ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
6 juin 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence en matière d’obligations alimentaires – Règlement (CE) no 4/2009 – Article 12, paragraphe 1 – Litispendance – Article 13 – Connexité des demandes – Notion »
Dans l’affaire C‑381/23 [Geterfer] ( i ),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsgericht Mönchengladbach-Rheydt (tribunal de district de Mönchengladbach-Rheydt, Allemagne), par décision du 19 juin 2023, parvenue à la Cour le 19 juin 2023, dans la procédure
ZO
contre
JS,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de Mme O. Spineanu–Matei, présidente de chambre, M. J.–C. Bonichot et Mme L. S. Rossi (rapporteure), juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour la Commission européenne, par Mme J. Vondung et M. W. Wils, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12 du règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires (JO 2009, L 7, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant ZO, une enfant devenue majeure en cours d’instance, à sa mère JS au sujet du versement d’une pension alimentaire.
Le règlement no 4/2009
3 Les considérants 15 et 44 du règlement no 4/2009 sont ainsi libellés :
« (15) Afin de préserver les intérêts des créanciers d’aliments et de favoriser une bonne administration de la justice au sein de l’Union européenne, les règles relatives à la compétence telles qu’elles résultent du règlement (CE) no 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1)] devraient être adaptées. [...]
[...]
(44) Le présent règlement devrait modifier le règlement (CE) no 44/2001 en remplaçant les dispositions de celui-ci applicables en matière d’obligations alimentaires. Sous réserve des dispositions transitoires du présent règlement, les États membres devraient, en matière d’obligations alimentaires, appliquer les dispositions du présent règlement sur la compétence, sur la reconnaissance, la force exécutoire et l’exécution des décisions et sur l’aide judiciaire à la place de celles du règlement (CE)
no 44/2001 à compter de la date d’application du présent règlement. »
4 L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :
« Le présent règlement s’applique aux obligations alimentaires découlant des relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance. »
5 Le chapitre II dudit règlement, intitulé « Compétence », comprend les articles 3 à 14.
6 L’article 3 du même règlement dispose :
« Sont compétentes pour statuer en matière d’obligations alimentaires dans les États membres :
a) la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou
b) la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, ou
c) la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à l’état des personnes lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties, [...]
[...] »
7 L’article 12 du règlement no 4/2009, intitulé « Litispendance », énonce :
« 1. Lorsque les demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.
2. Lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci. »
8 Aux termes de l’article 13 de ce règlement, intitulé « Connexité » :
« 1. Lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer.
2. Lorsque ces demandes sont pendantes au premier degré, la juridiction saisie en second lieu peut également se dessaisir, à la demande de l’une des parties, à condition que le tribunal premier saisi soit compétent pour connaître des demandes en question et que sa loi permette leur jonction.
3. Sont connexes, au sens du présent article, les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a un intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. »
9 L’article 24, premier alinéa, sous c), dudit règlement, intitulé « Motifs de refus de reconnaissance », est ainsi libellé :
« Une décision n’est pas reconnue si :
[...]
c) elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l’État membre dans lequel la reconnaissance est demandée ».
10 Il résulte de l’article 68, paragraphe 1, du règlement no 4/2009 que, sous réserve des dispositions transitoires prévues à son article 75, paragraphe 2, ce règlement modifie le règlement no 44/2001 en remplaçant les dispositions de ce dernier applicables en matière d’obligations alimentaires.
Le litige au principal et la question préjudicielle
11 ZO, la requérante au principal, est née au mois de novembre 2001 du mariage contracté entre son père et JS, la défenderesse au principal. Ce mariage a été définitivement dissous au mois de novembre 2010.
12 Le père de ZO réside en Allemagne, tandis que sa mère réside en Belgique.
13 Après la séparation de ses parents, ZO a d’abord vécu avec sa mère, son père devant verser à cette dernière, conformément à un jugement du 17 décembre 2014 du tribunal de première instance d’Eupen (Belgique), une pension alimentaire mensuelle pour ZO et le frère de celle-ci.
