage de production et ceux qui exercent une activité de maintien de ces surfaces dans un état qui les rend adaptées au pâturage, dès lors que ces deux activités seraient en substance identiques.
56 Eu égard aux motifs qui précèdent, l’article 4, paragraphe 1, sous c), ii), du règlement no 1307/2013 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui exclut que l’activité de pâturage sur une prairie permanente de propriété publique à usage commun puisse être qualifiée d’activité de maintien de ces surfaces dans un état qui les rend adaptées au pâturage.
Sur les quatrième et cinquième questions
57 Par ses quatrième et cinquième questions, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 1307/2013 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle une personne qui est uniquement titulaire d’un droit de pâturage non exclusif sur des prairies permanentes de propriété publique à usage commun et qui cède ce droit à un éleveur tiers afin que ce dernier
exerce l’activité de pâturage au moyen de ses propres animaux, n’exerce pas d’activité agricole au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous c), i), de ce règlement et ne peut être considérée comme gérant ces prairies aux fins de l’exercice d’une activité de maintien de cette surface dans un état qui la rend adaptée au pâturage, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous c), ii), dudit règlement.
58 En premier lieu, aux termes de l’article 4, paragraphe 1, sous c), i), du règlement no 1307/2013, la notion d’« activité agricole » recouvre la production, l’élevage ou la culture de produits agricoles, y compris la traite, l’élevage et la détention d’animaux à des fins agricoles.
59 Il s’ensuit que cette disposition n’exclut pas expressément de la notion d’« activité agricole » la cession d’un droit de pâturage non exclusif sur des prairies permanentes de propriété publique à usage commun à un éleveur tiers afin que ce dernier exerce l’activité de pâturage au moyen de ses propres animaux.
60 Pour autant, et ainsi qu’il a été rappelé au point 27 du présent arrêt, pour être éligible au régime de paiement direct prévu à l’article 32 du règlement no 1307/2013, il importe que l’agriculteur exerce sur la surface agricole qu’il déclare à l’appui de sa demande un certain pouvoir de décision quant à l’utilisation de la superficie concernée aux fins de l’exercice de son activité agricole, ce qui implique qu’il détienne un pouvoir de disposition suffisant ainsi qu’une autonomie suffisante aux
fins de l’exercice de son activité agricole.
61 Partant, la cession à un éleveur tiers d’un droit au pâturage non exclusif sur des prairies permanentes de propriété publique et à usage commun, sans aucun maintien d’un pouvoir de décision de l’agriculteur demandeur d’aide sur l’activité exercée sur ces prairies par les animaux d’un éleveur tiers, ne saurait être considérée comme une « activité agricole », au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous c), de ce règlement.
62 En second lieu, il ressort de l’article 4, paragraphe 1, sous c), ii), du règlement no 1307/2013 que la notion d’« activité agricole » recouvre l’activité de maintien d’une surface agricole dans un état qui la rend adaptée au pâturage sur la base de critères à définir par les États membres en se fondant sur un cadre établi par la Commission.
63 Cette disposition n’exclut toutefois pas expressément de la notion d’« activité agricole » la cession d’un droit de pâturage non exclusif sur des prairies permanentes de propriété publique à usage commun à un éleveur tiers afin que ce dernier exerce l’activité de pâturage au moyen de ses propres animaux.
64 Pour autant, et ainsi qu’il a été rappelé au point 18 du présent arrêt, cette activité doit être exercée dans le cadre d’une exploitation, ce qui implique que l’agriculteur cédant détienne un pouvoir de disposition suffisant sur les animaux aux fins de l’exercice de son activité agricole.
65 Or, il ne ressort pas des indications de la juridiction de renvoi que la cession d’un droit de pâturage non exclusif sur ces prairies s’accompagne de dispositions maintenant un pouvoir de disposition suffisant de l’agriculteur cédant sur l’activité de pâturage et sur les animaux de l’éleveur tiers permettant d’apprécier si cet agriculteur exerce une activité de maintien d’une surface agricole dans un état qui la rend adaptée au pâturage.
66 Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre aux quatrième et cinquième questions que l’article 4, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 1307/2013 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle une personne qui est uniquement titulaire d’un droit de pâturage non exclusif sur des prairies permanentes de propriété publique à usage commun et qui cède ce droit à un éleveur tiers afin que ce dernier exerce l’activité de
pâturage au moyen de ses propres animaux, n’exerce pas d’activité agricole au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous c), i), de ce règlement et ne peut être considérée comme gérant ces prairies aux fins de l’exercice d’une activité de maintien de cette surface dans un état qui la rend adaptée au pâturage au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous c), ii), dudit règlement.
Sur les dépens
67 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :
1) L’article 4 et l’article 32, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (CE) no 637/2008 du Conseil et le règlement (CE) no 73/2009 du Conseil,
doivent être interprétés en ce sens que :
ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, afin d’éviter que soient créées artificiellement les conditions requises pour l’obtention d’une aide lors de la concession de prairies permanentes de propriété publique à usage commun à des agriculteurs qui ne les utilisent pas, exige que l’activité de pâturage sur ces prairies soit exercée au moyen des animaux appartenant à la propre exploitation de l’agriculteur demandeur d’aide.
2) L’article 60 du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, (CE) no 1200/2005 et no 485/2008 du Conseil,
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, afin d’éviter que soient créées artificiellement les conditions requises pour l’obtention d’une aide lors de la concession de prairies permanentes de propriété publique à usage commun à des agriculteurs qui ne les utilisent pas, exige que l’activité de pâturage sur ces prairies soit exercée au moyen des animaux appartenant à la propre exploitation de l’agriculteur demandeur d’aide.
3) L’article 4, paragraphe 1, sous c), ii), du règlement no 1307/2013
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui exclut que l’activité de pâturage sur une prairie permanente de propriété publique à usage commun puisse être qualifiée d’activité de maintien de ces surfaces dans un état qui les rend adaptées au pâturage.
4) L’article 4, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 1307/2013
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle une personne qui est uniquement titulaire d’un droit de pâturage non exclusif sur des prairies permanentes de propriété publique à usage commun et qui cède ce droit à un éleveur tiers afin que ce dernier exerce l’activité de pâturage au moyen de ses propres animaux, n’exerce pas d’activité agricole au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous c), i), de ce règlement et ne peut être considérée comme gérant ces prairies aux fins
de l’exercice d’une activité de maintien de cette surface dans un état qui la rend adaptée au pâturage au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous c), ii), dudit règlement.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.