ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
18 juin 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Directive 2011/95/UE – Article 21, paragraphe 1 – Directive 2013/32/UE – Article 9, paragraphes 2 et 3 – Octroi définitif du statut de réfugié par un État membre – Réfugié résidant, après cet octroi, dans un autre État membre – Demande d’extradition de l’État tiers d’origine de ce réfugié adressée à l’État membre de résidence – Effet de la décision d’octroi du statut de réfugié sur la procédure d’extradition concernée – Article 18
et article 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Protection dudit réfugié contre l’extradition ainsi demandée »
Dans l’affaire C‑352/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberlandesgericht Hamm (tribunal régional supérieur de Hamm, Allemagne), par décision du 19 mai 2022, parvenue à la Cour le 1er juin 2022, dans la procédure relative à l’extradition de
A.,
en présence de :
Generalstaatsanwaltschaft Hamm,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice–président, M. A. Arabadjiev, Mme K. Jürimäe (rapporteure), MM. E. Regan, T. von Danwitz, Z. Csehi et Mme O. Spineanu–Matei, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, J.–C. Bonichot, Mme L. S. Rossi, MM. I. Jarukaitis, A. Kumin, Mme M. L. Arastey Sahún et M. M. Gavalec, juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 juin 2023,
considérant les observations présentées :
– pour A., par MM. H.-J. Römer et U. Sommer, Rechtsanwälte,
– pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller et Mme A. Hoesch, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. D. G. Pintus, avvocato dello Stato,
– pour la Commission européenne, par Mmes A. Azéma, S. Grünheid et J. Hottiaux, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 octobre 2023,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60), et de l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les
ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure relative à l’extradition de A., un ressortissant turc bénéficiaire du statut de réfugié en Italie et résidant en Allemagne, à la suite d’une demande d’extradition qui avait été adressée par les autorités turques aux autorités allemandes aux fins de poursuites pénales contre celui-ci.
Le cadre juridique
Le droit international
La convention de Genève
3 La convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)], est entrée en vigueur le 22 avril 1954 (ci-après la « convention de Genève »). Elle a été complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967 et entré en vigueur le 4 octobre 1967.
4 Tous les États membres sont parties contractantes à la convention de Genève. L’Union européenne n’est en revanche pas partie contractante à cette convention.
5 L’article 1er, section A, de ladite convention prévoit :
« Aux fins de la présente Convention, le terme “réfugié” s’appliquera à toute personne :
[...]
2) Qui, [...] craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de
ladite crainte, ne veut y retourner.
Dans le cas d’une personne qui a plus d’une nationalité, l’expression “du pays dont elle a la nationalité” vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité. Ne sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité, toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s’est pas réclamée de la protection de l’un des pays dont elle a la nationalité. »
6 L’article 33, paragraphe 1, de la même convention stipule :
« Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. »
La convention européenne d’extradition
7 L’article 3, paragraphes 1 et 2, de la convention européenne d’extradition, signée à Paris le 13 décembre 1957, se lit comme suit :
« 1 L’extradition ne sera pas accordée si l’infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la Partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction.
2 La même règle s’appliquera si la Partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d’extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d’être aggravée pour l’une ou l’autre de ces raisons. »
Le droit de l’Union
La directive 2011/95
8 Le considérant 21 de la directive 2011/95 se lit comme suit :
« La reconnaissance du statut de réfugié est un acte déclaratif. »
9 L’article 2 de cette directive contient les définitions suivantes :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
b) “bénéficiaire d’une protection internationale”, une personne qui a obtenu le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire définis aux points e) et g) ;
[...]
d) “réfugié”, tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle,
ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 12 ;
e) “statut de réfugié”, la reconnaissance, par un État membre, de la qualité de réfugié pour tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride ;
[...]
i) “demandeur”, tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement ;
[...] »
10 Le chapitre III de la directive 2011/95, intitulé « Conditions pour être considéré comme réfugié », comprend les articles 9 à 12 de celle-ci. Les articles 11 et 12 de cette directive définissent, respectivement, le cas dans lequel un ressortissant d’un pays tiers ou apatride cesse d’être un réfugié et celui dans lequel un ressortissant d’un pays tiers ou apatride est exclu du statut de réfugié.
11 Les articles 13 et 14 de ladite directive figurent au chapitre IV de celle-ci, qui porte l’intitulé « Statut de réfugié ».
12 Aux termes de l’article 13 de la même directive :
« Les États membres octroient le statut de réfugié à tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui remplit les conditions pour être considéré comme réfugié conformément aux chapitres II et III. »
13 L’article 14 de la directive 2011/95 porte sur la « [r]évocation, [la] fin du statut de réfugié ou [le] refus de le renouveler ». Aux termes de cet article :
« 1. En ce qui concerne les demandes de protection internationale introduites après l’entrée en vigueur de la directive 2004/83/CE [du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO 2004, L 304, p. 12)], les États
membres révoquent le statut de réfugié octroyé par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire à un ressortissant d’un pays tiers ou à un apatride, y mettent fin ou refusent de le renouveler lorsque le réfugié a cessé de bénéficier de ce statut en vertu de l’article 11.