14 Par un jugement du 31 août 2017, le tribunal de première instance d’Eupen a transféré le « droit d’hébergement principal » au père.
15 ZO passe la semaine en internat en Allemagne et séjourne principalement chez son père pendant les vacances scolaires. Selon les indications contenues dans la demande de décision préjudicielle, ZO conserve une adresse dans la commune où réside sa mère en Belgique, mais refuse d’entrer en contact avec cette dernière.
16 Dans l’affaire au principal, ZO demande à sa mère le versement d’une pension alimentaire, qui doit encore être chiffrée, pour la période commençant au mois de novembre 2017 jusqu’à une date non spécifiée. La mère soulève une exception de litispendance.
17 En effet, à la date de l’introduction de l’affaire au principal, une procédure engagée par la mère contre le père de ZO était déjà en cours devant le tribunal de première instance d’Eupen. Dans le cadre de cette procédure, la mère fait valoir un droit à indemnisation pour avoir assuré l’hébergement et l’entretien de sa fille du 1er août 2017 au 31 décembre 2018.
18 Par ordonnance du 3 novembre 2021, l’Amtsgericht Mönchengladbach-Rheydt (tribunal de district de Mönchengladbach-Rheydt, Allemagne) s’est déclaré compétent pour connaître de la demande de ZO au titre de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009. Il a, toutefois, rejeté cette demande comme étant irrecevable en raison de l’existence d’une situation de litispendance, une procédure ayant été introduite préalablement par la mère devant le tribunal de première instance d’Eupen. L’Amtsgericht
Mönchengladbach-Rheydt (tribunal de district de Mönchengladbach-Rheydt) a, notamment, indiqué que les deux procédures visaient l’obtention d’aliments pour un enfant, précisant, en outre, que, en Belgique, conformément aux articles 203 et 203 bis du code civil, les parents, en vertu d’une obligation de contribution mutuelle, sont tenus d’assumer l’entretien de leurs enfants jusqu’à l’achèvement de leur formation, même au-delà de leur majorité fixée à 18 ans.
19 Par ordonnance du 26 avril 2022, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) a fait droit à l’appel interjeté par ZO contre l’ordonnance de l’Amtsgericht Mönchengladbach-Rheydt (tribunal de district de Mönchengladbach-Rheydt) au motif que les deux procédures ne concernent pas les mêmes parties et n’a ni le même objet ni la même cause. Il a renvoyé l’affaire devant l’Amtsgericht Mönchengladbach-Rheydt (tribunal de district de Mönchengladbach-Rheydt) afin
qu’elle soit rejugée.
20 Ce dernier tribunal, qui est la juridiction de renvoi, estime, en référence à l’arrêt du 19 mai 1998, Drouot assurances (C‑351/96, EU:C:1998:242), que les intérêts de la requérante au principal et de son père, défendeur au principal devant le tribunal de première instance d’Eupen, sont à ce point identiques que ces personnes peuvent être considérées comme étant une seule et même partie aux fins de la litispendance. De plus, les deux procédures en cours auraient le même objet, à savoir une action
visant à obtenir le versement d’une pension alimentaire. Toutefois, la juridiction de renvoi éprouve des doutes sur l’interprétation de l’article 12 du règlement no 4/2009 et sur l’application de cet article 12 dans l’affaire au principal.
21 Dans ces conditions, l’Amtsgericht Mönchengladbach-Rheydt (tribunal de district de Mönchengladbach-Rheydt) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Existe-t-il un litige ayant le même objet pendant devant une autre juridiction au sens du règlement (CE) no 4/2009 [...], lorsqu’une procédure visant à l’obtention d’aliments pour un enfant est conduite, en Belgique, entre le père de l’enfant et la mère de celui-ci, tandis qu’une procédure visant à l’obtention d’aliments pour un enfant est conduite ultérieurement en Allemagne par l’enfant, devenu entre-temps majeur, contre sa mère ? »
Sur la question préjudicielle
22 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 4/2009 doit être interprété en ce sens que les conditions de reconnaissance d’une situation de litispendance prévues à cette disposition, selon lesquelles les demandes ont le même objet et doivent être formées entre les mêmes parties, sont satisfaites lorsque, à la date de la demande par un enfant, devenu entre-temps majeur, de versement d’une pension alimentaire à la charge de sa mère,
présentée devant une juridiction d’un État membre, une demande a déjà été introduite par la mère devant une juridiction d’un autre État membre par laquelle elle réclame au père de l’enfant une indemnité pour l’hébergement et l’entretien de cet enfant.
