ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
13 juin 2024 ( *1 )
« Pourvoi – Aides d’État – Loi interdisant l’utilisation du charbon pour la production d’électricité – Fermeture anticipée d’une centrale électrique au charbon – Octroi d’une indemnité – Décision déclarant la mesure compatible avec le marché intérieur sans se prononcer sur l’existence d’une aide d’État – Exercice de la compétence de la Commission européenne »
Dans l’affaire C‑40/23 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 26 janvier 2023,
Commission européenne, représentée par MM. I. Georgiopoulos, B. Stromsky et H. van Vliet, en qualité d’agents,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. K. Bulterman, A. Hanje et M. J. Langer, en qualité d’agents,
partie demanderesse en première instance,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen, N. Wahl, J. Passer (rapporteur) et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 février 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 novembre 2022, Pays-Bas/Commission (T-469/20, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:713), par lequel celui-ci a fait droit au recours du Royaume des Pays-Bas tendant à l’annulation de la décision C(2020) 2998 final de la Commission, du 12 mai 2020, relative à l’aide d’État SA.54537 (2020/NN) – Pays-Bas, Interdiction de l’utilisation du charbon pour la production d’électricité aux
Pays-Bas (JO 2020, C 220, p. 2, ci-après la « décision litigieuse »).
Le cadre juridique
2 L’article 107, paragraphe 1, et paragraphe 3, sous c), TFUE prévoit :
« 1. Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.
[...]
3. Peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur :
[...]
c) les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun ».
3 L’article 108, paragraphes 2 et 3, TFUE prévoit :
« 2. Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu’une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d’État n’est pas compatible avec le marché intérieur aux termes de l’article 107, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l’État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu’elle détermine.
[...]
3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu’un projet n’est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l’article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L’État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. »
4 Le considérant 7 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), qui est libellé dans les mêmes termes, en substance, que le considérant 7 du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 [CE] (JO 1999, L 83, p. 1), énonce :
« Le délai dans lequel la Commission doit conclure son examen préliminaire de l’aide notifiée devrait être fixé à deux mois à compter de la réception de la notification complète ou d’une déclaration dûment circonstanciée de l’État membre concerné selon laquelle celui-ci considère que la notification est complète parce que les informations complémentaires réclamées par la Commission ne sont pas disponibles ou ont déjà été communiquées. Pour des raisons de sécurité juridique, cet examen devrait être
clos par voie de décision. »
5 L’article 4 du règlement 2015/1589, qui est libellé dans les mêmes termes, en substance, que l’article 4 du règlement no 659/1999, dispose :
« 1. La Commission procède à l’examen de la notification dès sa réception. Sans préjudice de l’article 10, elle prend une décision en application du paragraphe 2, 3 ou 4 du présent article.
2. Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée ne constitue pas une aide, elle le fait savoir par voie de décision.
3. Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée, pour autant qu’elle entre dans le champ de l’article 107, paragraphe 1, [TFUE], ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, elle décide que cette mesure est compatible avec le marché intérieur (ci-après dénommée “décision de ne pas soulever d’objections”). Cette décision précise quelle dérogation prévue par le [traité FUE] a été appliquée.
4. Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, elle décide d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, [TFUE] (ci-après dénommée “décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen”).
5. Les décisions visées aux paragraphes 2, 3 et 4 du présent article sont prises dans un délai de deux mois. Celui-ci court à compter du jour suivant celui de la réception d’une notification complète. La notification est considérée comme complète si, dans les deux mois de sa réception ou de la réception de toute information additionnelle réclamée, la Commission ne réclame pas d’autres informations. Le délai peut être prorogé par accord mutuel entre la Commission et l’État membre concerné. Le cas
échéant, la Commission peut fixer des délais plus courts.
