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30/05/2024 | CJUE | N°C-627/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, AB contre Finanzamt Köln-Süd., 30/05/2024, C-627/22


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

30 mai 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur la libre circulation des personnes – Travailleur d’un État membre ayant transféré son domicile vers la Suisse – Avantages fiscaux – Impôt sur le revenu – Mécanisme de l’“imposition sur demande” – Contribuables bénéficiaires – Limitation aux travailleurs salariés assujettis partiellement ayant leur résidence dans un État membre ou dans un État partie à l’accord sur l’Espace

économique européen (EEE) – Égalité
de traitement »

Dans l’affaire C‑627/22,

ayant pour objet une demand...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

30 mai 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur la libre circulation des personnes – Travailleur d’un État membre ayant transféré son domicile vers la Suisse – Avantages fiscaux – Impôt sur le revenu – Mécanisme de l’“imposition sur demande” – Contribuables bénéficiaires – Limitation aux travailleurs salariés assujettis partiellement ayant leur résidence dans un État membre ou dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) – Égalité
de traitement »

Dans l’affaire C‑627/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Finanzgericht Köln (tribunal des finances de Cologne, Allemagne), par décision du 20 septembre 2022, parvenue à la Cour le 4 octobre 2022, dans la procédure

AB

contre

Finanzamt Köln-Süd,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. T. von Danwitz, P. G. Xuereb, A. Kumin et Mme I. Ziemele (rapporteure), juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. B.-R. Killmann et W. Roels, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 novembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, signé à Luxembourg le 21 juin 1999 (JO 2002, L 114, p. 6), tel qu’adapté en dernier lieu par le protocole du 4 mars 2016 concernant la participation, en tant que partie contractante, de la République de Croatie, à la suite de son adhésion à l’Union européenne (JO 2017, L 31,
p. 3) (ci-après l’« ALCP »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AB au Finanzamt Köln-Süd (administration des finances de Köln-Süd, Allemagne) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet du calcul de l’impôt sur le revenu pour la période d’imposition correspondant aux années 2017 à 2019 (ci-après la « période en cause au principal »).

Le cadre juridique

L’ALCP

3 La Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, ont signé, le 21 juin 1999, sept accords, au nombre desquels figure l’ALCP. Par la décision 2002/309/CE, Euratom du Conseil et de la Commission en ce qui concerne l’accord de coopération scientifique et technologique, du 4 avril 2002, relative à la conclusion de sept accords avec la Confédération suisse (JO 2002, L 114, p. 1, et rectificatif JO 2015, L 210, p. 38), ces sept accords ont été
approuvés au nom de la Communauté européenne et sont entrés en vigueur le 1er juin 2002.

4 Aux termes du préambule de l’ALCP, les parties contractantes sont « décidé[e]s à réaliser la libre circulation des personnes entre [elles] en s’appuyant sur les dispositions en application dans la Communauté européenne ».

5 L’article 1er de l’ALCP énonce :

« L’objectif de cet accord, en faveur des ressortissants des États membres de la Communauté européenne et de la Suisse, est :

a) d’accorder un droit d’entrée, de séjour, d’accès à une activité économique salariée, d’établissement en tant qu’indépendant et le droit de demeurer sur le territoire des parties contractantes ;

[...]

c) d’accorder un droit d’entrée et de séjour, sur le territoire des parties contractantes, aux personnes sans activité économique dans le pays d’accueil ;

d) d’accorder les mêmes conditions de vie, d’emploi et de travail que celles accordées aux nationaux. »

6 L’article 2 dudit accord, intitulé « Non-discrimination », dispose :

« Les ressortissants d’une partie contractante qui séjournent légalement sur le territoire d’une autre partie contractante ne sont pas, dans l’application et conformément aux dispositions des annexes I, II et III de cet accord, discriminés en raison de leur nationalité. »

7 L’article 4 du même accord, intitulé « Droit de séjour et d’accès à une activité économique », est ainsi libellé :

« Le droit de séjour et d’accès à une activité économique est garanti [...] conformément aux dispositions de l’annexe I. »

8 L’article 6 de l’ALCP prévoit :

« Le droit de séjour sur le territoire d’une partie contractante est garanti aux personnes n’exerçant pas d’activité économique selon les dispositions de l’annexe I relatives aux non-actifs. »

9 Aux termes de l’article 7 de cet accord, intitulé « Autres droits » :

« Les parties contractantes règlent, conformément à l’annexe I, notamment les droits mentionnés ci-dessous liés à la libre circulation des personnes :

a) le droit à l’égalité de traitement avec les nationaux en ce qui concerne l’accès à une activité économique et son exercice ainsi que les conditions de vie, d’emploi et de travail ;

[...] »

10 L’article 10 dudit accord, intitulé « Dispositions transitoires et développement de l’accord », prévoit, notamment, à ses paragraphes 1 à 1c, le droit de la Confédération suisse et de certains États membres de maintenir des limites quantitatives concernant l’accès à une activité économique pour certaines catégories de séjours et pour une certaine période, à ses paragraphes 2 à 2c, le droit des parties contractantes de maintenir, pendant une certaine période, les contrôles de la priorité du
travailleur intégré dans le marché régulier du travail et des conditions de salaire et de travail pour les ressortissants de l’autre partie contractante, et, à ses paragraphes 3 à 3c, le droit de la Confédération suisse de réserver, à l’intérieur de ses contingents globaux, des minima de nouveaux titres de séjour à des travailleurs salariés et indépendants de l’Union européenne.

11 L’article 13 du même accord, intitulé « Stand still », dispose :

« Les parties contractantes s’engagent à ne pas adopter de nouvelles mesures restrictives à l’égard des ressortissants de l’autre partie dans les domaines d’application de cet accord. »

12 Aux termes de l’article 15 de l’ALCP, les annexes et les protocoles de celui-ci en font partie intégrante.

13 L’article 16 de cet accord, intitulé « Référence au droit communautaire », est ainsi libellé :

« 1.   Pour atteindre les objectifs visés par le présent accord, les parties contractantes prendront toutes les mesures nécessaires pour que les droits et obligations équivalant à ceux contenus dans les actes juridiques de la Communauté européenne auxquels il est fait référence trouvent application dans leurs relations.

2.   Dans la mesure où l’application du présent accord implique des notions de droit communautaire, il sera tenu compte de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes antérieure à la date de sa signature. La jurisprudence postérieure à la date de la signature du présent accord sera communiquée à la Suisse. En vue d’assurer le bon fonctionnement de l’accord, à la demande d’une partie contractante, le comité mixte déterminera les implications de cette
jurisprudence. »

14 L’article 21 dudit accord prévoit :

« 1.   Les dispositions des accords bilatéraux entre la Suisse et les États membres de la Communauté européenne en matière de double imposition ne sont pas affectées par les dispositions du présent accord. En particulier les dispositions du présent accord ne doivent pas affecter la définition du travailleur frontalier selon les accords de double imposition.

2.   Aucune disposition du présent accord ne peut être interprétée de manière à empêcher les parties contractantes d’établir une distinction, dans l’application des dispositions pertinentes de leur législation fiscale, entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans des situations comparables, en particulier en ce qui concerne leur lieu de résidence.

3.   Aucune disposition du présent accord ne fait obstacle à l’adoption ou l’application par les parties contractantes d’une mesure destinée à assurer l’imposition, le paiement et le recouvrement effectif des impôts ou à éviter l’évasion fiscale conformément aux dispositions de la législation fiscale nationale d’une partie contractante ou aux accords visant à éviter la double imposition liant la Suisse, d’une part, et un ou plusieurs États membres de la Communauté européenne, d’autre part, ou
d’autres arrangements fiscaux. »

15 L’annexe I du même accord est consacrée à la libre circulation des personnes.

16 L’article 6 de cette annexe I dispose, à son paragraphe 1 :

« Le travailleur salarié ressortissant d’une partie contractante (ci-après nommé travailleur salarié) qui occupe un emploi d’une durée égale ou supérieure à un an au service d’un employeur de l’État d’accueil reçoit un titre de séjour d’une durée de cinq ans au moins à dater de sa délivrance [...] »

17 L’article 7, paragraphe 1, de ladite annexe I énonce :

« Le travailleur frontalier salarié est un ressortissant d’une partie contractante qui a sa résidence sur le territoire d’une partie contractante et qui exerce une activité salariée sur le territoire de l’autre partie contractante en retournant à son domicile en principe chaque jour, ou au moins une fois par semaine. »

18 L’article 8 de la même annexe I dispose :

« 1.   Les travailleurs salariés ont le droit à la mobilité professionnelle et géographique sur l’ensemble du territoire de l’État d’accueil.