23 Il importe, à titre liminaire, de rappeler que, ainsi qu’il ressort de l’article 68, paragraphe 1, et de l’article 75, paragraphe 2, du règlement no 4/2009, ce règlement a remplacé, en matière d’obligations alimentaires, le règlement no 44/2001, lequel avait lui-même remplacé, entre les États membres, la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les
conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci-après la « convention de Bruxelles »).
24 Ainsi que la Commission l’a fait en substance valoir dans ses observations écrites, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de l’un de ces instruments juridiques vaut également pour celle des autres, lorsque ces dispositions peuvent être qualifiées d’« équivalentes » (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2022, London Steam-Ship Owners’ Mutual Insurance Association, C‑700/20, EU:C:2022:488, point 42).
25 Tel est le cas des dispositions relatives à la litispendance, qui sont contenues respectivement à l’article 21, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, à l’article 27 du règlement no 44/2001, ainsi que, en matière d’obligations alimentaires, à l’article 12 du règlement no 4/2009, et dont les dispositions sont rédigées en des termes similaires.
26 Ainsi, de manière analogue à l’article 21, premier alinéa, de la convention de Bruxelles et à l’article 27, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 4/2009 prévoit que, lorsque les demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.
27 Cette règle de litispendance, à l’instar de celle de l’article 21, premier alinéa, de la convention de Bruxelles et de celle de l’article 27 du règlement no 44/2001, tend, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, tel que cet intérêt est notamment rappelé au considérant 15 du règlement no 4/2009, à réduire la possibilité de procédures parallèles devant les juridictions de différents États membres et à éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues lorsque plusieurs fors
sont compétents pour connaître du même litige (voir, par analogie, arrêts du 14 octobre 2004, Mærsk Olie & Gas, C‑39/02, EU:C:2004:615, point 31, ainsi que du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen et Aertssen Terrassements, C‑523/14, EU:C:2015:722, point 39).
28 Ainsi, l’article 12 du règlement no 4/2009 vise à exclure, dans toute la mesure du possible, une situation telle que celle visée à l’article 24, premier alinéa, sous c), de ce règlement, à savoir la non-reconnaissance d’une décision en raison de son caractère inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l’État membre requis (voir, en ce sens, par analogie, arrêt du 14 octobre 2004, Mærsk Olie & Gas, C‑39/02, EU:C:2004:615, point 31).
29 Ce mécanisme de résolution des cas de litispendance revêt un caractère objectif et automatique et se fonde sur l’ordre chronologique dans lequel les juridictions en cause ont été saisies (voir, par analogie, arrêt du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen et Aertssen Terrassements, C‑523/14, EU:C:2015:722, point 48 ainsi que jurisprudence citée).
30 Par ailleurs, eu égard à la circonstance que l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 4/2009 renvoie non pas aux ordres juridiques des États membres, mais se réfère à plusieurs conditions matérielles en tant qu’éléments de la définition d’une situation de litispendance, les notions utilisées à cet article 12 doivent être considérées comme étant autonomes (voir, en ce sens, par analogie, arrêt du 8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik, 144/86, EU:C:1987:528, point 11).
31 Ainsi qu’il résulte du libellé de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 4/2009, tel qu’il a été rappelé au point 26 du présent arrêt, plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies pour déterminer une situation de litispendance. Ainsi, celle-ci est établie lorsque les demandes sont formées « entre les mêmes parties », qu’elles ont « le même objet » et « la même cause ».
32 Dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi s’interroge sur la satisfaction des conditions relatives à l’identité des parties et l’identité de l’objet des demandes introduites dans les deux procédures parallèles pendantes.