2. Sans préjudice de l’obligation faite au réfugié, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de déclarer tous les faits pertinents et de fournir tous les documents pertinents dont il dispose, l’État membre qui a octroyé le statut de réfugié apporte la preuve, au cas par cas, de ce que la personne concernée a cessé d’être ou n’a jamais été un réfugié au sens du paragraphe 1 du présent article.
3. Les États membres révoquent le statut de réfugié de tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride, y mettent fin ou refusent de le renouveler, s’ils établissent, après lui avoir octroyé le statut de réfugié, que :
a) le réfugié est ou aurait dû être exclu du statut de réfugié en vertu de l’article 12 ;
b) des altérations ou omissions de faits dont il a usé, y compris l’utilisation de faux documents, ont joué un rôle déterminant dans la décision d’octroyer le statut de réfugié.
4. Les États membres peuvent révoquer le statut octroyé à un réfugié par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire, y mettre fin ou refuser de le renouveler,
a) lorsqu’il existe des motifs raisonnables de le considérer comme une menace pour la sécurité de l’État membre dans lequel il se trouve ;
b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre.
5. Dans les situations décrites au paragraphe 4, les États membres peuvent décider de ne pas octroyer le statut de réfugié, lorsqu’une telle décision n’a pas encore été prise.
6. Les personnes auxquelles les paragraphes 4 et 5 s’appliquent ont le droit de jouir des droits prévus aux articles 3, 4, 16, 22, 31, 32 et 33 de la convention de Genève ou de droits analogues, pour autant qu’elles se trouvent dans l’État membre. »
14 Le chapitre VII de cette directive, intitulé « Contenu de la protection internationale », contient les articles 20 à 35 de celle-ci.
15 L’article 21 de ladite directive, intitulé « Protection contre le refoulement », dispose, à son paragraphe 1 :
« Les États membres respectent le principe de non-refoulement en vertu de leurs obligations internationales. »
16 L’article 36, second alinéa, de la même directive énonce :
« Les États membres prennent, en liaison avec la Commission [européenne], toutes les dispositions utiles pour établir une coopération directe et un échange d’informations entre les autorités compétentes. »
La directive 2013/32
17 L’article 9 de la directive 2013/32, intitulé « Droit de rester dans l’État membre pendant l’examen de la demande », prévoit :
« 1. Les demandeurs sont autorisés à rester dans l’État membre, aux seules fins de la procédure, jusqu’à ce que l’autorité responsable de la détermination se soit prononcée conformément aux procédures en première instance prévues au chapitre III. Ce droit de rester dans l’État membre ne constitue pas un droit à un titre de séjour.
2. Les États membres ne peuvent prévoir d’exception à cette règle que si une personne présente une demande ultérieure visée à l’article 41 ou si une personne est, le cas échéant, livrée à ou extradée vers, soit un autre État membre en vertu des obligations découlant d’un mandat d’arrêt européen [...] ou pour d’autres raisons, soit un pays tiers, soit une cour ou un tribunal pénal(e) international(e).
3. Un État membre ne peut extrader un demandeur vers un pays tiers en vertu du paragraphe 2 que lorsque les autorités compétentes se sont assuré[es] que la décision d’extradition n’entraînera pas de refoulement direct ou indirect en violation des obligations internationales et à l’égard de l’Union incombant à cet État membre. »
18 Les articles 44 et 45 de cette directive énoncent les règles régissant la procédure de retrait de la protection internationale. Plus spécifiquement, l’article 45, paragraphes 1 et 3, de ladite directive dispose :
« 1. Les États membres veillent à ce que, lorsque l’autorité compétente envisage de retirer la protection internationale à un ressortissant d’un pays tiers ou à un apatride conformément aux articles 14 ou 19 de la [directive 2011/95], la personne concernée bénéficie des garanties suivantes :
a) être informée par écrit que l’autorité compétente procède au réexamen de son droit à bénéficier d’une protection internationale, ainsi que des motifs de ce réexamen ; et
b) avoir la possibilité de présenter, lors d’un entretien personnel organisé conformément à l’article 12, paragraphe 1, point b), et aux articles 14 à 17, ou par écrit, les motifs pour lesquels il n’y a pas lieu de lui retirer la protection internationale.
[...]