2.   La mobilité professionnelle comprend le changement d’employeur, d’emploi, de profession et le passage d’une activité salariée à une activité indépendante. La mobilité géographique comprend le changement de lieu de travail et de séjour. »

19 L’article 9 de l’annexe I de l’ALCP, intitulé « Égalité de traitement », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Un travailleur salarié ressortissant d’une partie contractante ne peut, sur le territoire de l’autre partie contractante, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux salariés en ce qui concerne les conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage.

2.   Le travailleur salarié et les membres de sa famille [...] y bénéficient des mêmes avantages fiscaux et sociaux que les travailleurs salariés nationaux et les membres de leur famille. »

20 Aux termes de l’article 24 de cette annexe I :

« 1.   Une personne ressortissante d’une partie contractante n’exerçant pas d’activité économique dans l’État de résidence et qui ne bénéficie pas d’un droit de séjour en vertu d’autres dispositions du présent accord reçoit un titre de séjour d’une durée de cinq ans au moins, à condition qu’elle prouve aux autorités nationales compétentes qu’elle dispose pour elle-même et les membres de sa famille :

a) de moyens financiers suffisants pour ne devoir faire appel à l’aide sociale pendant leur séjour ;

b) d’une assurance-maladie couvrant l’ensemble des risques [...]

[...] »

Le droit allemand

21 L’Einkommensteuergesetz (loi relative à l’impôt sur le revenu), dans sa version applicable au litige au principal (BGBl. 2009 I, p. 3366) (ci‑après l’« EStG »), énonce, à son article 1er, intitulé « Assujettissement » :

« 1.   Les personnes physiques qui ont un domicile ou leur résidence habituelle en Allemagne sont intégralement assujetties à l’impôt sur le revenu. [...]

[...]

4.   Les personnes physiques qui n’ont ni un domicile ni leur résidence habituelle en Allemagne sont, sous réserve des paragraphes 2 et 3 et de l’article 1a, assujetties de manière limitée à l’impôt sur le revenu si elles ont des revenus nationaux au sens de l’article 49.

[...] »

22 L’article 9, paragraphe 1, de l’EStG est ainsi libellé :

« Les frais professionnels sont les dépenses exposées pour l’acquisition, la sauvegarde et la conservation des recettes. Ils doivent être déduits de la catégorie de revenus dans laquelle ils ont été générés. [...] »

23 Aux termes de l’article 39a de l’EStG, intitulé « Abattement et majoration au titre de la quote-part non imposée des salaires complémentaires » :

« (1)   À la demande d’un salarié intégralement soumis à l’impôt sur le revenu, l’administration fiscale calcule le montant total de l’abattement qu’il convient de déduire de son salaire en faisant la somme des montants suivants :

1. Les frais professionnels grevant les revenus d’une activité salariée, dès lors qu’ils dépassent le forfait salarié [article 9a, première phrase, point 1, sous a)], [...]

[...]

(2)   Le salarié présente la demande visée au paragraphe 1 sur le formulaire administratif préimprimé prévu à cet effet, qu’il signe de sa propre main. Le délai imparti pour présenter cette demande commence à courir le 1er octobre de l’année précédant celle à laquelle l’abattement doit être appliqué. Ce délai prend fin le 30 novembre de l’année civile durant laquelle s’applique l’abattement. [...]

[...]

(4)   Pour un travailleur partiellement assujetti à l’impôt sur le revenu, auquel s’applique l’article 50, paragraphe 1, quatrième phrase, l’administration fiscale détermine, sur demande, un abattement à déduire du salaire total, à partir de la somme des montants suivants :

1. les frais professionnels engagés pour tirer des revenus d’une activité salariée, [...]

[...]

La demande ne peut être présentée que sur le formulaire prescrit par l’administration jusqu’à la fin de l’année civile à laquelle s’appliquent les données spécifiques aux fins de la retenue à la source de l’impôt sur les salaires. »

24 L’article 46, paragraphe 2, points 4 et 8, et paragraphe 4, de l’EStG est ainsi libellé :

« (2)   Lorsque le revenu est constitué, en tout ou partie, de revenus d’une activité salariée ayant fait l’objet d’une retenue à la source, il n’est procédé à une imposition que :

[...]

4. lorsque, pour un contribuable donné, un abattement au sens de l’article 39a, paragraphe 1, première phrase, points 1 à 3, 5, ou 6 de l’EStG a été déterminé et que le salaire total perçu durant l’année civile dépasse 11600 euros [11200 euros pour 2017 et 11400 euros pour 2018], [...] ; la même règle s’applique aux contribuables appartenant à la catégorie de personnes définie dans l’article 1er, paragraphe 2, ou aux salariés partiellement soumis à l’impôt sur le revenu, lorsque ces
enregistrements apparaissent sur un certificat fiscal délivré aux fins de la retenue à la source (article 39, paragraphe 3, première phrase) ;

[...]

8. si l’imposition est demandée, notamment aux fins de l’imputation de l’impôt sur les salaires sur l’impôt sur le revenu. La demande doit être présentée par le dépôt d’une déclaration d’impôt sur le revenu.

[...]

(4)   Si l’application du régime de l’imposition en vertu du paragraphe 2 est exclue, l’impôt sur le revenu qui est dû au titre des revenus tirés d’une activité salariée est réputé acquitté par le contribuable au moyen de la retenue à la source effectuée sur son salaire au titre de l’impôt sur les salaires, à condition qu’elle ne puisse pas être utilisée pour compenser un moins-perçu d’impôt sur les salaires. [...] »

25 L’article 49, paragraphe 1, de l’EStG, intitulé « Revenus partiellement imposables », dispose :

« (1)   Constituent des revenus nationaux aux fins de l’assujettissement partiel à l’impôt sur le revenu (article 1er, paragraphe 4) :

[...]

4. les revenus d’un travail salarié (article 19)

a) qui est ou a été exercé ou exploité en Allemagne,

[...]

[...] »

26 L’article 50 de l’EStG, portant dispositions spécifiques concernant les assujettis partiels, prévoit :

« (1)   Les personnes partiellement soumises à l’impôt sur le revenu n’ont la faculté de déduire les charges déductibles visées à l’article 4, paragraphes 4 à 8 ou les frais professionnels visés à l’article 9 que dans la mesure où ces frais et charges présentent un lien économique avec des revenus nationaux. [...]

(2)   L’impôt sur le revenu applicable aux revenus soumis au prélèvement à la source sur le salaire [...] est réputé, s’agissant des contribuables partiellement soumis à l’impôt, acquitté par le prélèvement à la source. La première phrase ne s’applique pas :

[...]

4. aux revenus d’un travail salarié au sens de l’article 49, paragraphe 1, point 4,

a) en cas de constitution d’un abattement en tant que donnée spécifique aux fins de la retenue à la source de l’impôt sur les salaires conformément à l’article 39a, paragraphe 4, ou

b) en cas de demande d’imposition sur le revenu (article 46, paragraphe 2, point 8) ;

[...]

[...] La deuxième phrase, point 4, sous b), [s’applique] uniquement aux ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou d’un autre État auquel s’applique l’accord sur l’Espace économique européen[, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’“accord EEE”)], qui ont leur domicile ou leur résidence habituelle sur le territoire de l’un de ces États. [...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

27 Au cours de la période en cause au principal, AB, un ressortissant allemand, a travaillé en tant que gestionnaire pour le compte d’une société allemande établie à Z (Allemagne) et a tiré de cet emploi des revenus d’une activité salariée, tout en ayant son domicile et sa résidence habituelle en Suisse. AB exerçait ses activités en télétravail depuis son domicile en Suisse ainsi que dans le cadre de déplacements professionnels en Allemagne.

28 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que AB a déménagé d’Allemagne en Suisse au mois d’avril 2016 pour des raisons familiales liées à la prise d’un emploi dans cet État par son épouse et que son installation en Suisse a été réalisée en bonne et due forme dans le cadre d’une autorisation d’établissement.