6. Lorsque la Commission n’a pas pris de décision en application du paragraphe 2, 3 ou 4 dans le délai prévu au paragraphe 5, l’aide est réputée avoir été autorisée par la Commission. L’État membre concerné peut alors mettre à exécution les mesures en cause après en avoir avisé préalablement la Commission, sauf si celle-ci prend une décision en application du présent article dans un délai de quinze jours ouvrables suivant la réception de cet avis. »
6 L’article 6, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 dispose :
« La décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen récapitule les éléments pertinents de fait et de droit, inclut une évaluation préliminaire, par la Commission, de la mesure proposée visant à déterminer si elle présente le caractère d’une aide, et expose les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché intérieur. La décision invite l’État membre concerné et les autres parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai déterminé, qui ne dépasse normalement pas
un mois. Dans certains cas dûment justifiés, la Commission peut proroger ce délai. »
Les antécédents du litige
7 Les antécédents du litige ont été exposés aux points 2 à 18 de l’arrêt attaqué et peuvent être résumés comme suit.
8 Le 27 mars 2019, les autorités néerlandaises ont notifié à la Commission un projet de loi sur l’interdiction de l’utilisation du charbon pour la production d’électricité, conformément à la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 2015, L 241, p. 1). Ce projet de loi, qui visait la réduction des
émissions de dioxyde de carbone (CO2) aux Pays-Bas et prévoyait la compensation du préjudice occasionné à une centrale électrique au charbon qui, par rapport aux autres centrales de même type, serait, de manière disproportionnée, affectée par l’interdiction de l’utilisation du charbon pour la production d’électricité, n’a pas été notifié à la Commission au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
9 À la suite de la notification du projet de loi en application de la directive 2015/1535, la Commission a entamé, de sa propre initiative, l’examen des informations concernant une aide présumée.
10 Le 11 décembre 2019, le Royaume des Pays-Bas a adopté la Wet verbod op kolen bij elektriciteitsproductie (loi sur l’interdiction du charbon pour la production d’électricité, Stb. 2019, no 493). L’article 4 de cette loi prévoyait la possibilité d’accorder une indemnisation à une centrale qui, par rapport aux autres centrales, était, de manière disproportionnée, affectée par l’interdiction de l’utilisation du charbon pour la production d’électricité. À ce titre, la société Vattenfall NV,
exploitante de l’une des cinq centrales électriques au charbon existant aux Pays-Bas, à savoir la centrale Hemweg 8, a bénéficié d’une indemnité de l’État néerlandais d’un montant de 52,5 millions d’euros (ci-après « la mesure en cause »). En effet, en raison de la médiocrité de ses caractéristiques techniques environnementales, cette centrale s’est vue, contrairement aux quatre autres centrales électriques au charbon existant aux Pays-Bas, privée du bénéfice de la période de transition prévue
par ladite loi et a donc été contrainte de fermer par anticipation.
11 Le 12 mai 2020, la Commission a adopté la décision litigieuse. Quant à l’existence d’une aide d’État, elle a considéré, au paragraphe 48 de cette décision, que, « eu égard aux informations fournies par les autorités néerlandaises, il ne p[o]u[vai]t être conclu, avec un degré suffisant de certitude, qu’il exist[ait] dans cette affaire un droit à indemnisation d’un montant de 52,5 millions d’euros ». La Commission en a déduit qu’il « ne p[o]u[vai]t être exclu que la mesure en [cause] confér[ait]
une aide d’État à l’entreprise concernée ». Toutefois, la Commission a estimé, au paragraphe 49 de ladite décision, qu’« il n’y a[vait] pas lieu pour autant de tirer une conclusion définitive en l’espèce quant à la question de savoir si la mesure [en cause] conf[é]r[ait] ou non un avantage à l’exploitant et constitu[ait] donc une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, puisque, même en présence d’une aide d’État, [elle] consid[é]r[ait] que [cette] mesure [étai]t compatible avec
le marché intérieur ». La Commission a conclu « que la mesure [en cause] [était] compatible avec le marché intérieur conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous c), [TFUE] ».
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
12 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 juillet 2020, le Royaume des Pays-Bas a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
13 Cet État membre a invoqué cinq moyens d’annulation. Les trois premiers moyens étaient soulevés dans l’hypothèse où, nonobstant ses termes, la décision litigieuse serait à comprendre comme impliquant la qualification d’aide d’État de la mesure en cause. Les quatrième et cinquième moyens, dirigés contre cette décision en ce qu’elle ne se serait pas prononcée sur une telle qualification, étaient tirés, respectivement, de l’incompétence de la Commission pour déclarer une mesure compatible au titre de
l’article 107, paragraphe 3, TFUE, sans, au préalable, l’avoir qualifiée d’aide d’État, et de la violation du principe de sécurité juridique.