3. Les États membres veillent à ce que la décision de l’autorité compétente visant à retirer la protection internationale soit notifiée par écrit. Les arguments de fait et de droit sont indiqués dans la décision et les informations concernant les voies de recours contre cette décision sont communiquées par écrit. »
19 Aux termes de l’article 49, deuxième alinéa, de la directive 2013/32 :
« Les États membres prennent, en liaison avec la Commission, toutes les mesures appropriées pour établir une coopération directe et un échange d’informations entre les autorités compétentes. »
Le droit allemand
20 L’article 6, paragraphe 2, du Gesetz über die internationale Rechtshilfe in Strafsachen (IRG) (loi relative à l’entraide judiciaire internationale en matière pénale), du 23 décembre 1982 (BGBl. 1982 I, p. 2071), se lit comme suit :
« L’extradition est exclue lorsqu’il y a des raisons sérieuses de croire que, en cas d’extradition, l’individu réclamé sera poursuivi ou puni en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, ou que la situation de cet individu risque d’être aggravée pour l’une ou l’autre de ces raisons. »
21 L’article 6 de l’Asylgesetz (AsylG) (loi relative au droit d’asile), du 26 juin 1992 (BGBl. 1992 I, p. 1126), dans sa version publiée le 2 septembre 2008 (BGBl. 2008 I, p. 1798), telle que modifiée en dernier lieu par l’article 9 du Gesetz zur Weiterentwicklung des Ausländerzentralregisters (loi sur le développement du registre central des ressortissants étrangers), du 9 juillet 2021 (BGBl. 2021 I, p. 2467), énonce :
« La décision relative à la demande d’asile est contraignante dans toutes les affaires dans lesquelles la reconnaissance du bénéfice de l’asile ou l’octroi d’une protection internationale, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point 2, est pertinente. Cette disposition ne s’applique pas à la procédure d’extradition ni à la procédure prévue à l’article 58a du Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet (Aufenthaltsgesetz – AufenthG) (loi
relative au séjour, à l’activité professionnelle et à l’intégration des ressortissants étrangers sur le territoire fédéral), du 30 juillet 2004 (BGBl. 2004 I, p. 1950). »
Le litige au principal et la question préjudicielle
22 A. est un ressortissant turc d’origine kurde. Il a quitté la Turquie en 2010.
23 Par une décision définitive du 19 mai 2010, les autorités italiennes ont reconnu à A. le statut de réfugié au motif qu’il courait un risque de persécutions politiques par les autorités turques en raison de son soutien au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ce statut est valable jusqu’au 25 juin 2030.
24 Depuis le mois de juillet de l’année 2019, A. réside en Allemagne.
25 Sur la base d’un mandat d’arrêt, émis le 3 juin 2020 par une juridiction turque, A. a fait l’objet d’un signalement auprès de l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) afin d’être arrêté en vue de son extradition vers la Turquie aux fins de poursuites pénales pour homicide volontaire. Il lui est reproché d’avoir, le 9 septembre 2009 à Bingöl (Turquie), tiré un coup de fusil, lequel aurait touché sa mère, après une altercation verbale avec son père et son frère. La mère de A.
serait décédée des suites de ses blessures.
26 A. a été arrêté en Allemagne le 18 novembre 2020 et placé en détention provisoire, puis sous écrou extraditionnel jusqu’au 14 avril 2022.
27 Par une ordonnance du 2 novembre 2021, l’Oberlandesgericht Hamm (tribunal régional supérieur de Hamm, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi, a déclaré recevable l’extradition de A. vers la Turquie. Cette juridiction a estimé que, en vertu du droit allemand, la décision d’octroi du statut de réfugié prise par les autorités italiennes ne produisait pas d’effet contraignant à l’égard de la procédure d’extradition menée en Allemagne, mais pouvait constituer un indice pour déterminer, aux fins
de l’examen de la demande d’extradition, si A. courrait un risque sérieux et concret de faire l’objet, en Turquie, de persécutions politiques. Ladite juridiction a donc procédé à un examen autonome de cette demande d’extradition sur la base des arguments présentés par A., d’une part, dans le cadre de la procédure d’asile conduite en Italie, dont elle a pu prendre connaissance après la transmission des pièces relatives à cette procédure, et, d’autre part, dans le cadre de la procédure
d’extradition. Elle a également tenu compte des garanties fournies par les autorités turques, en ce sens que la procédure pénale qui serait menée à la suite de l’extradition respecterait les exigences du procès équitable. La juridiction de renvoi a conclu qu’il n’y avait pas de risque de persécutions politiques ni de raisons sérieuses de croire que ladite demande d’extradition, motivée par la commission d’une infraction de droit commun, ait été présentée aux fins de poursuivre ou de punir A. pour
ses opinions politiques ou que la situation de celui-ci risque, en cas de remise, d’être aggravée pour de telles raisons.
28 Cette ordonnance a été annulée par le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne), à la suite d’un recours constitutionnel formé par A. Selon cette juridiction, l’Oberlandesgericht Hamm (tribunal régional supérieur de Hamm) a violé le droit fondamental de A. découlant de l’article 101, paragraphe 1, du Grundgesetz (loi fondamentale), en vertu duquel nul ne doit être soustrait à son juge légal. En effet, ce tribunal aurait, en violation de l’article 267, troisième alinéa,
TFUE, omis de saisir la Cour à titre préjudiciel de la question, inédite et nécessaire pour la solution du litige, de savoir si, en vertu du droit de l’Union, la reconnaissance définitive, par un État membre, du statut de réfugié à un ressortissant d’un pays tiers est contraignante à l’égard de la procédure d’extradition menée, à l’occasion d’une demande émanant de l’État tiers d’origine de ce réfugié, par l’autorité compétente d’un autre État membre.