29 Au cours de la période en cause au principal, AB était soumis en Allemagne à un assujettissement partiel, conformément à l’article 1er, paragraphe 4, de l’EStG. L’intégralité de son salaire faisait l’objet d’un impôt sur les salaires, dont le prélèvement par une retenue à la source et le reversement à l’administration fiscale ont été effectués par l’employeur de AB.

30 Dans le cadre de ses déplacements professionnels AB a utilisé un véhicule automobile acquis en crédit-bail, non fourni par l’employeur, et a supporté, notamment, des frais propres liés à ce véhicule ainsi que d’autres frais de déplacement. Pendant la période en cause au principal, il n’a fait inscrire aucun abattement par l’administration fiscale.

31 Outre ses revenus salariaux, AB a perçu des revenus tirés de la location et de l’affermage de deux biens immobiliers situés en Allemagne.

32 Dans ses déclarations d’impôt sur le revenu relatives à la période en cause au principal, déposées auprès de l’administration fiscale, AB a déclaré, outre des revenus provenant de la location et de l’affermage, des revenus d’une activité salariée. S’agissant de l’année d’imposition 2017, il a indiqué que, sur des revenus bruts provenant d’une activité salariée d’un montant total de 113299,41 euros, un salaire brut de 63651 euros correspondait aux activités exercées en Allemagne et y était
imposable. S’agissant de l’année d’imposition 2018, sur des revenus bruts provenant d’une activité salariée d’un montant total de 115498,41 euros, un salaire brut de 60932 euros correspondrait aux activités exercées en Allemagne et, s’agissant de l’année d’imposition 2019, sur des revenus bruts provenant d’une activité salariée d’un montant total de 115314,91 euros, un salaire brut de 57429 euros correspondrait aux activités exercées en Allemagne.

33 Dans lesdites déclarations, AB a fait valoir, en tant que frais contribuant à réduire le montant de l’impôt, des frais professionnels, à savoir des dépenses liées à une activité imposable en Allemagne, et a présenté une demande d’imposition sur le revenu, conformément à l’article 50, paragraphe 2, deuxième phrase, point 4, sous b), de l’EStG, lu en combinaison avec l’article 50, paragraphe 2, septième phrase, de celui‑ci (ci-après l’« imposition sur demande »).

34 Dans les avis d’imposition relatifs à la période en cause au principal, l’administration fiscale s’est basée uniquement sur les revenus tirés de la location et de l’affermage pour le calcul de l’impôt sur le revenu, considérant que l’impôt sur les revenus salariaux avait déjà été acquitté par la retenue à la source conformément à l’article 50, paragraphe 2, première phrase, de l’EStG. En conséquence, il n’y a pas eu non plus d’imputation de l’impôt allemand sur les salaires déjà payé ni de la
surtaxe de solidarité sur le montant calculé de l’impôt allemand sur le revenu. L’administration fiscale a refusé l’imposition sur demande au motif que celle-ci était limitée aux travailleurs ayant leur domicile ou leur résidence habituelle dans un État membre de l’Union ou dans un État partie à l’accord EEE.

35 Les réclamations de AB contre ces avis d’imposition ayant été rejetées par décisions du 25 février 2020 et du 15 novembre 2021, AB a introduit un recours devant le Finanzgericht Köln (tribunal des finances de Cologne, Allemagne), la juridiction de renvoi, afin d’obtenir l’imposition sur demande avec répartition du salaire, différente par rapport à la retenue à la source de l’impôt sur les salaires, entre la République fédérale d’Allemagne et la Confédération suisse et la prise en compte des frais
professionnels.

36 Selon AB, le refus de l’imposition sur demande en cas de résidence en Suisse est contraire à l’ALCP compte tenu, notamment, de l’arrêt du 26 février 2019, Wächtler (C‑581/17, EU:C:2019:138), porterait atteinte au droit à l’égalité de traitement en matière d’avantages fiscaux, prévu à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe I de l’ALCP, et ne serait pas justifié. La clause de standstill prévue à l’article 13 de l’ALCP ne pourrait pas non plus être invoquée. La possibilité d’opter pour l’inscription
d’un abattement en tant que donnée spécifique aux fins de la retenue à la source de l’impôt sur les salaires (ci-après l’« inscription de l’abattement ») ne supprimerait pas l’inégalité de traitement ni ne constituerait un motif de justification. Une telle inscription devrait être demandée avant la fin de la période d’imposition, sans savoir exactement si et dans quelle mesure cela serait profitable et requerrait le dépôt impératif d’une déclaration d’impôt sur le revenu dans un délai déterminé
alors que, en cas d’imposition sur demande, il n’existerait qu’un délai de liquidation de quatre ans.

37 L’administration fiscale fait valoir, tout d’abord, que, à supposer que AB relève du champ d’application personnel de l’ALCP et de l’annexe I de celui-ci, ce dont cette administration doute, les droits convenus dans l’ALCP ne coïncideraient pas avec les libertés fondamentales garanties par le traité FUE. Ensuite, il découlerait de la clause de standstill, prévue à l’article 13 de l’ALCP, un droit au maintien de toutes les restrictions existant à la date de la signature de l’ALCP. Or, l’effet
libératoire de la retenue à la source de l’impôt sur les salaires, prévu par l’EStG, pour les revenus d’une activité salariée s’agissant des personnes soumises à un assujettissement partiel conformément à l’article 50, paragraphe 2, première phrase, de l’EStG s’appliquait déjà à cette date.

38 Enfin, une éventuelle inégalité de traitement fiscal serait justifiée, conformément à l’article 21, paragraphes 2 et 3, de l’ALCP. La possibilité, dans le cadre de la procédure d’imposition sur les salaires, de faire valoir ses frais professionnels et d’autres éléments contribuant à réduire l’impôt par l’inscription de l’abattement plaiderait contre l’existence d’une discrimination. Selon la jurisprudence de la Cour, l’existence de différentes procédures d’imposition ne constituerait pas une
violation des libertés fondamentales (arrêt du 22 décembre 2008, Truck Center, C‑282/07, EU:C:2008:762) et, contrairement à la situation en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31, points 53 et 54), la procédure d’abattement aux fins de l’impôt sur les salaires et la procédure d’imposition obligatoire ultérieure auraient permis, dans l’affaire en cause au principal, de procéder à la déduction des frais professionnels.

39 La juridiction de renvoi précise que, en vertu de l’article 49, paragraphe 1, point 4, sous a), de l’EStG, les revenus d’une activité salariée qui est ou a été exercée sur le territoire national, à savoir en Allemagne, sont des revenus nationaux aux fins de l’assujettissement partiel et qu’il est constant dans l’affaire au principal que seul le salaire correspondant à l’activité exercée en Allemagne, sur la base de la répartition par jours de travail, est soumis à l’impôt sur le revenu en
Allemagne.

40 Cette juridiction indique que, en vertu de l’article 50, paragraphe 2, première phrase, de l’EStG, l’impôt afférent aux revenus salariaux est, en principe, réputé acquitté par la retenue à la source sur le salaire. Cette retenue s’effectue, en principe, en fonction du salaire brut et, le cas échéant, de montants forfaitaires de retenue. Toutefois, conformément à l’EStG, une moindre retenue de l’impôt sur les salaires serait possible par l’inscription de l’abattement, qui pourrait être demandée
par tout travailleur partiellement assujetti à l’impôt sur le revenu, y compris résidant en Suisse, au moyen d’un formulaire prescrit par l’administration fiscale déposé en temps utile avant la fin de l’année civile.

41 Dans le cas d’une telle inscription, l’effet libératoire de la retenue à la source serait exclu en vertu de l’article 50, paragraphe 2, phrase 2, point 4, sous a), de l’EStG, et le contribuable devrait mener une procédure d’imposition (imposition obligatoire) dans le cadre de laquelle les revenus seraient calculés indépendamment des valeurs retenues dans la procédure d’imposition sur les salaires et l’impôt sur le revenu serait calculé en procédant notamment à l’imputation de l’impôt sur les
salaires déjà acquitté. L’inscription d’un abattement trop élevé pourrait conduire à des rappels d’impôts que l’administration fiscale devrait ensuite faire valoir auprès du contribuable résidant à l’étranger. Toutefois, en cas de frais professionnels plus élevés que l’abattement revendiqué dans le cadre de la procédure d’imposition ou, par exemple, de revenus qui ne sont que partiellement imposables, il pourrait également y avoir un droit au remboursement. Le contribuable serait également soumis
à une obligation de déposer une déclaration d’impôt et, à défaut, pourrait faire l’objet d’un calcul d’office avec estimation des bases d’imposition, d’une fixation d’une majoration de retard ou d’une menace d’infliction d’astreinte avec détermination de son montant.