14 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal, après avoir constaté que la Commission ne s’était pas prononcée, dans la décision litigieuse, sur la question de savoir si la mesure en cause constituait une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, a fait droit au recours, au titre des quatrième et cinquième moyens d’annulation.
Les conclusions des parties
15 Par son pourvoi, la Commission demande, en substance, à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– de statuer elle-même sur le litige et de rejeter le recours dans son intégralité comme étant non fondé, et
– de condamner le Royaume des Pays-Bas aux dépens.
16 Le Royaume des Pays-Bas demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner la Commission aux dépens.
Sur le pourvoi
17 Au soutien de son pourvoi, la Commission avance un moyen unique comportant deux branches tirées, pour la première, de l’interprétation erronée de l’article 107, paragraphe 3, TFUE et de l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589 et, pour la seconde, d’une erreur de droit dans l’interprétation du principe de sécurité juridique.
Sur la première branche du moyen unique
Argumentation des parties
18 La Commission fait valoir que, en jugeant qu’elle n’est pas compétente pour décider qu’une mesure est compatible avec le marché intérieur sans avoir au préalable constaté que cette mesure était une aide d’État, le Tribunal a méconnu, par une interprétation littérale indûment restrictive de ces dispositions, l’article 107, paragraphe 3, TFUE et l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589.
19 La Commission soutient que ni le paragraphe 1 ni le paragraphe 3 de l’article 107 TFUE n’énoncent de règles de procédure et ne portent sur les pouvoirs conférés à la Commission en matière de contrôle des aides d’État. Ils auraient uniquement pour objet d’interdire certaines mesures et de préciser que les mesures qui répondent à certains critères sont autorisées. Le Tribunal affirmerait donc à tort que ces deux dispositions interdisent l’adoption de décisions telles que la décision litigieuse. Le
terme « aide » employé à l’article 107, paragraphe 3, TFUE serait utilisé au sens large et non pour désigner une aide d’État au sens technique de ce terme, en manière telle qu’il ne saurait être exclu que ledit terme puisse également couvrir des mesures dont la qualification en tant qu’aide d’État demeure incertaine. L’arrêt du 22 décembre 2008British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 113), cité par le Tribunal, ne contiendrait aucune indication quant à ce que la Commission
doit faire si elle est convaincue de la compatibilité d’une mesure mais n’est pas encore parvenue à une conclusion sur la question de savoir si cette mesure est une aide d’État.
20 Quant à l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589, l’emploi de l’expression « pour autant qu’elle entre dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, [TFUE] » ne signifierait pas davantage que la compatibilité d’une mesure peut être examinée uniquement lorsque cette mesure a été qualifiée d’aide d’État, les termes « pour autant que » devant s’entendre, dans leur sens courant, comme équivalant à ceux de « dans la mesure où » et une telle conjonction de subordination devant
être lue en lien avec la proposition principale prévoyant que la Commission « décide que cette mesure est compatible avec le marché intérieur ». La seule constatation requise pour que la Commission puisse prendre une décision de ne pas soulever d’objections porterait sur le fait que la mesure ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur.
21 La Commission relève, encore, que d’autres dispositions du règlement 2015/1589, bien que comprenant le terme « aide d’État », permettraient aux États membres ou à la Commission de suivre la procédure prévue par ce règlement également pour des mesures dont il n’a pas été établi qu’elles constituent des aides d’État. Il en irait de la sorte, par exemple, de l’article 2 de ce règlement prévoyant la notification par les États membres de tout projet d’une nouvelle aide d’État.
22 La Commission considère, en outre, que l’interprétation ainsi retenue par le Tribunal à propos de l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589 crée une impasse, car elle empêche la Commission de prendre toute décision à l’issue de son examen préliminaire. En effet, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, la Commission serait empêchée d’adopter une quelconque décision puisqu’elle ne serait en mesure ni d’ouvrir une procédure formelle d’examen, sur le fondement de l’article 4,
paragraphe 4, de ce règlement, en l’absence de doutes sur la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur, ni de constater, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement, que cette mesure ne constitue pas une aide, en l’absence de certitude suffisante quant au droit du bénéficiaire de ladite mesure à être indemnisé.
