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27/06/2024 | CJUE | N°C-168/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Prysmian Cabluri şi Sisteme SA contre Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Craiova – Direcţia Regională Vamală Craiova e.a., 27/06/2024, C-168/23


 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

27 juin 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Union douanière – Tarif douanier commun – Nomenclature combinée – Classement tarifaire – Câbles de fibres optiques – Sous‑positions 85447000 et 90011090 – Modification des notes explicatives de la nomenclature combinée – Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime »

Dans l’affaire C‑168/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l

e Tribunalul Olt (tribunal de grande instance d’Olt, Roumanie), par décision du 1er mars 2023, parvenue à la Cour le 17 mars 2...

 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

27 juin 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Union douanière – Tarif douanier commun – Nomenclature combinée – Classement tarifaire – Câbles de fibres optiques – Sous‑positions 85447000 et 90011090 – Modification des notes explicatives de la nomenclature combinée – Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime »

Dans l’affaire C‑168/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Olt (tribunal de grande instance d’Olt, Roumanie), par décision du 1er mars 2023, parvenue à la Cour le 17 mars 2023, dans la procédure

Prysmian Cabluri şi Sisteme SA

contre

Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Craiova – Direcţia Regională Vamală Craiova,

Autoritatea Vamală Română,

Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală de Administrare a Marilor Contribuabili,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Piçarra (rapporteur), président de chambre, MM. N. Jääskinen et M. Gavalec, juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Prysmian Cabluri şi Sisteme SA, par Me O. Goran, avocat,

– pour le gouvernement roumain, par Mmes E. Gane, L. Ghiţă et A. Wellman, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mmes M. Salyková et E. A. Stamate, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des sous‑positions 85447000 et 90011090 de la nomenclature combinée (ci-après la « NC ») figurant à l’annexe I du règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO 1987, L 256, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 254/2000 du Conseil, du 31 janvier 2000 (JO 2000, L 28, p. 16), dans sa version résultant du règlement d’exécution (UE)
no 2017/1925 de la Commission, du 12 octobre 2017 (JO 2017, L 282, p. 1) (ci-après le « règlement no 2658/87 »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Prysmian Cabluri şi Sisteme SA (ci-après « Prysmian ») à l’Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Craiova – Direcţia Regională Vamală Craiova (agence nationale d’administration fiscale – direction générale régionale des finances publiques de Craiova – direction régionale des douanes de Craiova, Roumanie), à l’Autoritatea Vamală Română (autorité des douanes de la Roumanie) et à
l’Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală de Administrare a Marilor Contribuabili (agence nationale de l’administration fiscale – direction générale pour l’administration des grands contribuables, Roumanie) au sujet du caractère prétendument erroné du classement, par Prysmian, de câbles de fibres optiques dans la sous‑position 85447000 de la NC au lieu de la sous-position 90011090 de celle‑ci.

Le cadre juridique

Le SH

3 Le système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (ci‑après le « SH ») a été institué par la convention internationale sur le système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, conclue à Bruxelles, le 14 juin 1983, dans le cadre de l’Organisation mondiale des douanes (OMD), et approuvée, avec son protocole d’amendement du 24 juin 1986, au nom de la Communauté économique européenne, par la décision 87/369/CEE du Conseil, du 7 avril 1987 (JO 1987, L 198,
p. 1).

4 Les notes explicatives du SH énoncent, à propos de la position 8544 du SH, intitulée « Fils, câbles (y compris les câbles coaxiaux) et autres conducteurs isolés pour l’électricité (même laqués ou oxydés anodiquement), munis ou non de pièces de connexion ; câbles de fibres optiques, constitués de fibres gainées individuellement, même comportant des conducteurs électriques ou munis de pièces de connexion » :

« Cette position couvre, dès lors qu’ils sont isolés pour l’électricité, les fils, câbles et autres conducteurs (tresses, bandes, barres, par exemple) de tous types, utilisés comme conducteurs électriques, qu’ils soient destinés à l’appareillage des machines ou installations ou au montage comme canalisations intérieures ou extérieures (souterraines, sous-marines, aériennes, etc.). Il s’agit de toute une gamme d’articles allant du simple fil isolé, parfois très fin, jusqu’aux câbles complexes de
gros diamètre.