42 En dehors de l’inscription de l’abattement, les ressortissants d’un État membre de l’Union ou d’un autre État partie à l’accord EEE, qui ont leur domicile ou leur résidence habituelle sur le territoire de l’un de ces États, pourraient opter pour l’imposition sur demande en vertu de l’article 50, paragraphe 2, deuxième phrase, point 4, sous b), et de l’article 46, paragraphe 2, point 8, de l’EStG. Le dépôt de la déclaration d’impôt équivaudrait à l’exercice du droit d’option et le contribuable
pourrait décider librement, dans le délai de liquidation de quatre ans, s’il souhaite déposer une déclaration d’impôt sur le revenu, ce qu’il ne ferait, selon la juridiction de renvoi, que si l’impôt sur les salaires payé est plus élevé que l’impôt sur le revenu calculé.

43 Cette juridiction précise que l’article 46 de l’EStG concernant l’imposition sur demande de travailleurs nationaux est en vigueur depuis des décennies, tandis que le droit d’imposition sur demande pour les ressortissants des États membres et des autres États parties à l’accord EEE résidant dans ces États est en vigueur depuis le 1er janvier 1997 et a été introduit en réaction à l’arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31).

44 La juridiction de renvoi indique que, si l’ALCP devait être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la limitation de l’imposition sur demande aux contribuables résidant dans un autre État membre ou dans un autre État partie à l’accord EEE, il conviendrait de procéder à une imposition sur demande pour la période en cause au principal, ce qui aurait pour conséquence la prise en compte des frais professionnels en faveur du requérant au principal et l’imputation de l’impôt allemand sur les salaires.
Il en résulterait pour AB un important remboursement d’impôt.

45 Dans ces conditions, le Finanzgericht Köln (tribunal des finances de Cologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions de [l’ALCP], notamment les articles 7 et 15 de l’ALCP, lus conjointement avec l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe I de l’ALCP (droit à l’égalité de traitement), doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à la réglementation d’un État membre en vertu de laquelle les travailleurs ressortissants d’un État membre de l’Union ou [d’un État partie à l’accord EEE] (y compris la République fédérale d’Allemagne), résidant (à savoir ayant leur domicile ou leur
résidence habituelle) en Allemagne ou dans un État membre de l’Union ou [un État partie à l’accord EEE], peuvent certes demander volontairement à être imposés à l’impôt sur le revenu au titre des revenus d’une activité salariée, imposables en Allemagne (“imposition sur demande”), notamment pour obtenir, en prenant en compte les dépenses (frais professionnels) ainsi qu’en imputant l’impôt allemand sur les salaires prélevé dans le cadre de la procédure de retenue à la source, un remboursement de
l’impôt sur le revenu, mais que ce droit est refusé aux ressortissants allemands et suisses résidant en Suisse ? »

Sur la question préjudicielle

46 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 7 et 15 de l’ALCP, lus en combinaison avec l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe I de l’ALCP, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui réserve aux contribuables ressortissants de cet État membre, d’un autre État membre ou d’un État partie à l’accord EEE, résidant sur le territoire de l’un de ces États, le droit d’opter pour une procédure d’imposition sur demande
des revenus d’une activité salariée afin d’obtenir la prise en compte de dépenses telles que les frais professionnels et l’imputation de l’impôt sur les salaires prélevé dans le cadre de la procédure de retenue à la source, pouvant conduire au remboursement de l’impôt sur le revenu, et ne confère pas un tel droit d’option notamment à un ressortissant du premier État membre, résidant en Suisse et percevant les revenus d’une activité salariée dans cet État membre.

Observations liminaires

47 À titre liminaire, il importe de rappeler que, l’ALCP étant un traité international, il doit être interprété, conformément à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331), de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte, et à la lumière de son objet et de son but. En outre, il résulte de cette disposition qu’un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est
établi que telle était l’intention des parties (arrêt du 26 février 2019, Wächtler, C‑581/17, EU:C:2019:138, point 35 et jurisprudence citée).

48 La Cour a déjà précisé, en premier lieu, que l’ALCP se situe dans le cadre plus général des relations entre l’Union et la Confédération suisse. Si cette dernière ne participe pas à l’Espace économique européen et au marché intérieur de l’Union, elle est, toutefois, liée à celle-ci par de multiples accords couvrant de vastes domaines et prévoyant des droits et des obligations spécifiques, analogues, à certains égards, à ceux prévus par le traité. L’objet général de ces accords, y compris de
l’ALCP, est de resserrer les liens économiques entre l’Union et la Confédération suisse (arrêts du 6 octobre 2011, Graf et Engel, C‑506/10, EU:C:2011:643, point 33, ainsi que du 26 février 2019, Wächtler, C‑581/17, EU:C:2019:138, point 36).

49 Toutefois, la Confédération suisse n’ayant pas adhéré au marché intérieur de l’Union, l’interprétation donnée des dispositions du droit de l’Union relatives à ce marché ne peut être automatiquement transposée à l’interprétation de l’ALCP, sauf dispositions expresses à cet effet prévues par cet accord lui-même (arrêts du 15 mars 2018, Picart, C‑355/16, EU:C:2018:184, point 29, et du 26 février 2019, Wächtler, C‑581/17, EU:C:2019:138, point 37).

50 S’agissant, en second lieu, de l’objectif poursuivi par l’ALCP et de l’interprétation de ses termes, la Cour a jugé qu’il résulte du préambule, de l’article 1er et de l’article 16, paragraphe 2, de cet accord que celui-ci vise à réaliser, en faveur des ressortissants, personnes physiques, de l’Union et de la Confédération suisse, la libre circulation des personnes sur le territoire de ces parties en s’appuyant sur les dispositions en application dans l’Union, dont les notions doivent être
interprétées en tenant compte de la jurisprudence pertinente de la Cour antérieure à la date de la signature dudit accord. Quant à la jurisprudence postérieure à cette date, l’article 16, paragraphe 2, de l’ALCP prévoit, d’une part, que cette jurisprudence doit être communiquée à la Confédération suisse et, d’autre part, que, en vue d’assurer le bon fonctionnement de cet accord, à la demande d’une partie contractante, le comité mixte prévu à l’article 14 dudit accord détermine les implications
d’une telle jurisprudence. Cela étant, même en l’absence de décision de ce comité, il y a lieu de prendre également en considération ladite jurisprudence pour autant que celle-ci ne fait que préciser ou confirmer les principes dégagés dans la jurisprudence existante à la date de la signature de l’ALCP relative aux notions de droit de l’Union, dont cet accord s’inspire (arrêt du 26 février 2019, Wächtler, C‑581/17, EU:C:2019:138, points 38 et 39).

51 C’est conformément à ces principes et à la lumière de ces considérations qu’il convient d’interpréter les stipulations de l’ALCP afin de déterminer, en premier lieu, si une situation telle que celle en cause au principal relève du champ d’application de cet accord et, dans l’affirmative, en second lieu, si celles-ci s’opposent à une réglementation telle que celle en cause au principal.

Sur l’applicabilité de l’ALCP

52 Il y a lieu de relever, tout d’abord, que, aux termes du préambule ainsi que de l’article 1er, sous a) et c), de l’ALCP, relèvent du champ d’application de cet accord des personnes physiques, ressortissantes des États membres de l’Union et de la Confédération suisse aussi bien exerçant une activité économique que n’exerçant pas une telle activité (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2019, Wächtler, C‑581/17, EU:C:2019:138, point 41).

53 Ensuite, il ressort du libellé de l’article 1er, sous a), c) et d), de l’ALCP que ce dernier vise à accorder à ces ressortissants notamment un droit d’entrée, de séjour, d’accès à une activité économique salariée ainsi que les mêmes conditions de vie, d’emploi et de travail que celles accordées aux nationaux (arrêt du 21 septembre 2016, Radgen, C‑478/15, EU:C:2016:705, point 37).