29 À la suite du renvoi, après cette annulation, de l’affaire concernée devant l’Oberlandesgericht Hamm (tribunal régional supérieur de Hamm), ce dernier doit à nouveau statuer sur la demande d’extradition de A. Cette juridiction souligne que la question visée au point précédent, non tranchée par la Cour, est controversée dans la doctrine.
30 Selon une première approche, il découlerait de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2013/32 que, lorsqu’une personne s’est vu reconnaître, par une décision définitive, le statut de réfugié dans un État membre, l’extradition vers un pays tiers ne serait plus recevable en vertu du droit de l’Union. Cette lecture serait confortée par les articles 11, 12 et 14 de la directive 2011/95 ainsi que par les articles 44 et 45 de la directive 2013/32, lesquels prévoiraient des règles et procédures
relatives à la cessation, à l’exclusion et à la fin du statut de réfugié. Or, ces règles et procédures risqueraient d’être contournées s’il était possible pour les autorités d’un État membre de faire droit à une demande d’extradition d’un réfugié reconnu comme tel par les autorités d’un autre État membre.
31 Selon une seconde approche, le législateur de l’Union aurait considéré que les procédures d’asile et d’extradition sont indépendantes l’une de l’autre, de telle sorte qu’une décision d’octroi, par un État membre, du statut de réfugié à un ressortissant d’un pays tiers ne saurait produire d’effet contraignant à l’égard de la procédure d’extradition menée, à l’occasion d’une demande émanant de l’État tiers d’origine de ce réfugié, par l’autorité compétente d’un autre État membre. Cette procédure
d’extradition pourrait constituer la première occasion d’examiner les causes d’exclusion du statut de réfugié, qui pourraient justifier une révocation de ce statut. Il conviendrait néanmoins de veiller à respecter le principe de non-refoulement, visé à l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95.
32 La juridiction de renvoi adopte cette seconde approche et maintient par ailleurs les appréciations déjà effectuées dans son ordonnance du 2 novembre 2021.
33 Cette juridiction souligne qu’aucune disposition des directives 2011/95 et 2013/32 ne prévoit qu’une décision par laquelle un État membre a octroyé le statut de réfugié à un ressortissant d’un pays tiers produit un effet contraignant à l’égard de la procédure d’extradition menée, à l’occasion d’une demande émanant de l’État tiers d’origine de ce réfugié, par l’autorité compétente d’un autre État membre.
34 La reconnaissance d’un tel effet impliquerait que, en cas de découverte, lors de cette procédure d’extradition, de nouveaux éléments justifiant une appréciation différente du risque de persécution politique encouru par l’individu réclamé, il conviendrait d’attendre que l’autorité de l’État membre ayant octroyé le statut de réfugié procède le cas échéant au retrait de ce statut. Cela allongerait ladite procédure d’extradition, ce qui serait incompatible avec le principe de célérité, applicable en
particulier lorsque l’individu réclamé est placé sous écrou extraditionnel.
35 La juridiction de renvoi souligne, par ailleurs, qu’il est conforme à l’objectif légitime d’éviter l’impunité de considérer que, malgré la reconnaissance définitive du statut de réfugié au ressortissant d’un pays tiers concerné, l’extradition de celui-ci vers son pays tiers d’origine est recevable, dans la mesure où cette extradition n’est pas contraire au droit international et au droit de l’Union, notamment à l’article 18 et à l’article 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne (ci-après la « Charte »). À cet égard, cette juridiction précise que, à défaut d’extradition, le droit allemand permet, en théorie, d’engager des poursuites pénales contre l’individu réclamé. Elle estime toutefois que, les faits ayant eu lieu en Turquie, de telles poursuites ne seraient, en pratique, pas possibles au vu de l’impossibilité, pour les autorités répressives allemandes, d’obtenir les éléments de preuve ou de procéder à l’audition des témoins en Turquie.