Les conducteurs non métalliques sont également inclus dans cette position.

[...]

Sont également compris ici les câbles de fibres optiques, constitués de fibres gainées individuellement, même comportant des conducteurs électriques ou munis de pièces de connexion. Généralement les gaines sont de couleur différente afin de permettre l’identification des fibres aux extrémités du câble. Les câbles de fibres optiques sont principalement utilisés pour la télécommunication en raison de leur capacité de transmission des données supérieure à celle des conducteurs électriques. »

5 Les notes explicatives du SH énoncent, à propos de la position 9001 du SH, intitulée « Fibres optiques et faisceaux de fibres optiques ; câbles de fibres optiques autres que ceux du no 85.44 ; matières polarisantes en feuilles ou en plaques ; lentilles (y compris les verres de contact), prismes, miroirs et autres éléments d’optique en toutes matières, non montés, autres que ceux en verre non travaillé optiquement » :

« [...] La présente position comprend :

A) Les fibres optiques et faisceaux de fibres optiques, ainsi que les câbles de fibres optiques autres que ceux du no 85.44.

Les fibres optiques sont constituées de couches concentriques de verre ou de matières plastiques d’indices de réfraction différents. Celles en verre sont recouvertes d’une très fine couche de matière plastique, invisible à l’œil nu et destinée à leur donner une certaine flexibilité. Les fibres optiques se présentent habituellement en rouleaux qui peuvent avoir plusieurs kilomètres de longueur. Elles sont utilisées dans la fabrication des faisceaux et des câbles de fibres optiques.

Les faisceaux de fibres optiques se présentent soit sous forme d’éléments rigides dans lesquels les fibres sont agglomérées sur toute leur longueur par un liant, soit en faisceaux souples dont seules les extrémités sont liées. Si les fibres ont été disposées de manière cohérente, elles sont employées pour la transmission d’images ; si, par contre, elles ont été disposées en désordre, elles ne peuvent servir qu’à transmettre de la lumière pour l’éclairage.

Les câbles de fibres optiques de la présente position qui peuvent être munis de pièces de connexion, sont constitués d’une gaine à l’intérieur de laquelle ont été disposés un ou plusieurs faisceaux de fibres optiques, celles-ci n’étant pas gainées individuellement.

Les faisceaux et câbles de fibres optiques sont principalement utilisés dans les appareils d’optique, notamment dans les endoscopes du no 9018.

[...]

Sont exclus de la présente position :

[...]

g) Les câbles de fibres optiques constitués de fibres gainées individuellement (no 85.44). »

La NC

6 Ainsi qu’il résulte de l’article 1er du règlement no 2658/87, la NC régit le classement tarifaire des marchandises importées dans l’Union européenne. Elle reprend les positions et les sous-positions à six chiffres du SH, seuls les septième et huitième chiffres formant des subdivisions qui lui sont propres.

7 En vertu de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 2658/87, la Commission européenne adopte, chaque année, un règlement reprenant la version complète de la NC et des taux autonomes et conventionnels des droits du tarif douanier commun y afférents, telle qu’elle résulte des mesures arrêtées par le Conseil de l’Union européenne ou par la Commission. Ce règlement est publié au Journal officiel de l’Union européenne au plus tard le 31 octobre et est applicable à partir du 1er janvier de l’année
suivante.

8 Ainsi qu’il ressort du point 1 du présent arrêt, la NC est applicable au litige au principal dans la version qui résulte du règlement d’exécution no 2017/1925, applicable à partir du 1er janvier 2018.