54 À cet égard, la Cour a déjà indiqué que l’ALCP garantit, à son article 4, le droit d’accès à une activité économique conformément aux dispositions de l’annexe I de cet accord, le chapitre II de cette annexe I contenant des dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs salariés et, en particulier, celles relatives au principe de l’égalité de traitement (arrêt du 21 septembre 2016, Radgen, C‑478/15, EU:C:2016:705, point 38). Par ailleurs, l’article 7, sous a), de l’ALCP prévoit que
les parties contractantes règlent, conformément à ladite annexe I, notamment le droit à l’égalité de traitement avec les nationaux en ce qui concerne l’accès à une activité économique et son exercice ainsi que les conditions de vie, d’emploi et de travail.

55 Enfin, l’article 2 de l’ALCP prévoit que les ressortissants d’une partie contractante qui séjournent légalement sur le territoire d’une autre partie contractante ne sont pas, dans l’application et conformément aux dispositions des annexes I à III de cet accord, discriminés en raison de leur nationalité. Le principe de non-discrimination énoncé à cet article 2 s’applique pour autant que la situation de ces ressortissants relève du champ d’application matériel des dispositions des annexes I à III
de l’ALCP (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2010, Hengartner et Gasser, C‑70/09, EU:C:2010:430, point 39).

56 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, au cours de la période en cause au principal, AB a exercé ses activités pour un employeur établi en Allemagne en télétravail depuis son domicile en Suisse ainsi que dans le cadre des déplacements professionnels vers l’Allemagne et a tiré de cet emploi des revenus d’une activité salariée, dont il conteste le traitement fiscal par cet État membre.

57 Il ressort également des indications de la juridiction de renvoi que l’imposition en Allemagne porte seulement sur le salaire correspondant à l’activité exercée en Allemagne, sur la base de la répartition par jours de travail.

58 Ainsi, en tant que ressortissant allemand séjournant légalement sur le territoire suisse, AB relève de la catégorie des personnes visées aux articles 1er et 2 de l’ALCP. Il convient encore de vérifier si la situation de AB relève du champ d’application matériel de l’annexe I de l’ALCP qui, conformément à l’article 15 de l’ALCP en fait partie intégrante et qui prévoit des dispositions relatives à la libre circulation des personnes, notamment aux travailleurs salariés.

59 Il importe de relever que le champ d’application personnel de la notion de « travailleur salarié », au sens de l’ALCP est défini aux articles 6 et 7 de l’annexe I de cet accord (voir, par analogie, arrêts du 15 mars 2018, Picart, C‑355/16, EU:C:2018:184, point 18, et du 26 février 2019, Wächtler, C‑581/17, EU:C:2019:138, point 47).

60 En vertu de l’article 6 de ladite annexe I, est considéré comme étant un travailleur salarié un ressortissant d’une partie contractante qui occupe un emploi au service de l’employeur de l’État d’accueil.

61 L’article 7, paragraphe 1, de la même annexe I définit le travailleur frontalier salarié comme étant un ressortissant d’une partie contractante ayant sa résidence sur le territoire d’une partie contractante et exerçant une activité salariée sur le territoire de l’autre partie contractante en retournant à son domicile en principe chaque jour, ou au moins une fois par semaine.

62 Cette disposition établit une distinction entre le lieu de résidence, situé sur le territoire d’une partie contractante, et le lieu d’exercice d’une activité salariée, qui doit se trouver sur le territoire de l’autre partie contractante, sans qu’il soit tenu compte de la nationalité de l’intéressé (arrêt du 19 novembre 2015, Bukovansky, C‑241/14, EU:C:2015:766, point 33 et jurisprudence citée).

63 Il convient de constater que l’article 7, paragraphe 1, de l’annexe I de l’ALCP est susceptible de s’appliquer à la situation de AB. En effet, ce dernier est le ressortissant « d’une partie contractante », à savoir la République fédérale d’Allemagne, il a sa résidence sur le territoire « d’une partie contractante », en l’occurrence la Confédération suisse, et il exerce une activité salariée sur le territoire de « l’autre partie contractante », à savoir la République fédérale d’Allemagne (voir, en
ce sens, arrêt du 19 novembre 2015, Bukovansky, C‑241/14, EU:C:2015:766, point 32).

64 Il appartient, toutefois, à la juridiction de renvoi de vérifier si la condition relative au retour au domicile, prévue à l’article 7, paragraphe 1, de l’annexe I de l’ALCP, est remplie dans la situation en cause au principal.

65 Si la juridiction de renvoi parvient au constat que, en raison des séjours sur le territoire allemand, sans retourner à son domicile, plus prolongés que ceux visés à l’article 7, paragraphe 1, de l’annexe I de l’ALCP, AB ne peut pas être qualifié de « travailleur frontalier salarié », il peut, toutefois, se prévaloir de l’ALCP en tant que « travailleur salarié », au sens de l’ALCP.

66 En effet, dans une situation caractérisée par le fait que la résidence de AB, citoyen allemand, est établie en Suisse et qu’il accomplit un travail salarié sur le territoire allemand pour un employeur qui est établi en Allemagne, le libellé de l’article 6 de l’annexe I de l’ALCP ne s’oppose pas à ce que ce dernier État puisse être considéré comme étant l’« État d’accueil », au sens des articles 6 et suivants de cette annexe I ,et que AB y soit considéré comme étant un « travailleur salarié », au
sens du chapitre II de l’annexe I de l’ALCP, à savoir comme étant un ressortissant d’une partie contractante qui occupe un emploi au service de l’employeur de l’État d’accueil qui est, en l’occurrence, également l’État d’origine de ce ressortissant.

67 Une telle conclusion est corroborée par l’économie du chapitre II de l’annexe I de l’ALCP, par les objectifs généraux de celui-ci ainsi que par les dispositions de l’article 6 de l’ALCP et de l’article 24, paragraphe 1, de l’annexe I de l’ALCP, qui consacrent le droit de séjour, à savoir le droit des ressortissants d’une partie contractante d’établir leur résidence sur le territoire de l’autre partie contractante indépendamment de l’exercice d’une activité économique.

68 Ainsi, si les dispositions de l’article 6 de l’annexe I de l’ALCP, relatives au titre de séjour, de l’article 8 de cette annexe I, relatives à la mobilité professionnelle et géographique, ainsi que de l’article 10 de ladite annexe I, prévoyant la faculté de refuser aux ressortissants d’une partie contractante le droit d’occuper un emploi dans l’administration publique liée à l’exercice de la puissance publique, ne confèrent pas de droits supplémentaires aux travailleurs salariés dans l’État
d’accueil dont ils sont ressortissants et ne peuvent pas leur être opposées, tel n’est pas le cas de l’article 9 de l’annexe I de l’ALCP, intitulé « Égalité de traitement », qui garantit l’application du principe de non-discrimination énoncé à l’article 2 de l’ALCP dans le cadre de la libre circulation des travailleurs (voir, par analogie, arrêts du 19 novembre 2015, Bukovansky, C‑241/14, EU:C:2015:766, point 47, et du 21 septembre 2016, Radgen, C‑478/15, EU:C:2016:705, point 39).

69 En effet, la Cour a déjà jugé qu’il est possible que les ressortissants d’une partie contractante puissent faire état de droits tirés de l’ALCP également à l’égard de leur propre pays, dans certaines circonstances et en fonction des dispositions applicables (arrêt du 28 février 2013, Ettwein, C‑425/11, EU:C:2013:121, point 33 et jurisprudence citée).

70 S’agissant des travailleurs salariés, la Cour a, notamment, considéré que l’article 9 de l’annexe I de l’ALCP, qui énonce, à son paragraphe 2, une règle spécifique visant à faire bénéficier le travailleur salarié et les membres de sa famille des mêmes avantages fiscaux et sociaux que ceux dont disposent les travailleurs salariés nationaux et les membres de leur famille, peut être invoqué par un travailleur ressortissant d’une partie contractante ayant exercé son droit de libre circulation, à
l’égard de son État d’origine (voir, en ce sens, arrêts du 19 novembre 2015, Bukovansky, C‑241/14, EU:C:2015:766, point 36, et du 21 septembre 2016, Radgen, C‑478/15, EU:C:2016:705, point 40).

71 Or, d’une part, la situation d’un travailleur salarié, tel que AB, qui a exercé son droit de libre circulation en transférant sa résidence de l’Allemagne vers la Suisse et qui occupe un emploi dans son État d’origine, qui est également son État d’accueil, est comparable à celle, examinée par la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 novembre 2015, Bukovansky (C‑241/14, EU:C:2015:766), d’un travailleur frontalier ressortissant allemand ayant transféré sa résidence de l’Allemagne vers
la Suisse tout en gardant son lieu de travail salarié dans le premier État.