36 Dans ces conditions, l’Oberlandesgericht Hamm (tribunal régional supérieur de Hamm) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Convient-il d’interpréter les dispositions combinées de l’article 9, paragraphes 2 et 3, de la directive [2013/32], et de l’article 21, paragraphe 1, de la directive [2011/95], en ce sens que la reconnaissance définitive à une personne du statut de réfugié, au sens de la [convention de Genève], dans un autre État membre [...] est, en vertu de l’obligation d’interprétation conforme du droit national imposée par le droit de l’Union (article 288, troisième alinéa, TFUE et article 4, paragraphe 3,
TUE), contraignante à l’égard de la procédure d’extradition menée dans l’État membre requis aux fins [de] l’extradition d’une telle personne en ce sens que l’extradition de la personne vers le pays tiers ou vers le pays d’origine est obligatoirement exclue jusqu’à ce que la reconnaissance du statut de réfugié ait été révoquée ou ait expiré dans le temps ? »
Sur la question préjudicielle
37 Par sa question unique, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32 ainsi que l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’un ressortissant d’un pays tiers ayant obtenu le statut de réfugié dans un État membre fait l’objet, dans un autre État membre, sur le territoire duquel il réside, d’une demande d’extradition émanant de son État tiers d’origine, cet autre État membre est lié,
dans le cadre de l’examen de cette demande d’extradition, par la décision d’octroi du statut de réfugié à ce ressortissant, de telle sorte que cette décision l’oblige à refuser l’extradition demandée.
38 À titre liminaire, il convient de rappeler que, en l’absence de convention internationale en matière d’extradition entre l’Union et l’État tiers concerné, en l’occurrence la République de Turquie, les règles à ce sujet relèvent de la compétence des États membres. Toutefois, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, les États membres sont tenus d’exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Ruska Federacija, C‑897/19 PPU,
EU:C:2020:262, point 48).
39 Avant d’examiner les dispositions spécifiquement visées par la juridiction de renvoi, il importe de souligner, en premier lieu, que, en vertu de l’article 13 de la directive 2011/95, les États membres octroient le statut de réfugié, au sens de l’article 2, sous e), de cette directive, à tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui remplit les conditions pour être considéré comme étant réfugié conformément aux chapitres II et III de ladite directive, sans disposer d’un pouvoir
discrétionnaire à cet égard [voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2015, T., C‑373/13, EU:C:2015:413, point 63 ; du 14 mai 2019, M e.a. (Révocation du statut de réfugié), C‑391/16, C‑77/17 et C‑78/17, EU:C:2019:403, point 89, ainsi que du 16 janvier 2024, Intervyuirasht organ na DAB pri MS (Femmes victimes de violences domestiques), C‑621/21, EU:C:2024:47, point 72 et jurisprudence citée].
40 La reconnaissance, par un État membre, du statut de réfugié a, ainsi qu’il ressort du considérant 21 de la directive 2011/95, un caractère déclaratif et non pas constitutif de la qualité de réfugié. Il s’ensuit que, dans le système mis en place par cette directive, un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride remplissant ces conditions dispose, de ce seul fait, de la qualité de réfugié, au sens de l’article 2, sous d), de ladite directive et de l’article 1er, section A, de la convention de
Genève [voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2019, M e.a. (Révocation du statut de réfugié), C‑391/16, C‑77/17 et C‑78/17, EU:C:2019:403, points 85 et 86].
41 La reconnaissance formelle de la qualité de réfugié, que constitue l’octroi du statut de réfugié, a pour conséquence que le réfugié concerné est, en vertu de l’article 2, sous b), de la directive 2011/95, bénéficiaire d’une protection internationale, au sens de cette directive, de telle sorte qu’il dispose de l’ensemble des droits et des avantages prévus par le chapitre VII de ladite directive [voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2019, M e.a. (Révocation du statut de réfugié), C‑391/16, C‑77/17
et C‑78/17, EU:C:2019:403, point 91].
42 Cela étant, l’État membre ayant reconnu le statut de réfugié à un ressortissant d’un pays tiers ou à un apatride peut, conformément à l’article 14 de la directive 2011/95, lu en combinaison avec les articles 44 et 45 de la directive 2013/32, être conduit à révoquer ou à retirer ce statut de réfugié, notamment, lorsqu’il apparaît que celui-ci a cessé de bénéficier de ce statut en vertu de l’article 11 de la directive 2011/95 ou qu’il est ou aurait dû être exclu dudit statut en vertu de
l’article 12 de cette dernière directive.
43 En deuxième lieu, le législateur de l’Union n’a, en l’état actuel du régime d’asile européen commun, pas encore concrétisé complètement l’objectif vers lequel tend l’article 78, paragraphe 2, sous a), TFUE, à savoir un statut uniforme d’asile en faveur de ressortissants de pays tiers, valable dans toute l’Union. En particulier, le législateur de l’Union n’a pas, à ce stade, posé de principe selon lequel les États membres seraient tenus de reconnaître de manière automatique les décisions d’octroi
du statut de réfugié adoptées par un autre État membre, ni précisé les modalités de mise en œuvre d’un tel principe [arrêt du 18 juin 2024, Bundesrepublik Deutschland (Effet d’une décision d’octroi du statut de réfugié), C‑753/22, EU:C:2024:XXX, point 68].