9 La première partie de la NC, intitulée « Dispositions préliminaires », comprend un titre I, consacré à l’énoncé de « [r]ègles générales », dont le point A, intitulé « Règles générales pour l’interprétation de la [NC] », dispose :

« Le classement des marchandises dans la [NC] est effectué conformément aux principes ci-après :

1. Le libellé des titres de sections, de chapitres ou de sous-chapitres est considéré comme n’ayant qu’une valeur indicative, le classement étant déterminé légalement d’après les termes des positions et des notes de sections ou de chapitres et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les règles suivantes.

[...]

6. Le classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les règles ci‑dessus, étant entendu que ne peuvent être comparées que les sous‑positions de même niveau. Aux fins de cette règle, les notes de sections et de chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires. »

10 La deuxième partie de la NC, intitulée « Tableau des droits », contient une section XVI, intitulée « Machines et appareils, matériel électrique et leurs parties ; appareils d’enregistrement ou de reproduction du son, appareils d’enregistrement ou de reproduction des images et du son en télévision, et parties et accessoires de ces appareils ». La note 1, sous m), de cette section précise que celle-ci ne comprend pas les articles du chapitre 90.

11 Dans cette section XVI, figure un chapitre 85, intitulé « Machines, appareils et matériel électrique et leurs parties ; appareils d’enregistrement ou de reproduction du son, appareils d’enregistrement ou de reproduction des images et du son en télévision, et parties et accessoires de ces appareils ». Ce chapitre comprend la position 8544 de la NC, qui est structurée comme suit :

« Code NC Désignation des marchandises Taux du droit conventionnel (%) Unité supplémentaire
1 2 3 4
8544 Fils, câbles (y compris les câbles coaxiaux) et autres conducteurs isolés pour l’électricité (même laqués ou oxydés anodiquement), munis ou non de pièces de connexion ; câbles de fibres optiques, constitués de fibres gainées individuellement, même comportant des conducteurs électriques ou munis de pièces de connexion    
[...]      
8544 70 00 – Câbles de fibres optiques exemption — »

12 La deuxième partie de la NC contient également une section XVIII, intitulée « Instruments et appareils d’optique, de photographie ou de cinématographie, de mesure, de contrôle ou de précision ; instruments et appareils médico‑chirurgicaux ; horlogerie ; instruments de musique ; parties et accessoires de ces instruments ou appareils ». Dans cette section figure un chapitre 90, intitulé « Instruments et appareils d’optique, de photographie ou de cinématographie, de mesure, de contrôle ou de
précision ; instruments et appareils médico‑chirurgicaux ; parties et accessoires de ces instruments ou appareils ».

13 Ce chapitre comprend notamment la position 9001 de la NC, qui est structurée comme suit :

« Code NC Désignation des marchandises Taux du droit conventionnel (%) Unité supplémentaire
1 2 3 4
9001 Fibres optiques et faisceaux de fibres optiques, câbles de fibres optiques autres que ceux du no 8544 ; matières polarisantes en feuilles ou en plaques ; lentilles (y compris les verres de contact), prismes, miroirs et autres éléments d’optique en toutes matières, non montés, autres que ceux en verre non travaillé optiquement    
9001 10 – Fibres optiques, faisceaux et câbles de fibres optiques    
9001 10 10 – – Câbles conducteurs d’images 2,9 —
9001 10 90 – – autres 2,9 —
[...] »      

14 La note 1, sous h), du chapitre 90 précise que celui-ci ne comprend pas les câbles de fibres optiques du no 8544.

15 Aux fins du litige au principal, sont pertinentes les notes explicatives de la NC établies par la Commission, en vertu de l’article 9, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, du règlement no 2658/87 et publiées au Journal officiel de l’Union européenne respectivement le 8 décembre 2007 (JO 2007, C 296, p. 4, ci-après les « notes explicatives de 2007 ») et le 24 mai 2019 (JO 2019, C 179, p. 4, ci-après les « notes explicatives de 2019 »).