23 Ce serait à tort que, au point 58 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a invoqué l’arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex (C‑83/09 P, EU:C:2011:341), pour soutenir que l’article 4, paragraphe 3, du même règlement fixe une liste exhaustive des décisions que la Commission peut adopter à l’issue de l’examen préliminaire. Cet arrêt ne contiendrait, en effet, aucune interprétation définitive en ce sens, mais confirmerait, en revanche, que la Commission ne pouvait, en l’espèce, ouvrir la
procédure formelle d’examen dans le seul but d’établir que la mesure en cause était une aide d’État, en l’absence de doutes sur la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur.
24 La Commission relève, par ailleurs, que l’article 4, paragraphe 6, du règlement 2015/1589 prévoit que, lorsqu’elle n’a pas pris de décision dans le délai requis, une mesure est réputée autorisée, même s’il n’a pas été démontré au préalable que cette mesure constituait une aide d’État. La Commission devrait donc pouvoir, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, de ce règlement, décider qu’une mesure est compatible avec le marché intérieur sans procéder au préalable à une telle démonstration.
25 De même, en prévoyant que la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen inclut une « évaluation préliminaire » visant à déterminer si la mesure présente le caractère d’une aide, l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement confirmerait que, au moment où la Commission doit se prononcer sur la manière dont elle met fin à la procédure d’examen préliminaire, il est tout à fait possible qu’elle n’ait pas adopté de position définitive sur l’existence d’une aide.
26 Enfin, le Tribunal n’aurait pas tenu compte de la logique et des conséquences du régime de contrôle des aides d’État prévu par les articles 107 à 109 TFUE et par les dispositions du règlement 2015/1589, notamment son article 4, paragraphe 3, qui visent à établir un équilibre entre, d’une part, la nécessité pour les États membres et les parties intéressées d’obtenir des précisions quant à la qualification d’une mesure en tant qu’aide d’État et, d’autre part, celle d’obtenir rapidement une
autorisation de cette mesure. Il existerait, en effet, des situations dans lesquelles il est plus facile d’apprécier si une mesure est compatible avec le marché intérieur que de déterminer si elle est une aide d’État. En décidant, dans de telles situations, de ne pas soulever d’objections sans ouvrir de procédure formelle d’examen, la Commission se conformerait au principe de bonne administration. À cet égard, une analogie serait possible avec l’approche retenue par la Cour dans l’arrêt du
26 février 2002, Conseil/Boehringer (C-23/00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52).
27 La Cour aurait déjà précisé que l’examen préliminaire ne vise pas à permettre à la Commission de prononcer un avis exhaustif et définitif sur la conformité avec le traité de la mesure concernée, mais seulement de se forger un « avis préliminaire », et que cet avis doit porter principalement sur la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur, indépendamment de son éventuelle qualification en tant qu’aide d’État (arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz, 120/73 EU:C:1973:152, point 3).
28 Le gouvernement néerlandais conteste les arguments de la Commission et demande à la Cour de rejeter la première branche du moyen unique.
Appréciation de la Cour
29 La présente branche du moyen unique soulève, en substance, la question de savoir si c’est à tort que, par l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que l’article 107, paragraphe 3, TFUE et l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589 imposent à la Commission de qualifier une mesure d’aide d’État avant de décider que cette mesure est compatible avec le marché intérieur.
30 Le Tribunal, après avoir, aux points 51 et 52 de l’arrêt attaqué, rappelé les termes de l’article 107, paragraphe 1, et paragraphe 3, sous c), TFUE, a exposé, au point 53 de cet arrêt, que l’emploi du terme « aide » à l’article 107, paragraphe 3, TFUE implique que la compatibilité d’une mesure nationale avec le marché intérieur ne peut être examinée qu’après que cette mesure a été qualifiée d’aide d’État.
31 Au point 54 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ajouté, en se référant à l’arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 113), qu’il est de jurisprudence constante que, lorsque la Commission ne peut pas acquérir la conviction, à l’issue de la phase d’examen préliminaire, qu’une mesure étatique soit ne constitue pas une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, soit, si elle est qualifiée d’aide, est compatible avec le traité, ou lorsque cet
examen ne lui a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l’appréciation de la compatibilité de la mesure considérée, cette institution est dans l’obligation d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, sans disposer à cet égard d’une marge d’appréciation.