72 D’autre part, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les dispositions du chapitre II de l’annexe I de l’ALCP et, notamment, le principe d’égalité de traitement s’appliquent de la même manière aux travailleurs salariés et aux travailleurs frontaliers salariés sans établir à cet égard une distinction entre eux (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2008, Stamm et Hauser, C‑13/08, EU:C:2008:774, point 42), la situation particulière des travailleurs frontaliers salariés étant prise en compte
à l’article 7 de l’annexe I de l’ALCP (voir, par analogie, arrêt du 28 février 2013, Ettwein, C‑425/11, EU:C:2013:121, points 37 et 38).

73 En outre, ainsi qu’il a été rappelé aux points 52 et 53 du présent arrêt, l’ALCP vise à faire bénéficier les ressortissants, personnes physiques, des États membres de l’Union et de la Confédération suisse de la libre circulation sur le territoire de ces parties à l’ALCP.

74 Par ailleurs, l’article 6 de l’ALCP et l’article 24, paragraphe 1, de l’annexe I de l’ALCP consacrent le droit de séjour, à savoir le droit des ressortissants d’une partie contractante d’établir leur résidence sur le territoire de l’autre partie contractante indépendamment de l’exercice d’une activité économique.

75 La reconnaissance du droit d’un travailleur salarié, tel que AB, ayant transféré sa résidence en Suisse et occupant un emploi au service d’un employeur établi en Allemagne, d’invoquer les dispositions de l’ALCP à l’égard de ce dernier État est de nature à lui permettre de profiter pleinement du droit de séjour prévu à ces dispositions, tout en maintenant son activité économique dans son pays d’origine (voir, par analogie, arrêt du 28 février 2013, Ettwein, C‑425/11, EU:C:2013:121, point 39). En
effet, la liberté de circulation des personnes garantie par l’ALCP serait entravée si un ressortissant d’une partie contractante subissait un désavantage dans son État d’origine pour la seule raison d’avoir exercé son droit à la libre circulation (arrêt du 26 février 2019, Wächtler, C‑581/17, EU:C:2019:138, point 53 et jurisprudence citée).

76 Par conséquent, la situation de AB relève du champ d’application de l’ALCP ainsi que de l’annexe I de celui-ci. En outre, le principe d’égalité de traitement, prévu à l’article 9 de ladite annexe I, s’applique dans la situation d’un travailleur salarié, tel que AB, ayant exercé sa liberté de circulation à l’égard de l’État membre d’accueil de ce travailleur qui est également l’État d’origine dudit travailleur.

77 Enfin, cette interprétation n’est pas remise en cause par l’arrêt du 12 novembre 2009, Grimme (C‑351/08, EU:C:2009:697), dans lequel la Cour a considéré que le principe de non-discrimination ne s’appliquait pas dans la situation d’un ressortissant d’un État membre, employé sur le territoire du même État membre, auprès d’une succursale d’une société de droit suisse. En effet, il résulte des faits de l’affaire ayant donné lieu audit arrêt que le seul élément de rattachement avec la Suisse était
constitué par le fait que la succursale auprès de laquelle l’intéressé était employé en Allemagne était une succursale d’une société de droit suisse.

78 Dès lors que la situation de AB relève du champ d’application de l’ALCP et que le principe d’égalité de traitement, prévu à l’article 9 de son annexe I, s’applique à une telle situation, il convient de vérifier si l’ALCP, interprété conformément aux principes et aux considérations rappelés aux points 47 à 50 du présent arrêt, s’oppose à ce que AB se voit refuser le droit d’opter pour une procédure d’imposition sur demande en Allemagne.

Sur la portée des stipulations de l’ALCP

Sur la différence de traitement à l’égard d’un avantage fiscal

79 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que le droit d’opter pour une imposition sur demande, dont souhaite bénéficier AB dans le cadre du litige au principal, est conféré aux contribuables ayant leur domicile ou leur résidence habituelle en Allemagne ainsi qu’aux contribuables non-résidents en Allemagne s’ils sont ressortissants d’un État membre ou d’un État partie à l’accord EEE et résident sur le territoire de l’un de ces États.

80 Il ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi que le droit d’option pour l’imposition sur demande permet, notamment, de prétendre à la déduction des frais professionnels nécessaires à l’obtention des revenus salariaux et à l’imputation de l’impôt sur les salaires prélevé dans le cadre de la procédure de retenue à la source, ce qui peut conduire au remboursement de l’impôt sur le revenu.

81 Par conséquent, ainsi que le relève M. l’avocat général au point 71 de ses conclusions, le droit d’option pour l’imposition sur demande constitue un avantage fiscal, au sens de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe I de l’ALCP.

82 La réglementation en cause au principal établit donc, s’agissant de la possibilité de bénéficier d’un avantage fiscal tel que le droit d’option pour l’imposition sur demande, une différence de traitement en fonction de la résidence du travailleur salarié, un ressortissant allemand, tel que AB, ne pouvant pas prétendre à ce droit d’option en raison de sa qualité de travailleur salarié résidant en Suisse.

83 Conformément à une jurisprudence antérieure à la date de la signature de l’ALCP et que la Cour a récemment rappelé dans son arrêt du 24 février 2015, Sopora (C‑512/13, EU:C:2015:108, point 23), le principe d’égalité de traitement prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, tel que le critère de la résidence, aboutissent, en fait, au même résultat
(voir, en ce sens, arrêts du 12 février 1974, Sotgiu, 152/73, EU:C:1974:13, point 11 ; du 14 février 1995, Schumacker, C‑279/93, EU:C:1995:31, points 26 et 28, ainsi que du 12 septembre 1996, Commission/Belgique, C‑278/94, EU:C:1996:321, point 27 et jurisprudence citée). L’égalité de traitement constituant une notion de droit de l’Union, cette jurisprudence est également valable quant à l’application dudit accord, conformément à son article 16, paragraphe 2 (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre
2011, Graf et Engel, C‑506/10, EU:C:2011:643, point 26).

84 Une réglementation qui prévoit une distinction fondée sur le critère de résidence est donc susceptible d’aboutir au même résultat qu’une discrimination fondée sur la nationalité prohibée par les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe I de l’ALCP.

85 Il y a lieu, toutefois, de relever que l’article 21, paragraphe 2, de l’ALCP permet l’application d’un traitement différencié, en matière fiscale, aux contribuables qui ne se trouvent pas dans une situation comparable, en particulier en ce qui concerne leur lieu de résidence (arrêts du 21 septembre 2016, Radgen, C‑478/15, EU:C:2016:705, point 45, et du 26 février 2019, Wächtler, C‑581/17, EU:C:2019:138, point 58).

86 En effet, en matière d’impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents dans un État donné ne sont, en règle générale, pas comparables, car elles présentent des différences objectives tant du point de vue de la source du revenu que de la capacité contributive personnelle ou de la prise en compte de la situation personnelle et familiale (arrêts du 14 février 1995, Schumacker, C‑279/93, EU:C:1995:31, points 31 et suivants, ainsi que du 27 juin 1996, Asscher, C‑107/94,
EU:C:1996:251, point 41).

87 Toutefois, en présence d’un avantage fiscal dont le bénéfice serait refusé aux non-résidents, une différence de traitement entre ces deux catégories de contribuables peut être qualifiée de « discrimination », s’il n’existe aucune différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement sur ce point entre les deux catégories de contribuables (voir, en ce sens, arrêts du 14 février 1995, Schumacker, C‑279/93, EU:C:1995:31, points 36 à 38, et du 27 juin 1996, Asscher,
C‑107/94, EU:C:1996:251, point 42).

Sur la comparabilité des situations

88 À cet égard, le gouvernement allemand fait valoir que, en ce qui concerne le droit d’opter pour le régime de l’imposition sur demande, les salariés résidant en Suisse ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des salariés résidant en Allemagne, au regard, en particulier, des objectifs du régime de l’imposition aux fins de l’impôt allemand sur les revenus, qui permet de contrôler, en cas de perception de revenus salariés, l’impôt sur les salaires prélevé et de fixer le montant
correct de l’impôt sur le revenu.