16 Dans les notes explicatives de 2007, celle relative à la sous-position 85447000 de la NC précisait ce qui suit :

« 85447000 – Câbles de fibres optiques

Cette sous-position comprend aussi les câbles de fibres optiques, conçus, par exemple, pour être utilisés dans les télécommunications, constitués de fibres optiques enduites individuellement d’une double couche de polymère d’acrylate et placées dans une enveloppe protectrice. Le revêtement se compose d’une gaine intérieure en acrylate souple et d’une gaine extérieure en acrylate dur, cette dernière étant recouverte par une couche de différentes couleurs.

Le revêtement de chaque fibre optique lui confère une protection et assure l’intégrité de sa structure, en empêchant notamment les cassures. »

17 Dans les notes explicatives de 2019, celle relative à la sous-position 85447000 de la NC a été remplacée par le texte suivant :

« 85447000 – Câbles de fibres optiques

Cette sous-position comprend également les câbles de fibres optiques, conçus, par exemple, pour être utilisés dans les télécommunications, constitués d’une ou de plusieurs fibres optiques du no 9001 qui sont recouvertes individuellement d’une double couche de polymère d’acrylate. Ce revêtement se compose d’une couche intérieure en acrylate souple et d’une couche extérieure en acrylate dur, cette dernière pouvant être colorée ou recouverte d’une couche de différentes couleurs pour permettre
l’identification des fibres. Les fibres optiques sont gainées individuellement par le revêtement à double couche ; elles ne forment pas un câble de fibres optiques du no 8544 en elles-mêmes avant d’avoir été placées dans une gaine de protection.

Le revêtement à double couche de chacune des fibres optiques confère une protection à ces dernières et assure l’intégrité de leur structure, en empêchant notamment les cassures et l’abrasion. »

Le règlement (UE) no 952/2013

18 L’article 33 du règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union (JO 2013, L 269, p. 1), dispose :

« 1.   Les autorités douanières prennent, sur demande, des décisions en matière de renseignements tarifaires contraignants (ci-après dénommées “décisions RTC”), ou des décisions en matière de renseignements contraignants en matière d’origine (ci-après dénommées “décisions RCO”).

[...]

2.   Les décisions RTC ou RCO ne sont contraignantes qu’en ce qui concerne le classement tarifaire ou la détermination de l’origine des marchandises :

a) pour les autorités douanières vis‑à-vis du titulaire de la décision, qu’à l’égard des marchandises pour lesquelles les formalités douanières sont accomplies après la date à laquelle la décision prend effet ;

b) pour le titulaire de la décision vis‑à-vis des autorités douanières, qu’à partir de la date à laquelle la notification de la décision est reçue ou réputée reçue par celui-ci.

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

19 Prysmian a importé pendant la période allant du 6 juillet au 21 décembre 2018 des marchandises (ci-après les « marchandises en cause ») qu’elle a déclarées comme relevant de la sous-position 85447000 de la NC, relative aux « [c]âbles de fibres optiques » et qui ont été soumises à un taux de droits d’importation de 0 %.

20 Le 1er juillet 2019, Prysmian a indiqué au Biroul Vamal Olt (bureau des douanes d’Olt, Roumanie, ci-après le « BVO ») que, compte tenu des modifications intervenues dans les notes explicatives de 2019 par rapport aux notes explicatives de 2007, les marchandises en cause relevaient désormais de la sous‑position 90011090 de la NC, relative aux « [f]ibres optiques » et étaient soumises à un taux de droits d’importation de 2,9 %. Prysmian a alors demandé que les droits à l’importation sur ces
marchandises soient recalculés à compter du 24 mai 2019, correspondant à la date de publication des notes explicatives de 2019 au Journal officiel de l’Union européenne.