32 Au point 55 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu de ces considérations que seule une mesure entrant dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, c’est-à-dire une mesure qualifiée d’aide d’État, peut être considérée par la Commission comme étant compatible avec le marché intérieur.
33 Aux points 56 à 60 de l’arrêt attaqué, il a exposé que cette conclusion est confortée par les dispositions de l’article 4 du règlement 2015/1589 qui, lues à la lumière de la jurisprudence de la Cour, en particulier l’arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex (C‑83/09 P, EU:C:2011:341, points 43 et 44), fixent une liste exhaustive des décisions que la Commission peut adopter à l’issue de l’examen préliminaire, décisions au nombre desquelles ne figure pas une décision déclarant la
mesure examinée compatible avec le marché intérieur sans que la Commission se soit au préalable prononcée sur la qualification d’aide d’État de cette mesure.
34 La Commission fait valoir que l’interprétation littérale de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, opérée par le Tribunal, est indûment restrictive. Elle soutient, d’abord, que le terme « aides » est utilisé à l’article 107, paragraphe 3, TFUE dans son sens général, et non au sens technique pour désigner les aides d’État.
35 Il convient, cependant, d’observer que, si c’est, effectivement, au sens habituel dans le langage courant que le terme « aides » est employé à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en conjonction avec les autres mentions figurant dans cette disposition, c’est, en revanche, pour désigner les seules aides d’État qu’il est utilisé à l’article 107, paragraphe 3, TFUE. En effet, il résulte de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, lu dans son ensemble, que seules les mesures qui remplissent les conditions
découlant de ce paragraphe 1, et qui, par conséquent, constituent des aides d’État sont, sauf dérogations prévues par le traité, incompatibles avec le marché intérieur. Dès lors, l’article 107, paragraphe 3, TFUE, qui, par dérogation à cette disposition, énumère les mesures qui peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur, ne peut concerner que les aides d’État.
36 C’est donc à tort que la Commission fait valoir que l’interprétation littérale de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, opérée par le Tribunal, est erronée.
37 Par ailleurs, s’il est vrai que, ainsi que le fait valoir la Commission, l’article 107 TFUE n’énonce pas de règles de procédure ni ne porte directement sur les pouvoirs de celle-ci, il n’en reste pas moins que, ainsi qu’il a été relevé au point 35 du présent arrêt, il ressort de cette disposition que la qualification d’une mesure comme aide d’État au sens du paragraphe 1 de ladite disposition constitue une condition préalable à l’application éventuelle de la dérogation prévue au paragraphe 3 de
celle-ci. L’Union européenne se trouve ainsi investie d’une compétence pour se prononcer sur la compatibilité avec le marché intérieur des mesures constitutives d’aides d’État, et non pour se prononcer sur la compatibilité de mesures qui ne sont pas déterminées comme constituant des aides d’État. Les articles 108 et 109 TFUE confèrent l’exercice de cette compétence à la Commission et au Conseil de l’Union européenne, agissant sous le contrôle de la Cour. Or, les institutions de l’Union ne peuvent
agir que dans les limites de leur compétence d’attribution (arrêt du 14 juin 2016, Commission/McBride e.a., C-361/14 P, EU:C:2016:434, point 36).
38 S’agissant de la référence opérée par la Commission à l’arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz (120/73, EU:C:1973:152, point 3), la Cour n’y a pas, contrairement à ce que suggère la Commission, dit que l’avis forgé dans le cadre de l’examen préliminaire d’une mesure peut, le cas échéant, faire abstraction de la question de la qualification d’aide d’État de la mesure examinée. Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, où la nature d’aide d’État des mesures notifiées n’était, au demeurant, pas
douteuse, la question posée était celle de l’obligation de la Commission de conclure l’examen préliminaire par une décision. La Cour a jugé que, s’il est dans l’intérêt d’une bonne administration que la Commission, lorsqu’elle estime au terme de cet examen que « l’aide » est conforme au traité CE, en fasse part à l’État membre, elle n’est cependant pas tenue de prendre une décision au sens de l’article 189 CE (devenu, après modification, article 288 TFUE), l’article 93 CE (devenu, après
modification, article 108 TFUE) n’imposant pareil acte qu’au terme de la procédure contradictoire (arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz, 120/73, EU:C:1973:152, points 5 et 6). Il convient d’observer, incidemment, que cette possibilité de ne pas adopter de décision a pris fin avec le règlement no 659/1999, dont l’article 4, paragraphe 1, lu à la lumière du considérant 7 de ce règlement, a déterminé que l’examen préliminaire devait désormais, pour des raisons de sécurité juridique, être clos par une
décision.