44 Les États membres sont ainsi, en l’état actuel du droit de l’Union, libres de soumettre la reconnaissance de l’ensemble des droits afférents au statut de réfugié sur leur territoire à l’adoption, par leurs autorités compétentes, d’une nouvelle décision d’octroi de ce statut [arrêt du 18 juin 2024, Bundesrepublik Deutschland (Effet d’une décision d’octroi du statut de réfugié), C‑753/22, EU:C:2024:XXX, point 69].
45 Dans ces conditions, il convient de déterminer, en troisième lieu, si, en vertu du droit de l’Union en matière de protection internationale, une décision d’octroi du statut de réfugié prise par l’autorité compétente en matière de détermination d’un État membre est susceptible de produire un effet contraignant à l’égard d’une procédure d’extradition visant le réfugié concerné et menée, à l’occasion d’une demande émanant de l’État tiers d’origine de ce réfugié, par l’autorité compétente d’un autre
État membre, au point que cette dernière autorité doive refuser l’extradition dudit réfugié en raison de l’existence d’une telle décision.
46 Dans ce contexte, il y a lieu de tenir compte, outre des dispositions des directives 2011/95 et 2013/32, évoquées par la juridiction de renvoi dans sa question préjudicielle, de l’ensemble des dispositions pertinentes du droit de l’Union, y compris celles de la Charte.
47 En effet, en vue de fournir à la juridiction qui lui a adressé une question préjudicielle une réponse utile, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (voir, en ce sens, arrêts du 20 mars 1986, Tissier, 35/85, EU:C:1986:143, point 9, ainsi que du 2 mars 2023, PrivatBank e.a., C‑78/21, EU:C:2023:137, point 35).
48 À cet égard, premièrement, la directive 2013/32 a, aux termes de son article 1er, « pour objet d’établir des procédures communes d’octroi et de retrait de la protection internationale en vertu de la directive [2011/95] ».
49 L’article 9 de la directive 2013/32 figure au chapitre II de celle-ci, consacré aux principes de base et aux garanties fondamentales de la procédure de protection internationale. L’article 9, paragraphe 1, de cette directive accorde au demandeur de protection internationale le droit de rester sur le territoire de l’État membre concerné au cours de la procédure d’examen de sa demande. L’article 9, paragraphe 2, de ladite directive autorise les États membres à prévoir une exception à ce droit dans
les cas de figure qui y sont visés, dont notamment celui d’une extradition du demandeur vers un État tiers. Une telle extradition est alors subordonnée, conformément à l’article 9, paragraphe 3, de la même directive, à la condition que les autorités compétentes de cet État membre se sont assurées que la décision d’extradition concernée n’entraînera pas de refoulement direct ou indirect de l’individu réclamé en violation des obligations internationales et des obligations à l’égard de l’Union
incombant audit État membre.
50 Il ressort ainsi du libellé et de la structure de l’article 9 de la directive 2013/32, ainsi que de son emplacement dans l’économie générale de cette directive, que, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 77 de ses conclusions, cet article régit seulement le cas de figure d’une extradition intervenant au cours de la procédure d’examen d’une demande de protection internationale. En revanche, ledit article ne régit pas le cas de figure, en cause au principal, d’une extradition intervenant
après l’octroi de cette protection par un État membre.
51 Deuxièmement, l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95, qui figure au chapitre VII de celle-ci, intitulé « Contenu de la protection internationale », rappelle l’obligation des États membres de respecter le principe de non-refoulement en vertu de leurs obligations internationales. Cette disposition constitue ainsi une expression spécifique du principe de non-refoulement garanti, en tant que droit fondamental, par l’article 18 et par l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, lus en
combinaison avec l’article 33 de la convention de Genève [voir, en ce sens, arrêts du 22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement – Cannabis thérapeutique), C‑69/21, EU:C:2022:913, point 55, ainsi que du 6 juillet 2023, Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Réfugié ayant commis un crime grave), C‑663/21, EU:C:2023:540, point 49].
52 Or, dans la mesure où la décision d’un État membre de donner suite à la demande d’extradition émise par l’État d’origine contre un ressortissant de pays tiers, tel que A., ayant obtenu le statut de réfugié dans un autre État membre conformément aux règles du droit dérivé de l’Union en matière de protection internationale aurait pour effet de priver ce ressortissant des droits et des avantages prévus par le chapitre VII de la directive 2011/95, il y a lieu de constater que la procédure
d’extradition menée dans le premier État membre relève de la mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.
53 Partant, les droits fondamentaux consacrés par la Charte, et tout particulièrement ceux garantis à l’article 18 et à l’article 19, paragraphe 2, de celle-ci, doivent être pleinement respectés par l’autorité de l’État membre chargée d’examiner une demande d’extradition émanant d’un État tiers et visant un ressortissant de pays tiers ayant obtenu le statut de réfugié dans un autre État membre.
54 Il convient donc de déterminer si l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95, lu en combinaison avec l’article 18 et l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, s’oppose à une extradition dans des conditions telles que celles en cause au principal.