21 À la suite d’un contrôle douanier a posteriori effectué entre le mois d’avril et le mois de juin 2021, la Direcţia Regională Vamală Craiova (direction régionale des douanes de Craiova, Roumanie) a, par décision du 29 juin 2021, considéré que les marchandises en cause étaient des fibres optiques gainées individuellement relevant de la sous-position 90011090 de la NC, soumises à un taux de droits d’importation de 2,9 %. Elle a en conséquence recalculé les droits de douane afférents à toutes les
importations des marchandises en cause qui avaient été déclarées par Prysmian en tant que « câbles de fibres optiques » relevant de la sous-position 85447000 de la NC et exigé que cette société s’acquitte de la somme totale de 992430 lei roumains (RON) (environ 201000 euros) au titre de droits de douane supplémentaires et d’intérêts de retard.

22 Prysmian a introduit une réclamation contre cette décision auprès de l’Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală de Administrare a Marilor Contribuabili (agence nationale de l’administration fiscale – direction générale des grands contribuables, Roumanie), qui a été rejetée par décision du 17 novembre 2021.

23 Prysmian a alors saisi le Tribunalul Olt (tribunal de grande instance d’Olt, Roumanie), la juridiction de renvoi, d’un recours tendant à l’annulation des décisions du 17 novembre 2021 et du 29 juin 2021, ainsi qu’à l’exemption des obligations fiscales principales et accessoires instaurées par ces décisions.

24 La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si les notes explicatives de 2019 ont modifié le sens des notes explicatives de 2007, et, dans un tel cas, si un reclassement rétroactif des marchandises en cause dans la position tarifaire 90011090 de la NC porte atteinte aux principes de sécurité juridique et de prévisibilité.

25 Cette juridiction s’interroge aussi sur le point de savoir si le principe d’application uniforme du classement tarifaire, en liaison avec les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, lui impose de prendre en considération, d’une part, les décisions d’autres autorités douanières nationales et, d’autre part, les décisions des autorités douanières ou des juridictions d’autres États membres qui ont classé ou confirmé le classement des marchandises en cause dans la
position 8544 de la NC.

26 Dans ces conditions, le Tribunalul Olt (tribunal de grande instance d’Olt, Roumanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Dans le cadre de l’interprétation de la [NC], eu égard aux [notes explicatives de 2007], le produit composé d’une âme optique et d’un revêtement optique recouverts d’une première couche intérieure en acrylate souple, elle-même recouverte d’une seconde couche en acrylate dur coloré (système de revêtement connu sous le nom de ColorLock), peut-il relever de la position 85447000 de la [NC] ?

2) Si la réponse à la [première question] est négative, les autorités douanières nationales peuvent-elles, dans l’interprétation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, ignorer l’existence de décisions des autorités douanières de cet État qui n’ont pas remis en cause le classement de ce produit dans la position 85447000, mais aussi de décisions en matière de renseignements tarifaires contraignants favorables (qui garantissent l’exonération des droits de
douane et de la [taxe sur la valeur ajoutée]) rendues par d’autres autorités douanières, voire de décisions des juridictions d’autres États membres de l’Union européenne confirmant un tel classement tarifaire, sans que ce comportement porte atteinte aux principes d’application uniforme du classement tarifaire tels qu’énoncés à l’article 28 du traité [FUE] en liaison avec les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime reconnus par la Cour, qui s’appliquent dans le
cadre de l’application du droit de l’Union ?

3) En cas de réponse négative à la [deuxième question], dans le cadre de l’interprétation de l’article 114 du [règlement no 952/2013], eu égard aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, est‑il possible qu’un éventuel manque de clarté des [notes explicatives de 2007], lequel a donné lieu à une clarification entrée en vigueur ultérieurement, fasse naître une obligation fiscale accessoire pour un contribuable d’un État membre, en particulier lorsqu’il y a eu, au
fil du temps, des décisions des autorités douanières de cet État qui n’ont pas remis en cause le classement de ce produit dans la position 85447000, mais aussi des décisions en matière de renseignements tarifaires contraignants favorables rendus par d’autres autorités douanières, voire des décisions de juridictions d’autres États membres de l’Union confirmant un tel classement tarifaire ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

27 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la sous-position 85447000 de la NC doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre un câble de fibres optiques composé d’une âme optique et d’un revêtement optique recouverts d’une première couche intérieure en acrylate souple, elle-même recouverte d’une seconde couche en acrylate dur coloré.