39 S’agissant des critiques de la Commission contre des énonciations figurant aux points 56 à 60 de l’arrêt attaqué, relatives à l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589, il convient de relever que ces énonciations ne sont formulées par le Tribunal qu’à titre surabondant, à l’appui de sa conclusion exprimée, sur la base des dispositions du traité FUE, au point 55 de cet arrêt. Dès lors, ces critiques sont inopérantes (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2016, Marchiani/Parlement, C‑566/14 P,
EU:C:2016:437, points 59 et 60).
40 En tout état de cause, l’expression « pour autant qu’elle entre dans le champ de l’article 107, paragraphe 1, [TFUE] », contenue à l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589 doit être interprétée en accord avec la signification, correctement retenue par le Tribunal, aux points 53 à 55 de l’arrêt attaqué, de l’article 107, paragraphes 1 et 3, TFUE. À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un texte de droit dérivé doit être interprété, dans la mesure du
possible, dans le sens de sa conformité avec les dispositions des traités et les principes généraux du droit de l’Union (arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 174 ainsi que jurisprudence citée).
41 S’agissant des critiques de la Commission à l’égard des références du Tribunal aux arrêts du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 113), ainsi que du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex (C‑83/09 P, EU:C:2011:341, points 43 et 44), il convient de relever que, s’il est vrai que ces arrêts ne portaient pas spécifiquement sur la question de la compétence de la Commission pour adopter une décision de ne pas soulever d’objections à l’égard d’une
mesure dont elle n’a pas déterminé la nature d’aide d’État, il n’en reste pas moins que, dans lesdits arrêts, la Cour a, en cohérence avec les termes de l’article 107 TFUE, retenu le caractère préalable de la détermination de la nature d’aide d’État d’une mesure par rapport à l’examen de l’éventuelle compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur.
42 Il convient d’ajouter, d’une part, que la Cour a, dans d’autres arrêts, énoncé que « [l]a Commission est tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen si, à la suite de l’examen préliminaire visé à l’article 4 du règlement 2015/1589, elle [...] conserve des doutes sur la qualification même d’“aide”, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, de [la] mesure » (arrêt du 16 mars 2021, Commission/Pologne, C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 50 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens,
arrêt du 6 octobre 2021, Scandlines Danmark et Scandlines Deutschland/Commission, C-174/19 P et C-175/19 P, EU:C:2021:801, points 65 à 67 ainsi que jurisprudence citée).
43 D’autre part, elle a jugé que la question de savoir si une mesure doit être qualifiée d’aide d’État intervient en amont de celle consistant à vérifier, le cas échéant, si une aide incompatible au sens de l’article 107 TFUE est néanmoins nécessaire à l’accomplissement de la mission impartie au bénéficiaire de la mesure en cause, au titre de l’article 106, paragraphe 2, TFUE (arrêt du 24 novembre 2020, Viasat Broadcasting UK, C‑445/19, EU:C:2020:952, point 35).
44 S’agissant de l’argument de la Commission selon lequel la position du Tribunal la place dans une impasse, l’empêchant, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, d’adopter toute décision à l’issue de l’examen préliminaire, il suffit de relever, à l’instar du Royaume des Pays-Bas, que cette impasse procède uniquement de la position erronée selon laquelle la Commission serait compétente pour conclure à l’absence de doute quant à la compatibilité d’une mesure qu’elle n’a pas qualifiée
d’aide d’État et serait donc, corollairement, incompétente pour ouvrir la procédure formelle d’examen dans une telle situation. Dès lors que cette position est écartée, l’impasse disparaît, en faveur de l’engagement de la procédure formelle d’examen, conformément à l’article 4, paragraphe 4, du règlement 2015/1589 et à la jurisprudence rappelée au point 42 du présent arrêt.