89 Selon ce gouvernement, premièrement, les salariés résidents et non‑résidents pourraient faire prendre en compte leurs frais professionnels qui dépassent le forfait salarié par l’inscription de l’abattement. Or, si, pour les salariés non-résidents, la date limite pour déposer une telle demande était le 31 décembre de l’année civile durant laquelle s’applique l’abattement, s’agissant des salariés résidents, cette date serait le 30 novembre de cette année civile.

90 Il serait dès lors nécessaire de donner aux salariés résidents la faculté d’opter pour l’imposition sur demande afin qu’ils puissent faire imputer, en déduction de leurs revenus salariaux imposables en Allemagne, leurs frais professionnels éventuellement plus élevés ou imprévisibles, exposés au mois de décembre de l’année d’imposition pour lesquels il ne serait pas possible de procéder à l’inscription de l’abattement. Une telle nécessité n’existerait pas pour les salariés résidant en Suisse,
partiellement imposables en Allemagne, compte tenu du délai plus long dont ils disposent pour demander l’inscription de l’abattement.

91 Deuxièmement, les salariés résidents et non-résidents ne se trouveraient pas dans une situation comparable en ce qui concerne les avantages fiscaux liés à la prise en compte de leur situation personnelle et familiale et AB n’appartiendrait pas non plus à la catégorie des personnes qui sont traitées comme étant intégralement soumises à l’impôt allemand sur le revenu à leur demande, l’essentiel de leur revenu mondial étant imposable en Allemagne.

92 Troisièmement, en se référant à l’arrêt du 22 décembre 2008, Truck Center (C‑282/07, EU:C:2008:762, point 47), ledit gouvernement fait valoir que l’application de procédures d’imposition différentes aux contribuables selon qu’ils sont partiellement ou intégralement soumis à l’impôt reflète la différence des situations dans lesquelles se trouvent ces contribuables en ce qui concerne le recouvrement de l’impôt.

93 Il y a lieu de constater à cet égard que, ainsi que le relève M. l’avocat général au point 79 de ses conclusions, la réglementation allemande prévoit que les résidents d’autres États membres de l’Union ou d’un État partie à l’accord EEE partiellement assujettis à l’impôt sur le revenu allemand peuvent bénéficier de l’imposition sur demande de leurs revenus salariaux afin de déduire leurs frais professionnels après qu’il a été procédé aux retenues à la source lorsque leurs salaires leur ont été
payés.

94 Ce faisant, la réglementation allemande assimile à cet égard les contribuables résidents à certains contribuables non-résidents et admet ainsi la comparabilité de leurs situations aux fins de l’imposition de leurs salaires perçus en Allemagne. Par conséquent, il ne saurait être affirmé que la qualité de non-résident d’un contribuable rend, en elle‑même, la situation de ce dernier objectivement différente de celle d’un contribuable résident. Or, le gouvernement allemand n’a pas apporté d’arguments
démontrant que la résidence d’un contribuable précisément en Suisse rendrait sa situation objectivement différente de celle d’un contribuable résidant en Allemagne.

95 En outre, les arguments de ce gouvernement visant à contester la comparabilité des situations de ces contribuables doivent être rejetés.

96 S’agissant, en premier lieu, de l’argument selon lequel seuls les contribuables résidents seraient confrontés aux inconvénients découlant d’un délai d’inscription de l’abattement plus court, il y a lieu de relever qu’un tel caractère complémentaire de la procédure d’imposition sur demande par rapport à la procédure d’inscription de l’abattement ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour. Au contraire, il ressort des explications de la juridiction de renvoi que la procédure d’imposition sur
demande constitue une procédure alternative et moins contraignante que la procédure d’inscription de l’abattement afin de pouvoir bénéficier d’une prise en compte des frais professionnels.

97 En effet, la juridiction de renvoi a indiqué que le dépôt de la déclaration d’impôt valait exercice du droit d’option et que le contribuable pouvait décider, dans le délai de liquidation de quatre ans, de déposer ou non une déclaration d’impôt sur le revenu, ce qu’il ne ferait que si l’impôt sur les salaires payé était plus élevé que l’impôt sur le revenu calculé. En revanche, l’inscription de l’abattement obligerait le contribuable à prendre une décision prévisionnelle concernant le montant des
recettes imposables prévisibles et des frais professionnels déductibles et serait liée à une incertitude quant à un abattement trop élevé et à un éventuel paiement complémentaire par le contribuable. Par ailleurs, une telle inscription exposerait ce dernier à une obligation de déposer une déclaration, sous peine de sanctions pénales et de mesures coercitives, dans un délai nettement plus court que le délai de prescription applicable en matière de liquidation.

98 Par conséquent, la différence de situations à l’égard de la possibilité de bénéficier d’une imposition sur demande ne saurait, sous réserve de la vérification par la juridiction de renvoi, être déduite des différents délais d’inscription de l’abattement applicables aux résidents et aux non‑résidents.

99 En deuxième lieu, certes, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 86 et 87 du présent arrêt, en ce qui concerne les avantages fiscaux liés à la prise en compte de leur situation personnelle et familiale, les résidents et les non-résidents ne se trouvent pas, en règle générale, dans des situations comparables. Toutefois, il y a lieu de relever que le droit d’imposition sur demande permet la prise en compte des frais professionnels.

100 À cet égard, il suffit de relever, que la prise en compte de tels frais découle non pas de la situation personnelle du contribuable, mais bien de la circonstance que ces frais sont engagés pour tirer des revenus d’une activité salariée et que, ainsi qu’il résulte de l’article 50, paragraphe 1, de l’EStG, la réglementation allemande prévoit la prise en compte des frais professionnels pour les contribuables non-résidents, dans la mesure où ces frais présentent un lien économique avec les revenus
allemands. Par conséquent, la réglementation allemande assimile elle-même les situations des contribuables résidents et non‑résidents en ce qui concerne la prise en compte des frais professionnels présentant un lien économique avec les revenus allemands.

101 En troisième lieu, s’agissant de l’argument du gouvernement allemand relatif à la différence des situations des contribuables résidents et non‑résidents quant au recouvrement de l’impôt, il y a lieu de relever que le traitement fiscal désavantageux ne découle pas d’une différence concernant la technique de recouvrement, l’impôt sur les salaires étant, ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, dans les deux cas prélevé par une retenue à la source, sans que la procédure d’imposition sur
demande ait pour effet de remettre en cause ce prélèvement. En outre, ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, le droit à l’imposition sur demande ne conduirait pas à une dette fiscale à recouvrer et à des difficultés subséquentes pour la République fédérale d’Allemagne. Il ne nécessiterait pas non plus d’assistance administrative particulière aux fins de l’établissement des faits et du recouvrement de l’impôt.

102 Par conséquent, l’article 21, paragraphe 2, de l’ALCP ne saurait être invoqué afin de refuser à un travailleur salarié l’avantage fiscal constitué par le droit d’option pour l’imposition sur demande pour la seule raison que sa résidence se trouve en Suisse et non en Allemagne.

Sur l’existence d’une justification

103 Il convient, dès lors, d’examiner si, ainsi que l’affirme le gouvernement allemand, un telle différence de traitement peut être justifiée au titre de l’article 21, paragraphe 3, de l’ALCP ou par la raison impérieuse d’intérêt général tenant à la nécessité d’assurer la cohérence du régime fiscal.

104 Premièrement, l’article 21, paragraphe 3, de l’ALCP prévoit, notamment, que cet accord ne fait pas obstacle à l’adoption ou à l’application par les parties contractantes d’une mesure destinée à assurer l’imposition, le paiement et le recouvrement effectif des impôts ou à éviter l’évasion fiscale conformément aux dispositions de la législation fiscale nationale d’une partie contractante. La Cour a jugé que de telles mesures, qui correspondent, en vertu de la jurisprudence de la Cour dans le cadre
de la libre circulation des personnes à l’intérieur de l’Union, à des raisons impérieuses d’intérêt général, doivent, en tout état de cause, respecter le principe de proportionnalité, à savoir qu’elles doivent être propres à réaliser ces objectifs et qu’elles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (arrêt du 26 février 2019, Wächtler, C‑581/17, EU:C:2019:138, point 63).