33 En premier lieu, s’agissant de la condition selon laquelle les demandes doivent être formées entre les « mêmes parties », les doutes émis par la juridiction de renvoi proviennent de la circonstance que, tandis que le litige devant le tribunal de première instance d’Eupen oppose la mère et le père de l’enfant, le litige porté devant elle oppose cet enfant, devenu entre-temps majeur, à sa mère, de sorte que, formellement, ces parties ne sont pas identiques.
34 À cet égard, la Cour a certes déjà jugé qu’il importe, en principe, que les parties aux litiges soient identiques, indépendamment de la position de l’une ou de l’autre d’entre elles dans les deux procédures parallèles (voir, en ce sens, par analogie, arrêt du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen et Aertssen Terrassements, C‑523/14, EU:C:2015:722, point 41 ainsi que jurisprudence citée).
35 Toutefois, ainsi que le relève la juridiction de renvoi, la Cour a admis, dans l’arrêt du 19 mai 1998, Drouot assurances (C‑351/96, EU:C:1998:242, points 19, 23 et 25), qui portait sur l’interprétation de l’article 21, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, que des parties formellement différentes, à savoir un assureur et son assuré, puissent, par rapport à l’objet des deux litiges en présence, avoir des intérêts à ce point identiques et indissociables qu’un jugement prononcé contre l’une
aurait force de chose jugée à l’égard de l’autre, de sorte qu’elles devaient être considérées comme étant une seule et même partie aux fins de l’application de cette disposition.
36 Une interprétation analogue de la notion de « mêmes parties » peut être retenue dans le cadre de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 4/2009.
37 En effet, eu égard à l’objet matériel de ce règlement, qui porte, ainsi que l’énonce l’article 1er, paragraphe 1, de celui-ci sur les obligations alimentaires découlant des relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance et concerne, par conséquent, fréquemment, des créances alimentaires d’un enfant mineur d’âge, qui sont introduites par d’autres personnes, comme l’un et/ou l’autre de ses parents ou un organisme public de prestations sociales légalement subrogé dans les droits de ce
créancier, il convient d’admettre que, dans certaines situations, des parties formellement différentes puissent, par rapport à l’objet de deux litiges en présence, avoir un intérêt à ce point identique et indissociable, à savoir l’intérêt de l’enfant concerné en tant que créancier d’aliments, qu’un jugement prononcé contre l’une de ces parties aurait force de chose jugée à l’égard de l’autre. Dans un tel cas, lesdites parties doivent pouvoir être considérées comme étant une seule et même partie,
au sens de l’article 12 dudit règlement.
38 Cette interprétation est confortée par l’article 3, sous c), du règlement no 4/2009. En effet, cette disposition admet qu’une action en matière d’obligations alimentaires peut également être introduite accessoirement dans le cadre d’une action relative à l’état des personnes, telle qu’une procédure de divorce, dont les parties sont nécessairement les parents de l’enfant concerné et dont l’un au moins de ces parents représente les intérêts de cet enfant dans l’action accessoire relative à
l’obligation alimentaire.
39 Dans l’affaire au principal, il incombera donc à la juridiction de renvoi de s’assurer que, eu égard à l’objet des procédures parallèles et à la circonstance que la requérante au principal est devenue majeure en cours de procédure, les intérêts de cette requérante sont à ce point indissociables de ceux de son père, défendeur devant le tribunal de première instance d’Eupen, qu’un jugement prononcé dans l’une de ces affaires contre l’une de ces parties aurait force de chose jugée à l’égard de
l’autre partie.
40 En second lieu, en ce qui concerne la condition selon laquelle l’objet des demandes doit être identique, il importe de rappeler que cette condition signifie que ces demandes doivent tendre au même but, en tenant compte des prétentions respectives des demandeurs dans chacun des litiges et non pas des moyens de défense éventuellement soulevés par un défendeur (voir, en ce sens, par analogie, arrêt du 8 mai 2003, Gantner Electronic, C‑111/01, EU:C:2003:257, points 25 et 26 ainsi que jurisprudence
citée).