45 S’agissant de la référence de la Commission à l’article 4, paragraphe 6, du règlement 2015/1589, il convient de relever que cette disposition a pour objet de pallier le défaut d’exercice par la Commission de sa compétence décisionnelle au titre de cet article 4. Ladite disposition, lue à la lumière notamment du considérant 7 de ce règlement, ne saurait fonder une compétence de la Commission pour décider qu’une mesure qu’elle n’a pas qualifiée d’aide d’État est compatible avec le marché intérieur.
46 S’agissant de la circonstance que l’article 6, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 mentionne une « évaluation préliminaire » de la mesure, il importe de relever que cette mention ne signifie pas, contrairement à ce que soutient la Commission, que cette dernière peut mettre fin à l’examen préliminaire par une décision de ne pas soulever d’objections à l’égard d’une mesure qu’elle n’a pas qualifiée d’aide d’État.
47 Quant à l’affirmation de la Commission selon laquelle il existerait des situations dans lesquelles il est, tant au regard du principe de bonne administration que de l’intérêt des parties intéressées, plus approprié de déterminer si la mesure est compatible avec le marché intérieur que de déterminer si elle est une aide, il convient de relever que ce principe et les considérations d’opportunité ainsi invoquées ne sauraient remettre en cause l’économie et la cohérence de l’article 107 TFUE, dont la
portée a été rappelée aux points 35 et 37 du présent arrêt.
48 À cet égard, l’invocation par la Commission, en lien avec le principe de bonne administration, de l’arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer (C-23/00 P, EU:C:2002:118), afin de justifier qu’elle puisse examiner la compatibilité d’une mesure avec le marché intérieur sans avoir déterminé qu’elle constitue une aide d’État, est dénuée de pertinence. En effet, s’il ressort, certes, du point 52 de cet arrêt qu’il appartient au juge de l’Union d’apprécier si une bonne administration de la justice
justifie, dans les circonstances de l’espèce, de rejeter au fond le recours sans statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par la partie défenderesse, la problématique que soulève la présente affaire a, pour sa part, trait à la compétence même de la Commission pour adopter certaines décisions. Or, cette compétence de la Commission doit s’exercer dans le respect des conditions énoncées par les traités, ce qui, en l’occurrence, et ainsi qu’il ressort notamment des points 35 et 37 du présent
arrêt, exige de cette institution qu’elle se prononce sur la qualification d’aide d’État d’une mesure avant de pouvoir, le cas échéant, examiner si une telle aide peut, nonobstant cette qualification, être considérée comme compatible avec le marché intérieur.
49 Ainsi, la Commission ne saurait s’affranchir d’une telle obligation en fonction de considérations liées à la plus ou moins grande facilité avec laquelle un telle qualification ou un tel examen de compatibilité peuvent être effectués dans un cas d’espèce.
50 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la première branche du moyen unique doit être rejetée.
Sur la seconde branche du moyen unique
51 Eu égard au rejet de la première branche du moyen, il n’est pas nécessaire d’examiner la seconde branche de ce moyen. En effet, il ressort de l’examen de cette première branche et du rejet de celle-ci que, par l’arrêt attaqué, le Tribunal a, à bon droit, annulé la décision litigieuse en accueillant le moyen tiré de l’incompétence de la Commission. Il s’ensuit que le point de savoir si le Tribunal a, le cas échéant, pu commettre une erreur de droit à l’occasion de l’examen du moyen tiré d’une
éventuelle violation du principe de sécurité juridique ne saurait, en tout état de cause, affecter l’annulation de la décision litigieuse ainsi prononcée par le Tribunal ni, partant, l’issue du présent pourvoi.
52 Dans ces conditions, il convient de rejeter le présent pourvoi.
Sur les dépens
53 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui‑ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
54 La Commission ayant succombé, il y a lieu, conformément aux conclusions du Royaume des Pays-Bas, de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par cet État membre.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) La Commission européenne supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Royaume des Pays-Bas.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.