55 À cet égard, il y a lieu de préciser d’emblée que l’autorité compétente en matière d’extradition de l’État membre requis ne saurait autoriser l’extradition d’un ressortissant de pays tiers s’étant vu reconnaître le statut de réfugié par un autre État membre vers ce pays tiers, lorsqu’une telle extradition méconnaîtrait l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95, lu en combinaison avec l’article 18 et l’article 19, paragraphe 2, de la Charte.
56 S’agissant plus particulièrement de ces dernières dispositions, d’une part, aux termes de l’article 18 de la Charte, « [l]e droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la [convention de Genève], du [protocole relatif au statut des réfugiés] et conformément au [traité UE] et au [traité FUE] ».
57 Selon la jurisprudence de la Cour, il appartient aux États membres de garantir aux demandeurs et bénéficiaires de la protection internationale la jouissance effective du droit consacré à cette disposition [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2023, Commission/Hongrie (Déclaration d’intention préalable à une demande d’asile), C‑823/21, EU:C:2023:504, point 52].
58 Ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 47 de ses conclusions, aussi longtemps que l’individu réclamé possède la qualité de réfugié, au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2011/95 et de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, une extradition de cet individu vers son pays tiers d’origine aurait pour effet de le priver de la jouissance effective du droit que lui offre l’article 18 de la Charte. Partant, tant que ledit individu remplit les conditions pour jouir de
cette qualité, l’article 18 de la Charte s’oppose à son extradition vers le pays tiers qu’il a fui et dans lequel il risque d’être persécuté.
59 En l’occurrence, cela signifie que tant qu’il subsiste un risque que A. subisse sur le territoire de son État tiers d’origine, dont émane la demande d’extradition, les persécutions politiques en raison desquelles les autorités italiennes lui ont octroyé le statut de réfugié, son extradition vers cet État tiers est exclue au titre de l’article 18 de la Charte.
60 À cet égard, la seule circonstance que les poursuites pénales en vue desquelles est demandée l’extradition de A. sont fondées sur des faits autres que ces persécutions ne saurait suffire pour écarter ce risque.
61 D’autre part, l’article 19, paragraphe 2, de la Charte interdit en des termes absolus l’éloignement d’une personne vers un État où il existe un risque sérieux qu’elle soit soumise à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants [voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2023, Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Réfugié ayant commis un crime grave), C‑663/21, EU:C:2023:540, point 36 ainsi que jurisprudence citée].
62 Par conséquent, lorsque la personne visée par une demande d’extradition se prévaut d’un risque sérieux de traitement inhumain ou dégradant en cas d’extradition, l’État membre requis doit vérifier, avant de procéder à une éventuelle extradition, que cette dernière ne portera pas atteinte aux droits visés à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte (arrêts du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, point 60, et du 2 avril 2020, Ruska Federacija, C‑897/19 PPU, EU:C:2020:262, point 64).
63 Pour ce faire, cet État membre, conformément à l’article 4 de la Charte, qui interdit les peines ou les traitements inhumains ou dégradants, ne saurait se limiter à prendre en considération les seules déclarations de l’État tiers requérant ou l’acceptation, par ce dernier État, de traités internationaux garantissant, en principe, le respect des droits fondamentaux. L’autorité compétente de l’État membre requis doit se fonder, aux fins de cette vérification, sur des éléments objectifs, fiables,
précis et dûment actualisés, éléments pouvant résulter, notamment, de décisions judiciaires internationales, telles que des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, de décisions judiciaires de l’État tiers requérant ainsi que de décisions, de rapports et d’autres documents établis par les organes du Conseil de l’Europe ou relevant du système des Nations unies (arrêts du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, points 55 à 59, et du 2 avril 2020, Ruska Federacija,
C‑897/19 PPU, EU:C:2020:262, point 65).
64 Or, aux fins d’apprécier le risque de violation de l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95 ainsi que de l’article 18 et de l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, la circonstance qu’un autre État membre a octroyé à l’individu réclamé le statut de réfugié, conformément aux directives 2011/95 et 2013/32, constitue un élément particulièrement sérieux dont l’autorité compétente de l’État membre requis doit tenir compte. Ainsi, une décision d’octroi du statut de réfugié doit, pour autant
que ce statut n’ait pas été révoqué ou retiré par l’État membre l’ayant octroyé, conduire cette autorité à refuser l’extradition, en application de ces dispositions.
65 En effet, le régime d’asile européen commun, lequel inclut des critères communs pour l’identification des personnes qui ont réellement besoin de protection internationale, comme le souligne le considérant 12 de la directive 2011/95, est fondé sur le principe de confiance mutuelle, conformément auquel il doit être présumé, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque État membre est conforme aux exigences du droit
de l’Union, y compris à celles de la Charte, de la convention de Genève, ainsi que de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 [voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2011, N. S. e.a., C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, points 78 à 80, ainsi que du 19 mars 2019, Ibrahim e.a., C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, points 84 et 85].