105 Or, le refus de bénéficier d’une imposition sur demande n’apparaît pas constituer une mesure apte à assurer l’imposition, le paiement et le recouvrement effectif des impôts ou à éviter l’évasion fiscale. À cet égard, ainsi qu’il a été relevé au point 101 du présent arrêt, il ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi que le droit à l’imposition sur demande ne conduit pas à une dette fiscale à recouvrer et à des difficultés subséquentes pour la République fédérale d’Allemagne
dans le cadre de la procédure de perception et ne nécessite pas non plus d’assistance administrative particulière aux fins de l’établissement des faits et du recouvrement de l’impôt.

106 En effet, ainsi que l’indique M. l’avocat général au point 89 des conclusions, la retenue à la source appliquée aux salaires versés en Allemagne à des personnes résidant en Suisse garantit une perception correcte de l’impôt sur le revenu par les autorités allemandes en ce qui concerne ces revenus.

107 Deuxièmement, le gouvernement allemand fait valoir que la différence de traitement en cause est justifiée par la nécessité de garantir la cohérence fiscale. En effet, la possibilité, pour les salariés intégralement soumis à l’impôt allemand sur le revenu, de bénéficier du régime de l’imposition sur demande serait symétrique à la possibilité qui leur est offerte de demander l’inscription de l’abattement jusqu’au 30 novembre de l’année civile pertinente.

108 À cet égard, la Cour a admis que la raison impérieuse d’intérêt général liée à la nécessité de garantir la cohérence fiscale peut être invoquée afin de justifier une différence de traitement interdite, en principe, à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe I de l’ALCP (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2016, Radgen, C‑478/15, EU:C:2016:705, points 50, 52 et 54). Encore faut-il, pour qu’un argument fondé sur une telle justification puisse prospérer, que l’existence d’un lien direct entre
l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé soit établie (voir, par analogie, arrêts du 27 juin 1996, Asscher, C‑107/94, EU:C:1996:251, point 58, et du 16 juillet 1998, ICI, C‑264/96, EU:C:1998:370, point 29).

109 Or, ainsi qu’il a été relevé au point 96 du présent arrêt, un tel lien direct fait défaut dans une situation telle que celle en cause au principal.

Sur la clause de standstill

110 Enfin, le gouvernement allemand fait valoir que le refus opposé aux salariés résidant en Suisse et travaillant en Allemagne de bénéficier du régime de l’imposition sur demande, n’est pas contraire à l’ALCP en raison de la clause de standstill prévue à l’article 13 de l’ALCP, qui devrait être interprétée de manière analogue à l’article 64 TFUE. Selon ce gouvernement, cette clause conférerait un droit au maintien en vigueur des restrictions existantes, la date de référence étant, à cet égard, non
pas la date de la signature de l’ALCP, mais celle de l’entrée en vigueur de celui-ci, à savoir le 1er juin 2002. Une telle interprétation, qui découlerait de la qualification même en tant que clause de standstill, serait la seule garantissant l’effet utile d’une telle clause.

111 Il convient de relever que, conformément au libellé de l’article 13 de l’ALCP, les parties contractantes s’engagent à ne pas adopter de nouvelles mesures restrictives à l’égard des ressortissants de l’autre partie dans les domaines d’application de cet accord. En revanche, cet article 13 ne comporte pas d’indication s’agissant d’un éventuel droit des États parties à l’ALCP de maintenir des restrictions existantes.

112 Force est de constater que l’article 13 de l’ALCP est, à cet égard, substantiellement différent de l’article 64 TFUE, qui prévoit expressément que l’article 63 TFUE ne porte pas atteinte à l’application, aux pays tiers, des restrictions existant au 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit de l’Union en ce qui concerne certains mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers.

113 Le droit au maintien des mesures susceptibles de constituer des exceptions au principe de l’égalité de traitement consacré à l’article 9 de l’annexe I de l’ALCP ne saurait, en outre, être déduit ni du contexte dans lequel s’inscrit l’article 13 de l’ALCP ni des objectifs poursuivis par cet accord.

114 D’une part, l’article 13 de l’ALCP fait partie du titre II de l’ALCP, relatif aux dispositions générales et finales, dont relève également l’article 10 de l’ALCP, qui prévoit le droit de la Confédération suisse ainsi que de certains États membres de maintenir pour une certaine période des limites quantitatives concernant l’accès à une activité économique pour certaines catégories de séjours et les contrôles de la priorité du travailleur intégré dans le marché régulier du travail et des
conditions de salaire et de travail pour les ressortissants de l’autre partie contractante, ainsi que le droit de la Confédération suisse de réserver, à l’intérieur de ses contingents globaux, des minima de nouveaux titres de séjour à des travailleurs salariés et indépendants de l’Union.

115 Or, compte tenu du caractère fondamental du principe de l’égalité de traitement, la faculté des parties contractantes de maintenir des mesures susceptibles de constituer des exceptions à ce principe aurait dû faire l’objet d’une disposition explicite de l’ALCP, à l’instar des restrictions à la libre circulation visées à l’article 10 de l’ALCP.

116 D’autre part, l’interprétation de l’ALCP permettant le maintien, pendant toute sa durée, des restrictions existantes à la date de la signature ou de l’entrée en vigueur de l’ALCP serait contraire aux objectifs que poursuit ce dernier, tels que rappelés aux points 50 et 53 du présent arrêt, visant à réaliser, en faveur des ressortissants, personnes physiques, des États membres de l’Union et de la Confédération suisse, la libre circulation des personnes sur le territoire de ces parties
contractantes et à accorder à ces ressortissants, notamment, un droit d’entrée, de séjour et d’accès à une activité économique salariée ainsi que les mêmes conditions de vie, d’emploi et de travail que celles accordées aux nationaux.

117 Par conséquent, l’article 13 de l’ALCP ne saurait être interprété en ce sens qu’il autorise le maintien du refus opposé aux salariés résidant en Suisse et travaillant en Allemagne de bénéficier du droit d’option pour le régime de l’imposition sur demande.

118 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que les articles 7 et 15 de l’ALCP, lus en combinaison avec l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe I de l’ALCP, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui réserve aux contribuables ressortissants de cet État membre, d’un autre État membre ou d’un État partie à l’accord EEE, résidant sur le territoire de l’un de ces États, le droit d’opter pour
une procédure d’imposition sur demande des revenus d’une activité salariée afin d’obtenir la prise en compte de dépenses telles que les frais professionnels et l’imputation de l’impôt sur les salaires prélevé dans le cadre de la procédure de retenue à la source, pouvant conduire au remboursement de l’impôt sur le revenu, et ne confère pas un tel droit d’option notamment à un ressortissant du premier État membre, résidant en Suisse et percevant les revenus d’une activité salariée dans cet État
membre.

Sur les dépens

119 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  Les articles 7 et 15 de l’accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, signé à Luxembourg le 21 juin 1999, tel qu’adapté en dernier lieu par le protocole du 4 mars 2016 concernant la participation, en tant que partie contractante, de la République de Croatie, à la suite de son adhésion à l’Union européenne, lus en combinaison avec l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe I de cet accord,

  doivent être interprétés en ce sens que :

  ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui réserve aux contribuables ressortissants de cet État membre, d’un autre État membre ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, résidant sur le territoire de l’un de ces États, le droit d’opter pour une procédure d’imposition sur demande des revenus d’une activité salariée afin d’obtenir la prise en compte de dépenses telles que les frais professionnels et l’imputation de l’impôt sur les salaires prélevé
dans le cadre de la procédure de retenue à la source, pouvant conduire au remboursement de l’impôt sur le revenu, et ne confère pas un tel droit d’option notamment à un ressortissant du premier État membre, résidant en Suisse et percevant les revenus d’une activité salariée dans cet État membre.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-627/22
Date de la décision : 30/05/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Finanzgericht Köln.

Renvoi préjudiciel – Accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur la libre circulation des personnes – Travailleur d’un État membre ayant transféré son domicile vers la Suisse – Avantages fiscaux – Impôt sur le revenu – Mécanisme de l’“imposition sur demande” – Contribuables bénéficiaires – Limitation aux travailleurs salariés assujettis partiellement ayant leur résidence dans un État membre ou dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) – Égalité de traitement.

Relations extérieures

Libre circulation des travailleurs


Parties
Demandeurs : AB
Défendeurs : Finanzamt Köln-Süd.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona
Rapporteur ?: Ziemele

Origine de la décision
Date de l'import : 06/06/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:431

Source

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