28 À titre liminaire, il importe de rappeler que, lorsque la Cour est saisie d’un renvoi préjudiciel en matière de classement tarifaire, sa fonction consiste non pas à procéder elle-même à un tel classement, mais à éclairer la juridiction de renvoi quant aux critères dont la mise en œuvre lui permettra de classer correctement les produits en cause dans le litige qui lui est soumis. Un tel classement requiert en effet de procéder à une appréciation purement factuelle des caractéristiques de ces
produits, laquelle relève, dans le cadre d’un tel renvoi, de la compétence du juge national, et non pas de la Cour [voir, en ce sens, arrêt du 9 février 2023, LB (Air loungers), C‑635/21, EU:C:2023:85, point 31 et jurisprudence citée].

29 Par ailleurs, conformément à la règle 1 des règles générales pour l’interprétation de la NC, le classement des marchandises est déterminé selon les termes des positions et des notes de sections ou de chapitres de cette nomenclature. Le litige au principal ayant pour objet le classement tarifaire des marchandises en cause dans les sous-positions 85447000 ou 90011090 de ladite nomenclature, un tel classement doit, en vertu de la règle 6 de ces règles générales, être déterminé d’après les termes de
ces sous-positions et des notes de sous-positions, les notes de sections et de chapitres correspondantes pouvant également être prises en considération, sauf dispositions contraires.

30 Dans l’intérêt de la sécurité juridique et de la facilité des contrôles, le critère décisif pour la classification tarifaire des marchandises doit être recherché, d’une manière générale, dans leurs caractéristiques et leurs propriétés objectives, telles que définies par le libellé de la position de la NC et des notes de sections ou de chapitres correspondantes. La destination du produit concerné peut constituer un critère objectif de classement, pour autant qu’elle est inhérente à ce produit, et
doit s’apprécier en fonction des caractéristiques et des propriétés objectives dudit produit [voir, en ce sens, arrêts du 3 juin 2021, Flavourstream, C‑822/19, EU:C:2021:444, point 34, et du 9 février 2023, LB (Air loungers), C‑635/21, EU:C:2023:85, point 33].

31 En outre, bien que les notes explicatives du SH et de la NC n’aient pas de force contraignante, elles constituent des instruments importants afin d’assurer une application uniforme du tarif douanier commun et fournissent, en tant que telles, des éléments valables pour l’interprétation de celui-ci [voir, en ce sens, arrêts du 18 juin 2020, Hydro Energo, C‑340/19, EU:C:2020:488, point 36, et du 9 février 2023, LB (Air loungers), C‑635/21, EU:C:2023:85, point 34].

32 En premier lieu, la sous-position 85447000 de la NC, intitulée « Câbles de fibres optiques », constitue une subdivision de la position 8544 de cette nomenclature, dont le libellé mentionne notamment des « câbles de fibres optiques constitués de fibres gainées individuellement ». L’intitulé de la position 9001 de la NC vise notamment les « fibres optiques et faisceaux de fibres optiques, câbles de fibres optiques autres que ceux du no 8544 ». Conformément à la note 1, sous h), du chapitre 90, ce
chapitre ne vise pas les câbles de fibres optiques du no 8544.

33 En deuxième lieu, la note explicative relative à la sous-position 85447000 de la NC, telle qu’elle figure dans les notes explicatives de 2007, précise que cette sous‑position comprend aussi les câbles de fibres optiques, conçus, par exemple, pour être utilisés dans les télécommunications, constitués de fibres optiques enduites individuellement d’une double couche de polymère d’acrylate et placées dans une enveloppe protectrice.