66 En outre, ainsi qu’il est rappelé au point 42 du présent arrêt, l’État membre ayant reconnu le statut de réfugié à un ressortissant d’un pays tiers ou à un apatride peut, conformément à l’article 14 de la directive 2011/95, lu en combinaison avec les articles 44 et 45 de la directive 2013/32, révoquer ou retirer ce statut de réfugié, notamment, lorsqu’il apparaît que celui-ci a cessé de bénéficier de ce statut en vertu de l’article 11 de la directive 2011/95 ou qu’il est ou aurait dû être exclu
dudit statut en vertu de l’article 12 de cette dernière directive. À cet égard, l’article 45 de la directive 2013/32 énonce les règles de procédure afférentes au retrait de la protection internationale, et notamment les garanties dont doit bénéficier la personne concernée dans le cadre de cette procédure.
67 Or, ces dispositions et la procédure qu’elles prévoient seraient contournées si l’État membre requis pouvait extrader un ressortissant de pays tiers, auquel un autre État membre a reconnu le statut de réfugié en application de ces directives, vers son pays d’origine, une telle extradition revenant, de facto, à ce qu’il soit mis fin à ce statut et à ce que l’intéressé soit privé de la jouissance effective de la protection que lui offre l’article 18 de la Charte, des droits et des avantages prévus
par le chapitre VII de la directive 2011/95 ainsi que des garanties énoncées à l’article 45 de la directive 2013/32.
68 Compte tenu de l’importance que revêt une telle décision d’octroi du statut de réfugié aux fins de l’appréciation d’une demande d’extradition émanant du pays d’origine d’un bénéficiaire du statut de réfugié, il y a lieu de considérer, comme M. l’avocat général l’a souligné au point 112 de ses conclusions, que, sur la base du principe de coopération loyale inscrit à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, en vertu duquel l’Union et les États membres se respectent et s’assistent
mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités (arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, point 42), et qui trouve une expression concrète à l’article 36 de la directive 2011/95 ainsi qu’à l’article 49 de la directive 2013/32, l’autorité compétente en matière d’extradition de l’État membre requis doit entamer, dans les meilleurs délais, un échange d’informations avec l’autorité de l’autre État membre qui a octroyé à l’individu réclamé le statut de
réfugié. À ce titre, il lui revient d’informer cette dernière autorité de la demande d’extradition visant cet individu, de lui transmettre son avis sur cette demande et de solliciter de sa part la transmission, dans un délai raisonnable, tant des informations en sa possession ayant conduit à l’octroi de ce statut que de sa décision sur le point de savoir s’il y a lieu ou non de révoquer ou de retirer le statut de réfugié audit individu.
69 D’une part, cet échange d’informations est destiné à mettre l’autorité compétente en matière d’extradition de l’État membre requis en mesure de procéder de manière pleinement éclairée aux vérifications qui lui incombent en vertu de l’article 18 et de l’article 19, paragraphe 2, de la Charte.
70 D’autre part, l’échange d’informations permet à l’autorité compétente de l’autre État membre de révoquer ou de retirer, le cas échéant, le statut de réfugié sur le fondement de l’article 14 de la directive 2011/95, dans le plein respect des garanties énoncées à l’article 45 de la directive 2013/32.
71 Compte tenu de ce qui précède, ce ne serait que dans l’hypothèse où l’autorité compétente de l’État membre ayant accordé à l’individu réclamé le statut de réfugié décide de révoquer ou de retirer ce statut sur le fondement de l’article 14 de la directive 2011/95 et pour autant que l’autorité compétente en matière d’extradition de l’État membre requis parvienne à la conclusion que cet individu n’a pas ou plus la qualité de réfugié et qu’il n’existe aucun risque sérieux que, en cas d’extradition
dudit individu vers l’État tiers requérant, le même individu y soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, que le droit de l’Union ne s’opposerait pas à une extradition.
72 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95, lu en combinaison avec l’article 18 et l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un ressortissant d’un pays tiers ayant obtenu le statut de réfugié dans un État membre fait l’objet, dans un autre État membre, sur le territoire duquel il réside, d’une demande d’extradition émanant de son pays d’origine,
l’État membre requis ne saurait, sans avoir entamé un échange d’informations avec l’autorité ayant octroyé ce statut à l’individu réclamé et en l’absence de révocation dudit statut par cette autorité, autoriser l’extradition.
Sur les dépens
73 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
L’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, lu en combinaison avec l’article 18 et l’article 19, paragraphe 2, de la
charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
doit être interprété en ce sens que :
lorsqu’un ressortissant d’un pays tiers ayant obtenu le statut de réfugié dans un État membre fait l’objet, dans un autre État membre, sur le territoire duquel il réside, d’une demande d’extradition émanant de son pays d’origine, l’État membre requis ne saurait, sans avoir entamé un échange d’informations avec l’autorité ayant octroyé ce statut à l’individu réclamé et en l’absence de révocation dudit statut par cette autorité, autoriser l’extradition.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.