41 À cet égard, il résulte de la demande de décision préjudicielle que, devant le tribunal de première instance d’Eupen, la mère réclame au père le remboursement des frais d’hébergement et d’entretien de leur fille, qui ont été exposés entre le 1er août 2017 et le 31 décembre 2018, tandis que, devant la juridiction de renvoi, la requérante au principal réclame à sa mère le versement, en espèces, d’une pension alimentaire, pour la période courant du 1er novembre 2017 jusqu’à une date non spécifiée,
mais qui est susceptible de se poursuivre après le mois de novembre 2019, mois durant lequel la requérante au principal est devenue majeure.
42 Dès lors, il n’apparaît pas, ainsi que la Commission l’a fait valoir dans ses observations écrites, que les demandes formées dans chacun des litiges parallèles en cause présentent le même objet. En effet, bien que ces litiges concernent, de manière générique, le versement d’aliments, les prétentions des demandeurs n’ont pas de but identique et ne portent pas sur une même période.
43 Par conséquent, les conditions énoncées à l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 4/2009 étant cumulatives, une situation de litispendance ne peut être constatée eu égard aux informations dont dispose la Cour.
44 Cela étant, il importe de souligner que, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, l’absence d’une situation de litispendance ne fait pas obstacle à l’application de l’article 13 du règlement no 4/2009 si la juridiction de renvoi estime que les demandes en cause sont liées entre elles par un rapport suffisamment étroit pour qu’elles puissent être considérées comme étant connexes, au sens de cet article 13, paragraphe 3, de telle sorte que, saisie en second lieu, cette juridiction pourrait
surseoir à statuer.
45 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 4/2009 doit être interprété en ce sens que les conditions de reconnaissance d’une situation de litispendance prévues à cette disposition, selon lesquelles les demandes ont le même objet et doivent être formées entre les mêmes parties, ne sont pas satisfaites lorsque, à la date de la demande par un enfant, devenu entre-temps majeur, de versement d’une
pension alimentaire à la charge de sa mère, présentée devant une juridiction d’un État membre, une demande a déjà été introduite par la mère devant une juridiction d’un autre État membre par laquelle elle réclame au père de l’enfant une indemnité pour l’hébergement et l’entretien de cet enfant, puisque les prétentions des demandeurs ne poursuivent pas un but identique et ne se recouvrent pas du point de vue temporel. L’absence d’une situation de litispendance, au sens de l’article 12,
paragraphe 1, du règlement no 4/2009, ne fait cependant pas obstacle à l’application de l’article 13 de ce règlement si les demandes en cause sont liées entre elles par un rapport suffisamment étroit pour qu’elles puissent être considérées comme étant connexes, au sens de cet article 13, paragraphe 3, de telle sorte que, saisie en second lieu, la juridiction de renvoi pourrait surseoir à statuer.
Sur les dépens
46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
L’article 12, paragraphe 1, du règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires,
doit être interprété en ce sens que :
les conditions de reconnaissance d’une situation de litispendance prévues à cette disposition, selon lesquelles les demandes ont le même objet et doivent être formées entre les mêmes parties, ne sont pas satisfaites lorsque, à la date de la demande par un enfant, devenu entre-temps majeur, de versement d’une pension alimentaire à la charge de sa mère, présentée devant une juridiction d’un État membre, une demande a déjà été introduite par la mère devant une juridiction d’un autre État membre par
laquelle elle réclame au père de l’enfant une indemnité pour l’hébergement et l’entretien de cet enfant, puisque les prétentions des demandeurs ne poursuivent pas un but identique et ne se recouvrent pas du point de vue temporel. L’absence d’une situation de litispendance, au sens de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 4/2009, ne fait cependant pas obstacle à l’application de l’article 13 de ce règlement si les demandes en cause sont liées entre elles par un rapport suffisamment étroit
pour qu’elles puissent être considérées comme étant connexes, au sens de cet article 13, paragraphe 3, de telle sorte que, saisie en second lieu, la juridiction de renvoi pourrait surseoir à statuer.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.
( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.