34 En troisième lieu, selon les notes explicatives du SH, la position 8544 de ce système couvre les câbles de fibres optiques, constitués de fibres gainées individuellement, même comportant des conducteurs électriques ou munis de pièces de connexion, alors que la position 9001 dudit système comprend « les fibres optiques et faisceaux de fibres optiques, ainsi que les câbles de fibres optiques autres que ceux du no 85.44 ». Ces notes précisent en outre que les câbles de fibres optiques de la
position 9001 du SH sont constitués d’une gaine à l’intérieur de laquelle ont été disposés un ou plusieurs faisceaux de fibres optiques, celles-ci n’étant pas gainées individuellement.

35 Il résulte de ce qui précède, d’une part, que la NC établit une différence entre les « câbles » et les « fibres gainées individuellement » et que seuls les câbles de fibres optiques constitués de fibres gainées individuellement relèvent de la position 8544 de cette nomenclature, à l’exclusion des fibres optiques elles‑mêmes. En revanche, les fibres optiques individuelles ainsi que les faisceaux de fibres optiques relèvent de la position 9001 de ladite nomenclature, conformément au libellé de
celle-ci.

36 D’autre part, au vu du libellé de la position 8544 de la NC ainsi que de la note explicative relative à la sous-position 85447000 de la NC et des notes explicatives du SH à propos de la position 8544 de ce système, les fibres optiques formant des câbles doivent, à la fois, être gainées individuellement et être placées dans une gaine de protection ou une enveloppe protectrice pour pouvoir relever de cette position.

37 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que les marchandises en cause sont des câbles de fibres optiques gainés individuellement au moyen d’un revêtement à deux couches, sans disposer d’enveloppe de protection. Par conséquent, sous réserve des vérifications qui incombent à la juridiction de renvoi, ces marchandises, dans la mesure où elles ne remplissent pas la seconde condition cumulative rappelée au point précédent, ne sauraient relever de la position 8544 de la NC
et doivent être classées dans la position 9001 de celle-ci.

38 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question que la sous-position 85447000 de la NC doit être interprétée en ce sens qu’elle ne couvre pas un câble de fibres optiques composé d’une âme optique et d’un revêtement optique recouverts d’une première couche intérieure en acrylate souple, elle-même recouverte d’une seconde couche en acrylate dur coloré.

Sur la deuxième question

39 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent au recouvrement, par les autorités douanières d’un État membre, des droits et taxes dus par un contribuable au titre du classement erroné, selon ces autorités, d’une marchandise dans une sous‑position de la NC, lorsque des décisions RTC délivrées à d’autres contribuables, par ces autorités
et par les autorités douanières d’autres États membres, ainsi que des décisions juridictionnelles d’autres États membres ne s’écartent pas d’un tel classement tarifaire.

40 Le principe de sécurité juridique, qui a pour corollaire le principe de protection de la confiance légitime, exige, d’une part, que les règles de droit soient claires et précises et, d’autre part, que leur application soit prévisible pour les justiciables, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables. En particulier, ce principe exige qu’une réglementation permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations
qu’elle leur impose et prendre leurs dispositions en conséquence (arrêt du 3 juin 2021, Jumbocarry Trading, C‑39/20, EU:C:2021:435, point 48 et jurisprudence citée).

41 Le principe de protection de la confiance légitime ne peut être invoqué que par un justiciable à l’égard duquel une autorité administrative a fait naître des espérances fondées du fait d’assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, qu’elle lui aurait fournies (voir, en ce sens, arrêts du 7 août 2018, Ministru kabinets, C‑120/17, EU:C:2018:638, point 50, et du 31 mars 2022, Smetna palata na Republika Bulgaria, C‑195/21, EU:C:2022:239, point 65).

42 En l’occurrence, en premier lieu, comme rappelé aux points 32 à 37 du présent arrêt, il résulte des termes clairs et précis des libellés des sous‑positions 85447000 et 90011090 de la NC, lus à la lumière des notes explicatives de 2007 et du SH, que les marchandises comme celles en cause relèvent de cette dernière sous‑position et non pas de la première.

43 À cet égard, contrairement aux allégations de Prysmian, les notes explicatives de 2019, selon lesquelles les fibres optiques gainées individuellement « ne forment pas un câble de fibres optiques du no 8544 en elles-mêmes avant d’avoir été placées dans une gaine de protection », ne font que préciser la teneur de la condition ayant trait à l’existence d’une gaine de protection, sans modifier les termes clairs des notes explicatives de 2007.

44 En second lieu, en vertu de l’article 33, paragraphe 2, du règlement no 952/2013, un RTC ne peut être invoqué que par son titulaire ou par le représentant de celui‑ci vis-à-vis des autorités douanières qui l’ont délivré et de celles des autres États membres [voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2011, Sony Supply Chain Solutions (Europe), C‑153/10, EU:C:2011:224, point 39].

45 Dès lors que les RTC délivrés par d’autres autorités douanières et les décisions d’autres juridictions d’États membres qui classent ou confirment le classement des marchandises en cause dans la sous-position 85447000 de la NC n’ont pas été adressés à Prysmian, de tels renseignements et décisions ne sauraient être considérés comme ayant fourni à cette société des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, au sens de la jurisprudence rappelée au point 41 du présent arrêt, susceptibles
de faire naître une confiance légitime dans le chef de celle-ci quant au bien-fondé d’un tel classement.

46 Eu égard aux motifs qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas au recouvrement, par les autorités douanières d’un État membre, des droits et taxes impayés dus par un contribuable au titre du classement erroné, selon ces autorités, d’une marchandise dans une sous-position de la NC, même si des décisions RTC délivrées à d’autres
contribuables, par ces autorités et par les autorités douanières d’autres États membres, ainsi que des décisions juridictionnelles d’autres États membres ne se sont pas écartées d’un tel classement tarifaire.

Sur la troisième question

47 Compte tenu de la réponse apportée à la deuxième question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

48 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

  1) La sous-position 85447000 de la nomenclature combinée, figurant à l’annexe I du règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun, tel que modifié par le règlement (CE) no 254/2000 du Conseil, du 31 janvier 2000, dans sa version résultant du règlement d’exécution (UE) 2017/1925 de la Commission, du 12 octobre 2017,

doit être interprétée en ce sens que :

elle ne couvre pas un câble de fibres optiques composé d’une âme optique et d’un revêtement optique recouverts d’une première couche intérieure en acrylate souple, elle-même recouverte d’une seconde couche en acrylate dur coloré.

  2) Les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas au recouvrement, par les autorités douanières d’un État membre, des droits et taxes dus par un contribuable au titre du classement tarifaire erroné, selon ces autorités, d’une marchandise dans une sous-position de la nomenclature combinée figurant à l’annexe I du règlement no 2658/87, tel que modifié par le règlement no 254/2000, dans sa version résultant du règlement d’exécution 2017/1925, même si des décisions en matière de renseignements tarifaires contraignants
délivrées à d’autres contribuables, par ces autorités et par les autorités douanières d’autres États membres, ainsi que des décisions juridictionnelles d’autres États membres ne se sont pas écartées d’un tel classement tarifaire.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le roumain.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : C-168/23
Date de la décision : 27/06/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunalul Olt.

Renvoi préjudiciel – Union douanière – Tarif douanier commun – Nomenclature combinée – Classement tarifaire – Câbles de fibres optiques – Sous‑positions 8544 70 00 et 9001 10 90 – Modification des notes explicatives de la nomenclature combinée – Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

Tarif douanier commun

Marché intérieur - Principes

Libre circulation des marchandises

Union douanière


Parties
Demandeurs : Prysmian Cabluri şi Sisteme SA
Défendeurs : Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Craiova – Direcţia Regională Vamală Craiova e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Ćapeta
Rapporteur ?: Piçarra

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:557

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